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Partie I. Animal et société occidentale du XXI ème siècle : des « communautés hybrides »

II. Positionnement vétérinaire face au débat concernant le statut des animaux dans la société

1. D’un rôle d’expert de la santé et du bien-être des animaux, et de la santé publique

Nous l’avons vu en partie I de ce travail, la relation Hommes-Animaux et sa récente mise en lumière repose en grande partie sur une discussion d’ordre scientifique. Ainsi, pour s’imposer comme acteurs centraux de l’évolution de la relation Hommes-Animaux et surtout, pour contribuer à alimenter le débat en cours efficacement, les vétérinaires peuvent s’appuyer sur des compétences et une culture scientifique solide et complète.

Effectivement, la profession vétérinaire s’impose, par définition, en tant qu’experte des animaux en général, de leur santé et de leur bien-être. En effet, ces deux aspects font partie des compétences spécifiques fondamentales de la profession vétérinaire. Ce sont d’ailleurs les trois premières compétences spécifiques citées dans le référentiel d’activité vétérinaire 2017 (Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Direction générale de l’enseignement et de la recherche, 2017) :

1. « Conseiller – Prévenir : Le vétérinaire conseille sur la santé et le bien-être de l’animal, l'entretien et la gestion de l'élevage des animaux, notamment en matière de médecine préventive, individuelle ou collective. […] »

2. « Etablir un diagnostic : Le vétérinaire recueille des informations, formule des hypothèses, les hiérarchise et établit un diagnostic dans le but de soigner un animal ou un groupe d'animaux. […] »

3. « Soigner et traiter »

Ce nouveau référentiel introduit ainsi dès son introduction la notion de bien-être animal et en fait un des aspects clé de l’exercice de notre profession. Or, faire du bien-être animal une compétence vétérinaire est essentiel. Effectivement, cette notion étant centrale dans le débat en cours, les vétérinaires doivent être des référents en termes d’évaluation et d’amélioration du bien-être des animaux de rente, domestique voire des animaux sauvages dans certaines conditions. Un grand intérêt pour ce sujet devra donc être porté à tous les niveaux de la profession : de la formation initiale à la formation continue, des groupements professionnels aux domaines de la recherche. De la même façon, face à la diffusion à grande échelle d’informations plus ou moins étayées scientifiquement, voire de Fake News, en matière de santé animale, la profession vétérinaire peut espérer réaffirmer un statut d’expert référent. Dans ces deux domaines (santé et bien-être), ce ne sont donc pas les compétences théoriques qui peuvent, a priori, nous faire défaut, mais plutôt un certain défaut de communication. Tout l’enjeu des années à venir est la capacité de notre profession à s’imposer comme experte de ses domaines de compétences, devant internet, le bon-sens et les conseils d’amis ou de la famille. Pour cela, un effort important doit être entrepris dans le domaine de la communication.

Par ailleurs, si la connaissance et la gestion de la santé et du bien-être des animaux nous sont spontanément attribuées, elles ne sont pas nécessairement suffisantes pour intervenir efficacement dans l’évolution de la relation Hommes-Animaux. Nous avons effectivement discuté en partie I de l’importance de l’insertion de ce questionnement dans un contexte scientifique global particulièrement complexe. Ainsi, discuter de l’évolution en cours

nécessite une compréhension des aspects écologiques, géographiques, phylogéniques et éthologiques tout autant que des aspects spécifiques que nous maîtrisons le mieux. Cette appréhension de la problématique dans son contexte nous est tout à fait accessible à l’échelle de la profession compte tenu du bagage scientifique, théorique et méthodologique associé à notre profession mais aussi compte tenu de la diversité des métiers vétérinaires. D’ailleurs, c’est une des compétences vétérinaires répertoriées dans le référentiel de compétences 2017 : Le vétérinaire sait « agir en scientifique : [il] applique une démarche scientifique. Il sait mener des recherches bibliographiques, pratique la médecine vétérinaire basée sur les preuves, encourage et/ou participe à la recherche clinique. Il peut par ailleurs exercer son activité professionnelle dans le domaine de la recherche. »

Cependant, pour cela, il est essentiel que les vétérinaires aient conscience de l’existence d’un contexte aussi complexe, et en tiennent compte, au quotidien. Nous y reviendrons.

Ainsi, concernant les aspects à orientation scientifique dominante, notre profession nous donne à la fois les compétences et la légitimité requises pour exprimer une opinion et être acteur du débat. La problématique du bien-être animal notamment est un des piliers de l’évolution de notre profession tout autant qu’elle est essentielle pour la relation Hommes- Animaux. Par ailleurs, un travail doit être entrepris sur deux aspects :

- Si les vétérinaires ont les compétences et les connaissances qui font d’eux des experts à même d’intervenir dans le débat en cours, cette position doit être réaffirmée. Assurer un statut d’expert passe notamment par un travail de communication à l’échelle individuelle, notamment pour le praticien, et à l’échelle de la profession.

- Intégrer les autres aspects scientifiques de la problématique à notre approche : il est nécessaire de tenir compte de tous les aspects scientifiques qui justifient l’évolution du statut animal. Il s’agit de réaffirmer un statut de scientifique et biologiste de manière générale capable d’avoir un regard critique et justifié sur les différents apports des sciences.

La profession vétérinaire peut ainsi s’imposer comme expert scientifique des animaux en général et de la relation Hommes-Animaux. Cependant, ces différents aspects, s’ils sont fondamentaux, ne sont pas nécessairement ceux qui pèsent le plus sur le débat. Les questions cruciales de la morale et le poids du mouvement social sont encore en suspens à ce stade. Quelle influence notre profession peut-elle espérer avoir sur ces aspects ?

2. … À celui de médiateur éclairé

D’après la partie précédente, nous avons, avant tout, les compétences et connaissances nécessaires pour imposer la profession comme experte capable d’éclairer la question de la relation Hommes-Animaux du point de vue scientifique. Notamment, nous pouvons répondre à la multiplicité des opinions données au sujet de la santé et du bien-être des animaux, sur leurs capacités cognitives etc. Ainsi, en supposant que la considération positive du vétérinaire (Projet VETFuturs FRANCE, 2018) par le public soit suffisante pour que sa voix surpasse la multitude des avis tous plus « éclairés » les uns que les autres, apporter des réponses au défaut des connaissances suffirait-il à apaiser le débat ?

Il y a, en effet, dans la question du statut animal, une problématique qui dépasse largement le vrai/faux biologique et qu’on ne saurait trancher sur la base du seul argument scientifique. Notamment, nous l’avons vu, le questionnement moral est central. Plus encore, bien que certains défenseurs de la cause animale s’en défendent, cette moralité est souvent teintée de sensibilité individuelle, transformant ce que l’on voudrait morale pure en conviction personnelle. Or, peut-on raisonnablement opposer un argument scientifique à un questionnement moral et plus encore à une conviction sensible ?

Ainsi, la discussion sur l’avenir de la relation Homme-Animal se heurte très souvent, à un moment ou un autre, à la question de la moralité ou non de l’exploitation de la vie animale. Cette question prend régulièrement le pas sur toute autre discussion, sur tous les autres aspects détaillés en partie I, et tout autre aspect matériel ; c’est une moralité supposée qui devrait même nous amener à renoncer à tout esprit de conservation spécifique. De nombreux arguments scientifiquement étayés et convaincants sont en faveur d’une exploitation animale raisonnée ; pour autant, la réponse à cette problématique ne saurait être triviale et tranchée sur la base des sciences sans autre forme de discussion. La moralité de l’exploitation animale n’est, en elle-même, pas une évidence : il n’est pas possible de répondre simplement à une question que des générations de philosophes interrogent depuis plusieurs siècles sans parvenir à un début d’unanimité. Notamment, à ceux pour qui il est immoral de tuer un animal, il semble inutile de répondre par les sciences.

Malgré tout, si l’argument scientifique semble insuffisant, à lui seul, pour établir définitivement notre rapport aux animaux, il reste essentiel dans la mise en pratique de l’évolution souhaitée pour notre relation. De la morale à la mise en pratique de la vision idéalisée d’un monde sans exploitation animale il y a, incontestablement, une transition qui doit s’appuyer sur la science pour répondre aux considérations pratiques dont nous avons

largement discuté. De même, d’un avis extrême à l’autre, se trouve une majorité de personnes prise entre les avis contradictoires et les informations scientifiques plus ou moins avérées. C’est à ces personnes-là que répondra l’argument scientifique, et plus encore un avis scientifique conscient de tous les aspects du débat.

Ainsi, si l’importance de l’argument scientifique, et donc de l’expertise vétérinaire dans ce domaine, peut être nuancée compte tenu de la portée morale mais aussi éthique (au sens individuel) du débat, cet argument reste malgré tout essentiel. Pour autant, ce n’est pas le seul rôle auquel peut prétendre la profession vétérinaire ? Les vétérinaires occupent une position intermédiaire qui leur accorde, en plus, un statut de médiateur éclairé. Notre profession se caractérise en effet par sa proximité avec les différents acteurs de la relation Hommes- Animaux (éleveurs, propriétaires d’animaux de compagnie, industries pharmaceutiques, agro- alimentaires, etc.) et par un contact étroit avec les chercheurs et la connaissance scientifique de plusieurs domaines. Il semble donc que nous fassions partie des professionnels les plus à même d’avoir un regard transversal, conscient des problématiques relatives aux différents acteurs du rapport Hommes-Animaux. Cette transversalité est essentielle parce qu’elle offre d’une part une légitimité certaine, et d’autre part parce qu’elle est à même de conduire à proposer un regard apaisé, modéré et ouvert au compromis. Or, compte tenu de la complexité du débat en cours, et compte tenu des contradictions qui émergent en confrontant les différents aspects du problème, une réponse raisonnable passe nécessairement, à moyen terme en tout cas, par une volonté de compromis.

Ainsi, au-delà de la notion de compétences, c’est l’insertion de la profession vétérinaire dans la société qui lui donne la possibilité d’exercer un rôle de médiateur éclairé. Or, ce rôle de médiateur qui nous accessible nécessite de déployer des compétences essentielles de communication, d’écoute et d’empathie. Développer ces compétences de « savoir-être » nous permettrait de développer, ou de renforcer, un statut d’interlocuteur privilégié pour les acteurs de la relation Hommes-Animaux. Il s’agit par ailleurs de s’appuyer sur une éthique professionnelle solide

Donc, le rôle vétérinaire n’est pas seulement celui de scientifique averti dont la voix corrige les imprécisions médiatiques et la fièvre des réseaux sociaux. Le rôle vétérinaire est avant tout celui d’un médiateur éclairé. Et en tant que médiateur, il faut être capable d’entendre les différentes voix et avis. Pour cela, la profession vétérinaire doit développer, plus encore qu’avant, des compétences en termes d’éthique, relations humaines, et communication.