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Une méthodologie adaptée au contexte de notre recherche

Dans le document Les managers dans les marchés financiers (Page 159-166)

OPPORTUNISTES ET INDIVIDUALISTES

7. EPISTEMOLOGIE , METHODOLOGIE ET MODELE DE RECHERCHE

7.3. Une méthodologie adaptée au contexte de notre recherche

Nous avons mobilisé dans le cadre de cette recherche des méthodologies aptes à saisir à la fois les dimensions subjectives et les dimensions objectivées (au moins provisoirement) du management dans les marchés financiers dans une intention tantôt exploratoire, tantôt confirmatoire.

Afin de déterminer des méthodes adaptées aux questions soulevées par le chercheur (Thiétart, 2003), il est traditionnel de distinguer en sciences de gestion deux grands types de recherche, qualitative et quantitative.

Comme le soulignent de nombreux auteurs (notamment : Brabet, 1989 ; Baumard et Ibert, 1999) ce clivage semble quelque peu dépassé.

Par exemple, l’évolution des traitements statistiques « quantitatifs » permet le traitement de données « qualitatives » d’entretiens non-directifs.

Brabet et Seignour soulignent ainsi : « Il ne nous paraît pas possible de distinguer un paradigme positiviste unifié auquel viendraient s’arrimer logiquement des méthodologies et un second paradigme, en opposition avec le premier, qui s’incarnerait dans des méthodes d’accès au terrain bien différente64. ».

Le choix de dispositifs méthodologiques dépend avant tout de la problématique (Royer et Zarlowski, 2003) et du projet (Brabet, 2003) de recherche.

Celui-ci va délimiter les méthodologies utilisées et impulser un effort de théorisation avec la mise en avant « des conceptions, des représentations, plus ou moins explicites, plus ou moins formalisées du fonctionnement des individus, des groupes et des organisations, de leurs productions idéelles et matérielles, du champ qu’ils structurent et qui les influence65 ».

En termes de recueil comme de traitement, nous avons donc conjugué les méthodes. Dans cette approche, nous préférons utiliser le terme d’ « informations » à celui de « données »66. En effet, les informations recueillies ne sont pas des données en tant que telles, «

64 P.6

65 Brabet, 2003, p.888 66 Brabet, 2003, p. 890

160 neutres », directement utilisables mais nécessitent un travail d’explicitation dans leur utilisation et leurs effets.

Le recueil des informations s’est déroulé en trois temps :

- nous nous sommes appuyés durant la phase exploratoire sur des entretiens non-

directifs et des questionnaires auprès d’une population issue d’une même organisation,

- puis nous avons réalisé des entretiens non-directifs auprès d’une population plus

diversifiée,

- enfin, nous avons utilisé les informations fournies par ces entretiens pour construire

un questionnaire que nous avons soumis par email à nos répondants.

Les informations recueillies par l’entretien, se présentant « sous la forme de mots plutôt que de chiffres » (Miles et Huberman, 1991) et utilisant les « seules ressources de la langue » (Paillé et Mucchielli, 2003), ont la particularité d’être riches dans la compréhension des phénomènes ou comportements. En se concentrant sur les expériences et représentations des acteurs, elles permettent une compréhension du sens des faits sociaux plutôt que la validation d’hypothèses. L’entretien peut se définir comme « un procédé d’investigation scientifique, utilisant un processus de communication verbale, pour recueillir des informations en relation avec le but fixé. » (Grawitz, 2001). L’entretien constitue un outil dans la recherche scientifique et se justifie comme tel dans deux cas.

Dans un premier temps, l’utilisation des entretiens se justifie traditionnellement par le fait qu’il s’agit d’une problématique mal connue, qu’« il n’y a pas suffisamment de connaissances sur le sujet pour pouvoir utiliser des méthodes plus « dures » comme le questionnaire par exemple » (Demers, 2003). L’entretien a donc un but exploratoire.

Ensuite, l’entretien peut être utilisé comme moyen privilégié de recueil de données pour tenter d’appréhender les représentations : « Le chercheur part du principe qu’il n’y a pas une réalité objective mais, plusieurs réalités construites socialement et c’est l’ensemble de

161 ces réalités qu’il cherche à découvrir67 ». L’activité de recherche est ici associée à un contexte de découverte et non de recherche de la preuve (Goyette et Boutin, 1997).

Dans cette optique, nous cherchons donc à comprendre et interpréter la réalité au niveau « individuel, groupal, organisationnel, sociétal » (Brabet, 2003) en essayant de construire « un cadre de lecture » des défis des managers dans les marchés financiers.

Il est classique de distinguer trois types d’entretiens : l’entretien directif qui se rapproche du questionnaire à questions ouvertes, le semi-directif et l’entretien libre ou non directif. Les deux derniers se distinguent moins au niveau des techniques que de l’agencement des thèmes qu’ils proposent selon Ghiglione et Matalon (1998). Selon ces auteurs en effet, ces entretiens renvoient à la recherche d’informations d’ordre cognitif à savoir : « Comment le sujet organise-t-il le champ qui lui est proposé ? Quelles sont les limites qu’il donne à celui-ci ? Quelles relations y perçoit-il ? Et plus généralement, quelles sont les représentations et les normes en fonction desquelles il agit ? ».

L’entretien non-directif suppose l’absence de mobilisation par le chercheur de cadres de références pour structurer des questions et permet ainsi à l’interviewé de développer sa propre pensée.

L’entretien non-directif nous a semblé le plus approprié dans le cadre que nous nous étions fixé : la volonté de recueillir les représentations des acteurs sans structurer ces informations a priori dans une optique de découverte et non de validation d’observations.

Lors des entretiens, nous n’avons pas enregistré le discours car la population interrogée est très soucieuse de confidentialité (à la limite parfois de la paranoïa).

Nous avons pris des notes, à la fois sur les propos de nos interlocuteurs et sur leurs attitudes non verbales : regards, expressions du visage (mimiques, grimaces, sourires...), mouvements de la tête ou du corps... Relever ces comportements non verbaux liés aux questions que nous abordons nous semble indispensable pour obtenir des renseignements sur l’écoute car ils permettent de recueillir des informations sur la façon dont est vécu le dialogue (trac, appréhension, apathie...). Ils renseignent surtout sur la façon dont sont appréhendées certaines questions (étonnement, inquiétude, agacement...).

162 A l’issue de ces entretiens, nous avons élaboré un questionnaire structuré autour des préoccupations des managers exprimées « à chaud ».

Ces deux méthodes, entretien et questionnaire, vont servir d’appui à une triangulation des données. Dans un souci de fiabilité de la recherche, la triangulation, en superposant et combinant les diverses sources et techniques de recueil de données, permet de compenser le biais inhérent à chacune d’entre elles notamment le faible pouvoir de généralisation des résultats obtenus ou le risque de subjectivité induit par la dépendance de l’objet vis-à-vis du chercheur qui détermine seul le choix et l’interprétation des données68.

L’analyse des informations prend la forme d’une analyse thématique et (de manière plus restreinte) d’une analyse de discours des retranscriptions de nos entretiens et des réponses au questionnaire.

Notre analyse des « données » commence dès les entretiens exploratoires (ce que Miles et Huberman, 1991 qualifient de « early steps in analysis ») et nous avons par la suite vérifié et précisé notre codage avec les réponses aux questionnaires.

Pour chacune de ces étapes, nous assurons un même mode de traitement des données fondé sur une analyse thématique définie par D’Unrung comme « un mode d’analyse centré sur les notions ou thèmes évoqués à propos d’un objet d’étude. Il s’agit d’obtenir des informations sur cet objet, quel qu’il soit : comment il est vécu par des personnes ou des groupes, les opinions et croyances avancées, les systèmes explicatifs fournis...69».

Cette analyse nous permet, à partir des verbatim, de comparer de manière systématique les informations recueillies auprès de chaque répondant et entre répondants Cette analyse systématique et comparative est indispensable pour « dépasser la variabilité des discours individuels » en permettant d’accéder à des « significations communes qui sont le fondement même de toute représentation sociale70»

68 Coutelle, 2005 ; Stake, 2005, p.435128 69 1974 p.23

163 On distingue généralement deux types de procédures d’analyse thématique : « close » et « ouverte71». Les premières font intervenir des catégories définies préalablement à l’analyse issues de la formulation préalable d’hypothèses, et les secondes qui n’en font pas intervenir «ayant par là même un caractère purement exploratoire».

Notre processus de codage n’est pas exclusivement clos dans la mesure où nous intégrons par la suite les thèmes « émergents » qui ressortent de l’analyse des verbatim. A ce sujet, Molinier et al., 2002 notent que dans les procédures ouvertes, aucune hypothèse ne guide l’analyse et le chercheur « se centre sur la mise en évidence des différents aspects du discours et doit faire une analyse beaucoup plus systématique de façon à dégager la diversité de ce discours72».

Cependant, pour ces auteurs, cette distinction procédure close / procédure ouverte est à relativiser dans la mesure où même dans une procédure ouverte existe une hypothèse : l’existence d’une représentation sociale dans la population étudiée.

Il ne s’agit pas pour ces auteurs d’arrêter une décision définitive entre deux types de procédures mais de « l’adaptation à des contraintes imposées par le contexte global de la recherche » et principalement ses objectifs.

Les thèmes principaux se sont dégagés à l’issue des entretiens. Nous avons par la suite codé des sous-thèmes qui apparaissent dans les entretiens et que nous qualifions d’« émergents ». Dans les premiers entretiens, ces sous-thèmes sont assez proches des expressions employées par les répondants73 et notre analyse comparative des différents verbatim permettra de les affiner par la suite en leur donnant une unité de sens.

Pour cela, nous construisons une fiche de retranscription à partir d’extraits de l’entretien. Cette mise en forme plus intelligible est nécessaire à la démarche comparative entre les différents entretiens74 et permet de regrouper tous les discours selon les sous-thèmes qui se rapportent au thème considéré.

Nous procédons ainsi à une codification inductive75 qui comprend plusieurs étapes : - Retranscription des entretiens avec isolement d’une marge à gauche ;

- Soulignement des termes clé du verbatim ;

71 Ghiglione et Matalon, p.173 72 P.88

73 Demers, op.cit., p. 198 74 Ghiglione et Matalon, op.cit) 75 Chesler, 1987151

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- Reprise dans la marge des phrases clé en étant descriptif et littéral, par exemple en

recourant à la paraphrase. Cette codification préalable a pour objet d’établir des « codes descriptifs76», qui n’ont pas pour objectif d’établir une interprétation mais simplement d’attribuer « une classe de phénomènes à un segment de texte » ;

- Réduction des phrases et création de regroupements ;

- Réduction des groupes et attribution d’intitulés de thèmes. Nous mettons en avant

ici les codes explicatifs émergents (Miles et Huberman parlent de «codes explicatifs ou inférentiels»). Cette étape vise à « attacher des étiquettes signifiantes à un fragment de données » et à indiquer que tel segment de texte « illustre un leitmotiv émergent que l’analyste a décelé en déchiffrant la signification des événements ou relations sociales décrites [par l’interviewé] ». Ces « étiquettes » (mot ou groupe de mots) ont pour objectif de résumer le thème sélectionné. Durant cette étape, nous sommes amenés à envisager certains éléments descriptifs (isolés précédemment) de façon plus interprétative ;

- Généralisation de la série de thèmes à l’ensemble des verbatim. Les codes

thématiques dégagés sont testés sur l’ensemble des retranscriptions afin de s’assurer de leur pertinence ;

- Génération d’un cadre explicatif à partir de théories.

Nous présenterons plus précisément notre travail de codification ainsi que le logiciel que nous avons utilisé dans la partie 2 de ce travail de recherche.

Nous souhaitons ici emprunter la conclusion de Bruno Latour dans son article intitulé ‘The promises of constructivism’ :

“To finish with a quiz (in the spirit of Ian Hacking's scoring system), I propose the following test:

When you hear that something you cherish is a "construction," your first reaction is (check the right circle): - to take a gun - to seize a hammer - to erect a scaffold Answer: 76 Miles et Huberman, p. 113

165 If you checked the first, then you are a fundamentalist ready to annihilate those who appeal to the destruction of what remains strong only if it is un-constructed by human hands;

if you checked the second, then you are a deconstructionist who sees construction as a proof of weakness in a building that should be pressed to ruins in order to give way to a better and firmer structure untouched by human hands;

if you checked the third, then you are a constructivist, or, better, a compositionist engaged at once in the task of maintaining and nurturing those fragile habitations;

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