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1. Premières définitions opératoires

1.1. Les institutions

« Un critique malicieux de la sociologie trouverait difficilement un meilleur moyen d’inspirer une attitude sceptique à l’égard de sa validité scientifique qu’en collectionnant les définitions de l’« organisation sociale », d’une part, des « institutions » de l’autre, données par les sociologues, et en comparant les différentes manières de concevoir les rapports entre « organisation » et « institutions ». C’est ainsi que nous avons essayé de commencer notre étude de cette branche de la sociologie du XXe siècle, et nous nous sommes aperçu que c’était le plus mauvais commencement possible. (…)

Sans doute, la confusion terminologique est un défaut de la sociologie en tant que science ; le fait a été souvent constaté, et certains sociologues s’appliquent à y remédier. Mais quelle est la gravité de ce défaut ? Faut-il le considérer comme symptomatique d’une absence de connaissance objectivement valable des phénomènes désignés par des termes aussi divergents ? Ou s’agit-il tout simplement de l’absence d’un accord professionnel entre les sociologues relativement à l’emploi de tels ou tels

25 termes particuliers ? Je crois que c’est cette dernière circonstance qui constitue la principale source de la confusion qui règne. (…) Beaucoup de sociologues qui se servent d’un nouveau moyen d’accès à une certaine branche de recherches sont portés à surestimer les aspects qui font l’objet de leurs recherches, en faisant peu d’efforts, ou en n’en faisant aucun, pour établir un lien positif entre leurs investigations et celles d’autres sociologues qui ont abordé la même branche par des voies d’accès différentes ; et leur attitude exclusive trouve son expression dans leur terminologie. »

Thomas Znaniecki, 1947, « Organisation sociale et institutions », p. 174-175 Séduit par ce double message ambivalent de Znaniecki – à la fois le risque de l’inventaire et la nécessité de la cumulativité –, nous fixerons une première définition des institutions, en la situant dans l’histoire de la sociologie.

D’une large définition durkheimienne à une définition restrictive

La notion d’institution est particulièrement polysémique dans les sciences humaines et sociales11, elle a été approchée au sein même de la sociologie de multiples façons, plus ou moins larges12. Le sens le plus large est hérité d’Emile Durkheim qui définit l’institution comme « toutes les croyances et les modes de conduite institués par la collectivité »13 (1901, p. XXII). Cette définition est proposée par Durkheim, en lieu et place de celle de fait social – « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui » (1895, p. 6) – définie et travaillée dans la première édition des Règles de la

méthode sociologique. L’emploi du terme d’institution lui permet de revenir sur la

notion de contrainte sociale, ses implications et les exagérations qu’il n’entend pas assumer :

« Tout ce qu’implique (la notion de contrainte sociale), c’est que les manières collectives d’agir ou de penser ont une réalité en dehors des individus qui, à chaque moment du temps, s’y conforment. Ce sont des choses qui ont leur existence propre. L’individu les trouve toutes formées et il ne peut pas faire qu’elles ne soient pas ou qu’elles soient autrement qu’elles ne sont ; il est bien obligé d’en tenir compte et il lui est d’autant

11 Philippe Bernoux et Yves-Frédéric Livian éclairent les sens qu’elle prend selon les disciplines (sociologie, droit, économie, sciences de la gestion, histoire) dans un article de Sociologie du travail (1999). On trouve aussi une discussion des usages de ce concept, notamment en sociologie et en économie, dans l’introduction que consacrent Philippe Bezes, Michel Lallement et Dominique Lorrain au numéro spécial de Sociologie du travail (2005) consacré aux « nouveaux formats de l’institution ». 12 Pour de premiers états de l’art de la notion d’institution en sociologie, nous renvoyons à Florian Znaniecki (« Organisation sociale et institutions », 1947) (l’auteur y présente les analyses de Spencer, Durkheim, Hauriou, Ward, Sumner, Hertzler, …), ainsi qu’à L’analyse institutionnelle de René Lourau (1970, p. 95-144).

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plus difficile (nous ne disons pas impossible) de les modifier que, à des degrés divers, elles participent de la suprématie matérielle et morale que la société a sur ses membres. Sans doute, l’individu joue un rôle dans leur genèse. Mais pour qu’il y ait fait social, il faut que plusieurs individus tout au moins aient mêlé leur action et que cette combinaison ait dégagé quelque produit nouveau. Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu’il y a pluralité des consciences), elle a nécessairement pour effet de fixer, d’instituer hors de nous de certaines façons d’agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part. Ainsi qu’on l’a fait remarquer, il y a un mot qui, pourvu toutefois qu’on en étende un peu l’acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d’être très spéciale : c’est celui d’institution. »

Emile Durkheim, Préface à la 2nde édition des

Règles de la méthode sociologique, 1901, p. XXII

C’est une définition semblable de la notion d’institution et tout aussi large que l’on retrouve dans l’article que consacrent Paul Fauconnet et Marcel Mauss à la sociologie dans la Grande Encyclopédie (1901) : « un ensemble d’actes et d’idées tout institué que les individus trouvent devant eux et qui s’impose plus ou moins à eux ». Ces définitions larges ont trouvé de nombreux échos dans la sociologie et l’anthropologie anglo-saxonnes, par exemple chez Alfred Radcliffe-Brown14 et plus récemment chez Mary Douglas (1986) ou encore chez les « néo-institutionnalistes » (cf. chapitre 2, § 1.2. encadré « Les perspectives néo-institutionnalistes anglo-saxonnes »). En France, les derniers travaux de Michel Lallement (2009) proposent aussi une modélisation s’appuyant sur cette définition large de l’institution et sur ses différents traitements dans l’œuvre de Durkheim (l’institution et ses fonctions d’intégration, de régulation, d’émancipation et de codification)15

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« Une lecture extensive des travaux de Durkheim et de son école permet de repérer quatre fonctions caractéristiques des institutions. L’intégration, la première, répond à ce souci typiquement durkheimien qu’est l’articulation entre individu et société. Les institutions « intègrent » dans la mesure où, en leur sein, les individus interagissent les uns avec les autres, se conforment à un modèle uniformisé de passions et adoptent enfin des idéaux semblables et des représentations communes. (…) La deuxième fonction des institutions est la régulation ou, si l’on préfère, la production de règles visant à assurer l’esprit de discipline. (…) La troisième fonction s’inscrit sur le registre de

14 Il définit les institutions comme « les normes établies dans une forme particulière de la vie sociale, normes de conduite établies et reconnues comme telles par un groupe ou une classe sociale distincte » (1952).

15 Dans un article plus récent (« Repenser l’institution : avec Durkheim et au-delà », 2010), Michel Lallement propose une autre terminologie de ces fonctions de l’institution : l’intégration, la régulation, l’individuation, la di-vision (construction sociale des catégories).

27 l’émancipation. (…) La morale des sociétés modernes n’est donc pas réductible à de simples enjeux d’intégration et de régulation. Elle est aussi fondée sur une acceptation « éclairée » des règles. (…) La dernière fonction que Durkheim et les durkheimiens attribuent aux institutions est la codification, et plus généralement, la construction sociale de nos catégories de l’entendement. »

Michel Lallement, 2009, « Le statut de l’institution en sociologie : quelles leçons pour la sociologie économique ? », p. 143-144 Notre modèle s’appuie sur une définition beaucoup plus délimitée de la notion d’institution : nous entendrons par institution un projet sociétal reconnu comme

central et légitime, et décliné sous la forme d’encadrements juridiques, politiques et administratifs. Cette définition ne conteste aucunement l’interrogation

durkheimienne et les interprétations contemporaines qui s’y réfèrent. Mais elle délimite des frontières beaucoup plus étroites des institutions, telles que nous les observons. Expliquons-nous sur ces frontières.

Un projet

Une institution telle que nous l’entendons, c’est d’abord un projet. Nous ne reviendrons ni sur les fondements historiques, ni sur les significations anthropologiques de cette notion : l’ouvrage de Jean-Pierre Boutinet (1990) rend compte de la démesure d’une telle entreprise, à la hauteur de la polysémie du terme. L’auteur définit néanmoins dans cet ouvrage ce qu’il nomme des « activités à projet » (projets de formation, de soin, d’aménagement spatial, de développement, de recherche) qui recouvrent précisément les projets institutionnels auxquels nous nous intéressons : enfermer, enseigner et soigner en prison, soigner à l’hôpital, équiper ou « développer durablement » le territoire.

« Ici le projet élaboré (…) est orienté vers une activité à promouvoir et à développer. A ce titre, il se centre autant sur un processus à mettre en branle que sur un résultat défini à obtenir. Tout se passe comme si les activités à projet impliquaient une dynamique à deux temps : le premier temps est consacré à l’esquisse obligatoire qui fera fonction de schéma directeur, ce que l’Italien appelle progetto. Une telle esquisse vise à anticiper le second temps, qui est la réalisation de l’activité proprement dite, « la

progettazione » des Italiens. »

Jean-Pierre Boutinet, 1990, Anthropologie du projet, p. 99 Ce qui nous intéresse dans la notion de projet, c’est ainsi autant la visée recherchée que les moyens mis en œuvre pour l’atteindre. On retrouve ici ce que François Dubet appelle un « programme institutionnel » (2002) : « Le programme institutionnel peut être défini comme le processus social qui transforme des valeurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d’un travail professionnel spécifique et organisé. Le schéma le plus simple en est le suivant : Valeurs / principes  Vocation / profession 

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Socialisation : individu et sujet » (p. 24). Nous préférons pour notre part le terme de « projet » à celui de « programme » pour éviter la connotation « mécanique » de cette dernière notion. Ni les finalités poursuivies, ni les processus sociaux engagés dans une institution ne nous paraissent toujours suffisamment rigides et fixés pour que l’on puisse faire de celle-ci un « programme », écrit à l’avance (au sens étymologique du terme), un ensemble parfaitement ordonné sur le modèle des dispositifs techniques. S’il n’y a pas de raison de penser que ce format d’institution ne puisse avoir existé ou exister encore, il nous paraît utile d’envisager des situations historiques, où les intentions et les visées ne sont pas données à l’avance mais se construisent chemin faisant, où des tensions peuvent apparaître entre le progetto et la progettazione16. C’est assurément le cas du projet de développement durable dont les intentions sont encore assez floues, même si des contours juridiques et administratifs ont d’ores et déjà été fixés, mais c’est aussi le cas des projets pénitentiaires et hospitaliers avec des intentions plus stables mais en constante redéfinition, et des tensions permanentes entre l’esquisse et la mise en œuvre.

Un projet de société, reconnu par le plus grand nombre

Une institution telle que nous l’entendons, c’est aussi un projet reconnu comme central et légitime, faisant quasi-accord au sein d’une société. Nos terrains nous ont amené à explorer des projets qui ont fait, font encore ou commencent à faire « sens social » dans la société française. Ils font ou ont fait consensus ; ils paraissent (ou sont apparus) légitimes, quasiment incontestés ; ils revêtent (ou ont revêtu) une importance centrale dans les façons de penser la pénalité, le soin ou l’aménagement du territoire. Cela ne signifie pas que les projets institutionnels ne sont jamais contestés. Si l’on veut justement comprendre la dynamique des projets institutionnels – par exemple le passage de l’équipement du territoire au développement durable –, il convient de comprendre la perte ou le gain progressif de légitimité d’un projet, auprès d’un nombre croissant d’acteurs. Mais nous ne parlerons de projet institutionnel qu’à partir du moment où le projet emporte l’accord du plus grand nombre. Ainsi définie, comme projet sociétal, la notion d’institution n’est donc pas indépendante de celle de collectif : le collectif qui porte un projet institutionnel, qui le reconnaît comme central et légitime, c’est l’ensemble ou une majorité des membres d’une société17

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La notion d’institution, en ce sens, s’approche de la conception développée par Talcott Parsons (1955) (« l’ensemble des rôles qui ont une importance particulière au niveau de la structure du système social tout entier »). Cherchant à repérer les systèmes de rôles caractéristiques de la modernité, Parsons insiste sur la légitimité « sociale » dont

16 Ainsi formulée, notre définition de l’institution nous éloigne aussi de l’appréhension foucaldienne de l’institution sur laquelle nous reviendrons dans le chapitre 2 (§ 1.1. Du côté du structuralisme).

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Autrement dit, l’expression « projet sociétal » qualifie implicitement le vaste collectif qui le porte. Ce collectif sociétal nous paraît cependant beaucoup plus large et indéfini que ceux qui caractérisent les organisations et les professions. Aussi avons-nous préféré ne pas retenir la notion de collectif pour définir une institution. Nous reviendrons sur ce choix (cf. infra § 1.4. Collectif et projet institutionnel).

29 bénéficient certains systèmes de rôles, sur le consensus qu’ils cristallisent. Sa définition apparaît plus circonscrite que celle de Durkheim, puisqu’elle réfère les institutions aux rôles qui ont une importance pour le système social tout entier et non pas à toutes les pratiques collectives ou normées. Elle insiste aussi sur sa visée « fonctionnelle ».

L’entrée fonctionnelle

La définition parsonienne de l’institution, et plus restrictivement notre définition de l’institution par l’entrée du « projet sociétal », mobilise aussi une perspective fonctionnelle (une institution porte une visée). Robert K. Merton (1953), quoique partisan d’une approche fonctionnelle, alertait sur les dangers d’une telle perspective : elle est adaptée à l’étude des « éléments standardisés (c’est-à-dire modelés sur un type et sujet à se répéter, comme les rôles sociaux, les moules institutionnels, les processus sociaux, les patterns culturels, les représentations et émotions collectives, les normes sociales, l’organisation des groupes, la structure sociale, les moyens de contrôle social » (1953, p. 97), mais elle ne doit pas tomber dans les travers du fonctionnalisme absolu (postulats de nécessité, d’unité fonctionnelle et de fonctionnalisme universel)18

qui feraient de l’institution des projets uniquement fonctionnels, nécessaires et indispensables.

On sait que la polarisation sur la dimension fonctionnelle a fait plus tard l’objet de critiques encore plus acerbes au sein de la tradition sociologique, notamment chez Georges Lapassade (1965), René Lourau (1970) ou Cornelius Castoriadis (1975). Pour ce dernier, « l’institution est un réseau symbolique, socialement sanctionné, où se combinent en proportions et en relation variables une composante fonctionnelle et une composante imaginaire » (1975, p. 197) ; la réduction de l’institution à un « système simplement fonctionnel, série intégrée d’arrangements asservis à la satisfaction des besoins de la société » (p. 204) lui paraît totalement abusive. En ce sens, il nous paraît aussi important de repérer la dimension symbolique des institutions, mais ne pas limiter leur définition à une visée fonctionnelle ne signifie pas pour autant que l’analyse de cette « fonctionnalité » n’a aucune pertinence.

C’est en cela que nous proposons de mettre au débat la notion de projet sociétal, renvoyant à ce que Talcott Parsons et Robert K. Merton appelaient une fonction sociale. On retrouve d’ailleurs ce choix dans la définition qu’Eugène Enriquez (1992) donne de l’institution : « un ensemble ayant une fonction d’orientation et de régulation sociale globale, intervenant donc au niveau du politique : des projets, des choix, et des limites que la société (ses citoyens ou ses dirigeants) se donne » (1992, p. 77). Retenir, avec d’autres, le terme de « projet » ne semble pas nous faire tomber dans les excès du fonctionnalisme, largement dénoncés dans la tradition sociologique, à partir du moment

18 Dans le chapitre 3 (L’analyse fonctionnelle en sociologie, p. 61-135) de ses Eléments de théorie et de méthode sociologique, Merton ne cite pas Parsons et critique centralement les approches de Malinowski et de Radcliffe-Brown.

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où l’on s’interroge sur les valeurs qui sont associées à ce projet (et pas seulement sur ses finalités instrumentales) et aussi sur la construction historique et sociale de ce projet.

Légitimité et légitimation

La fonction sociale ou la mission des institutions ne font souvent pas débat car elles paraissent naturelles, mais il y a derrière cette apparence de nature, tout un travail historique et social de légitimation. On perçoit ici l’intérêt d’étudier historiquement comment tel ou tel projet sociétal se construit et finit par s’instituer, devenir central et indiscuté : c’est bien l’intention énoncée par Everett Hughes (1957) dans l’analyse de ce qu’il appelle des « institutions ». Même si sa définition de l’institution peut poser débat (elle s’approche notamment de ce que d’autres appellent « organisations », nous y reviendrons, cf. chapitre 2, §1.1.), on remarque chez Hughes la volonté de repérer comment un projet s’institutionnalise, comment un ensemble d’acteurs légitime historiquement sa mission, son utilité. Cette légitimation s’opère souvent en référence au bien public et à l’intérêt général. Elle peut aussi s’opérer par une sorte de naturalisation du projet, souligne Mary Douglas dans How institutions think (1986) : pour stabiliser et légitimer les projets qu’ils défendent et ainsi les transformer en « institutions », les participants à un projet vont chercher à le naturaliser, l’expliquer en fonction d’un ordre naturel qui dépasse les intérêts privés. C’est aussi ce travail de légitimation en référence à des principes transcendant les intérêts communs que repère François Dubet (2002) quand il souligne que les programmes institutionnels entendent toujours se référer à des valeurs sacrées : « Le programme institutionnel est fondé sur des valeurs, des principes, des dogmes, des mythes, des croyances laïques ou religieuses mais qui sont toujours sacrées, toujours situées au-delà de l’évidence de la tradition ou d’un simple principe d’utilité sociale. Le programme institutionnel en appelle à des principes ou à des valeurs qui ne se présentent pas comme de simples reflets de la communauté et de ses mœurs, il est construit sur un principe universel et plus ou moins "hors du monde". » (2002, p. 27).

La place de l’Etat

Quelles que soient les sources de leur légitimité, les institutions en tant que projets pour la société et ses membres, deviennent aussi des missions (des « mandats » dirait Hughes) pour les structures et les professionnels chargés de le porter. Ceux-ci reçoivent en quelque sorte délégation de porter le projet sociétal. Cette délégation vient de la société et de ses membres, mais aussi de la figure moderne censée représenter ces derniers : l’Etat. Celui-ci a bien souvent un poids majeur dans la définition des contours des projets institutionnels : d’une part, parce qu’il est souvent en charge d’organiser la délégation du projet sociétal à des structures et des professionnels ; d’autre part, parce qu’il peut être investi du droit ou du devoir de prendre en charge directement cette mission. Les institutions, en tant que projets sociétaux centraux, sont ainsi souvent investies comme des missions étatiques. Ce point permet de souligner que l’Etat sous

31 ses différentes formes (Etat régalien, Etat nation, Etat providence, Etat producteur, Etat régulateur, …) s’est construit en même temps que les institutions et les missions qui lui ont été confiées. En d’autres termes, l’Etat et l’intervention publique n’ont pas toujours préexisté aux projets qu’ils ont participé à construire, ils se sont parfois construits avec et par eux.

Pour autant, nous ne voulons pas limiter la notion d’institution aux missions régaliennes, ou encore aux projets sociétaux dans lequel l’Etat et l’intervention publique auraient un poids prépondérant. S’il s’avère que sur nos terrains – parce qu’ils touchent tous au secteur public – cette proximité est forte, il apparaît que certaines institutions ont pu se développer, non sans l’Etat, mais en dehors des missions étatiques. Pour employer un exemple classique, l’Entreprise constitue une forme d’institution moderne, en ce qu’elle porte, dans les sociétés capitalistes tout au moins, un projet quasi-incontesté de production des biens et services marchands ; nous rejoignons ici la position de Renaud Sainsaulieu et Denis Segrestin (1986). De la même façon, limiter le champ d’étude des institutions au seul secteur public ne paraît pas pertinent (des projets sociétaux sont portés dans le secteur privé), même si les liens étroits entre Etat et institutions font du secteur public un lieu idéal d’analyse des processus