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Le management d’experts talentueu

Dans le document Les managers dans les marchés financiers (Page 114-121)

OPPORTUNISTES ET INDIVIDUALISTES

4. Management peu encadrant, peu encourageant : La personne encadrée a atteint le niveau d'autonomie où la délégation complète de l'activité est

5.3. Le management d’experts talentueu

Qu’est-ce qu’un expert ?

Du point de vue historique, l’expert est le détenteur d’un savoir spécifique issu de l’expérience, des épreuves et écueils qu’il a endurés.

Du point de vue étymologique, l’expert, de l’adjectif latin « expertus » et du verbe « experior », est celui qui a fait ses preuves, qui a éprouvé ses forces dans un domaine. Il s’agit donc de la personne ayant acquis des compétences spécifiques par le biais de son expérience et de ses erreurs.

Sous le prisme de la sociologie, l’expertise ne se réduit pas à un type unique et précis mais fait montre d’adaptabilité aux évolutions sociétales44; il est communément désigné pour

faire part de ses connaissances à une autre personne ou même plus généralement à une entité comme l’entreprise. « C’est un savoir d’expérience qui constitue l’expert en tant qu’expert45 »

Le management d’experts requiert-il des techniques de management spécifiques ?

Sans aucun doute. Le manager doit non seulement avoir une réelle légitimité en matière d’expertise technique (produit, métier), mais également des compétences lui permettant de comprendre la population des experts ainsi que des compétences managériales pour les diriger.

Les « leaders techniques » doivent réussir à stimuler l'innovation, à renforcer le travail d'équipe et à maintenir l'engagement des professionnels.

• Les Experts ont en effet des besoins spécifiques : ils investissent beaucoup de temps et d'énergie dans leur travail ; ce sont en outre des travailleurs intellectuels souvent très diplômés qui apportent des valeurs et des attentes spécifiques à leur

44 J-Y TREPOS, La sociologie de l’expertise, PUF, 1996

45 P>Y. VERKINDT, Nouvelles technologies de l’information et de la communication et nouvelles pratiques d’expertise, Dr.

115 environnement de travail. Les experts sont axés sur les réalisations, et leur motivation prend sa source dans le travail lui-même. Un haut degré d'autonomie quant aux conditions, au rythme et au contenu de leur travail est important pour eux. Ce besoin d'autonomie se traduit souvent par un besoin plus grand de participer à la construction de la stratégie, à la fixation des objectifs et à la prise de décisions.

• L'autogestion est impérative pour eux. La plupart des professionnels techniques préfèrent un style de management qui leur donne une autonomie maximale.

• Les experts sont poussés par un besoin d'atteindre des objectifs requérant un haut niveau de compétence et d'efforts. Ils désirent accomplir quelque chose de grande importance. Leur sentiment de réussite est accentué lorsqu'ils comprennent le lien entre leur travail et leur contribution à un projet ambitieux. Tout travail que le professionnel technique perçoit comme stimulant, motivant, et apportant une contribution à un objectif supérieur, génère un engagement, tout comme l'occasion de mettre sa compétence et ses connaissances à l'épreuve. Le sens et le challenge sont des critères d'action importants chez les experts.

• La peur de la déqualification peut entraîner chez les experts des problèmes relationnels, une démotivation et une baisse du rendement. La sous-utilisation de ses compétences entraîne souvent I'apathie, l'épuisement et(ou) la désaffection. On parle d'épuisement lorsque le professionnel ne croit plus tirer avantage de son travail, lorsqu'il souffre d'un épuisement émotionnel et qu'il se sent piégé ou impuissant devant le changement.

• Les experts ont tendance à s'identifier d'abord à leur profession, puis à leur employeur. Ils sont d'abord professionnels puis employés - ce qui caractérise de nombreux scientifiques, ingénieurs et autres employés techniques spécialisés. En conséquence, la poursuite des objectifs professionnels peut parfois entrer en conflit avec I'atteinte des objectifs du service et de l'entreprise.

• Les experts plus que la plupart des autres collaborateurs, sont réfractaires à l'engagement envers les objectifs de l'entreprise. Comme la reconnaissance d'une intervention est vitale pour ces individus, la participation au processus de fixation des objectifs est pour eux un moteur de motivation et un vecteur de satisfaction professionnelle. Pour établir et maintenir leur motivation, il est essentiel d'aligner leurs objectifs sur ceux de l'entreprise. Toutefois, lorsqu'ils se sont engagés, les

116 professionnels techniques se fixent eux-mêmes des normes de rendement élevées et peuvent devenir anxieux à l'idée de les respecter. Ils peuvent également développer un tel attachement aux objectifs et aux procédures que tout changement devient contrariant et démotivant.

• La concurrence peut être vive entre ces personnes brillantes et ambitieuses, à l'ego particulièrement développé. D'autre part, le soutien de leurs pairs est important aux yeux de ces professionnels. Ils apprécient l'interaction avec d'autres personnes ayant une expérience et des connaissances différentes des leurs, à condition qu'ils les reconnaissent comme experts. Les professionnels techniques favorisent également une relation collective avec leurs leaders. Une discussion ouverte sur la stratégie et les objectifs, une approche coopérative sont hautement motivantes pour cette population.

Étant donné ces fortes caractéristiques, il est clair que les managers d'experts requièrent des connaissances, des stratégies et des pratiques spécifiques.

Pourtant, les managers sont souvent des professionnels techniques promus en fonction de leur compétence technique. C'est pourquoi de nombreux managers mettent l'accent sur la gestion des aspects techniques avec lesquels ils sont familiers plutôt que sur la direction des personnes.

Cependant, le monde technologique, qui évolue rapidement et qui est hautement concurrentiel, a besoin de managers expérimentés qui sont attentifs autant aux besoins personnels des experts qu'à l'atteinte des objectifs stratégiques de l'entreprise.

Les managers techniques les plus efficaces sont plutôt des guides qui écoutent, posent des questions, apportent leur contribution, s'intègrent et offrent leur soutien.

La fonction de guide est très différente de celle du superviseur. Le guide ne donne pas toujours la " bonne " réponse à une question; en fait, il ne connaît peut-être pas cette "bonne réponse." Il agit plutôt comme cobaye pour les idées de l'expert, critique positif de ces idées, au besoin, source de faits et d'idées faisant appel à une plus grande expérience ou avocat du diable pour vérifier la force des plans de l'expert avant qu'ils soient mis en oeuvre. Le guide est déterminé à aider l'expert à réussir.

117 Dans la finance de marchés, les managers sont confrontés à l’ensemble de ces sujets ; la principale caractéristique est qu’ils se considèrent plus comme des Lieutenants ou Généraux de l’Armée que comme des guides, leur arme étant le fameux « bonus », qui permet d’attirer et de fidéliser les troupes. Quid de l’épanouissement des collaborateurs, de l’écoute ??? C’est très variable d’un manager à l’autre.

Dans notre enquête, concernant les spécificités du management dans la finance de marchés, bon nombre de managers nous ont répondu : « Les membres des équipes à manager ont un niveau intellectuel, technique et universitaire très élevé. Ils sont le plus souvent très individualistes » ; « la légitimité du management n'est pas toujours facile. Est-ce le trader qui rapporte le plus qui doit être le chef du desk? Est ce que le head of trading doit être hors trading? » ; « la difficulté de gérer des experts qu'il faut guider/encourager et contrôler sans les brider ».

Dans un article intitulé « Manager les talents au service de la haute performance », Pierre Mirallès « introduit la notion de "management des talents" pour caractériser certaines pratiques (comme le scouting, le coaching ou le casting) qui font appel aux ressources incorporées de certaines personnes-clés de l'entreprise pour lui permettre d'acquérir un avantage compétitif. Il explique pourquoi le management des talents ne peut se concevoir que dans sa relation à la gestion des talents, terme qui caractérise les pratiques de gestion de soi des individus de talent ».

Pierre Mirallès s’appuie sur la théorie de Richard A. D’Aveni relative à l’hypercompétition entre firmes : « l’hypercompétition, c’est avant tout un contexte au sein duquel aucun acteur ne peut prétendre à bénéficier d'un avantage concurrentiel unique et durable (comme par exemple le coût de production ou les barrières à l'entrée), mais dans lequel les différents compétiteurs recherchent des combinaisons éphémères d’avantages concurrentiels variés tels que le délai de mise en marché, la qualité, la capacité financière, la technologie, l’innovation, etc. »

Il fait l’hypothèse que « la performance de nombreuses organisations dans cet univers incertain repose avant tout sur l’excellence individuelle d’un petit nombre de personnes-clés, que nous désignerons par le nom de « talents ». Ces individus ne se

118 sont pas nécessairement des dirigeants ou des leaders. Simplement, ils disposent d’atouts personnels exceptionnels et contrôlent des processus déterminants pour l’organisation ».

Pour l’auteur, le management des talents naît de la rencontre entre des situations exigeantes et des personnalités exceptionnelles. Il est présent dans les industries et les métiers qu’il nomme talent intensive ou talent sensitive. Leur caractéristique est d’être « marqués par l’innovation permanente, soit en raison de l’effervescence technologique (communication numérique, bio-technologies, etc.) ou encore celles dont les produits découlent directement de la valorisation de la recherche (industrie pharmaceutique, par exemple), c’est à dire d’un processus imprévisible par nature. Les métiers caractérisés par le « temps réel », c'est à dire dont la performance dépend de la vitesse et la justesse de réaction d'individus placés en position à la fois décisionnelle et opérationnelle sur un "terrain" sensible, sont aussi amenés à faire appel aux talents : que l'on songe aux pilotes de chasse ou aux équipes d'interventions spéciales de l’armée, aux sportifs qui jouent leur carrière en quelques secondes aux Jeux Olympiques, etc. Une autre catégorie importante d’organisations concernées par le talent regroupe celles qui exercent ce que l’on pourrait appeler les « métiers de l’unique » (mode, design, spectacle vivant, médias…), c’est à dire ceux dans lesquels le produit revêt par essence le caractère d’un prototype, et qui sont donc « condamnées » à l’excellence, à la création, à la remise en question permanente ».

Le talent est ici défini par l’équation : talent = excellence + différence.

Reste alors la question de savoir si l’organisation est apte à exploiter le talent.

L’auteur propose une articulation entre gestion et management des talents synthétisée dans le tableau ci-dessous.

119 Actes de gestion Management des talents Gestion des talents

Reconnaître

• Rechercher / Evaluer • Capter

• Détecter / Sélectionner (scouting)

• Engager (faire signer)

• Eclore à sa vocation • Accéder au métier Protéger, éviter la dépréciation • Stocker / protéger • Préparer / conditionner • Retenir / Cocooner • Coacher • Rechercher les meilleures conditions • S’entraîner Exploiter

• Allouer à des activités (ou à des productions) • Combiner à d’autres ressources

• Recycler les résidus

• Exposer (montrer, faire jouer…)

• Rassembler les talents (casting)

• Transférer

• Rechercher les bons challenges

• Entretenir et valoriser sa réputation

• Se reclasser

L’auteur aborde ensuite la question des pratiques managériales spécifiques au management des talents : il évoque le fait que le rapport de force entre l’entreprise et le salarié varie en fonction de la rareté des talents, ce qui peut conduire à une surenchère salariale et des comportements opportunistes des salariés ("guerre des talents").

Comment manager des individus en quête permanente de challenges et d’étalonnages ?

Selon l’auteur, «placer le talent en "état de performance" s’obtient en grande partie en renforçant son sentiment d’efficacité personnelle, qui apparaît ainsi comme le principal inducteur de la performance individuelle en situation de haute compétition. Il est donc essentiel pour l'organisation de créer les conditions de ce renforcement, en particulier par ce qu’on pourrait appeler les « technologies du soi » : coaching, cocooning, et autres pratiques de préparation de l'individu à la haute performance ».

En conclusion, l’auteur rappelle « que la performance individuelle du talent conditionne la performance collective de l'organisation. A cet égard, considérer les

120 dirigeants comme des talents serait certainement riche de perspectives pour la gouvernance des entreprises ».

Les marchés financiers se situent totalement dans le contexte de guerre des talents (encore un terme emprunté à l’armée !) décrit par l’auteur. Les sollicitations des chasseurs de têtes sont nombreuses auprès des individus talentueux. Quels sont les éléments qui peuvent fidéliser les talents ? Toute considération financière mise à part, un opérateur de marché peut « se sentir bien » au sein d’une organisation ; je connais bon nombre de personnes qui ont fait toute leur carrière dans la même banque.

Pourquoi ?

Parce qu’on a su leur témoigner de la reconnaissance, leur offrir des promotions aux moments où ils commençaient à « tourner en rond », accepter des baisses de régime, en bref, leur signaler un attachement. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas dans un environnement très humain que les personnes ne sont pas sensibles à certains gestes.

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