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La théorie des parties prenantes

Dans le document Les managers dans les marchés financiers (Page 58-63)

2. L A SOCIOLOGIE DES PROFESSIONS ET LA SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION POUR APPREHENDER LES PARTIES PRENANTES

2.4. La théorie des parties prenantes

Il nous paraît nécessaire de définir en premier lieu le concept de stakeholder et de situer la théorie des parties prenantes par rapport aux autres théories des organisations.

La littérature anglo-saxonne distingue souvent entre les shareholders (actionnaires) et les autres stakeholders. Freeman (1984) les définit ainsi « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs de l'entreprise ».

Selon Mercier (1999), les stakeholders sont l'ensemble des agents pour lesquels le développement et la bonne santé de l'entreprise constituent des enjeux importants.

Selon Donaldson et Preston (1995), les stakeholders sont définis par leur intérêt légitime dans l'organisation. Ceci implique selon eux que les parties prenantes sont des groupes et des personnes ayant des intérêts légitimes. Ils sont connus et identifiés ; les intérêts de tous les groupes de parties prenantes ont une valeur intrinsèque.

D’autres chercheurs ont essayé de proposer différentes classifications des PP.

Carroll (1995) fait la distinction entre : les PP primaires qui ont une relation formelle, officielle ou contractuelle avec l’organisation et les autres PP secondaires.

Pelle-Culpin (1998) propose, en se basant sur les trois dimensions de la responsabilité sociale, la classification suivante : 

- PP institutionnelles : émanant des lois, réglementations, et organismes inter- organisationnels ou par des organismes professionnels propres à une industrie ; - PP économiques : les différents types d’acteurs opérant sur les marchés sur lequel

l’entreprise est positionnée ;

- PP éthiques : les organismes de pressions éthiques.

En se basant sur la théorie de différentiation sociale développée par Archer (1996), Friedman et Miles (2002) font la distinction entre quatre groupes de stakeholders. Ils considèrent que les relations entre organisation et stakeholders peuvent être, d’une part, compatibles ou non compatibles avec les intérêts de l’entreprise et, d’autre part, nécessaires (internes) ou contingentes (externes).

59 Ainsi, ils font la distinction entre :

- Relations nécessaires et compatibles : actionnaires, direction, partenaires ; 

- Relations nécessaires mais incompatibles : syndicats, salariés, gouvernement, clients, fournisseurs, prêteurs, organisations ; 

- Relations contingentes et compatibles : public en général, organisations connectées dans des associations communes ; 

- Relations contingentes mais incompatibles : ONG.

Pesqueux (2002) propose une classification proche de celle de Carroll mais plus claire sur les parties prenantes : 

- PP contractuelles, qui concernent les acteurs en relation directe et déterminée contractuellement, comme son nom l’indique avec l’entreprise tels que les clients, les fournisseurs, le personnel et les actionnaires. 

- PP diffuses, qui concernent les acteurs situés autour de l’entreprise qui peuvent affecter ou être affectés par l’entreprise sans pour autant se trouver en lien contractuel tels que les autorités publiques, les collectivités locales, les associations et ONG et l’opinion publique.

La théorie des parties prenantes est fondée sur les postulats suivants : l’organisation a des relations avec plusieurs groupes qui affectent et sont affectés par les objectifs de l’entreprise (Freeman 1984) ; les intérêts des PP ont une valeur intrinsèque et aucun intérêt n’est sensé dominer les autres (Clarkson 1995, Donaldson et Preston 1995).

Ainsi, elle s’intéresse essentiellement à la nature des relations organisation-stakeholders en termes de processus et de résultats et à la prise de décision managériale (Donaldson et Preston 1995).

La théorie des parties prenantes se distingue des autres théories des organisations car elle se caractérise par son rejet de prédominance d’un seul groupe de parties prenantes et son caractère normatif (les intérêts des parties prenantes ont une valeur intrinsèque).

Elle est souvent utilisée en association avec d’autres théories.

Par exemple, Hill et Jones (1992) ont généralisé la théorie de l’agence en insistant sur les relations entre les PP et les managers. Ces derniers y sont vus comme des agents et les PP

60 se distinguent les unes des autres par leur importance et leur pouvoir vis-à-vis des managers dans une perspective contractualiste forcée. La relation d’agence ainsi réinterprétée conduirait, en accord avec les mécanismes de marché et les ingrédients de son raisonnement, à un équilibrage des intérêts.

Freeman et Evan (1990) ont, pour leur part, intégré la théorie des parties prenantes à la théorie des coûts de transaction de Coase (1937) et de Williamson (1985) sur la base du constat que les managers gèreraient des «contrats » avec les employés, les propriétaires, les fournisseurs, les clients, les communautés etc. dans la perspective de construire des «fair contracts » vus comme la condition morale nécessaire à l’engagement des parties.

En 1995, Donaldson et Preston ont tenté de rattacher la théorie des parties prenantes à celle des droits de propriété pour justifier la perspective d’une représentation des intérêts des parties prenantes autres que les actionnaires dans les catégories du droit de propriété.

Donaldson et Preston (1995) distinguent trois types de théories de parties prenantes: théorie normative, théorie instrumentale et théorie descriptive empirique. Cette typologie permet d’expliquer certains traits que les autres formulations de la théorie des parties prenantes laissent implicites.

On suppose alors que les entreprises et les managers doivent agir selon certaines mesures (perspective normative) ; certains résultats sont plus probables si les organisations et les managers agissent de certaines manières (perspective instrumentale) ; les organisations et les managers agissent actuellement avec certaines manières (perspective descriptive).

Jones et Wicks (1999) ont proposé une nouvelle forme de la théorie des parties prenantes qui unit les deux approches divergentes. Il s’agit de la théorie convergente des parties prenantes qui adopte à la fois des fondements normatifs et scientifiques.

Elle se fonde sur les postulats suivants : l’organisation opère publiquement dans un marché économique compétitif ; les décisions sont prises par les managers professionnels ; les comportements sont contingents. C’est une théorie qui s’occupe des relations entre managers et les différents stakeholders se basant sur des fondements moraux.

61 “Toward a Theory of Stakeholder Identification and Salience: Defining the Principle of Who and What Really Counts” est un article publié en 1997 par Ronald K. Mitchell, Bradley R. Agle, Donna J. Wood38.

Les auteurs posent notamment la question suivante : « To whom (or what) do managers pay attention? ».

Ils introduisent la notion de “salience”, que l’on peut traduire par saillance, qui est liée à l’émergence d’une figure sur un fond, que cette émergence soit motivée par des aspects physiques liés à la perception de la parole ou du texte écrit, ou par des aspects plus sémantiques voire cognitifs liés à la compréhension du langage. C’est pourquoi on peut distinguer la saillance physique de la saillance cognitive, de manière à mieux rendre compte de phénomènes qui peuvent jouer dans le même sens ou dans des sens opposés.

Les auteurs font appel à une théorie descriptive de la saillance des parties prenantes pour expliquer pourquoi les managers considèrent certaines entités comme parties prenantes. Dans une approche dynamique, ils soutiennent que selon les objectifs à atteindre, les managers prêtent attention à différents parties prenantes.

Ils font ensuite référence au modèle « stakeholder-agency » développé par Hill et Jones, pour lesquels les managers ont la responsabilité de concilier les intérêts divergents en prenant des décisions stratégiques et en allouant des ressources stratégiques de la manière la plus cohérente possible pour satisfaire les demandes des autres parties prenantes : « Whatever the magnitude of their stake, each stakeholder is a part of the nexus of implicit and explicit contracts that constitutes the firm. However, as a group, managers are unique in this respect because of their position at the centre of the nexus of contracts. Managers are the only group of stakeholders who enter into a contractual relationship with all other stakeholders. Managers are also the only group of stakeholders with direct control over the decision-making apparatus of the firm39”.

Le principal apport de cette théorie, et l’intérêt qu’elle représente pour notre recherche, se situe dans sa dimension dynamique et sur l’accent qu’elle met sur la nécessité pour les

38 Academy of Management Review, Vol. 22, No. 4 (Oct., 1997) 39 Hill & Jones, 1992: 134

62 managers de faire face à des demandes légitimes et protéger des intérêts légitimes sous des contraintes de temps et de pouvoir :

“Managers must know about entities in their environment that hold power and have the intent to impose their will upon the firm. Power and urgency must be attended to if managers are to serve the legal and moral interests of legitimate stakeholders”.

Il sera intéressant d’étudier l’importance accordée aux intérêts légaux et moraux des parties prenantes dans les marchés financiers, dans des contraintes de pouvoir et d’urgence très fortes, et dans une recherche omniprésente de la performance.

Les théories sociologiques présentées dans ce chapitre nous apportent un réel éclairage sur les représentations des acteurs de la finance de marchés et sur le jeu d’acteurs dans les salles de marchés.

Si l’on reprend la définition de Tap (développée page 30), « l’identité est constituée par l’ensemble des représentations et des sentiments qu’une personne développe à propos d’elle-même », les représentations et sentiments des acteurs de la finance de marchés s’articulent autour de l’identité salariale.

Ces acteurs fonctionnent dans une logique marchande au sein de laquelle les managers gèrent des «contrats » avec les employés, les propriétaires, les fournisseurs, les clients, les communautés etc, dans la perspective de construire des «fair contracts » vus comme la condition morale nécessaire à l’engagement des parties (théorie de coûts de transaction développée page 60).

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3.L

ES MARCHES FINANCIERS

:

UNE CULTURE DE LA

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