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Partie I. Animal et société occidentale du XXI ème siècle : des « communautés hybrides »

III. Quels leviers d’action

1. Une prise de conscience vétérinaire en cours

Nous l’avons discuté : l’évolution de la relation Hommes-Animaux aura nécessairement des conséquences sur les métiers vétérinaires. Par ailleurs, l’impression d’un manque d’implication vétérinaire nous fait défaut, à mon sens, aux yeux de la société. Cependant, plusieurs indices vont dans le sens d’une situation en cours d’évolution dans le monde vétérinaire. De nombreuses actions témoignent en effet d’une prise de conscience du rôle fondamental du vétérinaire à l’interface Homme-Animaux et de la diversité de nos capacités. Ces actions témoignent également d’une volonté d’ouverture d’esprit et de communication de ce questionnement aux autres membres de notre profession.

En elle-même, la rédaction du Livre Bleu fait figure d’exception parmi les professions ordinales et témoignent d’une grande volonté de la part de la profession de prendre son avenir en mains. Par ailleurs, dans l’enquête réalisée par le projet VetFutur en 2017, il a été demandé à 2600 vétérinaires de répondre ‘très d’accord, d’accord, neutre, pas d’accord, pas du tout d’accord’ à différentes affirmations (VetFuturs France, 2018). Les résultats obtenus sont encourageants par rapport à l’intérêt porté à la problématique développée dans cette thèse. 81% d’avis positifs ainsi ont été recueillis pour l’item 6 : « La bientraitance animale, sous l’effet de la pression sociétale, sera un facteur essentiel de pérennisation et de développement des filières de production animale », et 70% d’avis positifs pour l’item 7 : « A l'horizon 2030, le vétérinaire sera un acteur essentiel de la gestion et du suivi de la bientraitance des animaux d'élevage tout au long de la filière (conseil, savoir, prévention, soins) ». Ces deux résultats font du bien-être animal un axe essentiel de l’évolution de notre profession. L’importance accordée au bien-être animal s’exprime d’ailleur à tous les niveaux de notre profession. Cette notion fait maintenant partie de notre enseignement. L’IVSA est actuellement en campagne pour évaluer cet enseignement selon les écoles à travers le monde.

De la même façon, la fondation de groupes/clubs dédiés aux questions et aux discussions éthiques dans plusieurs écoles vétérinaires et notamment l’ENVT (club ENVThique) témoignent d’une volonté d’ouverture d’esprit marquée avec une considération plus grande du rapport Hommes-Animaux. Par ailleurs, les groupements professionnels s’intéressent également de manière de plus en plus marquée à ces problématiques. L’Association Française des Vétérinaires pour Animaux de Compagnie (AFVAC) proposait ainsi en 2018 une formation à destination des vétérinaires praticiens centrée sur le bien-être des animaux de compagnie. De la même façon, les Journées Nationales des Groupements Techniques Vétérinaires ont régulièrement mis la notion de bien-être en élevage à l’honneur. On notera enfin qu’une chaire vétérinaire « Bien-être animal » vient par ailleurs d’être créé et se donne notamment pour objectif la mise en place de formations scientifiques sur le bien-être animal.

De manière plus générale, une diversification des enseignements est en cours : la formation vétérinaire théorique n’est pas seulement axée sur la médecine pure mais aborde des thèmes plus larges, dont le comportement canin et félin, des notions de communication client, management et gestion mais aussi l’éthique, le bien-être animal et la philosophie, le droit et la déontologie. Ce changement va également dans le sens de la prise en compte de l’évolution en cours et d’une évolution nécessaire de notre approche de notre profession. Cette idée est d’ailleurs confortée par 65% d’avis favorables pour l’item 5 : « De leur activité de soigneurs, les vétérinaires passeront à la prise en charge globale du bien-être, de la prévention et des soins aux animaux », qui marquent une prise de conscience de la nécessité d’une prise en charge élargie de l’animal de compagnie. Le livre bleu conclue ainsi, au sujet des résultats de l’enquête : « Les vétérinaires se montrent très préoccupés par l’image que le grand public se fait de leur profession et par l’évolution de la considération du métier. En particulier, il est important pour eux d’être reconnus comme acteurs de l’amélioration du bien-être animal et de la santé publique, notamment sur les questions d’épidémiologie, d’antibiorésistance ou de positionnement sur les causes animales. »

Cependant, si ces différents aspects précis et relativement concrets entrainent l’adhésion de la majorité, le positionnement vétérinaire dans le débat sociétal global est moins évident. Ainsi, les avis sont encore partagés concernant l’importance future du débat sur le rapport Hommes-Animaux :

- Seulement 50% d’avis positifs pour l’item 9 : « A l’horizon 2030, les débats publics relatifs aux relations homme/animal, préoccupation sociétale majeure, associeront l’expertise vétérinaire considérée comme incontournable. »

humaine et gestion de la biodiversité seront présents en permanence dans les politiques publiques ».

Par ailleurs, le rôle de la profession vétérinaire dans ce débat semble encore plus incertain, notamment dans sa mise en pratique économique :

- 38% d’avis positifs pour l’item 12 : Les vétérinaires occuperont une place prépondérante de sentinelle au cœur des écosystèmes, du fait de leurs compétences. »

- 38% d’avis positifs pour l’item 13 : A l’horizon 2030, les activités relevant du vétérinaire « sentinelle » au cœur de l’écosystème homme / animal / environnement auront trouvé leur modèle économique »

Comme le soulignent les rédacteurs du rapport d’enquête, « Les participants s’interrogent sur les compétences actuelles, l’adaptation de la formation et la motivation des vétérinaires actuels aux types de besoins futurs. Selon certains, ce sont les biologistes et les écologues qui auront une place prépondérante. »

Ainsi, l’évolution dans le sens d’une plus grande prise en compte de problématiques impliquant le rapport Hommes-Animaux en général, des notions d’éthique, mais également le lien entre l’animal de compagnie et son propriétaire dans la médecine courante semble perceptible à l’échelle de la profession. Cependant, les derniers résultats présentés témoignent d’un certain manque d’unité sur l’importance à accorder à l’évolution de la relation Hommes- Animaux et sur le rôle ou non du vétérinaire dans le débat d’ensemble.

En ce sens, les différents exemples d’évolutions concrets présentés précédemment peuvent être perçus comme des actions isolés, témoignant d’un certain manque de coordination et surtout d’un manque d’insertion de ces actions « isolées » dans un contexte plus vaste. C’est peut-être ce contexte qu’il est important d’expliciter. Sans connaissance globale du sujet et un regard plus ouvert sur des questions de société il semble difficile d’appréhender une réflexion efficace et sereine. D’autant que les divergences d’opinion au sein même de la profession sont aussi manifestes que dans le reste de la population et que sans ouverture au problème global il semble difficile d’avancer. D’ailleurs, il semble qu’il y ait, dans la profession vétérinaire un décalage entre connaissance du problème et application. Par exemple, le lien Homme-Animal est reconnu important par les vétérinaires mais ce n’est pas nécessairement manifeste lorsqu’il s’agit de l’application réelle de ce constat dans leur pratique (Martin, Taunton, 2006). De la même façon, si les vétérinaires sont conscients de l’importance des problèmes comportementaux dans la relation propriétaire-animal de compagnie, une étude de 2012 a montré que la question était largement sous-abordée au cours

des consultations vaccinales annuelles, qui semblent pourtant « idéales » pour ce genre de discussions (Roshier, McBride, 2013).

Ainsi, si la prise en compte du rapport Hommes-Animaux se fait de plus en plus présente dans la profession vétérinaire, des écoles à la pratique, des divergences persistent sur l’importance à accorder à ce débat. De plus, une inquiétude manifeste concernant le rôle concret des vétérinaires dans ce débat ainsi que les possibilités professionnelles réelles qui y seraient associées semblent se dégager des résultats présentés ci-dessus. Peut-on clarifier la forme que pourrait prendre un engagement éventuel de la profession vétérinaire dans le débat sociétal ? De plus l’intérêt de la profession pour les questions ayant trait à la relation Hommes-animaux semble se présenter sous formes de multiples actions isolées : comment intégrer ces actions dans un raisonnement global ?

Les deux parties suivantes ont pour objectif d’apporter des éléments de réponse sous forme de propositions, subjectives et incomplètes, par essence.

2. L’enseignement comme initiateur d’une prise en compte de l’évolution du