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Des infrastructures marchandes multifonctionnelles

Première partie : Caractérisation spatiale et temporelle de l’offre vivrière du Nord-Cameroun

Chapitre 1 : L’offre vivrière locale et ses contraintes La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du

2.2. La distribution alimentaire urbaine : infrastructures et fonctionnement

2.2.2. Des infrastructures marchandes multifonctionnelles

Le commerce de détail des produits alimentaires et non alimentaires est apparu depuis la décennie 1990 comme le secteur refuge de nombreux sans emplois et particulièrement des femmes et des jeunes. Les infrastructures marchandes existantes se sont très vite révélées étroites pour accueillir de nombreux demandeurs commercialisant vivres et produits manufacturés. Cette situation a conduit à une occupation anarchique des espaces marchands et au développement des pratiques peu transparentes dans la gestion des marchés urbains (sous location des comptoirs et boutiques à des prix représentant plus du double du prix officiel). Un dénombrement des commerçants sur les marchés officiels de Garoua a permis de recenser 3 064 acteurs appartenant à tous les secteurs du commerce (tableau 9).

Tableau 9 : Recensement des commerçants sur les marchés officiels de Garoua par types de produits vendus (avril 2009)

Nom du marché Nbre total de

commerçants Nbre total des vendeurs de vivres Nbre total de vendeurs de céréales (avec ou sans autres vivres) Nbre total de vendeurs de poisson Nbre total de vendeurs de viande Nbre total vendeur quincailleries Nbre total vendeurs de services indépendants Nbre total des vendeurs d’animaux vivants Nbre total des vendeurs d’objets divers Grand marché 1236 188 26 20 23 104 193 57 625 Marché Yelwa 831 106 89 45 40 42 59 20 429 Marché reconstruit 799 115 5 23 61 3 315 3 274 Marché tubercule (face touristique*) 199 57 23 22 12 4 25 0 56 Total 3065 466 143 110 136 153 592 80 1384 % du total 100 15 5 4 4 5 19 3 45

Source : Enquêtes personnelles (avril 2009)

* : Le marché tubercule situé au Nord-Est du grand marché est une annexe aménagée pour le déchargement et la commercialisation des racines, tubercules et féculents. Il joue le rôle de marché de gros réservé à ces produits ; mais son aménagement est davantage favorable à la vente de détail que de gros. Il fonctionne de façon saisonnière, selon le calendrier agricole de ces spéculations, ce qui explique sa désertion partielle par les acteurs en période de faible disponibilité. Il s’agit d’une espèce de marché de gros à la consommation. Sa création indique tout de même une certaine volonté des municipalités d’améliorer les conditions de distribution vivrière.

Notons également que le mois d’avril se situe en période de disponibilité vivrière, les récoltes étant achevées depuis moins de deux mois dans certaines localités. L’activité marchande est encore dense.

Le commerce des vivres représente le troisième secteur le plus important (15 % des acteurs recensés) après ceux de vente d’objets divers [produits pharmaceutiques, artisanats, tissus… (19 %)] et des services [restauration, fumage des denrées, call box, réparations, vidéo club, ateliers de soudure, moulins à moudre des grains… (45 %). C’est le secteur le moins bien loti en termes d’équipements (photo 6).

Photo 6 : Précarité des équipements de commercialisation des vivres sur les marchés urbains

Cliché : Fofiri Nzossié, Octobre 2008 Grand marché de Garoua

Plusieurs études (Tollens, 1997 ; Wilhelm, 1997b ; Argenti, 1999) ont montré que l’aménagement et la gestion des marchés urbains demeurent l’un des problèmes majeurs soulevés par la distribution des aliments dans les zones urbaines en Afrique subsaharienne. Ce secteur est quasi inexistant dans les projets de développement infrastructurels de nombreux Etats, qui n’interviennent généralement qu’en cas de crise majeure à l’instar de la destruction complète des équipements. Ces dernières années en effet, plusieurs marchés ont brulé en Afrique, soit à cause de structures inadéquates, de leur mauvaise gestion, du non-respect des consignes anti-incendie (Argenti, 1999)57. La ville de Garoua n’a pas échappé à ce phénomène avec l’incendie du grand marché dans la décennie 1990. Le recasement provisoire des commerçants à proximité de l’ancien site en vue de sa reconstruction a abouti au terme des travaux, à la création d’une sorte d’extension du « nouveau grand marché » communément appelé marché reconstruit, soit parce que nombreux d’entres eux ont refusé de rejoindre les nouvelles infrastructures mises à leur disposition, soit en raison de

57 Au cours des quatre dernières années, plusieurs villes camerounaises ont vu leur principal marché consumé par le feu, les derniers en date étant ceux de Bafoussam à l’Ouest-Cameroun en février 2011 et de Bertoua à l’Est en mars 2011. L’on évoque de plus en plus des actes de sabotage comme cause de cette récurrence, malgré l’état délabré des équipements tout aussi susceptible d’en être la cause (branchements électriques inappropriés).

l’augmentation du nombre de commerçants. Cette situation peut être interprétée comme un appel lancé par les acteurs aux pouvoirs publics pour l’accroissement de l’offre infrastructurelle.

Le marché central de Maroua, unique infrastructure d’envergure dans la ville s’est très vite trouvé saturé. La vente des produits manufacturés (vaisselle, vêtements, literie…) se fait dans les boutiques et les vivres sur des étals de fortune le long des trottoirs ou à même le sol. L’une des contraintes évoquées par les acteurs du commerce vivrier est l’accès difficile à un étal ou un local dans les marchés. Sous-location à des prix onéreux, multipropriétés sont entre autres pratiques qui caractérisent le fonctionnement des marchés officiels. Elles sont surtout l’œuvre des grossistes qui, en l’absence de véritables marchés de gros, s’approprient plusieurs boutiques destinées à la vente de détail pour le stockage de leurs marchandises avec le soutien des élites politico-religieuses et les responsables administratifs. D’un autre côté, les commerçants de vivres justifient leur présence sur les trottoirs par le souci de se rapprocher davantage des acheteurs en raison de l’étroitesse des hangars et la saturation des couloirs de circulation. L’appui à la structuration des acteurs par les pouvoirs publics et certains partenaires au développement a abouti depuis une dizaine d’années à l’implication des représentants des commerçants dans la gestion des infrastructures, malgré des reproches qui leur sont faits quant à leur grand rapprochement de l’administration, générant un manque de transparence.

Sur le plan fonctionnel les marchés officiels sont des espaces qui joueront encore pour longtemps un rôle prépondérant dans la distribution vivrière urbaine. Car malgré la tendance à la prolifération des marchés de quartier, les bases amylacées qui y sont offertes intègrent généralement les habitudes alimentaires des groupes ethno-linguistiques dominants au détriment des minorités de plus en plus diversifiées, obligées de se déplacer sur les marchés officiels plus diversifiés en termes d’offre. En outre, les commerçants des marchés de quartier doivent également se déplacer sur les mêmes marchés pour se ravitailler auprès des grossistes, ce qui implique des charges qui sont répercutées sur le prix final. Enfin, en raison des faibles bénéfices générés par la vente sur les marchés de quartier, les acteurs sont très souvent des pluriactifs du secteur informel (activités champêtres, colportage des denrées, coiffeuses à temps partiel…) ou des femmes au foyer, d’où le fonctionnement partiel de ces marchés (08h-12h). De cette réflexion pourraient naitre deux interrogations :

- doit-on envisager la décentralisation des marchés officiels afin de les rendre plus accessibles à tous les citadins ? Cela suppose la reconnaissance de l’existence des marchés de quartier et leur prise en compte dans les projets d’aménagement urbain ;

- ou doit-on favoriser la multi polarisation de véritables marchés de gros à la consommation qui permettraient une meilleure redistribution des approvisionnements à l’ensemble des marchés de la ville et résoudre la question des disparités spatiales de prix ?

La première approche a été expérimentée dans la ville de Yaoundé (Cameroun) en 2008 par la communauté urbaine. Le marché « Mélen » situé au quartier Obili spontanément créé pour répondre aux besoins des populations de l’ancienne université de Yaoundé et de la base militaire de la garde présidentielle il ya une vingtaine d’années, et qui se tenait sur la chaussée a été déplacé par la municipalité au lieudit Mvog-Béti. Le nouveau site a été aménagé et construit 2 km plus loin. Ce déplacement qui visait à libérer la chaussée et à mettre à la disposition des commerçants des équipements modernes a été à l’origine de violentes contestations de la part de ces-derniers. La fréquentation du nouveau site génère en effet des dépenses supplémentaires de transport autant pour les commerçants que les consommateurs. Six mois après son ouverture officielle, près de 50 % des comptoirs étaient non occupés, l’ancien site continuant d’accueillir vendeurs et acheteurs de jour comme de nuit.

Quant à la deuxième approche, sa mise en œuvre pourrait également poser des problèmes dans la mesure où de nombreux grossistes sont à la fois des détaillants. Leur délocalisation à la périphérie risquerait de compromettre un pan de leurs activités qui constitue une source de revenu non négligeable. De plus, elle nécessite des investissements financiers conséquents difficilement mobilisables par les municipalités dont les budgets sont majoritairement constitués de subventions de l’Etat et de dons.

Des études économiques approfondies mériteraient ainsi d’être menées pour évaluer l’impact de l’adoption de l’une ou l’autre approche dans l’amélioration de la distribution vivrière urbaine au Nord-Cameroun, secteur dont les acteurs paraissent aujourd’hui comme les laissés-pour-compte. En attendant les marchés officiels demeurent des espaces multifonctionnels privilégiés où ventes de gros et de détail cohabitent tant bien que mal.

Les marchés ruraux de production souffrent de leur enclavement par rapport aux centres de consommation. Leur trop grande dispersion spatiale représente pour les grossistes, contraints d’en parcourir un grand nombre, un handicap majeur dans l’acquisition des vivres pour les marchés urbains. La tendance à la spécialisation des marchés de production, reflet de la carte de répartition de la production, n’est pas encore un atout dans l’organisation et le fonctionnement des filières vivrières locales. Une accessibilité permanente dans un contexte de semi-spécialisation comme cela est le cas (nous parlons de marché à dominance) permettrait à chaque grossiste de fréquenter un nombre limité d’espaces marchands et de réduire ainsi les coûts inhérents à la trop grande mobilité (charges de transport et de manutention en l’occurrence). Outre leur enclavement nous avons surtout affaire à des espaces non réglementés. La faible prise en compte des marchés urbains dans les politiques d’aménagement des municipalités donne de constater que les marchés vivriers en général restent des lieux de faible intérêt d’un point de vue institutionnel.

Conclusion de la première partie

La caractérisation de l’offre vivrière met en exergue la prépondérance des céréales dans la structure de production régionale ainsi que dans l’organisation et le fonctionnement des marchés. Ce qui nous conduit à centrer l’analyse sur l’offre céréalière moins que celle portant sur les racines, tubercules et féculents. Du point de vue de la production deux éléments peuvent être retenus.

Nous avons affaire à une production spatialement disséminée, situation inhérente au rôle que jouent les exploitations familiales agricoles dans les systèmes de production. Le paysage agricole est en effet marqué par un trop grand émiettement du parcellaire (en moyenne 2,5 ha/exploitant, avec une forte proportion en-dessous de 1,5 ha) révélateur de l’importance de la population active agricole. Cette importance de la population agricole (en moyenne 450 000 producteurs) est tout aussi génératrice de conflits d’usage de l’espace qu’il s’agisse des territoires saturés (Extrême-Nord) ou ceux considérés comme sous peuplés (Adamaoua). L’insécurité foncière a des répercussions sur les structures micro-économiques de production agricole dans un contexte d’extensification de la production. La fin de la terre peut-elle conduire à une intensification des systèmes de culture dans le Nord-Cameroun ? Le contexte actuel ne permet pas encore de répondre par l’affirmative à une telle interrogation. En outre on assiste à une spécialisation territoriale de la production. Bien que considéré comme espace céréalier, la cartographie révèle une segmentation de l’espace de production particulièrement perceptible pour le mil/sorgho et le riz. Si cette spécialisation n’est pas une mauvaise chose en soi, c’est davantage la redistribution de la production à l’échelle de l’ensemble régional qui pose problème.

Aborder la question de la disponibilité de l’offre vivrière dans le Nord-Cameroun en général et celle destinée à la consommation urbaine en particulier s’est révélé être un exercice délicat, tant de nombreuses distorsions rendent difficile la mobilisation des données statistiques nécessaires et fiables. A partir des données géographiques et socio-économiques, l’analyse de l’environnement de production fournit des éléments d’appréciation des disponibilités théoriques. On remarque que l’accroissement de la production observé ces quinze dernières années malgré de nombreuses contraintes d’accès aux intrants agricoles n’a pas induit des modifications sur la structure annuelle de l’offre particulièrement dans les villes. Il faut cependant craindre l’impact du changement climatique sur les systèmes de production, particulièrement sur des cultures écologiquement sensibles dont le maïs et le

sorgho de contre saison. Ces deux facteurs ont un rôle déterminant dans la disponibilité intra annuelle de l’offre vivrière régionale. La structuration annuelle en période d’abondance (ou normale) et de soudure pourrait traduire toute la difficulté à apporter des réponses à la demande et corrobore notre première hypothèse secondaire qui pose que l’offre vivrière est caractérisée par des irrégularités saisonnières récurrentes qui impactent sur les disponibilités quantitatives des ménages urbains.

Du point de vue de l’organisation et du fonctionnement des espaces marchands, la géographie des marchés ruraux du Nord-Cameroun montre à la fois une concentration dans les zones à forte densité humaine et à forte production agricole. En fonction des cultures dominantes de chaque terroir, on arrive ainsi à caractériser les marchés de production. Car en l’état actuel de leur organisation et fonctionnement on ne saurait parler de marchés spécialisés compte tenu de l’absence d’un cadre réglementaire adéquat. L’accessibilité reste un facteur déterminant dans la mise en connexion de la production et de la conommation urbaine. Et face à une demande croissante et diversifiée, les systèmes d’approvisionnement doivent être efficaces pour répondre aux attentes des consommateurs. Nous essayerons d’appréhender à partir de l’analyse de l’évolution de la demande urbaine comment fonctionnent ces systèmes.

Deuxième partie : Evolution de la demande alimentaire et