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Partie I. Animal et société occidentale du XXI ème siècle : des « communautés hybrides »

II. Positionnement vétérinaire face au débat concernant le statut des animaux dans la société

3. Une profession toute entière doit-elle parler d’une seule voix ?

« Evidemment le lecteur extérieur à la profession ou même simplement extérieur au projet VETFUTURS reste à ce stade sur sa faim en ce sens que le sentiment qui se dégage est celui d’une profession qui, voulant répondre au mieux à la demande sociétale, se contente en quelque sorte d’analyser cette demande afin de s’y adapter au mieux et même de l’anticiper. La profession vétérinaire n’est pas militante, elle se veut experte et l’expertise n’est guère compatible avec l’engagement militant, sauf à perdre toute objectivité et impartialité. Et donc toute crédibilité. Alors, à ce stade tout au moins, on ne discernera aucune prise de position sur les sujets majeurs débattus de la relation homme-animal. Aucun avis, même si la loi le permet expressément désormais à l’Ordre. Souhaitons quand même que le rapport final, quand il sera publié, aille au-delà de la simple adaptation d’une profession à un environnement évolutif et que la profession de vétérinaire y apparaisse alors de manière active et autonome comme un corps professionnel capable de se présenter devant la société en tant que véritable guide animé d’éthique. », Michel Baussier pour la fondation droit animal éthique et sciences, dans un article publié dans la revue trimestrielle de la fondation LFDA, d’avril 2019. Vétérinaire, ancien président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires, membre du conseil d'administration de la LFDA depuis 2017. (Baussier, 2018)

Michel Baussier pose ici la question à laquelle nous mène également la réflexion ci- dessus : la profession vétérinaire doit-elle s’adapter à une société en évolution ou être actrice de l’infléchissement de cette évolution ? Participer activement à un tel débat, à l’échelle de la profession pose nécessairement la question des divergences d’opinions au sein même du groupe des vétérinaires. Nous en avons discuté, il y a dans ce questionnement une dimension morale et éthique majeure, impliquant nécessairement des considérations très personnelles qui semblent difficilement discutables. Ainsi, le débat est-il un choix personnel ou peut-il faire l’objet d’une « argumentation professionnelle » conduisant à un compromis entre sciences et éthique ? Ces deux aspects ne sont, en réalité, pas incompatibles. D’une part, respectant son rôle de médiateur, la profession peut s’accorder sur un positionnement global, et peut également apporter une réponse à certaines grandes questions d’actualité qui soit conforme à l’éthique vétérinaire de manière générale. D’autre part, préserver une sensibilité individuelle différente d’un vétérinaire à l’autre est essentielle pour répondre aux différences de sensibilité à l’échelle de la population et en entendre les différentes opinions.

Positionnement professionnel

Il me semble que si les extrêmes trouveront difficilement leur voix dans la notion de compromis, il reste possible de proposer des alternatives raisonnées, conformes à des notions d’éthique, d’écologie et de sécurité sanitaire et financière (notamment pour les éleveurs). Si l’évolution sociale se confirme dans le sens d’une plus grande considération accordée à la vie animale et au bien-être animal en général, nous devons accompagner le mouvement pour l’encourager d’une part, et d’autre part en limiter les dérives. Il s’agit entre autres d’assurer à nos clients, notamment les éleveurs, une transition sereine. En ce sens, les travaux de J. Porcher propose une approche particulièrement intéressante, qui, quoique rejetée avec violence par certains extrêmes de défense de la cause animale, séduit de nombreux agronomes, et donne une voix aux éleveurs. Par ailleurs, il semble tout à fait accessible à notre profession d’apaiser le débat en cours par la connaissance notamment de l’animal de compagnie et des animaux sauvages, de leurs capacités et de leur physiologie. Si tant de gens s’intéressent aux animaux, tant mieux, mais dans ce cas-là cet intérêt doit leur permettre d’établir des connaissances scientifiquement sures sur les besoins animaux en général mais également sur les risques représentés par les interactions Hommes-Animaux. Ainsi, il me semble que, sans empiéter sur le terrain de l’éthique personnelle de chaque vétérinaire, il existe une marge d’action commune et faite de compromis qui repose sur notre formation au sens médical et éthique.

Par ailleurs, dans le cadre d’une protection du bien-être et de la santé des animaux, la profession vétérinaire peut prendre position sur certains débats d’actualité, et l’a d’ailleurs déjà fait. C’est le cas notamment concernant l’abattage des animaux domestiques (Ordre National des Vétérinaires, 2015a), la corrida (Baussier, 2016) ou encore l’exploitation de mammifères sauvages dans les cirques itinérants (Ordre National des Vétérinaires, 2015b).

Sensibilité individuelle

Dans la première partie, nous avons décrit un climat social contestataire global appuyé sur une image des animaux faussée par la vision de l’animal de rente en élevage industriel, un animal de compagnie anthropomorphisé à l’extrême et un monde sauvage idéalisé. Le mouvement social global qui est en partie à l’origine de la tournure que prennent les réflexions au sujet de l’animal semble déjà en place. Nous aurions pu jouer et avons certainement joué un rôle au tournant de l’industrialisation des productions animales. Cependant, actuellement, rien ne semble nous prédisposer à nous placer au-dessus d’un débat

qui s’appuie sur un phénomène de contestation globale et sur une convergence des luttes sociales bien plus vaste que la question animale seule. Il est plus probable que nous participions au phénomène en cours et en subissions l’influence, sous la forme d’une évolution globale des mentalités, de la même façon que la majorité de la population.

Ainsi, de la même façon que des divergences d’opinion franches existent à l’échelle de la population, on retrouve, au sein de la profession vétérinaire, un mélange complexe de sensibilités individuelles différentes. Ces différences de sensibilité conduisent à des positionnements personnels différents concernant le statut animal et la façon dont il convient de traiter la vie animale. Cette diversité de points de vue peut en réalité constituer un atout pour la profession dans son rôle de médiateur puisqu’elle offre la possibilité de répondre aux différences de sensibilité de la société en général. Elle permet, à l’échelle de la profession, de tenir compte de l’ensemble des points de vue qui s’expriment sur la question. Cette diversité doit donc être préservée, tout en s’assurant qu’elle soit associée à la construction du socle commun vétérinaire.

Tout vétérinaire doit ainsi avoir suivi l’intégralité de la formation proposée et être capable de discuter de tous les aspects de la relation Hommes-Animaux en toute connaissance des faits et de leur réalité. Ainsi, le statut d’expert que nous revendiquons donne du poids à notre parole parce qu’il se construit sur notre connaissances des faits et de la réalité du terrain : nous ne pouvons pas discuter d’élevage, ou d’abattage par exemple sans en avoir étudié l’organisation, le fonctionnement, en théorie et en pratique. Ainsi, la diversité de points de vue doit être préservée dans notre profession dans la mesure où elle s’appuie sur un socle théorique commun. Au contraire, c’est justement parce qu’elle s’appuie sur la connaissance réelle du fonctionnement des relations Hommes-Animaux que la parole vétérinaire, quelle que soit son orientation, prend toute sa valeur. Dans ce contexte, il me semble indispensable de communiquer mieux sur les différents volets de la profession et la multiplicité des métiers vétérinaires, notamment auprès des classes préparatoires. Une information préalable d’autant plus importante qu’elle permettrait également d’introduire, avant même le début du cursus, non pas seulement la notion de productions animales, mais également l’importance de la relation aux clients et à l’humain. Le rôle prépondérant de l’empathie et de la communication ne doit plus être ignoré par les étudiants qui choisissent les écoles vétérinaires. Peut-être parviendrons-nous d’ailleurs, par cette information, à diminuer le sentiment de déception et la fuite des jeunes docteurs : près d’un quart des vétérinaires inscrits à l’Ordre n’exercent pas comme praticiens (Projet VETFuturs FRANCE, 2018).

La profession vétérinaire est amplement concernée par le débat en cours : d’une part parce que, de ce débat dépend l’évolution de la profession, et d’autre part parce que le vétérinaire est un professionnel de la santé animale mais aussi de la relation Homme-Animal. Nous avons à notre disposition des atouts incontestables pour faire de nous des interlocuteurs privilégiés de ce questionnement : une connaissance scientifique multi-disciplinaire, un socle éthique solide et un regard transversal sur la multiplicité de nos rapports aux animaux. En ce sens, notre position intermédiaire nous offre la possibilité d’apporter un regard scientifique éclairé sur le débat mais pas uniquement : nous avons également l’opportunité de jouer un rôle de médiateurs. Ce rôle semble d’ailleurs compatible avec les divergences d’opinions potentielles au sein de la profession puisqu’il reposerait sur une connaissance du contexte globale et de la problématique dans toute sa complexité : il s’agirait donc d’appuyer une volonté de compromis, de promouvoir le bien-être animal et humain par des avis scientifiquement étayés.