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L’entrée organisationnelle vue par la sociologie des professions professions

Conclusion du chapitre 1

4. Le triptyque institutions / organisations / professions

2.2. L’entrée organisationnelle vue par la sociologie des professions professions

Observons maintenant symétriquement la sociologie des professions et la façon dont elle a intégré ou non, faiblement ou fortement, l’entrée organisationnelle dans ses interrogations. Cette sociologie a émergé un peu plus tardivement en France que la sociologie des organisations et a initialement peu intégré l’entrée organisationnelle dans ses interrogations. Elle s’est néanmoins progressivement ouverte à une telle entrée, à la fois empiriquement (confrontée qu’elle était à des professionnels exerçant dans des organisations) et théoriquement (avec notamment les outillages de Freidson (1970), Strauss (1978) et Abbott (1988), intégrant les deux niveaux d’analyse dans leur compréhension des activités professionnelles).

Après avoir rappelé les débats professions / organisations dans la sociologie anglo-saxonne, nous présenterons les modèles de Pierre Rivard, Georges Benguigui et Dominique Monjardet, Jean-Michel Chapoulie, Pierre Tripier, Claude Dubar, et enfin celui d’Agnès van Zanten, pour saisir les tenants de cette intégration progressive du raisonnement organisationnel au sein de la sociologie des professions en France.

Les débats Professions / Organisations dans la sociologie des professions aux Etats-Unis

L’idée de croiser les entrées professionnelle et organisationnelle n’est pas nouvelle si on relit les références anglo-saxonnes, aujourd’hui jugées classiques en France, de « sociologie des professions ». On peut ainsi lire des invitations explicites à une articulation des deux niveaux dans les perspectives des ordres négociés, du professionnalisme et des écologies liées.

La perspective des ordres négociés

Anselm Strauss et ses collègues (Bucher, Schatzman, Ehrlich, Sabshin) la présentent pour la première fois dans un ouvrage coordonné par Eliot Freidson et consacré à l’hôpital (1963)65

. Appuyés sur l’étude de deux hôpitaux psychiatriques, les auteurs énoncent d’emblée leur prétention à étendre la portée de leur analyse à l’ensemble des hôpitaux et à d’autres organisations. Plutôt que d’insister sur les éléments de stabilité des organisations (critique qu’ils adressent aux recherches qu’ils qualifient d’« études menées sur les organisations formelles » et qu’ils prennent soin de ne pas nommer66), ils entendent comprendre, en s’inspirant de George H. Mead, comment s’opèrent les changements et plus précisément les articulations entre ordre et changement. Très vite dans le texte, leur projet d’analyse de l’hôpital comme organisation se trouve croisé avec une lecture des professions, car l’hôpital apparaît comme un « lieu professionnalisé – un site géographique où des personnes issues de différents horizons professionnels se trouvent rassemblées afin d’y mener à bien leurs objectifs respectifs » (1992, p. 90). Les auteurs soulignent que les groupes professionnels ainsi repérés (psychiatres,

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Un extrait est traduit en français par Yves Gaudillat et Claudine Herzlich pour la parution de La trame de la négociation (sous la direction d’Isabelle Baszanger) en 1992.

66 Les auteurs renvoient seulement, en note de bas de page, à la critique faite par Melvin Dalton (Men who manage, 1959) de la littérature sur les organisations « formelles ».

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infirmiers, psychologues, …) sont très hétérogènes, en fonction des formations initiales reçues, des spécialités, des anciennetés, des temps de présence, des positions idéologiques. Il reste que cette focale d’analyse professionnelle transversale, centrale dans leur analyse des segments (1961), est nettement délaissée dans l’analyse des ordres négociés, au profit d’une analyse plus organisationnelle, centrée sur les modes de coopération et de négociation entre professionnels d’une part, entre professionnels, autres personnels67

et patients d’autre part.

La conclusion de l’article est néanmoins catégorique quant à l’intérêt, sinon la nécessité, d’étendre cette théorie à l’ensemble, ou au moins à une grande partie des organisations : « Nous pensons qu’une telle recherche devrait impérativement être entreprise chaque fois qu’une organisation possède une ou plusieurs caractéristiques suivantes : d’abord, si l’organisation emploie du personnel formé dans plusieurs occupations ou professions différentes ; en second lieu, si chacune d’entre elles est formée d’un groupe professionnel constitué d’individus formés selon des traditions différentes (…) ; encore, si une partie au moins du personnel est constituée de professionnels, ces derniers étant alors engagés dans des carrières qui exigent qu’ils soient mobiles – c’est-à-dire qui les placent alternativement dans l’organisation et hors d’elle. (…) Si une organisation présente une ou plusieurs de ces caractéristiques, alors le concept d’« ordre négocié » devrait constituer un instrument approprié pour l’étudier » (p. 112). La conclusion du texte est donc claire. La théorie des ordres négociés concerne autant l’analyse des organisations que celle des professions. Et c’est une inspiration que reprendra Strauss dans son ouvrage de 1978 (Negotiations. Varieties, Contexts, Processes and Social Order).

La perspective du « professionnalisme »

Elle est attachée à Eliot Freidson. L’auteur l’esquisse dans plusieurs articles consacrés à l’hôpital dans les années 1960 et la formalise dans Profession of Medicine (1970)68

.

Professional powers (1986), Professionalism reborn (1994) et Professionalism, the third logic

(2001) élargissent ensuite la réflexion à d’autres professions que la profession médicale. Dans

La profession médicale, Freidson, en digne héritier qu’il se revendique de Hughes mais aussi de

Merton69, s’attaque frontalement aux visions fonctionnalistes de la médecine, et plus largement des professions établies. Le prestige, l’autonomie (le libre droit de contrôle sur le travail) et le statut juridique de ces professions, loin d’être le fruit de caractéristiques « naturelles », sont le produit de stratégies des professionnels. La professionnalisation est ainsi comprise comme une stratégie de prise de pouvoir, menée par des acteurs, souvent collectivement, en général par des associations professionnelles : il s’agit de conquérir une position de force, si possible un monopole (qui paraisse légitime) sur le marché du travail, dans la définition des besoins des clients et dans la façon de leur rendre service. Mais l’autonomie du groupe professionnel médical n’est jamais totalement acquise, elle doit être constamment renégociée avec l’Etat, les autres professions, les publics ; elle doit être aussi constamment actualisée localement, dans les

67 Notons que les auteurs réservent ici le terme « professionnel » aux professions établies au sens anglo-saxon du terme.

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un ouvrage qui sera traduit en français en 1984 (avec une introduction de Claudine Herzlich). 69

Robert K. Merton analyse les processus de professionnalisation de la profession médicale, à travers une analyse de la formation médicale (The Student Physician, 1957 ; « The Functions of a Professional Association », American Journal of Nursing, 1958). Claude Dubar rend compte de cette analyse dans La socialisation (1991, p. 157-158).

147 relations avec les pairs, avec les para-médicaux, avec les patients. C’est là que Freidson introduit l’influence de ce que nous pouvons appeler la variable organisationnelle locale (« L’organisation de l’activité professionnelle », p. 97-208).

Selon Freidson, le « milieu de travail », le « contexte » (une terminologie que Freidson préfère à celle d’organisation) influencent tout autant, parfois plus, les prestations médicales que la formation professionnelle reçue et les normes acquises : « il est raisonnable de penser que bien des aspects significatifs du comportement sont liés à la situation du médecin : à tout moment et constamment, c’est aux pressions de la situation où l’on se trouve qu’on réagit ; ce que l’on est relève davantage du présent que du passé ; et ce que l’on fait est moins le résultat d’« intériorisations » antérieures que du poids de la situation » (p. 99). Les médecins réagissent aux pressions des situations locales dans lesquelles ils se trouvent. Le cadre organisé et les patients ont ainsi une influence essentielle sur les pratiques professionnelles. Freidson distingue notamment les situations où les médecins travaillent seuls et celles où ils travaillent en groupe (comme à l’hôpital). Dans le premier cas, le médecin est, dans la conduite de son action, très autonome par rapport à ses confrères ; par contre, il est très dépendant des clients. Dans le second cas, le médecin est sous un fort contrôle du milieu professionnel (les rapports avec les pairs sont étroits, le travail est supervisé par les chefs de service, des commissions contrôlent l’activité), mais il est beaucoup moins dépendant des patients. La pression du milieu est donc toute différente, selon les lieux d’exercice. Et Freidson d’aller plus loin ensuite dans son inventaire des types d’organisation : hôpital privé, hôpital de charité, hôpital militaire, centre hospitalier universitaire, … autant de milieux différents qui impriment leurs marques spécifiques sur les conduites de travail. De façon encore plus fine, on peut observer ce qui se passe dans les services. Et c’est là que le modèle de Freidson rejoint la sociologie des organisations : s’appuyant sur des travaux classiques dans ce domaine (Harvey L. Smith, Mary Goss, …), il souligne le poids des formes locales, à la fois formelles et informelles, de division du travail, de coopération et régulation professionnelles. Le modèle de Freidson invite donc à situer les activités professionnelles – aussi bien les activités de la « communauté » que les prestations de travail individuelles – dans les différents contextes locaux d’exercice de l’activité. Il rejoint alors le projet porté par les sociologues des organisations. Cela étant dit, ce n’est qu’une convergence partielle : l’entrée privilégiée par Freidson reste celle de la communauté professionnelle ; son analyse des pratiques défend l’idée d’une pluralité des niveaux de l’action (depuis le niveau sociétal jusqu’au niveau local) ; l’analyse finale des pratiques est plus rapportée à des types de contextes de travail (des types d’organisation) qu’à des situations qui seraient contingentes et par là toujours singulières. Le degré de généralisation est donc plus important que dans la sociologie des organisations.

La perspective des écologies liées

Développée par Andrew Abbott (The System of Professions, 1988), elle initie une autre forme de croisement entre professions et organisations. Le modèle est d’abord centré sur la seule dynamique des groupes professionnels : « L’argument principal de mon livre de 1988 reposait sur l’idée d’une écologie des professions, semblables aux écologies existant dans d’autres domaines – états politiques, groupes ethniques, etc. Les professions, en concurrence les unes avec les autres, aspirent à se développer, s’emparant de telle ou telle sphère de travail qu’elles transforment ensuite en « juridiction » au moyen de savoirs professionnels et de revendications destinées à obtenir une légitimité auprès des pouvoirs publics » (Abbott, 1999, p. 29). L’exemple développé par Abbott sur le champ des « problèmes personnels » est

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particulièrement instructif pour les sociologues de l’hôpital et des professions en général : membres du clergé, neurologues, psychiatres, psychanalystes, psychologues, neuro-psychiatres luttent depuis des décennies pour obtenir le monopole juridique de ce champ ; selon les périodes, ils sont entrés en concurrence, ont obtenu une plus ou moins grande reconnaissance de leur compétence, notamment sur la question de ce qu’Abbott appelle l’inférence (la phase du travail qui relie le diagnostic au traitement). Comme le soulignent Claude Dubar et Pierre Tripier, c’est autour de l’inférence que se joue la plupart des luttes entre professions, car elle est au cœur de l’expertise : « elle seule articule le savoir formel et l’efficacité pratique, les connaissances abstraites et les procédures concrètes, les classifications légitimes et les actions professionnelles » (1998, p. 136). Le modèle d’Abbott permet donc aux sociologues du travail de combiner une approche des luttes inter-professionnelles et une plongée au cœur de l’acte et de l’expertise professionnels.

Mais comme chez Freidson, ce modèle de lecture macro-sociale de la dynamique des professions doit être articulé, selon Abbott, à différents niveaux ou systèmes sociaux, qu’il appelle des « auditoires » (l’Etat, les publics, les lieux de travail) : « loin d’être des structures unifiées, ces auditoires sont eux-mêmes des structures interactionnelles complexes, dominées par des forces écologiques, semblables aux écologies qui dominent dans le monde des professions. Il s’ensuit que les évènements survenant dans les univers professionnels sont beaucoup plus « localisés » que je ne les ai imaginés » (1999, p. 30). Il s’agit ainsi de repérer en quoi l’Etat, les publics, mais aussi les lieux de travail que nous rapprochons de la notion d’organisations (comme cadres et collectifs locaux d’exercice de l’activité), sont des écologies à part entière et participent de l’écologie des professions. Et Abbott de réintroduire des dimensions chères à la sociologie des organisations : l’étude de la structure synchronique des lieux (caractéristiques formelles des acteurs et de leurs situations dans chaque écologie), l’étude des homéomorphies et des discordances entre les lieux, l’étude des rythmes et des cycles temporels individuels (les carrières) et collectifs (le changement « organisationnel »).

Les premiers travaux de sociologie des professions en France – on entend par là ceux qui se sont revendiqués explicitement de ce découpage (on pense à Georges Benguigui, Dominique Monjardet, Isabelle Bertaux-Wiame, Pierre Tripier, Pierre Rivard70) – n’intègrent pas les analyses des ordres négociés et du professionnalisme (le modèle d’Abbott est plus récent), et ne traitent que marginalement des croisements entre organisations et professions.

70Noms des auteurs cités dans l’organigramme du Groupe de Sociologie du Travail, sous la rubrique Sociologie des professions (in Rapport d’activité 1981-1984, p. 8).

149 La comparaison Moore / Rivard

On peut d’abord étayer ce constat, en se référant à la comparaison qu’établit Claude Dubar (1991, p. 166-170) entre les travaux de Wilbert E. Moore (1969) et de Pierre Rivard (1986). D’un côté, Moore élabore une synthèse des travaux sur les identités professionnelles dans les années 1960 aux Etats-Unis ; il en ressort une typologie de quatre niveaux d’identité professionnelle. De l’autre côté, Rivard élabore trois modèles de valorisation de la force de travail, à partir de recherches sur la qualification des cadres dans les entreprises françaises. Au-delà des spécificités liées aux différences de populations concernées, Dubar note que les deux typologies sont convergentes autour de trois modèles d’identité : le modèle du façonnier, le modèle de l’officier, le modèle du physicien ; chaque modèle est caractérisé par une forme de valorisation spécifique (respectivement la capacité à produire des résultats issue de l’expérience, l’aptitude à tenir sa fonction, la compétence spécialisée acquise par la formation de base) et une forme d’identification au groupe elle aussi spécifique (respectivement l’identification à un poste, à un statut, à une discipline et aux différentes communautés ainsi délimitées). Mais Dubar note aussi une nette différence entre les deux typologies : celle de Moore fait apparaître un quatrième modèle – le modèle de l’entreprise – qui n’apparaît qu’implicitement chez Rivard. Dans ce quatrième modèle, les professionnels s’identifient prioritairement à l’entreprise qui les emploie. Plus qu’un attachement à un poste (comme dans le modèle du façonnier), ces professionnels développent un attachement aux collectifs immédiats de travail et à l’entreprise dans son ensemble. En quittant la démonstration de Dubar, nous pensons retrouver ce dernier modèle dans les travaux – dans le champ de la sociologie des organisations – sur les identités au travail de Sainsaulieu et Bernoux. Du côté de la sociologie des professions en France, cette absence n’est pas qu’anecdotique, elle témoigne de la distance entre ce courant, la sociologie des organisations et des entreprises, et plus largement l’entrée organisationnelle. Certes, les premiers sociologues des professions ne négligent pas toujours l’articulation, croisant groupe professionnel et lieux d’exercice, dans leurs travaux empiriques, mais celle-ci n’est pas pensée théoriquement. On pense par exemple aux travaux de Benguigui et Monjardet sur les cadres (1971) et sur les couches moyennes (1982).

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Les travaux de Georges Benguigui et Dominique Monjardet

Dans leur article de la Revue Française de Sociologie (1982), qu’ils consacrent aux « agents des appareils », définis comme ceux qui occupent des fonctions intermédiaires de conception, de gestion et d’encadrement dans les entreprises et administrations, Georges Benguigui et Dominique Monjardet évoquent la possibilité d’une approche en termes d’organisation71

:

« L’entreprise, on le sait depuis Weber, est une organisation, soit un agencement particulier de moyens au service d’une fin économique : une structure formelle, des règles de fonctionnement, des normes et des procédures, etc. La sociologie des organisations s’occupe de décrire ces structures et ces règles, d’en rechercher les lois générales de fonctionnement et les inflexions particulières au regard de telles finalités spécifiques, de mettre en évidence l’interaction entre le formel prescrit et l’informel observé, etc. »

Georges Benguigui et Dominique Monjardet, 1982, « L’utopie gestionnaire. Les couches moyennes entre l’Etat et les rapports de classe », p. 610 Mais une fois cette précision faite, les deux auteurs abandonnent très vite l’échelle organisationnelle dans leur analyse. Ils passent à une lecture macro-sociale, transversale, à l’échelle de ce qu’ils appellent les « appareils », équivalents aux groupes professionnels : « en isolant ce niveau de l’entreprise, on met l’accent sur la spécificité et l’homogénéité d’un ensemble de fonctions professionnelles et donc d’emplois (…) qui engendrent à leur tour une spécificité et une homogénéité des agents qui les occupent, quelles que soient par ailleurs leurs multiples et profondes différenciations et la diversité de leurs trajectoires personnelles » (p. 611). Leur analyse porte ensuite sur les rapports entre l’Etat et ces appareils / groupes professionnels, avec une insistance sur le poids de l’Etat, d’une part parce qu’il élabore le réseau des réglementations publiques qui enserre le fonctionnement des groupes professionnels, d’autre part parce qu’il produit et sanctionne les qualifications des agents. Ce poids de l’Etat doit être complété de l’analyse des rapports de classe : « Analytiquement, c’est l’entrecroisement de l’ordre des rapports de classe et de l’ordre du rapport Etat-société civile qui doit être étudié » (p. 616).

C’est donc une perspective macro-sociale qu’entendent développer ces premiers sociologues des professions, en comprenant comment les professions se constituent en lien avec l’Etat. C’est aussi une perspective déterministe, tant dans la très faible prise en compte analytique des pratiques professionnelles individuelles (les auteurs parlent de

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Ils évoquent aussi la notion d’institution, en se référant à Selznick. On peut donc voir ici les prémices d’un modèle articulant professions, organisations et institutions, que développera ensuite Monjardet dans ses travaux sur l’activité policière (cf. dans ce même chapitre § 4.1.). Cela étant dit, la piste « institutionnelle » n’est ici qu’évoquée et n’est pas explorée.

151 places des agents plutôt que de pratiques et d’actions) que dans la façon dont est pensée la structuration du groupe professionnel avec une influence forte de l’Etat (pour ne pas dire détermination). Par rapport aux sociologies anglo-saxonnes des professions ayant investi les mêmes débats, la sociologie de Monjardet et Benguigui évoque la sociologie marxienne de Terry Johnson (1972).

Notre schématisation du modèle de Benguigui et Monjardet

Commentaire :

On repère dans ce schéma les prémices du modèle évoqué plus loin dans ce chapitre (4.1.) à propos de l’analyse de l’activité policière chez Monjardet : la notion d’« institution » vient remplacer dans Ce que fait la police (1996) les notions de « rapports Etat / société civile » et de « rapports de classe » présentées ici. Entre les deux modèles, la vision déterministe reste prégnante, ainsi que l’idée d’une instrumentalisation des organisations et des professions par l’appareil d’Etat. On souligne aussi dans ce schéma que Benguigui et Monjardet n’analysent pas véritablement les articulations entre groupes professionnels et cadres organisationnels, qu’ils jugent sinon déconnectés, du moins plus faiblement interconnectés que séparément connectés avec le niveau macro-social.

On retrouve une faible connexion entre l’analyse méso-sociale des groupes professionnels et l’analyse micro-locale des cadres organisationnels dans les autres sociologies fondatrices des professions en France. Cela apparaît clairement dans les premières présentations « théoriques » de sociologie des professions, qui tentent de repérer l’usage sociologique qui peut être fait de la notion de profession, dans une société française où le droit ne distingue pas aussi précisément que dans les pays anglo-saxons des natures différentes de groupes professionnels. Nous pensons ici aux articles de Georges Benguigui (1972), Marc Maurice (1972), Jean-Michel Chapoulie (1973).

Organisations comme agencement de moyens au service d’une fin économique Professions

comme ensemble de fonctions professionnelles et d’emplois

places des agents Etat / société civile Rapports de classe déconnexion

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L’approche de Jean-Michel Chapoulie

Avec son article dans la Revue Française de Sociologie (1973), Jean-Michel Chapoulie a nettement influencé la sociologie française des professions, en procédant à un examen critique des analyses fonctionnalistes et interactionnistes anglo-saxonnes, en réfléchissant aux singularités de structuration des groupes professionnels en France, et en élaborant un guide pour leur analyse sociologique. De fait, cet article jette les bases de ce que seront de nombreux travaux empiriques sur les professions en France, au premier rang desquels on peut placer les travaux de Chapoulie lui-même sur les enseignants (1987). Les pratiques et les représentations des professionnels sont étudiées