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Une notion fondamentale

Un anneau A est dit cohérent si toute équation linéaire

LX = 0 avec L ∈ A1×n et X ∈ An×1

admet pour solutions les éléments d’un sous-A-module de type fini de An×1.

Autrement dit :

( ∀n ∈ N, ∀L ∈ A1×n

, ∃m ∈ N, ∃G ∈ An×m, ∀X ∈ An×1,

LX = 0 ⇐⇒ ∃Y ∈ Am×1, X = GY . (1)

Cela signifie que l’on maîtrise un peu l’ensemble des solutions du système linéaire homogène LX = 0.

Il est clair qu’un produit fini d’anneaux est cohérent si, et seulement si, chaque facteur est cohérent.

Plus généralement si V = (v1, . . . , vn) ∈ Mn, où M est un A-module, on

appelle module des relations entre les vi le sous-A-module de An noyau de

l’application linéaire ˘

V : An→ M, (x1, . . . , xn) 7→

X

ixivi.

On dira aussi de manière plus précise qu’il s’agit du module des relations

pour (le vecteur) V , ou encore du module des syzygies pour (le vecteur) V .

Un élément (x1, . . . , xn) de ce noyau est appelé une relation de dépendance

linéaire, ou encore une syzygie entre les vi.

Par abus de langage on parle indifféremment de la relation P

ixivi = 0

ou de la relation (x1, . . . , xn) ∈ An. Le A-module M est dit cohérent si

pour tout V ∈ Mn, le module des syzygies est de type fini, autrement dit si

l’on a :

( ∀n ∈ N, ∀V ∈ Mn×1

, ∃m ∈ N, ∃G ∈ Am×n, ∀X ∈ A1×n,

XV = 0 ⇐⇒ ∃Y ∈ A1×m, X = Y G . (2)

Un anneau A est donc cohérent si, et seulement si, il est cohérent en tant que A-module.

Notez que nous avons utilisé dans la formule (2) une notation transposée par rapport à la formule (1). C’est pour ne pas avoir la sommeP

ixivi

écrite sous formeP

ivixi avec vi ∈ M et xi ∈ A. Dans la suite, nous ne

ferons généralement plus cette transposition, car il nous semble préférable de garder la forme usuelle AX = V pour un système linéaire, même si les matrices A et V sont à coefficients dans M .

3.1. Proposition. Soit M un A-module cohérent.

Tout système linéaire sans second membre BX = 0 (B ∈ Mk×n, X ∈ An×1)

admet pour solutions les éléments d’un sous-A-module de type fini de An×1.

J

Faisons la démonstration par exemple pour k = 2 (la démonstration générale fonctionne par récurrence de la même manière). Le principe est le suivant : on résout la première équation et l’on porte la solution générale dans la seconde. Voyons ceci plus précisément. La matrice B est constituée des lignes L et L0. On a une matrice G telle que

LX = 0 ⇐⇒ ∃Y ∈ Am×1, X = GY.

Il reste à résoudre L0GY = 0 qui équivaut à l’existence d’un vecteur

colonne Z tel que Y = G0Z pour une matrice G0 convenable. Donc BX = 0 si, et seulement si, X peut s’écrire sous forme GG0Z. 

La proposition précédente est particulièrement importante pour les systèmes linéaires sur A (c’est-à-dire lorsque M = A).

Commentaire. La notion d’anneau cohérent est donc fondamentale du point

de vue algorithmique en algèbre commutative. Dans les traités usuels, cette notion est rarement mise en avant parce que l’on préfère la notion d’anneau

noethérien4. En mathématiques classiques tout anneau noethérien A est cohérent parce que tous les sous-modules de An sont de type fini, et tout

module de type fini est cohérent pour la même raison. En outre, on a le théorème de Hilbert qui dit que si A est noethérien, toute A-algèbre de type

fini est également un anneau noethérien, tandis que la même affirmation

est en défaut si l’on remplacehhnoethérienii parhhcohérentii.

D’un point de vue algorithmique cependant, il semble impossible de trouver une formulation constructive satisfaisante de la noethérianité qui implique la cohérence (voir l’exercice 8). Et la cohérence est souvent la propriété la plus importante du point de vue algorithmique. Comme conséquence, la cohé- rence ne peut pas être sous-entendue (comme c’est le cas en mathématiques classiques) lorsque l’on parle d’un anneau ou d’un module noethérien. Le théorème classique disant que sur un anneau noethérien tout A-module de type fini est noethérien est souvent avantageusement remplacé par le théorème constructif suivant5.

4. Nous donnons après ce commentaire une définition constructive de cette notion. 5. Pour la version non-noethérienne voir le théorème IV -4.3, et pour la version noethé- rienne, voir [MRR, corollaire 3.2.8 p. 83].

3. Anneaux et modules cohérents 29

Sur un anneau cohérent (resp. noethérien cohérent) tout A-module de présentation finie est cohérent (resp. noethérien cohérent).

En fait, comme le montre cet exemple, la noethérianité est souvent une hypothèse inutilement forte.

La définition suivante d’un module noethérien est équivalente à la définition usuelle en mathématiques classiques, mais elle est beaucoup mieux adaptée à l’algèbre constructive (seul l’anneau trivial satisfait constructivement la définition usuelle).

3.2. Définition. (Noethérianité à la Richman-Seidenberg, [157, 168])

Un A-module est dit noethérien s’il vérifie la condition de chaîne ascendante suivante : toute suite croissante de sous-modules de type fini possède deux termes consécutifs égaux. Un anneau A est dit noethérien s’il est noethérien en tant que A-module.

Voici un corollaire de la proposition 3.1.

3.3. Corollaire. (Transporteurs et cohérence)

Soit A un anneau cohérent. Alors, le transporteur d’un idéal de type fini dans un autre est un idéal de type fini. Plus généralement, si N et P sont deux sous-modules de type fini d’un A-module cohérent, alors (P : N ) est un idéal de type fini.

3.4. Théorème. Un A-module M est cohérent si, et seulement si, sont

vérifiées les deux conditions suivantes.

1. L’intersection de deux sous-modules de type fini arbitraires est un module de type fini.

2. L’annulateur d’un élément arbitraire est un idéal de type fini.

J

La première condition est nécessaire. Soient g1, . . ., gndes générateurs du

premier sous-module et gn+1, . . ., gmdes générateurs du second. Se donner

un élément de l’intersection revient à se donner une relationPm

i=1αigi = 0

entre les gi : à une telle relation α = (α1, . . . , αm) ∈ Am, correspond

l’élément ϕ(α) = α1g1+ · · · + αngn = −(αn+1gn+1+ · · · + αmgm) dans

l’intersection. Donc si S est un système générateur pour les relations entre les gi, ϕ(S) engendre l’intersection des deux sous-modules.

La deuxième condition est nécessaire par définition.

Les deux conditions mises ensemble sont suffisantes. Nous donnons l’idée

essentielle de la démonstration et laissons les détails à la lectrice. Nous considérons le module des relations pour un L ∈ Mn. On raisonne par récurrence sur n. Pour n = 1 la deuxième condition s’applique et donne un système générateur pour les relations liant l’unique élément de L.

Supposons que le module des relations pour tout L ∈ Mnsoit de type fini et

considérons un L0∈ Mn+1. Soit un entier k ∈

J1..nK, on écrit L

0= L 1• L2

où L1 = (a1, . . . , ak) et L2 = (ak+1, . . . , an+1). Posons M1 = ha1, . . . , aki

et M2= hak+1, . . . , an+1i. Se donner une relation P n+1

i=1 αiai = 0 revient

à se donner un élément de l’intersection M1∩ M2 (comme ci-dessus). On

obtiendra donc un système générateur pour les relations entre les ai en

prenant la réunion des trois systèmes de relations suivants : celui des relations entre les éléments de L1, celui des relations entre les éléments de L2, et

celui qui provient du système générateur de l’intersection M1∩ M2. 

En particulier, un anneau est cohérent si, et seulement si, d’une part l’in-

tersection de deux idéaux de type fini est toujours un idéal de type fini, et d’autre part l’annulateur d’un élément est toujours un idéal de type fini.

Exemples. Si K est un corps discret, toute algèbre de présentation finie sur K est un anneau cohérent (théorème VII -1.10). Il est clair aussi que tout anneau de Bézout intègre (cf. page 219) est un anneau cohérent.