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Un attachement des ménages au modèle céréalier

Deuxième partie : Evolution de la demande alimentaire et fonctionnement des systèmes d’approvisionnement urbains

Chapitre 3 : La demande alimentaire urbaine

3.1. Caractérisation du modèle alimentaire urbain nord-camerounais

3.1.1. Un attachement des ménages au modèle céréalier

Nos enquêtes confirment la prépondérance du modèle alimentaire céréalier mentionné par plusieurs études citées ci-dessus. 90 % des ménages interrogés consacrent au moins 60 % de leur budget alimentaire à la consommation des céréales pour 10 % seulement sur des choix culinaires concernant les racines, tubercules et féculents. Dans la structure des bases alimentaires, le riz et les pâtes alimentaires représentent 38 %, suivi du maïs 29 %, du mil/sorgho 20 % et des racines, tubercules et féculents 11 % (figure 18).

Figure 18 : Part de chaque produit dans la structure alimentaire des ménages

L’Enquête Budget-Consommation (EBC) réalisée en 1983-1984 avait déjà révélé la prépondérance des céréales dans la structure globale60 de la région (26,8 %), contre 3,2 % pour les féculents et amidons (DSCN, 1986). Cette proportion a augmenté en 2000 autant en zone urbaine que rurale (respectivement 34 % et 35 %), les féculents restant relativement stables 4 % (Dury et al., 2000). Plusieurs travaux ont montré l’importance du modèle céréalier dans les zones soudano-sahéliennes (Poget, 1987 ; Bricas et Sauvinet, 1989 ; Thuillier-Cerdan et Bricas, 1998 ; Diawara et al., 2002). En effet, « traditionnellement, la cuisine sahélienne se définit par des plats dont la composition repose sur l’association

60 La structure globale prend en compte les céréales, tubercules et féculents, les légumineuses et légumes, les fruits, laits, œufs et boissons.

céréales + sauce. La diversité des préparations s’exprime dans l’ensemble de combinaisons possibles entre la céréale choisie […], son mode de préparation […] et la sauce. » (Bricas et Sauvinet, Op. Cit.). Cette importance a amené la conscience collective à penser la question de la sécurité alimentaire dans les zones soudano-sahéliennes prioritairement en termes de sécurité céréalière.

Des structures spécialisées financées par les pays de cette sous région et les PTF voient le jour dans la deuxième moitié du 20ème siècle. C’est par exemple le cas du Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS) principal organe créé en 1973 dont l’une des missions est la coordination des politiques de sécurité alimentaire dans la région. Plusieurs programmes et projets vont être mis en place dans la décennie 1980, en l’occurrence le Programme Régional de promotion des Céréales Locales au Sahel (PROCELOS) piloté conjointement par le CILSS et le Club du Sahel/OCDE. Ce programme visait à créer un environnement technique, économique et politique favorable aux initiatives locales pour la valorisation des céréales (Bricas et Sauvinet, Op. Cit).

La FAO assure par ailleurs la coordination de deux importants programmes dans le Sahel :

- Le Programme de suivi de la pluviométrie (FAO/SMIAR-Rapports sahel, 1999, 2004, 2007) ;

- Le Programme EMPRES (Système de Prévention et de Réponse Rapide contre les ravageurs et les maladies transfrontières des animaux et des plantes) lancé en 1994 avec l’appui financier de l’Allemagne, des Pays-bas, de la Suisse, des Etats-Unis d’Amérique, de la Commission de lutte contre les criquets pèlerins et de la BAD.

Dans le Nord-Cameroun, un certain nombre d’actions de promotion des cultures céréalières ont été engagées dès la période coloniale et se sont poursuivies avec l’Etat indépendant :

- La sélection variétale de sorgho à la section de génétique de Guétalé dans le Mayo-Sava, en vue d’améliorer les cultures vivrières (Saurat, 1959) ;

- L’expérimentation et la vulgarisation de la culture du riz dans la vallée du Logone (Engola Oyep, 1991) ;

- La création du Projet Semencier Nord chargé de multiplier et de vulgariser les semences de céréales ;

- L’installation de la SODEBLE sur le plateau de Wassandé dans l’Adamaoua camerounais (Boutrais, 1982) ;

- La création de l’Office Céréalier.

Toutes ces actions ont abouti à la consolidation du modèle céréalier qui bénéficie aujourd’hui d’une certaine diversité (mil/sorgho, maïs, riz), même si d’importantes disparités sont observées dans leur consommation d’un espace à un autre.

Le poids de chaque céréale peut s’apprécier à travers deux indicateurs de base : les quantités consommées au cours d’une période et les fréquences de consommation. Nos enquêtes se sont limitées au relevé des fréquences de consommation qui rendent tout aussi compte du degré d’attachement des ménages à un type de céréale. A l’échelle du Nord-Cameroun, 83 % des ménages interrogés ont consommé le riz au moins 1 jour sur 2, 73 % le maïs et 31 % le mil/sorgho. On peut dégager de ces proportions trois catégories de ménages (figure 19) :

- ceux qui consomment un type de céréale au trop 7 jours au cours du mois ;

- ceux dont la consommation varie entre 7 et 15 jours ;

- et ceux qui semblent vouer un attachement viscéral à la consommation d’un type de céréale avec au moins 20 jours.

Figure 19 : Fréquences mensuelles (%) de consommation des céréales à l’échelle régionale (2007)

Le riz se positionne comme étant la céréale qui assure une fonction régulatrice importante dans les trois catégories. A l’échelle de chaque ville cependant, de profondes disparités peuvent être observées entre les trois bases amylacées.

L’analyse de la consommation par ville révèle une certaine spécialisation de l’espace faisant de Ngaoundéré et de Garoua les territoires où prédominent incontestablement le riz et le maïs, et de Maroua celui dans lequel le mil/sorgho s’affirme comme produit de grande consommation avec des fréquences de 20 jours de préparations en moyenne au cours du mois. Cependant l’essentiel des consommateurs sont situés dans l’intervalle de 7 à 15 jours de préparations au cours du mois pour le riz et le maïs notamment (figures 20-22). L’importance du riz dans les trois villes confirme sa fonction de régulation à l’échelle régionale. Il contribue à la diversification de la consommation céréalière dans les ménages. A Maroua et Garoua le riz est davantage préparé sous forme de boule de couscous que sous sa forme grain, ce qui de l’avis des enquêtés, permet de rester proche du mode de consommation locale. Cette analyse ne concerne que les ménages qui consomment l’une des trois céréales.

Les proportions de ces ménages varient tout aussi en fonction des villes et des produits. A Ngaoundéré, 76 % des ménages ne consomment pas le mil/sorgho, 14 % le maïs et 11 % expriment très peu d’intérêt pour le riz. A Garoua, les proportions sont relativement proches de celles enregistrées à Ngaoundéré. Elles sont de 63 % pour le mil/sorgho, 10 % pour le maïs et 15 % pour le riz. Maroua présente une situation plutôt contraire avec 37 % de ménages non concernés par la consommation du mil/sorgho, 37 % pour le maïs et 18 % pour le riz.

Dans ces conditions, les racines, tubercules et féculents malgré leur faible proportion dans la structure des bases amylacées participent à la diversification de la consommation. En analysant les fréquences de l’ensemble des bases amylacées consommées on peut remarquer des combinaisons stratégiques assez intéressantes dans la gestion de l’alimentation par les ménages (figure 23).

Figure 20 : Fréquences mensuelles de consommation des céréales à Ngaoundéré (%)

Figure 21 : Fréquences mensuelles de consommation des céréales à Garoua (%)

Figure 23 : Fréquences mensuelles (%) de consommation des bases alimentaires au N-C (%)

D’un point de vue stratégique on voit se différencier dans le Nord-Cameroun à partir de la figure 23 trois régimes alimentaires :

- un premier à Maroua polarisé sur le mil/sorgho et caractérisé par une forte consommation mensuelle ;

- un deuxième à Garoua hybride à base de maïs et de riz ;

- un troisième à Ngaoundéré hybride avec des tubercules et féculents. Ces trois régimes sont traversés par l’extension de la production de maïs. On peut également remarquer dans cette structuration régionale quelle que soit la ville un souci d’équilibre de l’alimentation, la totalité des bases amylacées y étant représentée.

Toutefois, la proportion du mil/sorgho enregistrée à la suite de nos enquêtes ne recoupe pas les résultats constatés dans la strate « Nord semi-urbain », 34,3 %, en 1996 par Dury et al. Les différences méthodologiques entre les deux enquêtes n’autorisent pas des conclusions comparatives trop rapides. En effet, la méthodologie adoptée pour la réalisation de la première enquête camerounaise auprès des ménages (ECAM 1) analysée par les auteurs, avait regroupé dans la « strate Nord semi-urbain », l’ensemble des villes moyennes (au moins 50 000 habitants en 1996) qui présentaient sur le plan économique un profil associant les activités agricoles et non agricoles (Dury et al., 2000). Cette approche reprise lors de l’ECAM 2 en 2001, présente le risque de généralisation du modèle de consommation existant aux villes principales (plus diversifiées du point de vue démographique, culturel et économique) et secondaires, ces-dernières étant pour la plupart bâties autour d’un noyau

administratif fortement « ruralisé »61. La population dominante de la majorité de ces villes secondaires ayant pour base alimentaire le mil/sorgho pourrait expliquer la forte proportion enregistrée en 1996.

En revanche nos résultats poseraient pour hypothèse que la dynamique alimentaire dans les principales villes du Nord-Cameroun se traduit par une substitution progressive du riz et du maïs aux céréales plus anciennes localement qui sont principalement consommées dans les zones rurales. Cette tendance a déjà été observée au Burkina Faso (Diawara et al., 2002) où les céréales sont au cœur de l’alimentation. Le maïs dans les grands centres urbains comme Ouagadougou et Bobo Dioulasso a supplanté le mil/sorgho pour la préparation de certains mets, en l’occurrence le tô (boule de couscous). Les raisons de cette substitution sont liées à la faible disponibilité des céréales locales face à l’accroissement de la demande, mais surtout à la diversité des formes d’utilisation dont bénéficie le maïs. Au Mali on observe également depuis les années 1980 une extension de la production de maïs en relation avec le développement de la culture cotonnière (Soumaré et al., 2008) au détriment des céréales locales. Quelle que soit la céréale, la forme dominante de consommation reste la boule de couscous.