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Des institutions politiques fondées par le texte constitutionnel

CONCLUSION DU CHAPITRE 1

CHAPITRE 2 : LE CHOIX DE L’INSTITUTIONNALISME

A. Des institutions politiques fondées par le texte constitutionnel

177. La vocation du droit constitutionnel gît essentiellement dans l’encadrement du

pouvoir politique, contraint d’agir au sein d’un cadre institutionnel qui s’impose à lui596. En établissant une institution, la loi fondamentale détermine à quelles conditions et dans quelles limites un individu sera reconnu compétent pour agir au nom de cette institution. Pour exercer valablement les attributions conférées aux pouvoirs constitués, tout individu doit se conformer aux prescriptions constitutionnelles, sous peine de voir son action privée de tout fondement597. Dans la pensée du droit politique, la Constitution est donc cette norme qui organise le pouvoir politique en l’institutionnalisant. Le lien entre droit et politique est alors manifeste et s’avère déterminant pour saisir la nature paradoxale du droit constitutionnel : une institution n’existe qu’en étant politiquement personnifiée (1), ce qui est notamment le moyen d’un régime démocratique (2).

1. Une exigence fonctionnelle

178. « Une institution n’est autre qu’une action humaine dissociée de son auteur et

considérée en elle-même. On raisonne en termes d’institutions lorsque l’on se fait une représentation abstraite d’une action et que cette représentation survit au changement de l’individu qui en a la charge »598

. Cette définition proposée par Denis Baranger met clairement en valeur la dualité institutionnelle ; la face juridique, pérenne, pose un cadre à la face politique, plus précaire, qui vient l’incarner et agir en son nom. La Constitution évoque ainsi le dieu Janus599, dont le double visage représente les deux pendants d’une porte ; elle est le passage – et, partant, le lieu de rencontre – entre la norme et le fait, entre

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C’est la définition du constitutionnalisme que retiennent habituellement les auteurs juspolitistes, celle d’un modèle dans lequel le droit permet d’encadrer et donc de limiter l’exercice du pouvoir politique. Par exemple : O. Beaud, « Constitution et constitutionnalisme », in P. Raynaud, S. Rials (dir.), Dictionnaire de

philosophie politique, Paris : PUF, coll. Quadrige. Dicos poche, 3e éd., 2003, p. 133-134.

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Maurice Hauriou estimait ainsi que « ce ne sont pas les commandements du pouvoir au moment où ils sont produits comme des actes qui sont acceptés. Ce n'est même pas le pouvoir en soi qui est accepté, c'est l'institution politique au nom de laquelle le pouvoir commande ». Dès lors, s’affranchir de son cadre institutionnel revient, pour un gouvernant, à priver son action de « la justification du droit de commander », M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, préf. J. Hummel, Paris : Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2e éd., 2015, p. 4-5.

598

D. Baranger, Le droit constitutionnel, Paris : PUF, coll. Que sais-je ?, 7e éd., 2017, p. 9.

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Nous reprenons ici la métaphore proposée par Pierre Avril, « La Constitution : Lazare ou Janus ? »,

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le droit et la politique. L’institution symbolise justement ce pont entre deux rives, moins irrémédiablement distantes l’une de l’autre qu’il n’y paraît.

179. La Constitution met en œuvre, par son caractère instituant, un double degré de

représentation : elle désigne des organes habilités à agir au nom de l’État d’une part, et elle prévoit ensuite la procédure par laquelle des individus seront appelés à agir au nom de ces organes d’autre part600. Cette idée de représentation justifie la difficulté, soulevée par le droit politique, de distinguer, au sein de chaque institution, ce qui relève du droit de ce qui relève de la politique, dans la mesure où ces deux aspects sont irrémédiablement liés par une approche institutionnelle. Cette dualité représente d’ailleurs le fil conducteur de la conception de l’institution livrée par Maurice Hauriou, dont l’influence sur les auteurs du droit politique est ici notable. Pour le professeur de Toulouse, « tout le secret de l'ordre constitutionnel est dans la création d'institutions vivantes. Les lois constitutionnelles ne signifient rien en tant que règles ; elles n'ont de signification qu'en tant que statuts organiques d'institutions »601. Conformément à la pensée de Maurice Hauriou, le lien entre Constitution et institutions est donc, pour le droit politique, indéfectible.

180. Les institutions sont les instruments de la réalisation de la Constitution ; chargées de

concrétiser l’ambition des constituants, elles sont les réceptacles de la puissance publique, dont les conditions d’exercice sont déterminées par la norme constitutionnelle602

. La Constitution, en ce sens, « […] « habilite » telle institution à réaliser telle opération juridique. Ces fonctions sont diverses, mais on peut les appréhender comme autant de relations établies entre les institutions et les règles de droit »603. La première tâche assignée aux institutions réside de fait dans l’établissement de normes, législatives et réglementaires, par lesquelles est exercé le pouvoir de l’État. Les institutions sont donc

actives, agissantes par définition. Pour autant, elles sont dénuées en tant que telles d’une

quelconque volonté : seuls les individus en disposent. Elles ne sont donc que des

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Il s’agit d’une conception somme toute classique, dont on trouve par exemple la trace dans les écrits de Georges Burdeau : « les gouvernants sont investis d’une double qualité correspondant au double caractère de leur activité. Ils sont à la fois les organes de l’État et les représentants du souverain », G. Burdeau, L’État, préf. P. Braud, Paris : Seuil, coll. Points. Série Essais, 2009, p. 69.

601

M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, préf. J. Hummel, Paris : Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2e éd., 2015, p. 5.

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Cet aspect est par exemple souligné par Armel Le Divellec lorsqu’il écrit que « certains [comportements] ont pour objet direct l’application d’une norme juridique (par exemple, l’exercice, par une institution, d’une compétence qui lui est attribuée par le droit de la constitution) », A. Le Divellec, « Le prince inapprivoisé. De l’indétermination structurelle de la présidence de la Ve

République (simultanément une esquisse sur l’étude des rapports entre « droit de la constitution » et système de gouvernement) »,

Droits n° 44, 2006, p. 108-109.

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157 coquilles vides et inefficaces tant qu’elles ne sont pas incarnées, par des personnalités que l’on qualifiera de « politiques »604

. La norme constitutionnelle, si elle fonde, organise et conditionne des institutions originellement, ne suffit pas à les faire vivre ; son efficacité se mesure justement à l’aune de l’action politique qu’elle consacre. Selon Jean-Marie Denquin, « le droit ne garantit pas le droit. Sa préservation comme sa destruction relèvent du fait »605. Il en va logiquement de même de sa mise en œuvre. Dans cette hypothèse, la Constitution est ainsi tributaire du pouvoir politique, qui seul détermine son effectivité.

181. En retour, le pouvoir politique doit sa pérennité et sa structure à l’ordre

institutionnel juridiquement établi : « […] outre la justification du droit de commander, elle (la construction juridique) assure la continuité du pouvoir en l'associant à celle de

l'institution politique, elle fournit une base pour la dévolution du pouvoir, elle crée

l'opposition des gouvernements de droit et des gouvernements de fait […] »606. La dimension institutionnelle, qui dote le pouvoir politique d’une source de légitimité particulière, exerce en effet une influence évidente sur lui. Il en va ainsi notamment des individus qui, appelés à intégrer une institution, en subissent manifestement l’influence. On touche ici aux confins de l’analyse juridique, car c’est sociologiquement que peut être établi un tel constat. Le politiste Bastien François évoque ainsi l’exemple éclairant de l’« effet Becket » qui peut accompagner une nomination607

: l’intronisation au sein d’une institution transforme son titulaire, qui en épouse mécaniquement les intérêts. Pierre Bourdieu avait formulé une idée comparable dans son étude des actes d’institution : « […] l’investiture exerce une efficacité symbolique tout à fait réelle en ce qu’elle transforme réellement la personne consacrée […] parce qu’elle transforme du même coup la représentation que la personne investie se fait d’elle-même et les comportements

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La qualification de « politique » renvoie en effet à l’idée fondamentale de choix, opéré par les individus ainsi désignés, et dont la portée dépasse largement la seule sphère individuelle. Nous nous fondons ici sur la définition de la politique développée par Jean-Marie Denquin, Science politique, Paris : PUF, coll. Droit fondamental. Droit politique et théorique, 5e éd., 1996, not. p. 49 et ss.

605

J.-M. Denquin, « Situation présente du constitutionnalisme. Quelques réflexions sur l’idée de démocratie par le droit », Jus politicum n° 1, décembre 2008.

606

M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, préf. J. Hummel, Paris : Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2e éd., 2015, p. 5 ; nous soulignons.

607

En référence au chancelier d’Angleterre, Thomas Becket, fervent défenseur du pouvoir temporel du roi Henri II, qui devint ensuite son plus farouche ennemi lorsque, élu archevêque de Canterbury, il prit parti pour le pouvoir spirituel. Bastien François applique ce modèle aux membres du Conseil constitutionnel qui, malgré leur investissement politique antérieur, deviennent dès leur entrée au Palais Montpensier, des juges constitutionnels à part entière ; B. François, « Le juge, le droit et la politique : éléments d’une analyse politiste », RFDC n° 1, 1990, p. 54. Voir également sur cette question, J. Chevallier, « Le Conseil constitutionnel et l’effet Becket », in Renouveau du droit constitutionnel : mélanges en l’honneur de Louis

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qu’elle se croit tenue d’adopter pour se conformer à cette représentation »608 . Cet argument de sociologie politique éclaire la pensée institutionnaliste dont les auteurs

juspolitistes se font les héritiers.

182. La forme institutionnelle du pouvoir pourrait toutefois sembler désuète, condamnée

à l’oubli par l’avènement du constitutionnalisme écrit et le succès de la normativité constitutionnelle609. Le droit politique entend au contraire démontrer que l’institutionnalisation du pouvoir, quoiqu’elle ait été altérée par le passage à l’ère moderne, n’en a pas disparu pour autant. Déjà sous l’Ancien régime, on affirme à propos de l’institution royale la nécessaire dissociation entre les « deux corps du roi »610

– la Couronne comme fonction et le corps physique du monarque – en même temps que leur étroite interdépendance611. Mutatis mutandis, ces caractéristiques institutionnelles sont toujours pertinentes pour décrire les institutions démocratiques contemporaines : les pouvoirs constitués existent indépendamment des personnalités qui les incarnent, mais ne peuvent agir que par elles. Les auteurs du droit politique consentent évidemment à reconnaître que l’âge constitutionnel a transformé le processus d’institutionnalisation : alors que les institutions coutumières étaient des fictions construites a posteriori, pour légitimer l’omnipotence politique accordée en fait à une dynastie et assurer la pérennité de son pouvoir612, le droit constitutionnel impose un cadre institutionnel décidé avant qu’il ne soit incarné par des personnalités politiques. Ainsi, à l’avènement de la Constitution, « […] loin de croire que les règles se déduisaient de la nature des institutions, on a pensé que des règles de droit, fruits de la volonté humaine, pouvaient engendrer des institutions politiques »613. De ce point de vue, le constitutionnalisme a opéré une véritable transformation de l’institution, dans la mesure où les conditions du pouvoir sont désormais déterminées, en théorie, préalablement à son exercice614. Malgré cette révolution opérée par le constitutionnalisme écrit, l’institutionnalisation reste

608

P. Bourdieu, « Les rites comme actes d'institution », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 43, juin 1982, p. 59.

609

Voir en ce sens la différenciation que proposait Louis Favoreu entre droit constitutionnel institutionnel et droit constitutionnel normatif, en valorisant le second aspect sur le premier : L. Favoreu, « Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constitution du droit », RFDC n° 1, 1990, p. 73-76.

610

E. Kantorowicz, Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen âge, trad. J.-P. et N. Genêt, Paris : Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, 1989, 638 p.

611

« La couronne sans le roi [est] incomplète et incapable », ibid., p. 279.

612

D. Baranger, Le droit constitutionnel, Paris : PUF, coll. Que sais-je ?, 7e éd., 2017, p. 10-11.

613

Ibid., p. 11.

614

En ce sens, « la Constitution (au sens non coutumier) est […] antérieure, chronologiquement et logiquement, au régime et aux institutions qu’elle crée par la pensée comme un architecte dessine un monument avant d’en entreprendre la construction », J.-M. Denquin, « Que veut-on dire par « démocratie » ? L’essence, la démocratie et la justice constitutionnelle », Jus politicum n° 2, mars 2009.

159 toutefois pertinente pour étudier, aujourd’hui comme hier, l’exercice du pouvoir politique.

183. Ainsi les travaux juspolitistes invitent-ils à admettre l’impossibilité d’exclure

pleinement la portée politique de l’institutionnalisation à laquelle procède le droit constitutionnel ; elle doit donc être prise en compte par toute tentative visant à appréhender le droit constitutionnel lui-même. Ce n’est qu’à cette condition que l’institution peut pleinement apparaître pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’instrument de la démocratie représentative615.

2. Une exigence démocratique

184. La Constitution, par l’institutionnalisation du pouvoir à laquelle elle procède, se

définit comme le trait d’union entre la société dont elle émane, et ses délégués habilités à exercer la puissance publique. Elle remplit ainsi une double fonction, organisationnelle et légitimante, qui la caractérise du point de vue des auteurs du droit politique. Cette approche institutionnelle, si elle est originale au sein de la doctrine contemporaine, n’est pas inconciliable avec les premiers élans du constitutionnalisme. Au contraire s’en inspire-t-elle manifestement, en reprenant à bon compte les premiers pas de la théorie de la représentation.

185. Le régime représentatif ainsi que la Constitution dans son acception moderne

doivent notamment beaucoup aux travaux d’Emmanuel Sieyès616. Construits l’un par l’autre, ces concepts conservent depuis l’époque révolutionnaire une acuité qui ne s’est pas démentie. Ainsi en va-t-il d’une formule de Sieyès lorsqu’il affirmait que « […] le corps des Représentants, à qui est confié le pouvoir législatif ou l’exercice de la volonté commune, n’existe qu’avec la manière d’être que la Nation a voulu lui donner. Il n’est rien sans ses formes constitutives ; il n’agit, il ne se dirige, il ne commande que par

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Cette idée apparaissait déjà sous la plume de Maurice Hauriou lorsqu’il affirmait que la construction juridique des institutions « […] contient […] en germe la théorie du gouvernement représentatif, puisque les chefs n'ont jamais eu de pouvoir de droit que lorsqu'ils ont commandé au nom d'une institution politique acceptée des sujets, c'est-à-dire lorsqu'ils ont agi en qualité de représentants non pas encore du peuple, mais d'une institution voulue par le peuple », M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, préf. J. Hummel, Paris : Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2e éd., 2015, p. 5.

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Voir par exemple, P. Pasquino, Sieyès et l’invention de la constitution en France, Paris : Odile Jacob, 1998, 262 p. ; M. Troper, L. Jaume (dir.), 1789 et l’invention de la constitution. Actes du colloque de Paris

organisé par l’Association française de Science Politique : 2, 3 et 4 mars 1989, Paris : LGDJ, Bruxelles :

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elles »617. La représentation repose donc entièrement sur le fait qu’elle est imposée par la Constitution, c’est-à-dire décidée par la nation souveraine. On voit ici se dessiner le lien avec l’institutionnalisme tel que nous l’avons décrit jusqu’ici : le cadre institutionnel, s’imposant aux gouvernants, garantira à la nation que ceux-ci n’outrepassent pas les limites du pouvoir ainsi attribué618.

186. Si la norme constitutionnelle est donc supposée émerger de la volonté nationale, il

en va de même des représentants, appelés à incarner les pouvoirs constitués. Dans une perspective contemporaine démocratique, cela n’est pas sans conséquence sur la puissance instituante de la Constitution. L’instauration par la norme fondamentale d’institutions politiques, représente en effet une garantie, à double titre, de la démocratie : non seulement les institutions sont-elles organisées en vertu de la volonté nationale que la Constitution est réputée traduire, mais encore sont-elles incarnées par ceux qui sont portés, directement ou non, par le pouvoir du suffrage universel. La dimension politique des pouvoirs constitués apparaît alors comme une nécessité structurelle à la démocratie constitutionnelle. Jean-Marie Denquin conclut à ce titre que « donner un rôle, même modeste, au « peuple », suppose des institutions. […] Dans cette acception le droit est donc consubstantiel à la « démocratie ». Il est constitutionnel au sens fort, car il implique l’artificialisme : il crée ex nihilo des institutions sans lesquelles la mise en œuvre du projet démocratique serait inconcevable. Ainsi entendue, l’idée de démocratie par le droit présente donc un sens clair »619.

187. La mise en valeur des institutions opérée par l’école du droit politique permet

d’identifier deux sources au pouvoir exercé dans un État constitutionnel : un fondement juridique, constitutionnel d’une part ; un fondement politique, électoral d’autre part. Ces deux aspects ne sont pourtant pas nécessairement équilibrés ; certains pouvoirs constitués ne dépendant pas du suffrage universel direct, leur légitimité tient exclusivement à l’existence que leur confère la Constitution. C’est par exemple le cas de la justice

617

E.-J. Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ?, Chapitre V « Ce qu’on aurait dû faire. Principes à cet égard », 3e éd., 1789.

618

Le système représentatif exige en effet certaines garanties quant à la liberté des citoyens : « il faut ajouter l’intérêt qu’a la Nation à ce que le pouvoir public délégué ne puisse jamais devenir nuisible à ses commettants. De là, une multitude de précautions politiques qu’on a mêlées à la constitution […] », ibid. Olivier Beaud voit dans cet élément l’influence notable du constitutionnalisme outre-Atlantique : « comme chez les Pères fondateurs de la révolution américaine, elle (la Constitution) est conçue comme le moyen

juridique de protéger la souveraineté du peuple contre les gouvernants », O. Beaud, « L’histoire du concept

de constitution en France. De la constitution politique à la constitution comme statut juridique de l’État »,

Jus politicum n° 3, décembre 2009.

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J.-M. Denquin, « Situation présente du constitutionnalisme. Quelques réflexions sur l’idée de démocratie par le droit », Jus politicum n° 1, décembre 2008.

161 constitutionnelle, dont la légitimité est d’abord juridique, parce qu’exclusivement appuyée sur l’autorité du texte constitutionnel620

. À l’inverse, certains organes voient leur dimension politique prendre le pas sur le cadre juridique auquel ils sont censés être assujettis. Favorisé par la légitimité spécifique de la personnalité agissant pour le compte de l’institution, ce déséquilibre conduit parfois à la remise en cause de la norme constitutionnelle initialement posée. L’élection au suffrage universel direct est un facteur souvent déterminant d’une légitimité politique supplémentaire, comme on a pu le constater en France depuis 1965621, mais celle-ci peut puiser son eau à d’autres sources, personnelles et historiques622. En tout état de cause, la seule légitimité que confère à une institution l’habilitation constitutionnelle serait de peu de poids si elle n’était soutenue par une dimension politique. Ainsi Armel Le Divellec conclut-il, à propos de la Ve République, que « […] force est de constater que la domination effectivement observable du Président français résulte de son autorité politique, et non point véritablement de ce que l’on pourrait vouloir qualifier d’« autorité juridique » en ce qu’elle serait plus ou moins indépendante des comportements conjoncturels »623. L’institutionnalisme qu’adopte le droit politique invite à conjuguer ces deux aspects et à ne pas privilégier l’étude de l’un au détriment de l’autre. Dissociés à des fins analytiques, droit et politique se trouvent en pratique articulés si étroitement qu’il semble inopportun de les considérer séparément. Car si la portée juridique du texte constitutionnel permet d’agir sur la sphère politique en habilitant strictement les pouvoirs constitués, ces derniers s’émancipent en retour des énoncés pour en imposer leur propre interprétation.

620

Par exemple aux États-Unis, « la Cour suprême tire en premier lieu sa légitimité de la Constitution elle-même dans la mesure où elle apparaît comme le seul tribunal fédéral directement créé par le texte fondateur du 17 septembre 1787 », G. Scoffoni, « La légitimité du juge constitutionnel en droit comparé : les enseignements de l’expérience américaine », RIDC n°2, vol. 51, 1999, p. 251.

621

Date de la première élection présidentielle au suffrage universel direct sous la Ve République.

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C’est l’exemple topique que constitue la présidence du général de Gaulle. Face aux crises en Algérie des années 1960 et 1961 notamment, « les commentateurs […] virent sur le moment, et non sans raison, le triomphe de la légitimité personnelle du général de Gaulle […]. La véritable décision intervint le 28 octobre 1962, car l’enjeu du référendum était bien la ratification populaire d’une pratique constitutionnelle contestée et sa pérennisation. L’éclat de la légitimité personnelle revendiquée par le Général avait jusque-là