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Analyse spatiale de la consommation alimentaire urbaine

Deuxième partie : Evolution de la demande alimentaire et fonctionnement des systèmes d’approvisionnement urbains

Chapitre 3 : La demande alimentaire urbaine

3.1. Caractérisation du modèle alimentaire urbain nord-camerounais

3.1.2. Analyse spatiale de la consommation alimentaire urbaine

L’analyse spatiale de la consommation montre deux niveaux de répartition du modèle alimentaire à l’échelle régionale : un premier niveau déjà analysé ci-dessus et qui présente des différences entre les villes d’une part et un deuxième niveau intra urbain d’autre part. Dans le deuxième cas l’analyse s’est faite par croisement de quatre variables : le quartier de résidence qui est un indicateur complémentaire du niveau de vie, l’origine géographique du chef de ménage, les produits consommés et la responsabilité dans la gestion alimentaire.

Dans l’ensemble les décisions concernant le choix du mets du jour sont prises par l’épouse dans 63 % des cas, l’époux 30 %, les enfants 6 % et le domestique 1 % (figure 24).

61 On peut relever quelques contradictions dans la définition de la ville au Cameroun. Est considérée comme ville, tout établissement humain comptant au moins 5 000 habitants et abritant un chef-lieu d'unité administrative disposant des services de base (établissement d'enseignement secondaire, hôpital, brigade de gendarmerie, ...). Paradoxalement, la loi n°2004/003 du 21 avril 2004 régissant l'urbanisme impose un Plan d’Occupation du Sol à tout établissement aggloméré d'au moins 2000 habitants ; un hic. Dans le souci d’assurer un meilleur contrôle du territoire, de nombreuses localités fortement ruralisées ont été érigées en chef-lieu d’unité administrative (districts supprimés en 2010, arrondissements, départements), contribuant ainsi à augmenter le nombre de villes camerounaises pourtant dépourvues de toutes commodités urbaines.

63% 30%

6% 1%

Epouse Epoux Enfants Domestique

Figure 24 : Responsabilités du choix du mets dans le ménage

La forte implication de l’époux dans la gestion culinaire s’explique par le poids de l’élément culturel qui intègre l’homme dans la gestion alimentaire de l’unité domestique.

3.1.2.1. Une division spatiale de la consommation intra-urbaine tributaire des facteurs sociaux

Des disparités remarquables sont observées d’un quartier à l’autre mettant en exergue l’importance du poids des facteurs ethno-linguistique et religieux dans la consommation des bases amylacées. En général la gestion de l’alimentation relève de la responsabilité de l’épouse dans le cas des ménages biparentaux. Toutefois nos résultats montrent que ce fait est particulièrement influencé par les facteurs socio-culturels dans les villes du Nord-Cameroun, en l’occurrence dans la religion. L’implication de l’époux varie selon qu’il s’agisse des quartiers à dominance islamique ou chrétienne [Haoussa et Madagascar à Ngaoundéré ; Foulbéré, Djamboutou et Roumdé Adjia à Garoua ; Kakataré et Toupouri à Maroua (figures 25-27)]. Dans les quartiers à dominance chrétienne par contre (Burkina, Baladji 1 à Ngaoundéré ; Yelwa, Camp Chinois, à Garoua ; Kaliao, Doursoungo à Maroua) et les quartiers résidentiels (Baladji 2 à Ngaoundéré ; Laindé/Poumpoumré à Garoua), la gestion de l’alimentation est assurée par l’épouse et accessoirement les enfants dont l’avis est quelques fois requis pour le choix du mets du jour. La forte implication de l’époux explique également le choix de la fréquence d’approvisionnement des céréales (mil/sorgho et maïs) base de l’alimentation des populations musulmanes. Les achats journaliers sont réduits aux composantes des sauces (légumes, produits carnés et plantes condimentaires). C’est enfin dans les quartiers musulmans qu’on assiste à une plus grande implication des domestiques dans la gestion culinaire des ménages suivis de quelques zones résidentielles.

Figure 25 : Choix culinaire au sein du ménage en fonction du quartier de résidence à Ngaoundéré

Figure 27 : Choix culinaire au sein du ménage en fonction du quartier de résidence à Maroua

A Ngaoundéré et relativement à Maroua on remarque qu’une place est accordée au choix consensuel des plats du jour par l’ensemble des membres du ménage. Dans tous les quartiers de la ville de Ngaoundéré, cette modalité prime sur celle qui désigne l’époux comme le principal responsable du choix culinaire. L’influence de ce-dernier demeure toutefois importante dans ce qu’on peut considérer comme la gouvernance de l’alimentation au sein du ménage. Cette influence est surtout portée par les chefs de ménage de sexe masculin âgés d’au moins 40 ans. Cet aspect à été saisi à travers la question suivante : « Le chef de ménage consomme-t-il aujourd’hui les mêmes mets qu’il consommait dans sa jeunesse ? ». Les réponses montrent que les hommes de cette tranche d’âge sont restés nostalgiques aux céréales habituellement consommées dans leur jeunesse, particulièrement le mil/sorgho moins apprécié des enfants. Les femmes interrogées concernées par ce cas de figure affirment préparer le repas de l’époux en fonction de ses préférences, et le repas destiné aux autres membres du ménage, situation pouvant se produire deux à trois fois au cours de la semaine.

On peut de cette situation établir le constat d’une certaine dynamique dans la consommation alimentaire au sein des ménages urbains. Les enfants portent de plus en plus leurs choix sur le riz et le plantain au détriment des céréales locales. Ces changements sont surtout observés dans les ménages originaires du Nord-Cameroun, les populations du

Sud-Cameroun ayant habituellement comme bases amylacées les racines, tubercules et féculents auxquels s’ajoute le riz. Les mobilités des ménages pour des raisons diverses participeraient à la dynamique des habitudes de consommation notamment chez les jeunes. Les céréales locales connaissent ainsi un certain recul spatial de la consommation.

3.1.2.2. La régression de l’aire de consommation des céréales locales : crise conjoncturelle ou recomposition du modèle céréalier urbain ?

Au Nord-Cameroun où le mil/sorgho a longtemps été reconnu comme base traditionnelle de l’alimentation (Couty, 1965 ; Winter, 1965 ; Tourneux, 2002 ; Raimond, 2005), l’émergence de certaines denrées alimentaires est de plus en plus observée. C’est le cas du riz et du maïs dont la proportion dans la structure des bases alimentaires n’a cessé de croître depuis une dizaine d’années. L’importance du maïs dans la consommation urbaine était déjà perceptible en 1994 particulièrement dans la région administrative du Nord. Contrairement à l’Extrême-Nord, on observait depuis la fin des années 1980 dans le Nord et l’Adamaoua une relative régression de la production de mil/sorgho, régression compensée par la progression du maïs et par celle des tubercules manioc et igname dans l’Adamaoua dans les régimes alimentaires (Abraao, 1994).

On peut également situer l’augmentation de la consommation du riz dans la même période. Car en 1984 l’Enquête Budget-Consommation de 1983-1984 indiquait une consommation annuelle moyenne de riz de 11,5 kg par habitant pour l’ensemble du pays, ce qui ne permettait pas de considérer cette céréale comme « stratégique » dans une éventuelle politique alimentaire. En 1989 la demande nationale en riz marchand était estimée à 146 990 tonnes (Engola Oyep, 1991) ; elle se situe aujourd’hui selon les estimations du ministère de l’agriculture autour de 500 000 tonnes par an, ce qui traduit une dynamique à l’échelle nationale même s’il reste difficile de déterminer la proportion consommée dans le nord. En 2002 les importations représentaient 86 % du riz consommé au Cameroun (Courade, 2005). Les importations entièrement assurées par les particuliers empruntent plusieurs voies, ce qui pose un réel problème de suivi des flux et de quantification faute de dispositif statistique officiel fiable.

Par contre cette dynamique peut se lire à travers les statistiques de production qui indiquent une augmentation constante de toutes les céréales sur près de 16 ans. De 1990 à

200762, la production de maïs au Nord-Cameroun a fortement augmenté malgré les variations interannuelles de 1997, 2000-2002 et 2004 dues aux aléas climatiques. On est passé de 57 418 tonnes à plus de 457 000 tonnes en 16 ans (Abraao, 1994 ; INS, 2004 ; MINADER/Agristat, 2009), soit près de 37 % de la production nationale actuelle. Quant à la production de riz, elle est passée de 32 000 tonnes de produits blancs (riz et brisures) à 80 000 tonnes en 2007, dont plus de 80 % produits dans le Nord-Cameroun (Engola Oyep, 1991 ; MINADER/Agristat, 2009)63. Si par contre la production de mil/sorgho a été relativement plus élevée par rapport au maïs et au riz, elle aura tout de même connu une baisse au cours de la même période. De 614 604 tonnes en 1990 (soit environ 95 % de la production nationale), elle a chuté à 314 995 tonnes en 2000 avant de se stabiliser autour de 500 000 tonnes en 2007. L’Extrême-Nord concentre l’essentiel de la production dans les départements du Mayo-Tsanaga, du Diamaré et du Mayo-Danay. La production de riz est quant à elle localisée dans le Mayo-Danay, le Mayo-Sava et le Logone-et-Chari, tandis que le maïs se cultive relativement dans toute la région géographique.

Cette évolution établit ainsi l’émergence du maïs considéré comme céréale « nouvelle » dans les systèmes de production et du riz, céréale « anciennement intégrée » dans les pratiques culturales mais peu dans les habitudes de consommation. Si les données pour la période 1990-2007 ne rendent pas compte avec précision de la situation à l’échelle régionale de la consommation du maïs et particulièrement du riz, on a cependant une idée de la place de chacune des céréales en 1990 pour la ville de Garoua.

Le riz était considéré comme un produit davantage consommé par les ménages « riches », son coût de revient à la cuisson étant relativement plus élevé que celui des céréales traditionnelles de la zone. En revanche, les mil/sorgho et maïs avaient un coût de revient équivalent en moyenne (Requier-Desjardins, 1993). Par ailleurs, leur consommation était fortement connotée à la variable ethnique. Les Montagnards originaires des Monts Mandara et les Foulbé choisissaient exclusivement comme base alimentaire le mil/sorgho, les groupes originaires du Logone et les autres peuples originaires des zones de production cotonnière choisissaient plus souvent le maïs, produit associé au coton dans les assolements. Les

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Les statistiques officielles les plus récentes sont de la campagne agricole 2006-2007 publiées par le Ministère de l’agriculture et du développement rural (2009). AGRISTAT n°15, 111 p.

63 Lire à ce sujet Engola Oyep (1991). ‘Du jumélage à la péréquation au Cameroun : assurer la survie des périmètres hydro-rizicoles à l’heure de l’ajustement structurel’. In Cahiers Sciences Humaines, 27 (1-2), pp. (53-63).

camerounais étaient les seuls à porter leur préférence sur les racines, tubercules et féculents, et accessoirement le riz et les pâtes alimentaires (Requier-Desjardins, Op. Cit.).

Bien que les différences méthodologiques portant notamment sur la variable « ethnie »64 ne permettent pas de comparer nos résultats à ceux des travaux antérieurs, deux constats majeurs peuvent néanmoins être établis :

 la consommation du mil/sorgho tend à se circonscrire autour des grands bassins de production dans le Nord (Mayo-Louti) et l’Extrême-Nord (Mayo-Kani, Mayo-Danay, Mayo-Sava, Mayo-Tsanaga, Diamaré). 60 % des ménages qui consomment les céréales locales résident en effet à Maroua contre 22 % à Ngaoundéré et 18 % à Garoua. Cette régression spatiale s’observe également à travers les proportions des consommateurs des types de céréales selon les fréquences mensuelles.

 la consommation de maïs et de riz s’est généralisée non seulement aux peuples du Nord-Cameroun, mais également à ceux du Sud-Cameroun.

Les villes du Nord-Cameroun connaîtraient donc une certaine recomposition du modèle alimentaire céréalier qui se ferait au profit des produits « nouveaux » (riz et maïs), et dont les systèmes de production exogènes à la région interpellent quant au rôle de « pilier central » que ces céréales peuvent jouer dans la sécurité alimentaire urbaine du point de vue de la durabilité des approvisionnements.

L’augmentation des fréquences de consommation de maïs, céréale « nouvelle » constatée dans nos enquêtes est assez remarquable en 10 ans. Les explications d’une telle émergence se révèlent par l’analyse des disponibilités annuelles des bases alimentaires régionales (mil/sorgho, riz, maïs) à travers le calendrier agricole (tableau 10)

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En raison du nombre élevé d’ethnies au Cameroun (près de 250) nous avons retenu la région administrative comme échelle d’analyse de l’origine géographique. S’il est vrai que l’agrégation de plusieurs ethnies au sein d’une même région peut entraîner la perte d’un certain nombre d’informations, elle nous permet de saisir les grandes tendances, l’objectif de l’étude n’étant pas de faire une analyse ethnologique de la consommation alimentaire.

Tableau 10 : Calendrier agricole des principales graines alimentaires au Nord-Cameroun

Spéculations jan fév mars avril mai juin juil août sept oct nov déc

EN et N

Sorgho Ss Ent cult Récolte Pépinière Repiquage Ent cult

Sorgho Sp Semis Semis Ent cult Récolte Récolte

Mil Semis Ent cult Récolte Récolte

Maïs Semis Semis Ent cult Récolte

Ad Maïs Semis Semis Ent cult Récolte Récolte Récolte Récolte

EN et

N Riz pluvial Repiquage Ent cult Récolte

Ad Semis Semis Semis Ent cult Récolte Récolte Récolte Récolte

EN et N

Arachide Semis Ent cult Récolte

Niébé Semis Ent cult Récolte

Source : IRAD (2002). Rapport de synthèse du diagnostic discontinu de base (Extrême-Nord, Nord et Adamaoua)

Sorgho Ss = saison sèche Extrême-Nord (EN) et Nord (N) Adamaoua (Ad)

Sorgho Sp = saison pluvieuse Ent. Cult. = Entretien des cultures

Outre la production de contre saison qui porte sur le muskwaari cultivé sur les terres argileuses (septembre-mars), celle des céréales de consommation courante s’étend globalement de mai à octobre avec de légers décalages d’une région à l’autre65. C’est pendant cette période que les problèmes de sécurité alimentaire se posent avec acuité dans le Nord-Cameroun, du fait de la pénurie des céréales locales (mil/sorgho) base alimentaire en zone rurale. Au-delà de l’importance du poids de ces céréales dans l’alimentation, cette pénurie pourrait s’expliquer par deux séries de facteurs :

 La faible disponibilité des semences améliorées

Le niveau de prélèvement des semences sur les stocks de mil/sorgho demeure relativement élevé malgré l’appui à la production et à la vulgarisation des semences améliorées depuis cinq ans, par un certain nombre de programmes et projets66. Les agriculteurs utilisent près de 10 % de leurs stocks de mil/sorgho pour les semences, contrairement au maïs et au riz, dont la production des semences améliorées est plus importante. Ainsi par exemple, entre 2005 et 2008 la production nord-camerounaise de semences certifiées a surtout porté sur le riz et le maïs (tableau 11).

65 Ces décalages s’expliquent par les variations pluviométriques au Nord-Cameroun : en moyenne 1500 mm/an dans l’Adamaoua, 1000-900 mm dans le Nord et 900-500 mm dans l’Extrême-Nord.

66 Le PARFAR financé par la BAD est le principal intervenant en milieu rural. Il comprend une composante semencière chargée d’appuyer les opérateurs privés dans la mise en place d’une filière semencière.

Tableau 11 : Cumul de production des semences certifiées en tonne (2005-2008) Campagne Total Spéculations 2004/2005 2005/2006 2006/2007 2007/2008 (estimations) Maïs 201,55 880,75 1694,2 654,5 3 431 Sorgho 8,79 230 151 155 544,79 Mil 0,66 1,4 3,75 4,5 10,31 Riz 289,45 363,5 199,1 60 912,05 Arachide 71,81 80,65 46,5 38,92 237,88 Niébé 170,49 188,25 145,6 84,6 588,94 Oignon 3,5 1,5 3,65 0 8,65 Total 746,25 1 746,05 2 243,8 997,52 5 733,62

Source : PARFAR (2008). Rapport d’avancement du programme au 31 décembre 2007

La filière semencière a beaucoup souffert du désengagement de l’Etat dans le cadre des PAS. La privatisation du Projet Semencier Nord en 1990 et sa fermeture définitive par son repreneur américain (Pionner Agro Genetic) en 1993 l’ont plongé dans une profonde léthargie. Ce qui a conduit à une augmentation des stocks de récoltes prélevés pour les semences. Malgré les efforts de réorganisation de cette filière par les pouvoirs publics avec l’appui de la BAD en 2001 dans le cadre du PARFAR, des obstacles subsistent entre autres :

o le faible niveau de production des souches (semences de pré-base) de mil/sorgho par l’IRAD à partir desquelles sont produites les semences certifiées ;

o le faible intérêt des acteurs privés locaux pour la prise en main de la filière jugée encore peu rentable ;

o le faible pouvoir financier des multiplicateurs retenus dans le cadre du PARFAR67 ;

o l’absence d’un cadre d’échanges entre producteurs et distributeurs des semences, entraînant de nombreux invendus des semences améliorées produites à la fin des campagnes agricoles ;

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Le PARFAR pour intéresser les acteurs privés locaux à la filière semencière, avait mis en place dès le lancement de ses activités en 2002, un système d’octroi de crédits aux multiplicateurs. Comme dans beaucoup d’autres projets et programmes nationaux, il y a eu plus d’opportunistes de financements que de réels multiplicateurs, avec comme conséquence, des non remboursements de crédits au terme de l’échéance de 15 mois accordés (PARFAR, 2008).

o un cadre réglementaire (loi semencière) qui tarde à connaître une application effective sur le terrain.

Le document de mise en œuvre du PARFAR (2000) estimait les besoins du Nord-Cameroun en semences toutes spéculations confondues à 67 000 tonnes. L’offre en semences améliorées en général et des céréales locales en particulier reste donc très insatisfaite. Pour le mil/sorgho, la superficie moyenne annuelle emblavée est de 240 000 ha (MINADER/Agri-Stat n°15, 2009).

 La multifonctionnalité des céréales locales

Le mil/sorgho constitue la matière première de base dans la fabrication de la bière traditionnelle (bilbil) qui a une forte valeur sociale dans la région. La fabrication et la commercialisation du bilbil longtemps confinées dans les campagnes se sont fortement développées dans les villes depuis près de 20 ans, en relation avec les mouvements migratoires. Seignobos (2005) a identifié dans la seule ville de Maroua entre 1100 et 1200 brasseuses de bière de mil. « La recherche du meilleur sorgho reste une préoccupation première des brasseuses. Il ne faut pas utiliser de [mauvais mil]. Ainsi, le sorgho qui a longtemps séjourné dans les silos souterrains […] ou le sorgho charançonné vont mal germer. Les sorghos nouveaux ne conviennent pas non plus. Il faut un sorgho sec et pas trop fraîchement récolté » (Seignobos, Op. Cit.). L’utilisation des céréales locales dans le brassage de la bière traditionnelle a toujours suscité de vives inquiétudes, tant de la part des pouvoirs publics que des acteurs de développement.

« L’administration coloniale s’est très tôt émue des méfaits de la bière de mil sur les indigènes, et le jugement qu’elle portait sur eux en termes [d’imprévoyance] reposait en partie sur le [gaspillage] du mil pour des brassages de bière jugés excessifs. […] Les rapports de la SODECOTON et le journal [le paysan] stigmatisent régulièrement les cultivateurs qui courent encore les marchés à bière au lieu de nettoyer leurs champs pour être prêts aux premières pluies. L’objectif est double. Il vise, d’une part, à lutter contre la déperdition de mil avec le brassage de bière et qui risque de faire défaut au moment de la soudure et, d’autre part, à combattre l’oisiveté » (Seignobos, op. Cit.).

La consommation alimentaire de ces céréales autant dans les campagnes que dans les villes souffrirait donc de la compétition de cet autre usage tout aussi exigeant du point de vue de la qualité. Cette sollicitation des grains pour le brassage de la bière concerne aussi bien la production de saison de pluie que celle de contre saison qui contribue au renforcement de

l’offre en céréales locales pendant la période de soudure (juin-septembre). Bien que le maïs fasse de plus en plus l’objet de sollicitations pour l’alimentation animale, les importations peuvent encore compenser la demande industrielle sud-camerounaise.

Ces deux séries de facteurs peuvent justifier la faible disponibilité du mil/sorgho et par conséquent la baisse de sa fréquence de consommation lors de nos enquêtes au mois d’août période de soudure, par rapport au maïs et au riz qui peuvent être plus facilement approvisionnés par les marchés nationaux et internationaux. Cette disponibilité peut d’ailleurs s’apprécier à travers l’indice des prix sur les marchés où l’on note une relative stabilité des prix du maïs et du riz par rapport à ceux des céréales locales (figure 28).

Instabilité du prix des céréales sur les marchés de Garoua

0 100 200 300 400 500 600 c-93 c-94 c-95 c-96 c-97 c-98 c-99 c-00 c-01 c-02 c-03 c-04 c-05 c-06 c-07

Source : Données DSCN/INS, Graphique L.Temple, Fofiri N.E.

P

rix

F

cfa/kg

Petit mil+sorgho. Ecart type 64 Maïs sec. Ecart type 44 Riz importé. Ecart type 38 Riz Local. Ecart type 35

Figure 28 : Instabilité du prix des céréales sur les marchés de Garoua -Nord-Cameroun- (1993-2007)

Source : DSCN/INS, 2009

Cette figure souligne en comparant les écarts types sur les séries de prix des différents produits, la forte instabilité des prix des céréales locales (mil/sorgho) sur les marchés urbains au cours de l’année d’une part, et d’une année à l’autre d’autre part comparativement avec celles des céréales « nouvelles » que sont le maïs et le riz. L’instabilité des prix est souvent marquée par des séries annuelles de tensions sur les marchés urbains comme cela a été le cas entre 2003 et 2008, période au cours de laquelle on a enregistré de fortes tensions des prix sur les céréales locales, paradoxalement à Maroua ville située au cœur des grandes zones de