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Impact de la dynamique foncière sur les exploitations familiales agricoles

Première partie : Caractérisation spatiale et temporelle de l’offre vivrière du Nord-Cameroun

Chapitre 1 : L’offre vivrière locale et ses contraintes La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du

1.2. Les contraintes de l’environnement de production

1.2.2. Impact de la dynamique foncière sur les exploitations familiales agricoles

Face aux difficultés d’ajustement des systèmes de production aux évolutions de la demande vivrière nord-camerounaise et nationale, la conscience collective s’est très souvent cristallisée sur les contraintes techniques et technologiques à l’intensification de la production. Cette orientation fondamentale au développement agricole, certes, tend cependant à occulter des questions tout aussi sensibles que celle du foncier dans un espace marqué par la multiplication des conflits d’usages de la ressource terre. En effet, l’accentuation des conflits entre agriculteurs et éleveurs, agriculteurs entre eux, éleveurs et autorités administratives dans les espaces mis en défens interroge l’avenir de l’agriculture vivrière dans un contexte d’extensification d’une production essentiellement assurée par les exploitations familiales agricoles (EFA) sur de petites superficies (0,5-3ha).

1.2.2.1. Le rôle des EFA dans la structuration de l’espace agricole

Les caractéristiques des systèmes de cultures dans le Nord-Cameroun s’articulent moins autour des facteurs naturels que socio-économiques. Dans les bassins cotonniers de l’Extrême-Nord et du Nord, le cotonnier a longtemps été la tête de rotation, suivi des céréales (mil et maïs notamment) et des légumineuses (arachide et niébé) selon le cas. Ces groupes de cultures se succèdent dans les assolements en fonction des opportunités d’augmentation des quantités autoconsommées et d’amélioration du revenu au producteur. Dans les savanes du Cameroun excepté quelques zones écologiquement peu favorables (plaine du Logone), la culture cotonnière occupe une place stratégique, tant dans les revenus des producteurs que sur l’économie régionale. Elle structure le paysage rural à travers ses champs, sa contribution à la création et à l’amélioration des voies de communication, ses marchés d’achat de coton graine, ses usines d’égrenage, ses huileries. Elle représentait encore l’activité de base de plus de 350 000 planteurs jusqu’en 2007. De 162 240 en 1985-1986, le nombre de planteurs de coton a atteint 367 473 en 2001-2002, avant de chuter à 250 000 en 200930. Malgré la dépréciation des cours mondiaux de coton depuis 1998 et qui a mis à mal la rentabilité de la filière (Guibert et al., 2003 ; Folefack et al., 2006 ; Wey et al., 2009), cette culture demeure le facteur structurant de l’économie rurale au Nord-Cameroun, même si de profondes modifications sont observées dans les EFA qui en assurent l’entière production.

Ces modifications portent selon les zones sur la réduction des superficies cultivées en coton, l’abandon du coton et/ou la diversification des cultures vivrières plus rentables (céréales, légumineuses et légumes). Des travaux de l’IRAD avec l’appui du PRASAC ont permis d’identifier cinq types d’exploitations agricoles : un premier sans coton et quatre autres dont les superficies en coton varient de 0,25 ha à 2 ha avec une forte tendance à la réduction (Wey et al., Op. Cit.). Le choix de l’option (abandon ou réduction) par le producteur dépend de nouvelles opportunités qui se présentent (accessibilité à un potentiel marché vivrier plus rentable). L’importance du coton dans les systèmes de culture varie d’une zone à l’autre.

Dans la vallée de la Bénoué où prédomine la culture du maïs, tributaire des intrants coton, les choix stratégiques des EFA portent davantage sur la réduction des superficies que sur l’abandon. Le maintien de la culture permet en effet d’accéder aux services de base

30 http://www.afriquejet.com/afrique-centrale/cameroun/la-production-du-coton-baisse-de-plus-de-50-pour-cent-au-cameroun-2009061129500.html

(intrants, attelage, encadrement technique) capitalisés dans le vivrier (particulièrement sur le maïs). Dans le vieux bassin cotonnier de l’Extrême-Nord par contre (Mayo-Kani), où la production vivrière est dominée par le mil/sorgho et le niébé relativement moins demandeur en engrais, l’abandon du cotonnier prédomine dans les choix stratégiques des paysans qui, peuvent ainsi s’acheter des pesticides et herbicides plus accessibles que l’engrais. La moyenne des superficies cultivées en mil/sorgho est de 1,7 ha, contre 0,5 ha en niébé et en maïs.

Dans l’Adamaoua où l’emprise du cotonnier est presque absente (excepté la lisière de la plaine de Mbé), le paysage agricole est fortement marqué par la présence de l’élevage bovin dominant dans l’économie. Les systèmes de production se structurent autour des racines et tubercules (manioc, patate, igname et de la pomme de terre), du maïs, principale céréale adoptée, du maraîchage (tomate, feuilles condimentaires…). La rotation culturale s’organise en « tomate-maïs-manioc/patate » ou « igname/maïs ». Les produits maraîchers constituent la tête de rotation dans les assolements en raison de leur forte consommation en engrais, dont les effets résiduels dans le sol profitent au maïs. Les superficies cultivées par exploitant sont plus importantes dans l’Adamaoua (en moyenne 3,5 ha) dans les terroirs témoins d’étude (Mbé et Mbang-Mboum). L’arboriculture fruitière (manguier et avocatier principalement) marque depuis une dizaine d’années l’espace agricole. Elle est l’œuvre de promoteurs individuels généralement constitués de citadins détenteurs de vastes superficies (4-10 ha). Elle est de plus en plus perçue comme un investissement rentable, compte tenu de l’accroissement de la demande urbaine nord-camerounaise et surtout transfrontalière (N’Djamena) en fruits.

Dans l’ensemble, le paysage agricole nord-camerounais est caractérisé par un grand émiettement des espaces de production (en moyenne 2,5 ha par exploitant) révélateur de l’importance de la population active agricole. La superficie totale emblavée des cultures vivrières pour les régions administratives de l’Extrême-Nord et du Nord au cours de la campagne 2009-2010 a été estimée à environ 1,1 million d’ha contre 1,2 million d’ha pour la campagne 2008-2009 (MINADER/FAO/PAM, 2010), soit en moyenne 450 000 exploitants généralement regroupés chacun autour d’un noyau familial. A priori l’importance de la population agricole est source de tensions et de conflits, dans un espace marqué par l’amplification de la mobilité humaine et la diversité des formes d’usages de la ressource foncière qui implique de plus en plus des acteurs supra nationaux.

1.2.2.2. La mobilité humaine comme principale source de tensions foncières

Le Nord-Cameroun connait une accélération de sa dynamique foncière en rapport avec la croissance démographique et la diversification des formes d’usage. Au plan démographique, la saturation de l’Extrême-Nord s’est intensifiée avec le doublement de sa population en une trentaine d’années (1976-2010). La densité théorique est passée de 41 hbts/km² à 100 hbts/km², soit 3,5 fois celle du Nord et 6 fois celle de l’Adamaoua. Cette saturation très tôt perceptible a été à la base de l’une des plus importantes politiques migratoires élaborées et mises en œuvre par les pouvoirs publics au Cameroun31

, et portant sur le transfert des populations vers les zones « vides », en l’occurrence la vallée de la Bénoué (Roupsard, 1997 ; Beauvilain, 1989 ; MINPAT/PNUD, 2000 ; Njomaha, 2004). Le « Programme de migration et de services de soutien agricole » élaboré à cet effet a permis d’installer plus de 200 000 migrants de l’Extrême-Nord dans les zones à fortes potentialités agricoles du Nord de 1974 à 1997. Si ces mouvements encadrés ont fourni des données statistiques aujourd’hui disponibles, les migrations libres et individuelles observées après 1997 échappent totalement au contrôle statistique officiel. Elles participent à la densification des zones d’accueil créées dans le cadre des différents projets étatiques d’une part, et d’autre part au peuplement d’espaces peu occupés (figure 8).

31 L’Etat Camerounais a élaboré et mis en œuvre plusieurs programmes de peuplement du territoire à partir de 1974, parmi lesquels l’opération Yabassi-Bafang [sur la question lire : Barbier J.C. (1977). A propos de l’opération Yabassi-Bafang (Cameroun), Paris, ORSTOM, Travaux et Documents de l’ORSTOM, Sujet de recherche n°5322 inclus dans les accords de coopération scientifique entre l’ORSTOM et l’ONAREST, 141 p.

Figure 8 : Zones de convergence des migrations récentes dans le Nord

Les observations et entretiens effectués dans quatre terroirs en 200732 [Sakdjé, Gamba dans le département de la Bénoué, Siri et Sora Mboum (dans le Mayo-Rey)] ont montré que les migrations libres et individuelles se font par étapes. Elles suivent le principal axe routier Maroua-Ngaoundéré et depuis 2004 Ngaoundéré-Touboro suite au bitumage dudit axe. Les terroirs de Wini Banda, Sakdjé et de Gamba situés à la lisière du parc national de la Bénoué ont constitué la première escale pour de nombreux migrants aujourd’hui installés dans le Mayo-Rey, nouveau front cotonnier. Initialement peuplée de Dii et de Mbum, on retrouve actuellement dans la zone du Mayo-Rey, aux dires des différentes autorités traditionnelles

32 Ces activités ont été menées dans le cadre des enquêtes de production du Programme de recherche PRASAC/ARDESAC sur les graines émergentes maïs et niébé dans les savanes du Cameroun (2004-2009), en qualité de stagiaire, nos travaux de thèse étant logés au sein de ce Programme.

rencontrées, les Toupouri majoritaires parmi les migrants, les peuples originaires des Monts Mandara (Mofu, Matakam), les Guiziga et les Massa. Ils sont généralement introduits au sein de la communauté par un des leurs plus anciennement installé dans la localité. L’accès à la terre se fait par versement d’une somme d’argent à l’autorité traditionnelle (30 000 – 100 000 FCFA33) et l’engagement dans certains cas de céder un pourcentage de la récolte (5 à 10 %).

Au bout d’une à trois années de mise en valeur de l’espace, le chef de famille de sexe masculin en général, se déplace vers un nouveau terroir jugé plus favorable du point de vue de la disponibilité des terres et du rendement agricole à partir d’informations collectées auprès de ses proches. Il existe entre migrants des mêmes communautés des liens de familiarité et de solidarité qui permettent de faire circuler les informations utiles telles la disponibilité des terres dans un nouveau front agricole, les opportunités de marché. Le chef de famille sera rejoint un ou deux ans plus tard par l’ensemble de la famille, ou une des épouses dans le cas de foyer polygamique, ce qui constitue une stratégie permettant de multiplier des possibilités d’appropriation des terres agricoles dans plusieurs terroirs. Pour Seignobos (2006), le village des migrants loin d’être un village diposant d’un terroir au sens classique, est une base d’arrivées et de départs où l’on s’investit incomplètement, on prospecte ailleurs, on revient. On aboutit ainsi à des exploitations dissociées sur deux ou trois terroirs. Deux destinations sont actuellement privilégiées après la première escale : les terroirs du Mayo-Rey reconnus pour la productivité de leurs sols (Siri, Mayo-Da, Home…) ; et la plaine de Mbé dans l’Adamaoua encore relativement peu peuplée le long de l’axe routier, où s’est installée depuis 2004 une communauté Toupouri dans la localité de Wack. Entre 2001 et 2004, sept villages ont été installés sur 40 km de l’axe Ngaoundéré-Touboro pour 370 exploitations, soit en moyenne un village tous les 6 km (Seignobos, Op. Cit.).

L’arrivée de nouveaux migrants dans une communauté est source de bouleversement sur le plan de l’organisation de l’espace foncier et de conflits dans son utilisation. Elle implique un partage des lieux d’habitation, de production, d’échanges commerciaux et de loisir. L’accès à la terre, premier facteur de production pour le migrant, quelle que soit la démarche adoptée, crée une diminution des disponibilités pour les populations « autochtones ». Si ce fait est vrai en théorie, nos enquêtes montrent que d’autres considérations sous-tendent les conflits observés dans les zones d’accueil.

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« Nous acceptons de cultiver les terres que le chef nous donne très loin du village. Il faut souvent marcher plus d’une heure avant d’arriver. Elles produisent mieux que celles qui se trouvent non loin des cases et que recherchent les autochtones. Et quand nous vendons nos productions et que ça nous donne beaucoup d’argent, nos frères d’ici ont subitement envie de nous reprendre les terres que le chef nous a données, alors que nous avons payé pour les avoir ».

Tel est le point de vue de Moussa Kader, représentant de la communauté des migrants rencontré dans le terroir de Sakdjé pour qui, l’amélioration des conditions de vie des migrants à partir des revenus tirés des ventes de la production crée des frustrations chez les autochtones souvent peu investis aux activités agricoles intenses, et qui vivent cette situation comme une spoliation de leurs ressources foncières par les migrants à leur détriment.

Dans un autre cas, la monétarisation de l’accès à la terre par les chefs traditionnels qui s’accompagne du prélèvement des parts de récoltes pendant un certain nombre d’années est souvent vite perçue par le migrant comme le début d’un processus d’appropriation définitive de la parcelle. La remise en cause de ce présupposé qu’entretient le migrant au bout d’une dizaine d’années est également source de conflits. Ces conflits récents viennent ainsi se greffer à ceux observés dans les zones de migration encadrée, générés par un malentendu autour du concept « d’espaces vides » qui a prévalu pour l’installation des migrants. Les populations déplacées de l’Extrême-Nord et installées dans la vallée de la Bénoué l’ont récupéré à leur propre compte plus tard pour revendiquer leurs droits de propriété sur les parcelles acquises dans le cadre des différents projets étatiques (PCN, PNEB, PSEB, PDOB, PL).

La cohabitation pacifique au début, s’est progressivement dégradée avec de nouvelles arrivées, remettant en cause le concept « d’espace vide ». Pour Seignobos (Op. Cit.), le recours à ce concept a relevé « … d’une méconnaissance volontairement entretenue au nom d’une efficacité techniciste, refusant le moindre zest d’histoire, la moindre approche sociale ou culturelle, qui ne sauraient constituer que des entraves. [Car] les zones peuvent être vides, mais juridiquement occupées ou encore occupées sans les marqueurs paysagers classiques d’une exploitation agricole lourde ». Ainsi, d’une pratique de gestion basée sur la compétition foncière quasi nulle dans la vallée de la Bénoué grâce aux faibles densités, on est passé à un système de gestion rigoureuse, voir répulsif vis-à-vis des migrants, peuples de vieille tradition agricole (Mafa, Tupuri, Guiziga…).

L’accentuation des conflits fonciers dans les zones d’installation des migrants met en exergue des insuffisances dans l’élaboration et le pilotage des projets de développement. Ce n’est qu’au début de la décennie 1990 que les projets de développement intègrent la question foncière dans leurs actions, par l’adoption de l’approche gestion des terroirs, suivie de l’approche participative. Le Projet PRASAC 1 (1998-2002) va consacrer tout un programme au Conseil de Gestion, qui malheureusement s’arrête avec la fin du projet. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs que toutes les actions menées dans ce sens restent précaires, car limitées à la durée de vie desdits projets (3-5 ans) (Abouya et al., 2009 ; Raimond et al., 2010). L’insécurité foncière dans les zones d’installation des migrants est donc loin de trouver une solution imminente et définitive, et « l’absence » des pouvoirs publics dans les processus de règlement des conflits conforte la position des « maîtres du sol » en même temps qu’elle renforce les clivages entre différents groupes ethno-linguistiques partageant les mêmes espaces.

Dans les zones de départ, les dynamiques démographiques et socio-économiques à l’Extrême-Nord ont fait évoluer les modes d’accès à la terre vers une monétarisation quasi systématique. Les migrants de retour et/ou les élites sont devenus de grands spéculateurs fonciers grâce à leur influence politique et leur pourvoir financier. Et face à la « fin de la terre », l’insécurité foncière devient une spirale dans laquelle se trouvent engouffrés de milliers de petits producteurs.

Si l’Adamaoua demeure par contre une zone peu dense avec de vastes espaces fertiles, les agriculteurs doivent par contre faire face à la pression des éleveurs de plus en plus nombreux à cause de la crise en République Centrafricaine. En 2008 une mission conjointe FAO/PAM/HCR/MINADER estimait à 70 000, le nombre de réfugiés Centrafricains installés dans le seul département du Mbéré dans l’Adamaoua, et dont nombreux sont des éleveurs. Lors de nos enquêtes à Mbang-Mboum, Gangassaou et Mbé, les conflits agropastoraux ont été répertoriés comme deuxième contrainte à la production agricole, après l’accès aux intrants. Le développement de l’activité agricole avec l’appui des projets étatiques se présente dans l’Adamaoua comme une forme de conquête d’un espace culturellement acquis à l’élevage bovin. L’élevage du gros bétail a toujours modelé l’organisation et la gestion de

l’espace rural [affectation de l’utilisation du sol, création des infrastructures économiques (lahorés34, marchés à bétail, parcs de vaccination), relations sociales…].

Le « Plan viande » lancé en 1974 par les pouvoirs publics avec pour objectif de professionnaliser l’activité de l’élevage en incitant les éleveurs à moderniser leurs activités, a favorisé l’acquisition et la sécurisation de milliers d’ha de terre dans l’Adamaoua pour la création des ranchs. La persistance de la transhumance et ses conséquences sur l’agriculture vivrière traduit l’échec de cette politique qui a plutôt conduit à priver les agriculteurs de vastes terres en favorisant la spéculation foncière par les gros éleveurs et les élites influentes. L’agriculture dans l’Adamaoua se caractérise par la dissémination des champs familiaux de 2 à 3 ha qui empiètent sur les parcours pastoraux accentuant les conflits d’usage de l’espace, lesquels trouvent jusqu’ici tant bien que mal des solutions dans un arbitrage traditionnel peu crédible.

Le foncier en tant que ressource et support de diverses autres ressources (fauniques, floristiques et hydriques) demeure une question délicate à aborder dans le Nord-Cameroun autant pour les chercheurs que pour les développeurs et davantage l’administration, en raison des mécanismes de gestion de la terre qui ont toujours placé l’autorité traditionnelle au centre du dispositif. En 1974 l’Etat Camerounais marque sa volonté de contrôler le foncier à travers une loi foncière qui en fait le principal gestionnaire de la ressource. Dans la pratique cependant, les autorités traditionnelles, auxiliaires de l’administration sont régulièrement associées à sa gestion avec des limites de pouvoir assez imprécises. Pour Teyssier (2003), la régulation foncière par la coutume est poussée à son paroxysme dans le nord du Cameroun. La reconnaissance du pouvoir coutumier comme gérant exclusif du foncier parmi les prérogatives accordées aux chefferies du nord en contrepartie d’une alliance avec le gouvernement sur l’échiquier politique national a entraîné de graves dérives dont les conséquences sont perceptibles au plan socio-économique. La gestion foncière est vite devenue la principale source de revenus pour les autorités traditionnelles, à travers l’octroi aux étrangers des droits d’usage sur le sol, l’arbitrage des conflits soumis à diverses taxations, la réglementation et la répression de diverses formes de violations.

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« La carte de Ngaoundéré au 1/200 000 e porte des noms des lieux qu’on retrouve rarement ailleurs en pays Peulh : lahoré (à une dizaine de km au sud de Ngaoundéré), Mbawré (à une dizaine de km à l’ouest et à l’est de Ngaoundéré) […] et Lahoré-Mbaworé près de l’ancien village Laokobong » (Boutrais, 2001). Les lahorés en langue locale (Foulfouldé) sont des mares d’eau contenant des carbonates de sodium cristallisés naturels (natron), autrefois très utiles pour la complémentation minérale de l’alimentation des animaux.

L’utilisation des réseaux de chefferies par l’Etat a renforcé le pouvoir de contrôle des autorités traditionnelles sur la ressource, quelquefois au détriment des actions concertées, comme ce fut le cas dans le Mayo-Rey en 2004 (Seignobos, 2006)35. L’insécurité foncière apparaît ainsi comme une contrainte majeure au développement de l’activité agricole, tant elle plonge les producteurs, et particulièrement les migrants de plus en plus nombreux, dans un climat d’incertitude quant à l’accès à la terre premier facteur de production. Cette insécurité foncière se renforce avec le développement de la politique environnementale de protection des territoires considérés comme fragiles.

1.2.2.3. La mise en défens des « territoires fragiles » : facteur de réduction des espaces agricoles

L’implication de l’Etat Camerounais dans la protection de la nature au Nord-Cameroun date de la fin des années 1960. La matérialisation de cette implication est assurée par la création d’un réseau de parcs nationaux en 1968. L’histoire de ces parcs est similaire à celle d’autres espaces protégés camerounais ou africains caractérisée par le déguerpissement des populations, la répression administrative, l’installation illégale des populations, l’extension des espaces agricoles et pastoraux, la pauvreté des populations riveraines (Endamana et al., 2007). Le taux de croissance annuel de la population autour de ces espaces particulièrement dans la région administrative du Nord est de 5 %. Cette croissance démographique due à la forte immigration des populations à la recherche des meilleures terres agricoles, a favorisé l’installation de différents groupes ethniques (Dii, Foulbé, Mboum, Mbororo, Toupouri, Massa, Mafa…), peuples de vieille tradition agricole. L’agriculture et l’élevage constituent les activités principales de plus de 80 % d’entre eux.