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Une jurisprudence matériellement décevante

TITRE I : LE DÉPASSEMENT DU TEXTE :

CHAPITRE 1 : LE REFUS DU FORMALISME

B. Une jurisprudence matériellement décevante

160. Si le droit politique se montre critique à l’égard de la doctrine qui a consacré le

monopole du juge à énoncer le droit de la Constitution, c’est non seulement parce que la réalité politique semble la démentir, mais également parce que la jurisprudence semble incapable de restituer toute la complexité de l’objet constitutionnel. La critique acerbe formulée par Jean-Marie Denquin est à ce titre éloquente : « la problématique a fait place au dogme, la théologie s’est dégradée en catéchisme. La réflexion passe pour n’être plus utile, car les problèmes sont supposés résolus : le Conseil constitutionnel n’est-il pas la

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G. Carcassonne, M. Guillaume, « Article 62 », in La Constitution, Paris : Éd. Points, coll. Série

Essais, 13e éd., 2016, p. 313 ; nous soulignons. Guillaume Drago justifie pour sa part que la jurisprudence constitutionnelle soit seule considérée au titre du droit : « […] l’interprétation de la Constitution énoncée par le Conseil constitutionnel demeure l’élément majeur auquel on doit faire référence, au-delà de la pratique constitutionnelle des autres acteurs constitutionnels, Exécutif et Parlement, qui peuvent donner une interprétation de telle ou telle disposition constitutionnelle, mais qui ne peut avoir qu’une valeur pratique et non juridique ». G. Drago, « La qualité de l’argumentation constitutionnelle », RFDC n° 102, 2015, p. 344.

538

D. Baranger, « Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle. Motivations et raisons politiques dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Jus politicum n° 7, mai 2012 ; nous soulignons.

539

Jean-Marie Denquin estime ainsi qu’« il est particulièrement mal venu d’attendre la lumière des décisions du Conseil. Qu’une partie de la doctrine succombe à cette tentation entraîne un appauvrissement singulier du droit constitutionnel », J.-M. Denquin, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel : grandeur ou décadence du droit constitutionnel ? », Jus politicum n° 7, mai 2012.

139 fin, à tous les sens du mot, de l’histoire ? Il ne reste donc qu’à faire l’exégèse de ses menus propos. Entreprise plutôt déceptive, malheureusement, car le mélange inimitable de bricolage et d’imperatoria brevitas qui caractérise la jurisprudence de celui-ci peut difficilement passer pour une doctrine et ne possède même pas assez de substance pour permettre à ses déférents interprètes d’en induire une pensée. Qu’importe, d’ailleurs, s’il s’agit non d’élaborer et de discuter rationnellement des solutions juridiques, mais de croire ? »540. Le droit politique refuse quant à lui de faire de la jurisprudence l’épicentre de la réflexion qu’il conduit sur le droit constitutionnel ; elle ne délivre en effet que des argumentations lacunaires (1), ce qui entrave notamment sa capacité à théoriser la Constitution comme elle le mériterait (2).

1. La faiblesse argumentative de la jurisprudence

161. La « brièveté »541 des décisions du Conseil constitutionnel est depuis longtemps admise par la doctrine, et assumée par l’institution elle-même542

. La brièveté de la motivation n’est d’ailleurs pas propre à la jurisprudence constitutionnelle, mais est souvent regardée comme la marque d’une tradition française543

. Du point de vue du droit politique, ce constat revêt toutefois une portée spécifique au niveau constitutionnel, ne serait-ce que parce que le Conseil constitutionnel semble abuser de cette liberté que lui confère une motivation traditionnellement laconique ; à l’occasion, il s’affranchirait ainsi des exigences de justification liées à sa fonction544. Même au-delà de cette hypothèse

540

J.-M. Denquin, « Préface », in G. Burdeau, Ecrits de Droit constitutionnel et de Science politique, Paris : Éd. Panthéon-Assas, coll. Les Introuvables, 2011, p. 19.

541

Sur cette question, voir la thèse de référence en la matière : F. Malhière, La brièveté des décisions de

justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation) : contribution à l’étude des représentations de la justice, Paris : Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2013, 665 p.

542

Alors secrétaire général du Conseil constitutionnel, Marc Guillaume affirme par exemple que « l’essentiel reste pour le Conseil constitutionnel que les motivations de ses décisions conservent leur rigueur de raisonnement inhérente à leur rédaction brève tout en fournissant l’ensemble des éléments utiles à leur compréhension », M. Guillaume, « La motivation des décisions du Conseil constitutionnel », AIJC n° 28, 2012, p. 51. En tant que membre du Conseil, Nicole Belloubet expose pour sa part les nécessités de la brièveté, tout en justifiant par ailleurs qu’elle soit tempérée : N. Belloubet, « La motivation des décisions du Conseil constitutionnel : modifier et réformer », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel nos 55-56, 2017, p. 5-21.

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Fanny Malhière affirme en ce sens que « la brièveté qui caractérise la rédaction des décisions de justice en France relèverait ainsi de l’exception culturelle française », F. Malhière, La brièveté des

décisions de justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation) : contribution à l’étude des représentations de la justice, Paris : Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2013, p. 4.

544

À propos de la décision du Conseil constitutionnel rendue le 9 août 2012, Olivier Beaud estime par exemple que « […] si une telle décision devait être contrôlée par n’importe quelle autre juridiction, celle-ci lui reprocherait un défaut manifeste de motivation », O. Beaud, « Le Conseil constitutionnel et le traitement

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somme toute ponctuelle, les décisions du juge constitutionnel français présenteraient une concision structurelle problématique, qui limiterait sérieusement ses prétentions à devenir l’interprète omnipotent de la Constitution.

162. Le problème fondamental que suscite la brièveté des décisions du Conseil

constitutionnel repose dans l’entreprise de dissimulation qu’elle traduit : le juge n’expliquerait pas le raisonnement qu’il a effectivement suivi, mais celui – tronqué et trompeur – qu’il choisit de mettre en exergue pour justifier sa décision. En ce sens, « la motivation brève joue le rôle de masque, de déguisement derrière lequel le juge se dissimule pour rendre la décision de la juridiction à laquelle il appartient »545. Le laconisme du Conseil n’est pas fortuit ; il peut au contraire être perçu comme une stratégie mise en œuvre afin tout à la fois de renforcer sa légitimité et d’étendre son pouvoir d’appréciation. Ainsi, « la rédaction elliptique ainsi que la froideur du style réduisent le jugement à sa plus simple expression, celle de la norme appliquée aux faits par le juge. Ce dernier n’apparaît que comme le serviteur anonyme de la norme découlant de l’ordre juridique qui le transcende et l’oblige »546. En d’autres termes, ici ceux de Denis Baranger, « […] cette pratique institutionnelle de la motivation faible s’apparente à une forme très accusée de formalisme et de recours presque systématique au mode déductif »547. Le Conseil constitutionnel, en cherchant à se présenter comme un simple organe d’application de la Constitution, poursuivrait donc sa propre légitimité et sa propre acceptabilité548 par les autres pouvoirs constitués549.

du président de la République : une hérésie constitutionnelle (à propos de la décision du 9 août 2012) », Jus

politicum n° 9, juillet 2013. Avec Patrick Wachsmann, l’auteur évoque une seconde illustration : « pour en

donner un exemple plus récent, et toujours dans le domaine du contrôle a priori, on prendra la décision du Conseil constitutionnel du 7 octobre 2010 relative à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dite « loi anti-burqa ». Sur un problème complexe qui mettait en cause non seulement la liberté religieuse, mais aussi la liberté personnelle et celle d’aller et de venir, la décision frappe par la pauvreté, quantitative et qualitative, de sa motivation […]. Une telle décision est très loin de répondre aux attentes légitimes des citoyens et des juristes », O. Beaud, P. Wachsmann, « Ouverture », Jus politicum n° 7, mai 2012.

545

F. Malhière, La brièveté des décisions de justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de

cassation) : contribution à l’étude des représentations de la justice, Paris : Dalloz, coll. Nouvelle

bibliothèque de thèses, 2013, p. 151.

546

Ibid.

547

D. Baranger, « Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle. Motivations et raisons politiques dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Jus politicum n° 7, mai 2012.

548

L’expression est employée par Nicole Belloubet, « La motivation des décisions du Conseil constitutionnel : modifier et réformer », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel nos 55-56, 2017, p. 15.

549

Paradoxalement pourtant, on peut considérer que le développement d’une jurisprudence plus prolifique conduirait précisément au même point ; ainsi Fanny Malhière écrit-elle que, « alors que la persistance de la rédaction lapidaire au sommet de la justice française entretient sans succès la fiction selon laquelle le juge applique le texte sans l’interpréter, la motivation développée par les cours participe à la reconnaissance du juridictionnel comme pouvoir légitime », F. Malhière, La brièveté des décisions de

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163. Cet argument est toutefois nécessairement relativisé par la conviction désormais

classique en doctrine, du pouvoir d’appréciation inestimable du juge constitutionnel ; aucun commentateur n’est plus la dupe du décorum ostensiblement affiché par le Conseil. Mais le recours au masque de l’interprétation comme acte de connaissance n’en reste pas moins problématique selon les auteurs juspolitistes, notamment parce qu’il brouille l’analyse doctrinale de la jurisprudence et de sa légitimité. La faiblesse de la motivation du juge constitutionnel repose en effet en premier lieu sur la complicité active de ses commentateurs, qu’ils soient « autorisés »550 ou organiquement indépendants du Conseil constitutionnel. Le laconisme du juge s’appuie en ce sens sur la volubilité de la doctrine551, qui revendique en retour une participation active à la construction du droit de la Constitution552. Il en résulte une relation d’étroite interdépendance entre Conseil constitutionnel et commentateurs, par laquelle ils assoient mutuellement leur légitimité respective, le premier en rendant nécessaire le commentaire doctrinal, les seconds en apportant à la jurisprudence la justification qui manque à ses décisions.

164. Ce mouvement circulaire concrétise le risque dénoncé par le droit politique, celui de

la disparition de toute distance critique de la doctrine à l’égard de la jurisprudence. Les juristes se conforteraient dans une posture où il n’est plus utile de distinguer entre ce que fait le juge et ce qu’il dit qu’il fait553, et appauvriraient d’autant le discours qu’ils sont pourtant censés produire sur le droit constitutionnel554. En outre, dans l’hypothèse du

justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation) : contribution à l’étude des représentations de la justice, Paris : Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2013, p. 535.

550

À propos de la problématique des commentaires autorisés des décisions du Conseil constitutionnel livrés par son Secrétariat général, Denis Baranger écrit que « […] cette pratique n’aide pas à clarifier le lieu précis où s'accomplit cette fonction », D. Baranger, « Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle. Motivations et raisons politiques dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Jus

politicum n° 7, mai 2012.

551

« Au demeurant, les juges constitutionnels peuvent se permettre d’être laconiques dans leurs décisions puisqu’ils peuvent s’appuyer sur un ensemble cohérent de principes doctrinaux élaborés au fil du temps dans la littérature juridique », D. Baranger, « Un chantier qui ne prend jamais fin. Le juge, les révisions, et les autres formes de changement constitutionnel dans la France contemporaine », Jus politicum n° 18, juillet 2017.

552

Dominique Rousseau écrit par exemple que « [l]a légitimité d’interprète [du Conseil constitutionnel] dépend en effet, au-delà de son fondement constitutionnel, de la reconnaissance de sa jurisprudence par la communauté des juristes », D. Rousseau, « Une résurrection : la notion de Constitution », RDP n° 1, 1990, p. 17.

553

Le silence de la jurisprudence représente au contraire une brèche que le juriste est appelé à combler ; en effet, même si le juge apprécie un certain nombre d’éléments au moment de décider, « […] il n’est pas sûr que la rédaction de la motivation en port[e] la trace. C’est pourquoi, la différence entre « avoir des raisons » et « donner des raisons » peut conduire à s’interroger sur la possible existence d’arguments déterminants, juridiques ou extra-juridiques, non exprimés dans la décision », S. Salles, Le

conséquentialisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris : LGDJ, coll. Bibliothèque

constitutionnelle et de science politique, 2016, p. 4.

554

C’est au nom de cette distance critique que le droit politique dénonce la tendance à l’arrêtisme qu’il décèle dans la doctrine ; voir par exemple : A. Le Divellec, « La QPC, déclin de la pensée

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droit politique, l’abandon d’une posture critique conduit la doctrine à reprendre à son compte, sans les déconstruire, les fictions produites par le juge. Ainsi en va-t-il, selon Denis Baranger, du bloc de constitutionnalité, présenté comme un ensemble cohérent de normes fondées sur le texte constitutionnel. Certes, « la plupart des procédés analysés [au titre du bloc de constitutionnalité] pourraient être considérés comme relevant d’une indispensable et incompressible marge de discrétionnalité qui fait partie intégrante de l’activité juridictionnelle et doit être reconnue à tout juge constitutionnel. La difficulté réside toutefois dans le fait que ces techniques juridictionnelles – assez classiques – ne sont pas conformes à ce que le juge et la doctrine justificative qui commente son activité ont à dire sur les normes de référence du contrôle de constitutionnalité »555. Le problème que soulève in fine la motivation lapidaire du juge constitutionnel naît donc moins de ce que le juge fait effectivement – notamment lorsqu’il pose des normes qu’il rattache inégalement à l’énoncé constitutionnel – mais de ce que son activité n’est jamais décrite en tant que telle, dissimulée qu’elle est derrière le simulacre complice du juge et de la doctrine. Cet aspect de la critique juspolitiste reste toutefois subsidiaire, face à l’inefficacité constatée de la jurisprudence à proposer une véritable théorie de la Constitution.

2. La faiblesse conceptuelle de la jurisprudence

165. Ontologiquement, le droit politique propose essentiellement de retenir une

définition théorique de la Constitution, c’est-à-dire une définition bâtie à partir d’unités de pensée qui sont les concepts, définition qui seule permettrait de restituer la complexité d’un objet irrémédiablement enchâssé entre droit et politique556

. Dans cette perspective, le juge est susceptible de jouer un rôle fondamental au sens strict, puisqu’il est capable de

constitutionnelle ? », in D. Rousseau, P. Pasquino (dir.), La question prioritaire de constitutionnalité : une

mutation réelle de la démocratie constitutionnelle française ?, Paris : Mare & Martin, 2018, p. 93-111.

555

D. Baranger, « Comprendre le bloc de constitutionnalité », Jus politicum n° 21, juillet 2018. L’auteur ajoute que « rien de tout cela ne paraît en parfaite adéquation avec l’idée d’un « bloc de constitutionnalité » ni avec le formalisme et le textualisme très marqués qui sont des traits distinctifs de la doctrine publiciste française ».

556

C’est ce que démontre par exemple Olivier Beaud lorsqu’il recommande aux constitutionnalistes de se saisir du concept de pouvoir constituant, concept « […] qui traduit la tension entre le droit et le fait, entre le droit et la politique », O. Beaud, La puissance de l’État, Paris : PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 217. Voir également sur ce point infra, Partie II, Titre II, Chapitre 2, section 2, §1, B, 2.

143 forger lui-même conceptuellement des principes structurants du droit constitutionnel557. Le Conseil constitutionnel ne semble toutefois pas à la hauteur de la tâche558, ce qui pose immédiatement la question de l’opportunité pour la doctrine de se laisser happer par l’étude de sa jurisprudence.

166. L’étude de la jurisprudence à laquelle se livrent les auteurs du droit politique révèle

en effet la difficulté à structurer la pensée juridictionnelle telle qu’elle est livrée aux commentaires, la même difficulté concernant, par ricochet, le discours doctrinal qui s’en saisit exclusivement. Pour les juspolitistes, cette absence de dimension théorique de la jurisprudence se manifeste d’abord dans la faible considération que le juge accorde à la portée politique – au sens large – de ses décisions. Olivier Beaud estime par exemple que, « faute d’étudier la structure institutionnelle de l’Union européenne dans aucune de ses importantes décisions, le Conseil constitutionnel donne une description très amputée du droit positif, négligeant d’étudier l’autre versant du problème qui est le droit « politique » européen »559. Cette réticence du juge à consacrer la dimension politique des questions qui lui sont soumises s’accompagne d’une timidité conceptuelle marquée. « […] Le plus frappant – écrit Bruno Daugeron – est que ce n’est pas seulement le droit politique qui est absent de la jurisprudence du Conseil, c’est aussi le droit des concepts constitutionnels, ceux qui sont pourtant censés structurer la matière. Et quand ils sont « traités » en tant que tels, la solution est souvent discutable […] »560. Ainsi en va-t-il, selon ces auteurs, de la souveraineté561, de la représentation562 ou du concept de Constitution lui-même563.

557

Ainsi selon Jean-Jacques Sueur, « si l’on s’accorde […] pour dire que les acteurs politiques (le chef de l’État de la Ve

République, les membres de son gouvernement, etc.) interprètent la Constitution et, ce faisant, inventent et réinventent en permanence le droit qui les régit, on peut considérer alors que le rôle des cours constitutionnelles est de faire prévaloir une rationalité d’ensemble, autrement dit de rendre compatibles entre elles les diverses interprétations qui sont données du texte et de telle ou telle de ses dispositions », J.-J. Sueur, Pour un droit politique. Contribution à un débat, Québec : Presses Universitaires de Laval, coll. Diké, 2011, p. 213.

558

Ce qui est de toute façon le cas dans l’hypothèse de certains concepts et notamment celui de la souveraineté qui « […] ne peut pas se laisser enfermer dans n’importe quelle décision juridictionnelle, fût-elle du Conseil constitutionnel », O. Beaud, La puissance de l’État, Paris : PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 12.

559

O. Beaud, « Le Conseil constitutionnel sur la souveraineté et ses approximations », Jus politicum n° 21, juillet 2018.

560

B. Daugeron, « Le Conseil constitutionnel a-t-il une théorie de la représentation ? », Jus politicum n° 21, juillet 2018.

561

O. Beaud, « Le Conseil constitutionnel sur la souveraineté et ses approximations », Jus politicum n° 21, juillet 2018.

562

« Que conclure de cette mise en perspective critique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le concept de représentation politique ? Que pour lui, la représentation politique n’est pas une fiction constitutive du droit permettant de faire naître la volonté du souverain, mais forme un simple cadre à l’activité électorale au prix d’une considérable restriction de sens qui aplatit la notion. Peut-on d’ailleurs seulement considérer comme « théorie » la jurisprudence qui ne dit rien des conditions d’identification du sujet représenté et se borne à évoquer les modalités techniques du choix des représentants sans rien dire de

144

167. La jurisprudence constitutionnelle n’est pourtant pas avare de formules, de notions

empruntées au « langage d’éternité »564, par lesquelles elle cherche à systématiser son propos et à fonder sa motivation. Denis Baranger identifie à ce titre l’« esprit de la constitution », les « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté » ou encore l’« identité constitutionnelle de la France »565

. On peut toutefois douter, non seulement de la portée que confère effectivement le juge à ces différentes notions566, mais également de la liberté qu’il se ménage ainsi, en recourant à des formules pour le moins énigmatiques567 : il s’agit en effet d’un « discours essentialiste en apparence. Mais le recours à l’essence, par nature ici introuvable, a pour finalité paradoxale de camoufler l’absence de sens. Car […] il n’existe aucun critère rationnel, objectif et préexistant pour justifier ou exclure la subsomption d’un individu quelconque sous ces généralités non identifiées »568. Quoiqu’il en soit, « au bout du compte, de telles normes de référence renvoient […] à une constitution qui n’est ni neutre du point de vue des valeurs ni auto-suffisante d’un point de vue normatif »569

; elles impliquent donc de la part du juge un investissement théorique plus important que celui qu’il a mis en œuvre jusque-là.

168. On peut estimer à cet égard que la critique que le droit politique adresse à la

jurisprudence porte plus fondamentalement sur le paradigme autour duquel elle s’est construite ; comme la plupart des membres de la doctrine, le Conseil constitutionnel

l’objet de la représentation ni du processus de son édiction ? », B. Daugeron, « Le Conseil constitutionnel a-t-il une théorie de la représentation ? », Jus politicum n° 21, juillet 2018.

563

Jean-Marie Denquin écrit en ce sens que « les caractères structurels [de la jurisprudence] jusqu’ici considérés mettent en lumière la difficulté de produire un droit constitutionnel jurisprudentiel », J.-M. Denquin, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel : grandeur ou décadence du droit constitutionnel ? », Jus politicum n° 7, mai 2012. Plus largement, Armel Le Divellec estime qu’« on s’avise rarement qu’il existe un contraste frappant entre, d’une part, l’exaltation contemporaine du droit constitutionnel, qui serait devenu un « vrai droit » notamment du fait du développement de la « justice constitutionnelle » et, corrélativement, de l’avènement d’une constitution « normative » qui lui fournirait