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Une approche compréhensive, pragmatique et sociologiquement ancrée

Dans le document Les managers dans les marchés financiers (Page 151-155)

OPPORTUNISTES ET INDIVIDUALISTES

7. EPISTEMOLOGIE , METHODOLOGIE ET MODELE DE RECHERCHE

7.1. Une approche compréhensive, pragmatique et sociologiquement ancrée

Cette recherche doit beaucoup aux circonstances. Notre parcours professionnel dans la finance de marchés et la mission qui nous a récemment été confiée au sein d’une société financière ont fait évoluer les questions que nous nous posions il y a encore cinq ans lors de notre Master Recherche.

A l’époque, nous avions souhaité comprendre « Les déterminants de l’orientation professionnelle des opérateurs de marchés » ; à l’issue de ce premier travail de recherche, des interrogations sont nées quant au développement personnel des individus et quant aux relations humaines complexes dans ce marché du travail fermé. En 2008, au moment de la faillite de Lehman Brothers et de la crise des subprimes, notre mission était de développer les compétences managériales au sein d’une société financière.

Notre processus de recherche s’inscrit dès lors dans le cadre de la recherche-action, entendue au sens large. « Il n’y a pas de résultats du processus mais seulement un moment unique dans un processus ».

L’intervention du chercheur au sein du système social étudié pose un certain nombre de questions concernant le caractère scientifique des analyses produites. La critique de non-scientificité de la démarche peut être argumentée au nom des quatre considérations suivantes :

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- le processus de recueil, de sélection et d’interprétation des données présente

une forte dimension subjective dans la mesure où il s’agit bien, en dernière analyse, de livrer notre propre interprétation du cas,

- notre intervention peut constituer un biais dans le processus de recueil des

données,

- le caractère non reproductible des phénomènes observés et des données

recueillies jette le doute sur la validité des résultats et des énoncés produits,

- il est également possible de s’interroger sur la capacité d’un seul chercheur à

maîtriser un terrain aussi vaste.

Conscient de l’ensemble de ces critiques probables, nous nous proposons d’y répondre en mobilisant deux niveaux différents d’argumentation.

D’une part, cette recherche-action est interactive dans la mesure où, si la construction de notre objet de recherche s’est façonnée au cours de notre interaction continue avec notre terrain, le contact étroit maintenu avec notre directeur de thèse, la confrontation constante entre des lectures académiques et les données brutes du terrain et les rencontres avec des opérateurs de marchés extérieurs ont été des processus cruciaux. D’autre part, notre recherche est ancrée dans une épistémologie de la «compréhension pour l’action» (Lorino, 2006). Cette approche est compréhensive, pragmatique et sociologiquement ancrée. Elle se démarque nettement d’une vision positiviste de la recherche où l’objet étudié serait indépendant du regard du sujet, où le chercheur serait capable d’adopter la posture d’un observateur neutre, et de recueillir des données d’une manière impartiale et impersonnelle. Elle ne prétend pas tant à l’exactitude, au sens des sciences physiques, des connaissances produites mais bien plus à la profondeur de la compréhension du sens de la situation de gestion analysée.

Dans le cadre d’une recherche-action, l’interaction entre le chercheur et son terrain est à l’origine de la production de connaissances scientifiques. David51 rappelle que

cette approche, préconisée initialement par Lewin (1951), constitue une rupture épistémologique forte par rapport à l’observation classique. L’action du chercheur et ses conséquences ne sont plus considérées comme un biais qu’il conviendrait de limiter en raison des menaces potentielles que sa présence sur le terrain ferait peser sur le caractère scientifique des résultats de la recherche. Selon cette perspective,

153 l’action du chercheur sur la réalité sociale est une condition pour accéder à la compréhension des dynamiques organisationnelles qu’il étudie.

Charue (1991) et Lenfle (2001) soulignent que le point de divergence majeur entre les conceptions de la recherche-action selon Lewin et la recherche interactive au sens de Girin se situe certainement au niveau de la détermination des objectifs de la recherche. Pour le premier, il est essentiel de faire prévaloir les exigences de la recherche sur celles de l’action alors que, dans la deuxième approche, l’objet de la recherche évolue dans le temps52.

Dans notre cas, il s’agit d’une recherche interactive puisque l’objet de notre recherche a constamment évolué: “The Heisenberg property is at the heart of the argument in this essay, and the central argument goes like this: The world is always in a process of change and observations are part of this change. As researchers we should certainly be interested in the dynamics of change, even if we ourselves are part of these dynamics. Further, the researcher cannot undertake active research in a system, and at the same time, avoid being part of that system. We become part of the changes that we are there to study, and there is usually no way of steering clear of this situation. One might even argue that there is no reason why we should even try to do so. For the practitioner as for the researcher, thought and action are intrinsically intertwined (cf.Schön, 1983), so the question of distance or closeness to the studied system cannot have any kind of simple solution, particularly if we are most interested in the dynamics of the system”.

Girin souligne que fixer la compréhension d’un système et de sa dynamique comme l’objectif d’une recherche interactive témoigne combien les apports de ce type de recherche peuvent aller au-delà de la formulation d’énoncés réfutables. En effet, accéder à la compréhension d’un système et à sa dynamique, ce n’est pas adopter une posture contemplative, mais au contraire construire de nouvelles connaissances pour l’action, pour entrevoir de nouvelles possibilités.

La nécessité de négocier à différentes reprises les modalités de la présence du chercheur constitue, selon Girin, une des raisons principales pour justifier l’adoption

154 d’une approche pragmatique quant à la définition des objectifs initiaux de la recherche. « L’ambition d’une recherche interactive est de comprendre le système étudié et de laisser cette compréhension évoluer dans l’interaction entre le chercheur et les acteurs du système ».

La prise de recul par rapport au matériau collecté sur le terrain (données brutes et recension des sens) se manifeste par une remise en perspective pour en faire une construction conceptuelle. Confrontée à une multitude de points de vue différents, il est indispensable de se lancer dans un processus de distanciation lors de l’exploitation du matériau empirique.

Les travaux de Strati (2004) portant sur l’esthétique dans les organisations sont là pour rappeler que cette « évidence », qui ne repose que sur le constat que la vie organisationnelle est d’abord sociale, ne va pas de soi dans les travaux de recherche portant sur les organisations : « En fait, la plupart des recherches et analyses publiées dans le domaine des théories de l’organisation et des études sur le management décrivent le phénomène assez bizarre qui suit : dès que quelqu’un franchit le seuil virtuel ou physique d’une organisation, il est débarrassé de sa corporéité, de telle sorte que seul son esprit demeure. Une fois ce seuil franchi, il est dépouillé à la fois de ses vêtements et de son corps et devient une pure pensée que l’organisation équipe d’instruments de travail et donc habille à nouveau. Quand la personne en question quitte l’organisation, son esprit se dépouille de ses instruments de travail, reprend sa corporéité et ce qui l’accompagne, à savoir les facultés perceptives et le jugement esthétique qui permettent une compréhension esthétique de la réalité, mais seulement dans la société qui existe à l’extérieur des murs physiques ou virtuels de l’organisation53».

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