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Effets du changement climatique sur l’activité agricole au Nord-Cameroun

Première partie : Caractérisation spatiale et temporelle de l’offre vivrière du Nord-Cameroun

Chapitre 1 : L’offre vivrière locale et ses contraintes La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du

1.2. Les contraintes de l’environnement de production

1.2.1. Effets du changement climatique sur l’activité agricole au Nord-Cameroun

A l’instar de la question du « développement durable », la problématique du changement climatique a longtemps été considérée dans les pays en développement en général et en Afrique en particulier comme étant la seule préoccupation du Nord, en raison des causes étroitement liées à l’exploitation industrielle27

. Le changement climatique désigne l’ensemble des dérèglements qui affectent le climat mondial avec des conséquences sur la qualité de vie des populations, la diversité biologique, les glaciers et banquises, le niveau des mers, les récoltes. Entre 1967, année des premières prévisions d’un réchauffement planétaire et 2000, la question a été essentiellement débattue dans les pays industrialisés [Suisse (Genève), Autriche (Vienne), Allemangne (Berlin), Italie (Rome), Canada (Montréal)], ou émergents [Bresil (Rio de Janeiro), Argentine (Buenos Aires)]. Elle est abordée pour la première fois en Afrique en 2001 au Maroc (Marrakech) au cours de la 7ème Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique, puis en 2006 au Kenya (Nairobi) lors de la 12ème Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique28. S’il est vrai que les Etats africains participaient déjà aux différentes rencontres mondiales depuis le sommet de Rio de

27 Spore (CTA) (2008). Changements climatiques, Numéro Hors-série, Août 2008, 24 p. (Site web : http :/spore.cta.int)

28 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/changement-climatique/chronologie.shtml (Consulté le 04 septembre 2009)

Janeiro, les rencontres de Marrakech et Nairobi auront contribué à accélérer leur implication dans la lutte contre le changement climatique. Elles marquent également l’engagement solennel de la communauté internationale à l’égard de l’Afrique du point de vue financier et technique pour la mise en œuvre des programmes de préservation de la nature.

Cependant, les préoccupations du changement climatique sont jusqu’ici restées à l’échelle des institutions et administrations nationales ainsi que des ONG installées sur le continent africain. L’on a vu naître dans divers pays après le sommet de Rio (3-14 juin 1992) et la 3ème Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique de Kyoto (1er-12 décembre 1997) une pléthore d’instruments juridiques et des plans d’action pour la protection de la nature.

1.2.1.1. Les instruments institutionnels de lutte contre le changement climatique au Cameroun

Le Cameroun compte parmi les premiers pays qui ont ratifié le protocole de Kyoto sur les changements climatiques entré en vigueur le 16 février 2005. Au niveau national plusieurs organes et institutions ont été créés pour assurer le suivi et la coordination des politiques et actions de préservation de l’environnement. On peut notamment citer :

- le Ministère de l’Environnement et des Forêts éclaté en deux départements ministériels en 2006 : le Ministère de l’Environnement et de la Protection de la Nature et le Ministère des Forêts et de la Faune ;

- le Ministère du transport (à travers une direction de la météorologie et de la marine marchande) ;

- le Ministère des mines, de l’Eau et de l’Energie ;

- le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation ;

- le Premier Ministère (à travers la Commission Nationale Consultative pour l’environnement et le développement durable) ;

- le Bureau National de la couche d’ozone ;

- le Comité interministériel pour la protection de la couche d’ozone ;

- la Cellule Nationale de Coordination du Programme des changements climatiques.

La volonté du Cameroun de participer à la préservation du climat est réitérée à la veille du Sommet de Copenhague (07-18 décembre 2009) par la signature d’un décret du Chef de l’Etat portant Création, Organisation et Fonctionnement d’un Observatoire national sur les

changements climatiques, structure faîtière chargée de coordonner les activités de l’ensemble des intervenants dans le domaine (encadré 1).

Encadré 1

Extrait du Décret Présidentiel N°2009/410 du 10 décembre 2009 portant création, organisation et fonctionnement d’un observatoire national sur les changements climatiques

Art, 4. (2) [L’observatoire est chargé] :

- d’établir les indicateurs climatiques pertinents pour le suivi de la politique environnementale ;

- de mener des analyses prospectives visant à proposer une vision sur l’évolution du climat à court, moyen et long termes ;

- de suivre l’évolution du climat, de fournir des données météorologiques et climatologiques à tous les secteurs de l’activité humaine concernés et de dresser le bilan climatique annuel du Cameroun ;

- d’initier et de promouvoir des études sur la mise en évidence des indicateurs, des impacts et des risques liés aux changements climatiques ;

- de collecter, analyser et mettre à la disposition des décideurs publics, privés ainsi que des différents organismes nationaux et internationaux, les informations de référence sur les changements climatiques au Cameroun ;

- d’initier toute action de sensibilisation et d’information préventive sur les changements climatiques ;

- de servir d’instrument opérationnel dans le cadre des autres activités de réduction des gaz à effet de serre ;

- de proposer au gouvernement des mesures préventives de réduction d’émission de gaz à effet de serre, ainsi que des mesures d’atténuation et/ou d’adaptation aux effets néfastes et risques liés aux changements climatiques.

Source : Cameroon Tribune n°9498/5699 du mercredi 16 décembre 2009.

L’Observatoire national présenté comme la structure faîtière du gouvernement en matière de politique de lutte contre le changement climatique assure les mêmes missions que les organes et structures créés par le passé, et qui restent fonctionnels. Cette situation est susceptible de générer des conflits entre structures et compromettre un meilleur suivi des actions sur le terrain. La pléthore d’instruments existants montre qu’il y a au niveau institutionnel une réelle volonté politique de lutter contre les effets du changement climatique, mais sa mise en œuvre reste très procédurière. Peu d’actions d’explication du concept ont été jusqu’ici entreprises auprès des populations, alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus perceptibles.

1.2.1.2. Les indicateurs de dégradation des conditions climatiques

Dans la pratique, les effets du changement climatique sont particulièrement perceptibles dans l’espace soudano-sahélien. Trois situations peuvent être distinguées : une baisse des précipitations depuis les années 1960-1970 ; l’irrégularité inter-annuelle et l’évolution intra-annuelle. Bien que les conditions climatiques semblent profondément se dégrader ces cinq dernières années, des études (Beauvilain, 1989 ; WMO/GWP, 2003) montrent que le phénomène était déjà perceptible depuis la décennie 1970, particulièrement dans sa partie sahélienne (abords sud du lac Tchad au Cameroun) où la pluviométrie moyenne y est passée de 700 mm avant 1970 à 500 mm ces dernières années. Cette partie du pays a subi une diminution significative des précipitations annuelles de plus de 20 %, voire 30 %, au cours de la décennie 1960 au-delà de 11° de Latitude Nord (Niel et al., 2005).

L’irrégularité inter-annuelle s’apprécie quant à elle à une échelle temporelle plus longue. La série pluviométrique disponible pour l’Extrême-Nord sur 25 ans montre que nous avons affaire à une pluviométrie qui évolue en dents de scie n’obéissant pas à la régularité décennale (figure 7). Seule l’année 1994 aura connue une pluviométrie assez significative (900 mm) se rapprochant des caractéristiques du climat soudano-sahélien (900-1000 mm/an). La moyenne générale des précipitations sur les 25 ans est de 750 mm avec des pics situés autour de 850 mm (1988, 1994, 1999, 2011, 2003, 2005, 2007). L’année 1994 avec près de 1000 mm de pluie marque le début d’un cycle décénnal, puisque l’année 1984 aura été une année sèche avec moins de 600 mm. Par contre les pics pluviométriques les plus faibles dont l’année 1984, qui correspondent aux grandes périodes de sécheresse dans l’Extrême-Nord ont été enregistrées en 1984 (551 mm), 1987 (583 mm), 1990 (611 mm) et 2004 (654 mm). On constate que le climat de cette région administrative se caractérise par une succession d’années pluvieuses et sèches avec des variations comprises entre 600 et 900 mm de pluies.

Au plan intra-annuel, l’on observe de plus en plus de fortes irrégularités dans la répartition des précipitations. La saison 2009 aura connu un début très irrégulier jusqu’à la fin juin pour s’étendre au mois d’octobre, mois au cours duquel il a été enregistré des pluies significatives habituellement attendues en juillet. Le prolongement des pluies en octobre marque ainsi des extrêmes dans les perturbations climatiques au niveau régional.

Figure 7 : Evolution des précipitations moyennes annuelles dans l’Extrême-Nord (1984-2009)

Données : Service météorologique/Délégation agriculture de l’Extrême-Nord

Graphique : Douala D., Early warning information flash, MINADER/DESA, n°0019, décembre 2009

Au plan spatial la dynamique hydrologique de la plaine d’inondation du Logone, principal bassin rizicole est aujourd’hui caractérisée par une régression de la durée de recouvrement de la plaine (moins de trois mois au lieu de quatre à cinq comme par le passé) par les eaux de crue des principaux mayo (Logone, Mayo Tsanaga, Mayo Boula, El Beid). Selon le WMO/GWP (2003) l’influence des changements climatiques des dernières décennies sur l’appauvrissement des ressources en eaux dans le soudano-sahélien camerounais ne fait aucun doute. Cette situation serait aggravée par les grands projets d’aménagement hydraulique de la SEMRY au Cameroun, et de la South Chad Irrigation Projects (SCIP) au Nigeria.

Ces deux projets sont particulièrement mis en cause dans le rétrécissement du lac Tchad. Alors qu'en 1960, il couvrait un secteur de plus de 26 000 km², en 2000 il était réduit à moins de 1 500 km²29. Ces deux projets privent le lac Tchad d’une partie importante de ses eaux. Au niveau de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), ces deux Etats supportent l’essentiel des cotisations car chacun des pays membres de la CBLT intervient financièrement au prorata des désagréments causés sur les eaux du lac Tchad. C’est ainsi que le Nigeria principalement indexé dans le rétrécissement du lac participe à hauteur de 52 %,

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suivi du Cameroun 28 %. Les autres pays membres (Tchad, Niger, République Centrafricaine) viennent ensuite avec 8 et 6 % d’apports financiers.

Si les populations des profondeurs de la zone soudano-sahélienne comme celles d’autres parties du pays restent ignorantes de toute la terminologie sur le changement climatique (réchauffement climatique, fonte des glaciers, variations des températures, couche d’ozone, dégradation des ressources végétales…), elles savent cependant traduire en leurs propres termes, les effets vécus de ce changement notamment sur les activités agricoles. Elles arrivent à situer la période d’accélération de ces dérèglements. Pluies précoces et peu significatives pour le cycle végétatif des principales cultures, et pluies significatives mais tardives suivies des inondations après les semis sont les caractéristiques actuelles du climat septentrional. Elles sont responsables de la reprise des semis au cours d’une même campagne agricole, du démarrage tardif de la campagne agricole ou du lessivage des cultures en champs dans le cas des inondations.

Le muskuwaari a connu au cours de la campagne agricole 2008-2009, une baisse de rendement de près de 30 % (MINADER/DESA, mai-juin-juillet 2009). En mai 2009 les prévisions faites par le CILSS/ACMAD pour la période de juillet-septembre 2009 indiquaient une baisse de précipitations dans la zone sahélienne plus importante qu’en 2008 (CILSS/AGRHYMET, mai 2009). La campagne agricole 2009-2010 a en effet été sérieusement perturbée particulièrement dans l’Extrême-Nord, en raison d’une longue interruption des pluies intervenue en juin. Les pluies significatives ne se sont véritablement installées dans cette partie du pays qu’au cours de la première décade du mois de juillet entraînant par conséquent un retard dans les activités agricoles. En plus d’une baisse de précipitations estimée à 70 % en juin 2009 par rapport à juin 2008, le département du Logone-et-Chari n’a enregistré qu’une pluie utile au cours des deux premières décades du mois de juillet 2009. Le démarrage des opérations de semis y a été par conséquent plus tardif (MINADER/DESA, juillet 2009).

L’Adamaoua située plus au sud de la région géographique dans le soudano-guinéen n’échappe pas au phénomène à travers des retards dans le démarrage des pluies. C’est l’ensemble du Nord-Cameroun qui est profondément affecté depuis une dizaine d’années par l’alternance entre crises de sécheresse et inondations, avec des modifications sur des activités agricoles (semis tardifs ou multiples, baisse de rendements, adoption d’autres types de cultures plus adaptées aux variations du climat). Dans certaines localités les populations

développent des stratégies d’adaptation pour faire face aux effets du changement climatique. Dans le Mayo-Kani, le Diamaré et le Mayo-Sava des producteurs d’arachide et de niébé tendent à se reconvertir dans la production d’oignon.

Au-delà des modifications dans les activités agricoles, les effets du changement climatique contribuent à marquer le paysage agricole par une spécialisation des zones de production. Dans le groupe des racines et tubercules l’igname et le manioc apparaissent comme des cultures caractéristiques des zones soudano-guinéennes (Adamaoua). Dans le groupe des céréales, le mil/sorgho caractérise l’environnement soudano-sahélien (Extrême-Nord et (Extrême-Nord) ; tandis que le riz s’affiche comme étant une culture des plaines inondables [plaines du Logone et de la Bénoué (périmètres irrigués de Lagdo)]. La tolérance du maïs à diverses conditions agro-écologiques résulte surtout des résultats de la recherche agronomique qui a mis au point un ensemble de variétés adaptées aux variations climatiques baptisées « Cameroon Maize Selection (CMS) ». Les variétés actuellement vulgarisées concernent le Shaba, le CMS 8501, 8704, 8806, 9015. Dans certains départements de l’Extrême-Nord (Mayo-Danay, Mayo-Sava) le maïs a du mal à intégrer les différents systèmes de culture (Njomaha, 2002). Toutefois, le maïs restant une plante fortement consommatrice d’eau et d’énergie, l’évolution des contraintes sur les ressources hydriques sous l’effet du changement climatique interroge son avenir dans les systèmes de production au Nord-Cameroun, inquiétude qui pourrait se renforcer face aux mutations récentes observées dans l’accès à la terre.