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Une perspective générale d’analyse de l’action au travail

1. Premières définitions opératoires

2.1. Une perspective générale d’analyse de l’action au travail

Il s’agit d’abord de comprendre comment et dans quelle mesure les individus construisent les projets, cadres, groupes institutionnels, organisationnels et professionnels, qui les entourent, comment et dans quelle mesure ces formes s’imposent à eux, comment ces formes s’articulent entre elles. La question du comment et de la mesure, de la manière et du degré, est tout à fait essentielle à nos yeux, car nous ne voudrions pas en rester à l’énoncé d’un postulat d’une autonomie absolue, permanente, quasi-ontologique des acteurs. L’autonomie des acteurs au travail est-elle effective ? Quelles en sont les variantes selon les lieux, les moments et les activités ? Une première version de notre modèle peut ainsi être schématisée.

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Ce premier schéma se veut très général. Il reprend les interrogations les plus classiques en sociologie (autour des articulations entre individu et société, agent et structure, acteur et système), même s’il les décline à l’échelle du travail. Il s’inscrit dans les perspectives de sociologie de l’action, au sens où il donne par hypothèse de départ, un primat aux fondements de l’action individuelle dans la composition des formes sociales. On retrouve derrière cette hypothèse de départ une proximité avec la tradition interactionniste / individualiste en sociologie. Deux auteurs symbolisent aujourd’hui cette tradition : Raymond Boudon en France, James S. Coleman aux Etats-Unis, par rapport auxquelles nous aimerions nous situer.

Un héritage individualiste et interactionniste

« Je défends ici un individualisme de type non atomique mais structurel. Les systèmes sociaux ont une structure. Cette structure fixe les contraintes sous lesquelles les individus agissent. Ces contraintes définissent pour les agents du système les limites du possible. Mais elles ne suffisent généralement pas à déterminer leur comportement. D’autre part, en défendant une méthodologie individualiste, je ne suggère évidemment pas qu’il faille s’intéresser aux individus plutôt qu’aux structures. J’entends souligner qu’à mon sens les phénomènes sociaux auxquels le sociologue s’intéresse ne peuvent être expliqués de manière satisfaisante si on n’en fait pas la conséquence d’actions individuelles. »

Raymond Boudon, 1977, Effets pervers et ordre social, p. 3-4 Le projet sociologique de Raymond Boudon est sans doute le plus emblématique en France de la volonté d’imposer le recours à l’analyse du niveau individuel de l’action pour saisir les phénomènes sociaux. Si ce projet a selon nous fortement évolué au fil des années – depuis une perspective fortement teintée d’utilitarisme (Boudon, 1977, 1979), largement développée avec François Bourricaud (Boudon, Bourricaud, 1982), jusqu’à une perspective donnant beaucoup de place aux fondements axiologiques de l’action

Formes sociales de travail : institutions, organisations, professions Action au travail

Processus d’agrégation, composition des actions I, O, P comme cadres produits et construits de l’action Actions comme moyens et ressources des I, O, P

Processus de détermination de l’action et des acteurs I, O, P comme systèmes générateurs et structurants de l’action

59 (Boudon, 1999, 2002)33 –, il installe en effet l’action individuelle au cœur de l’analyse sociologique : « ce choix n’est pas arbitraire, car il se fonde sur la nature même des phénomènes sociaux qui, de quelque point de vue que l’on se place, sont nécessairement le produit d’actions individuelles » (Hirschhorn, 2000, p. 48). En lien avec cette perspective, il s’agira pour nous d’analyser la composition de ces agrégats collectifs que sont les institutions, les organisations et les professions, puis leur influence sur les individus qui les composent.

La perspective de Raymond Boudon (1984, 2000) permet aussi de fixer les filiations des sociologies interactionnistes / individualistes contemporaines avec les sociologies fondatrices, notamment la sociologie formelle et interactionniste de Georg Simmel. Dans l’introduction qu’il consacre aux Problèmes de la philosophie de l’histoire (1984), Boudon revient d’abord sur les deux sens qui peuvent être prêtés à la notion de forme chez Simmel : à la fois « configuration cristallisée du social » et « représentation métascientifique ». Il souligne ensuite l’intérêt de l’approche simmelienne des configurations cristallisées, à la fois compositions des actions individuelles et structures qui encadrent ces actions. Boudon se rallie à cette conception qui place les interactions entre action et structure au cœur de la compréhension des configurations du social, qui souligne l’intérêt d’analyser les voies de la cristallisation (dont une des formes est l’agrégation) et du maintien des formes sociales, qui ne réduit pas les acteurs sociaux à de simples produits de ces formes. Mais Boudon dénonce aussi les excès de certaines interprétations qui ont été données de Simmel :

« Si on lit attentivement les premières phrases du livre, on voit donc immédiatement que l’« individualisme méthodologique » qui est ici défendu n’implique aucun atomisme. En utilisant de nouveau notre langage, si les phénomènes sociaux sont toujours le produit d’actions individuelles, les actions s’inscrivent dans un contexte, lequel a une structure : les structures ne sont compréhensibles qu’à partir des actions et les actions ne sont compréhensibles qu’à partir des structures. »

Raymond Boudon, 1984, Introduction à Georg Simmel,

Les problèmes de la philosophie de l’histoire, p. 11

Raymond Boudon fait ainsi partie des sociologues qui ont à la fois clarifié et réintroduit la notion simmelienne de forme sociale au cœur de l’analyse sociologique en France. Dans le champ de la sociologie du travail, les travaux de Norbert Alter se situent dans cette nouvelle filiation34. Dans L’innovation ordinaire (2000), Alter revendique en effet

33 Le tournant de cette évolution pourrait être la traduction que R. Boudon a faite des Problèmes de la philosophie de l’histoire de Simmel (en 1984).

34 On pourrait aussi citer les travaux de Catherine Paradeise (1988) et de Claude Giraud (1993, 1994) que nous évoquerons dans le chapitre 2. Ils reprennent les conceptions « interactionnistes » de Georg Simmel et de Raymond Boudon, sans toutefois mobiliser centralement la notion de forme.

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la notion de forme sociale pour analyser la « création du nouveau et la destruction de l’ancien » au cœur des organisations :

« La question n’est donc pas tant de savoir si les formes corsètent l’action ou si c’est plutôt l’inverse qui doit être observé. Elle est de comprendre la manière dont les hommes parviennent à agir, dans un espace formalisé qu’ils contribuent à construire, ou qui leur est imposé par d’autres. Dans une perspective diachronique, celle de l’innovation, on est amené à traiter ces deux dimensions comme constitutives du fait social : la durée met en évidence que le social est une forme incluant la vie, puisqu’il en est l’émanation. Cette approche est la clé de la sociologie « formale » développée par Simmel. »

Norbert Alter, 2000, L’innovation ordinaire, p. 157-158 Nous nous référerons aussi à cette clé, pour analyser les façons dont les acteurs à la fois subissent et investissent les projets, cadres et collectifs institutionnels, organisationnels et professionnels.

Le projet interactionniste de Raymond Boudon apparaît en partie radicalisé dans les travaux de James S. Coleman (1986, 1990). Comme Boudon, celui-ci défend l’idée que la sociologie ne peut analyser un phénomène macrosocial, par une liaison explicative directe avec un autre phénomène macrosocial. Elle doit passer par le niveau individuel : « contrairement à des approches fonctionnalistes ou culturalistes cherchant à rattacher directement les niveaux macro entre eux par la liaison [4], la démarche de Coleman, fidèle en cela à l’individualisme méthodologique, caractérise la théorie de l’action par la séquence [1], [2], [3] dans laquelle le niveau macro apparaît comme une donnée qui a des effets sur le niveau individuel des croyances ou des préférences, soit la liaison macro- micro [1] ; celles-ci sont à leur tour à la source des comportements des acteurs dans la liaison micro-micro [2]. Finalement, la liaison micro-macro [3] a pour tâche d’expliquer comment les comportements individuels produisent les résultats macro-sociaux. […] »

Action organisationnelle

ou politique publique (4) Effet sociétal

(1) (3)

Effets sur les individus (2) Actions individuelles

(Philippe Steiner, 2003, p. 207-208) Le projet de Coleman se radicalise néanmoins dans la promotion qu’il fait de la Théorie du Choix Rationnel et plus largement de l’utilitarisme. A l’instar de nombreux

61 « sociologues de l’action » (Boudon, 2002, 2003 ; Bouvier, 2003), nous pensons pourtant que sa force est moins dans cette promotion de l’utilitarisme que dans le rappel qu’il fait de l’intérêt analytique qu’il y a à revenir au cœur des actions (et aux expériences) individuelles pour comprendre les formes sociales qui entourent et encadrent les acteurs sociaux. Ainsi repris, non dans sa forme utilitariste mais dans sa perspective méthodologique, l’actionnisme nous semble offrir une perspective heuristique d’analyse des institutions, des organisations et des professions. Coleman lui-même mobilise d’ailleurs les notions d’institution et d’organisation pour qualifier certaines des structures sociales auxquelles les individus transfèrent ou délèguent certaines de leurs ressources. Selon lui, avec la modernité et, devant l’effacement progressif des structures sociales dites primordiales (famille, voisinage, religion) qui constituaient leurs principales ressources d’action et la base de leur capital social, les individus sont amenés à construire des structures sociales de substitution, des institutions (notamment d’éducation), ou des acteurs organisationnels (tels l’Etat), qui assurent la socialisation et le contrôle social autrefois assumé par les structures primordiales35. Cette construction s’opère à travers un transfert de pouvoir – le contrôle sur soi et ses propres ressources –, que Coleman explique à travers le modèle théorique économique du Principal-Agent. Plus largement, Coleman tente de rendre compte des façons dont les individus mobilisent et contrôlent leurs ressources dans les échanges sociaux et les comportements collectifs, en fonction de leurs droits et préférences. Nous pourrons donc le mobiliser dans l’analyse des modes de composition des formes sociales par les actions individuelles, sans toutefois nous en tenir aux seules motivations utilitaristes. Avant de réfléchir à ces modes de composition, il nous faut expliquer le recours au terme d’action au travail, central dans le modèle ici proposé.

L’action au travail

Notre modèle s’appuie d’abord sur une analyse des actes au travail, entendus comme les différentes pratiques professionnelles dans un champ d’activité donné. Cette notion d’actes renvoie à celle d’unit act de Talcott Parsons (1937).

« L’unité de base peut être nommée « action élémentaire » (unit act). Tout comme, en mécanique classique, les unités d’un système, les particules en l’occurrence, peuvent être caractérisées par leurs propriétés – masse, vitesse, situation dans l’espace, direction du déplacement, ... – les unités des systèmes d’action possèdent également des propriétés de base même s’il s’avère impossible de concevoir l’existence effective de telles unités. (...) Une « action » engage logiquement les éléments suivants :

1) Elle suppose un agent, un « acteur ».

35 Nous reprenons ici la présentation que nous avons faite de Coleman, dans le manuel écrit avec Jean-Pierre Delas (2009).

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2) Une action doit avoir une « fin », être tournée vers un état futur des choses qui oriente son processus de déroulement.

3) Elle doit avoir lieu dans un cadre qui diffère, en tout ou en partie, de l’état des choses vers lequel est tendue la réalisation de cet acte. Cette situation peut être analysée à partir de deux types d’éléments : ceux sur lesquels l’acteur n’a pas de prise (c’est-à-dire qu’il ne peut modifier ou empêcher qu’ils soient modifiés dans la perspective de la réalisation de son objectif) et ceux sur lesquels il a un contrôle. Le premier type d’éléments peut être nommé « conditions de l’action », le second « moyens ».

4) Finalement, cette conception analytique de l’action présuppose des relations entre tous ces éléments : le choix de moyens alternatifs destinés à atteindre une fin, dans la mesure où la situation autorise un tel choix, révèle une « orientation normative » de l’action. »

Talcott Parsons, 1937, The Structure of Social Action, The Free Press, 2nde édition, 1949, p. 44-46, cité in Michel Lallement, 1993, p. 85 Cette définition parsonienne présente l’avantage de positionner le questionnement sur l’acte dans une sociologie doublement attentive aux cadres et aux orientations de l’action, à ses conditions et moyens, à ses déterminants et libertés. Surtout, elle ouvre la possibilité de s’interroger sur les façons dont un individu devient agent / acteur par son investissement du cadre d’activité, soit en l’admettant (et par là en s’y soumettant), soit en construisant les éléments de ce cadre comme des conditions ou comme des moyens de ses actes. La perspective parsonienne permet de voir combien les conditions et les moyens de l’acte ne sont pas toujours donnés a priori, in abstracto, mais peuvent dépendre des types d’investissement de l’individu dans son action : autrement dit, la contrainte résulte parfois de ce qui est construit comme contrainte.

Mais au-delà de l’analyse des actions élémentaires au travail perçues dans leur discontinuité, ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est le sens global que chaque acteur donne à l’ensemble de son activité professionnelle : quelles sont les visées qui guident l’ensemble de son action au travail ? De nombreuses dénominations sont mobilisées en sociologie pour qualifier ces ensembles : « registre d’action », « logique d’action », « régime d’action », « mode d’action », ... Nous avons retenu pour notre part le choix de parler d’« action au travail » au singulier : « l’action au travail » comme élément transversal aux actes de travail. Ce choix peut faire débat : n’y a-t-il pas par là le risque de négliger l’hétérogénéité, pour un même acteur, de ses pratiques ? Peut-on qualifier au singulier les formats des actions individuelles ? Nos travaux amènent à penser que l’on peut dégager une cohérence propre à chacun, au-delà des tensions qu’un même professionnel peut ressentir dans la conduite de plusieurs de ses actes, dans des lieux différents, avec des destinataires différents ou à des étapes différentes de sa carrière professionnelle. Nos analyses vont toutes dans le même sens : si les lignes de cohérence sont différentes d’un acteur à l’autre, d’un terrain à l’autre, il y a bien des cohérences qui s’établissent pour chaque acteur entre les différents actes qu’il conduit, entre les intérêts et les valeurs qui le guident, entre les façons qu’il a de

63 résoudre ses tensions entre conditions et moyens, entre cadres et orientations normatives de son activité au sens large. Aussi parlera-t-on d’« action au travail » au singulier

pour qualifier l’ensemble des actes et des significations données par un acteur à son activité professionnelle36.

Cette perspective conduit certes finalement à délaisser les actes singuliers de travail pour repérer, à travers le discours (sur ces mêmes actes), les logiques globales de l’activité individuelle de travail. Mais nous pensons que cette appréhension globale de l’action est une voie d’accès privilégiée à la compréhension de la construction et des effets des formes sociales institutionnelles, organisationnelles et professionnelles. Celles-ci ne se résument pas à des agrégations d’actes, elles sont le produit de logiques, registres, régimes d’action.

2.2. Comprendre et expliquer : les deux intentions de l’analyse

Il s’agit maintenant de préciser notre projet, en en détaillant les intentions et hypothèses. Deux intentions principales nous guident :

- comprendre, à l’échelle individuelle, les différentes relations que les acteurs, dans un champ d’activité donné, établissent avec les institutions, les organisations et les groupes professionnels qui les entourent et qu’ils contribuent à faire évoluer ; - expliquer, à l’échelle sociétale – mais en passant par la compréhension des actions individuelles et de leur composition –, les relations qui s’établissent, dans un champ d’activité donné, entre les différentes institutions, organisations et groupes professionnels en présence.

Les termes « comprendre » et « expliquer » renvoient aux façons dont Max Weber et Raymond Aron définissent le projet scientifique de la sociologie (Marcel, Milly, 2002). Pour Weber, la sociologie est « une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets » (1922, Plon, 1971, p. 4). Pour Aron, « les sciences historiques et sociologiques sont non seulement des interprétations compréhensives des sens subjectifs des conduites, elles sont aussi des sciences causales. (…) En d’autres termes, les sciences historiques et sociologiques veulent expliquer causalement, en même temps qu’interpréter de manière compréhensive » (1967, p. 511-512). Les causalités, qu’elles soient sociologiques (relations permanentes entre phénomènes) ou historiques (circonstances uniques qui ont provoqué un événement singulier), pour reprendre la

36 Nous approfondirons cette appréhension de l’action en conclusion du chapitre 2, nous basant sur les travaux de sociologie du travail pour repérer différents niveaux de l’action.

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distinction aronienne, sont toujours partielles et probabilistes : rien n’est prédéterminé. Le commentaire de Raymond Aron est sur ce point lumineux :

« On ne peut connaître avec certitude l’avenir pour les raisons mêmes qui font que l’on ne peut parvenir à une explication nécessaire lorsqu’on procède à une analyse causale du passé. L’événement complexe a toujours été le résultat simultané d’un grand nombre de circonstances. Dans les moments cruciaux de l’histoire, un homme a pris des décisions. De même demain d’autres hommes prendront des décisions. Et ces décisions, influencées par les circonstances, comportent toujours une marge d’indétermination en ce sens précis qu’un autre, à la même place, aurait pu prendre une autre décision. A chaque moment, il y a des tendances fondamentales, mais qui laissent une marge de liberté d’action aux hommes. Ou encore il y a des facteurs multiples qui agissent dans différents sens. »

Raymond Aron, 1967, Les étapes de la pensée sociologique, p. 514 Ce sont donc ces causalités multiples, agissant dans différents sens, souvent de façon interactive, que nous voudrions expliquer. Pour y parvenir, nous défendrons une première perspective compréhensive.

Comprendre l’action au travail

Une première perspective analytique vise à comprendre les façons dont les acteurs investissent, construisent, subissent les formes sociales qui les entourent. Cette compréhension ne se comprend pas au sens empathique ; elle est l’activité d’interprétation analytique du sens subjectif que les acteurs communiquent à leur comportement orienté vers autrui, ou encore de l’activité sociale.

Une première intention de compréhension des actions individuelles

Sous ces flèches peuvent être pensées des relations très différentes entre formes d’action au travail et formes sociales. Si l’on prend comme point d’entrée l’acteur, celui-ci peut se vivre en situation d’extériorité ou d’intériorité, en position d’exclusion / marginalité

Action au travail Cadres et collectifs professionnels Cadres et collectifs organisationnels Projets et cadres institutionnels

65 ou de pleine inclusion à l’égard d’une institution, d’une organisation, d’un groupe professionnel ; il peut être dans des relations de participation, adhésion, engagement, loyauté ou au contraire de résistance, opposition, apathie. Il peut se sentir soumis ou au contraire habilité par ces figures sociales et les individus qui les composent. Si l’on se situe maintenant du point de vue des formes sociales, il s’agit de comprendre comment et combien celles-ci résultent d’actions et interactions individuelles, tout en contribuant à les façonner. Le regard se veut interactionniste (toujours au sens que lui donne Raymond Boudon, cf. introduction) ou individualiste.

L’institution telle que nous l’avons définie est sans doute celle de ces trois formes sociales qui a le moins fait l’objet d’un regard interactionniste. Les projets institutionnels, tout comme leurs déclinaisons juridiques, politiques et administratives, du fait qu’ils sont généralement saisis à une échelle macro-historique et macro-sociale, sont plus souvent analysés comme des déterminants et des figures extérieures aux individus que comme des produits de l’action (inter-)individuelle. Pourtant, il nous semble intéressant de repérer comment des professionnels, dans des terrains donnés, participent parfois de l’élaboration, la contestation ou la reproduction d’une institution donnée. L’exemple de la prison pourrait être très illustratif : le projet d’enfermement punitif s’est installé depuis plus de deux siècles dans la société française, il est encore très peu discuté dans la société et on peut considérer qu’il s’impose largement à tous les professionnels qui exercent en milieu pénitentiaire ; pour autant, certains (mais pas tous) de ces mêmes professionnels pourraient bien participer selon nous, dans l’orientation de leur action, de la constitution du projet d’enfermement, au moins de sa reproduction ou de sa non contestation. L’exemple du développement durable pourrait constituer un autre exemple illustratif. Dans ce cas, le projet institutionnel n’est pas encore stabilisé ; le rôle des professionnels dans la construction de l’institution paraît moins difficile à imaginer puisqu’on pourrait les croire à l’initiative de cette institutionnalisation, mais