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La signification préservée du texte constitutionnel

TITRE I : LE DÉPASSEMENT DU TEXTE :

CHAPITRE 1 : LE REFUS DU FORMALISME

B. La signification préservée du texte constitutionnel

82. Le droit politique, dans le sillage de la théorie réaliste de l’interprétation, relativise

l’objectivité de la signification des mots inscrits dans le texte constitutionnel ; il ne banalise toutefois pas ce dernier car il refuse de n’y voir qu’un ensemble de mots sans portée en soi235. La signification retenue pour chacune de ses dispositions peut certes changer, sa portée juridique et politique évoluer au fil des interprétations qui en sont livrées, le texte constitutionnel n’en reste pas moins un élément juridiquement et politiquement déterminant, dont le constitutionnaliste ne doit pas trop drastiquement s’affranchir s’il veut pouvoir comprendre son objet236. Le texte est en effet l’expression du pouvoir constituant et ne saurait donc être totalement négligé (1). Il représente

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Peuvent être en effet qualifiés d’essentialistes ceux qui « […] prennent pour des essences ce qui n’est désigné que par des mots », A. Viala, Philosophie du droit, Paris : Ellipses, coll. Cours magistral, 2010, p. 41. Sur l’absence d’essentialisme dans la démarche suivie par le droit politique, voir infra, Partie II, Titre I, Chapitre 2.

234

A. Le Divellec, « Le style des constitutions écrites dans l’histoire moderne. Une esquisse sur les trois types de l’écriture constitutionnelle (XVIIe

– XXe siècles) », Jus politicum n° 10, mars 2014.

235

Sur la tendance du droit politique à « maintenir le cadre normatif de la Constitution écrite », voir : M. Altwegg-Boussac, Les changements constitutionnels informels, Bayonne : Institution universitaire Varenne, Paris : LGDJ-Lextenso, coll. des thèses, 2013, p. 321 et ss.

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« […] Le droit constitutionnel ou droit politique n’échappe pas à ce préjugé : il est banal de constater que le principe des constitutions écrites est depuis longtemps presque partout admis comme une nécessaire évidence. En outre, et même s’il est pensé de manière confuse, un idéal de complétude continue de sous-tendre ces textes constitutionnels formalisés. Qu’il s’agisse d’une gigantesque illusion, il n’empêche : le juriste ne peut échapper à la tentation de prendre les textes constitutionnels au sérieux. On serait tenté d’ajouter : il doit, dans une certaine mesure, les prendre au sérieux même lorsqu’il veut montrer que l’écrit ne suffit pas à rendre compte du droit positif, et a fortiori lorsque, au-delà de la simple description, il en cherche l’explication profonde ou encore tente de le discuter », A. Le Divellec, « Le gouvernement, portion dirigeante du Parlement. Quelques aspects de la réception juridique hésitante du modèle de Westminster dans les États européens », Jus politicum n° 1, décembre 2008.

77 également, à l’égard de ses interprètes, une contrainte effective, bien que limitée, qui mérite d’être considérée (2).

1. Un symbole de l’acte constituant

83. L’analyse approfondie des travaux du droit politique révèle que l’assimilation de sa

pensée à la théorie réaliste de l’interprétation doit d’emblée être nuancée237

. Le texte de la Constitution ne saurait être totalement dénué de portée juridique238, dès lors que sa seule consécration emporte des conséquences décisives sur l’ordre politique. Comment pourrait-on en effet négliger complètement l’écrit constitutionnel lorsque sa seule promulgation bouleverse radicalement le régime politique institué239 ? L’intérêt que le droit politique accorde spécifiquement au texte constitutionnel se manifeste notamment au regard du traitement différencié qu’accordent ses auteurs au droit constitutionnel écrit et au droit constitutionnel coutumier. Dans leur rapport au temps240, dans leur rapport aux institutions241, ces deux pendants du constitutionnalisme se distinguent nécessairement. Certes, les auteurs juspolitistes ne cherchent pas à opposer ces deux modèles comme le feraient des juristes qui reconnaissent au texte une performativité irréductible et déterminante ; ils tendent au contraire à mettre en valeur les points communs qui

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L’approche réaliste réduit en effet à néant l’autorité de l’énoncé juridique, exclu de la catégorie des contraintes juridiques au même titre que « les considérations financières, les structures linguistiques des textes, l’emploi de la force, l’opinion publique, les sensibilités politiques, religieuses ou morales des acteurs, les lectures, les fréquentations ou la composition du petit-déjeuner précédant la prise de décision » ; V. Champeil-Desplats, M. Troper, « Proposition pour une théorie des contraintes juridiques », in M. Troper, V. Champeil-Desplats, C. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, Paris : LGDJ, Bruxelles : Bruylant, coll. La pensée juridique, 2005, p. 12-13.

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« […] Il est bien clair que les constitutions […] sont des règles bien ordinaires, si on en juge par le nombre des interprétations dont elles sont l’objet. Ces règles cependant n’en continuent pas moins d’occuper un statut particulier dans la « hiérarchie » des normes juridiques, au moins autant en raison de leur contenu qu’en considération de l’autorité qui les pose ou les fait évoluer […] », J.-J. Sueur, Pour un

droit politique. Contribution à un débat, Québec : Presses Universitaires de Laval, coll. Diké, 2011, p.

158-159.

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C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un recours à l’écrit que de permettre la révolution juridique au sens strict. C’est ce que souligne par exemple Claude Klein : « du point de vue du contenu, on voit bien que l’écriture va permettre la mise au point du message. […] En bref, un régime nouveau, révolutionnaire, ne peut échapper à cette évidence, à savoir qu’il lui faudra écrire une (sa) constitution pour s’opposer au régime précédent, pour se poser clairement », C. Klein, « Pourquoi écrit-on une constitution ? », in M. Troper, L. Jaume (dir.), 1789 et l’invention de la constitution. Actes du colloque de Paris organisé par

l’Association française de Science Politique : 2, 3 et 4 mars 1989, Paris : LGDJ, Bruxelles : Bruylant, coll.

La pensée juridique moderne, 1994, p. 95.

240

D. Baranger, « Temps et constitution », Droits n° 30, 2000, p. 56-58.

241

78

caractérisent les constitutionnalismes écrit et coutumier242. Pour autant, le droit politique ne gomme pas les différences entre eux, ce qui tend à prouver que le texte constitutionnel revêt, lorsqu’il existe, une portée juridique avérée, et notamment instituante243.

84. Pareille conclusion n’est guère surprenante, au regard du goût prononcé du droit

politique pour l’histoire des concepts juridiques. En l’occurrence, le constitutionnalisme moderne s’est bien construit à partir de l’écrit, le texte de la Constitution ayant un rôle primordial à jouer dans l’avènement du libéralisme politique244

. Olivier Beaud démontre, à ce titre, l’influence décisive de la Révolution conduite au sein des jeunes États-Unis d’Amérique, puisqu’elle mena à « […] l’émergence d’une constitution écrite, formellement distincte des autres lois ordinaires. Il en résulta que la constitution posséda une valeur juridique, donc obligatoire pour les gouvernants »245. Le constitutionnalisme se comprend depuis lors par référence à cette tradition textualiste, dans la continuité de laquelle il s’est construit. L’existence du texte ne saurait donc être tout à fait anodine ; elle répond à des considérations pragmatiques et politiques qui n’ont pas moins d’acuité aujourd’hui que par le passé.

85. Si les premiers constituants, imprégnés d’une culture subjectiviste, voyaient dans le

recours au texte le gage d’une normativité efficace246

– présupposé largement remis en cause aujourd’hui –, l’écrit constitutionnel remplissait incidemment d’autres fonctions qui sont toujours d’actualité. D’abord, il manifeste l’unilatéralité de la volonté de son auteur247 : c’est par le texte que le pouvoir constituant exprime sa domination à l’encontre des pouvoirs constitués. Ensuite, même s’il ne dispose jamais d’une portée objectivement

242

Cette comparaison permet notamment de justifier le recours à une appréhension institutionnelle du droit constitutionnel : O. Beaud, « Constitution et droit constitutionnel », in D. Alland, S. Rials (dir.),

Dictionnaire de la culture juridique, Paris : Lamy-PUF, coll. Quadrige. Dicos poche, 2003, p. 264.

243

En effet, l’institution « […] n’est pas seulement visée par les mots, […], mais véritablement

constituée par ceux-ci », J.-M. Denquin, « Approches philosophiques du droit constitutionnel », Droits n°

32, 2000, p. 42 ; nous soulignons.

244

En ceci notamment que « cette révolution conceptuelle permit d'ancrer solidement la garantie des droits de l'homme dans une procédure juridique », O. Beaud, « L’histoire du concept de constitution en France. De la constitution politique à la constitution comme statut juridique de l’État », Jus politicum n° 3, décembre 2009.

245

Ibid.

246

Dans cette perspective, selon Stéphane Rials, « telle technique hautement formalisée de preuve fait droit en faisant fait, comme le texte adopté formellement de telle ou telle façon fait loi, de même aussi que les énoncés reconnus par le faisceau discriminant de notre raison forment, pour tels jusnaturalistes modernes, la loi naturelle dont la forme est en quelque sorte en nous », S. Rials, « Veritas Juris, La vérité du droit écrit. Critique philologique humaniste et culture juridique moderne de la forme » Droits n° 26, 1998, p. 107.

247

C’est notamment en ce sens qu’Olivier Beaud retient de la Constitution moderne une définition fondée sur « un « texte juridique », c’est-à-dire un acte juridique », O. Beaud, La puissance de l’État, Paris : PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 207 ; voir également, sur l’unilatéralité de l’acte constituant, ibid., p. 245 et ss.

79 et définitivement déterminée, il représente toutefois un instrument de la communication – certes imparfait248 – entre les gouvernants et les gouvernés249, les seconds disposant notamment d’une référence pour contrôler que les premiers respectent le cadre qui leur est imposé au nom de la Nation250. L’écrit constitutionnel représente en ce sens un moyen général, si ce n’est objectif, par lequel les institutions politiques sont placées sous le regard constant du peuple, sujet de leur pouvoir. Par ailleurs, le texte constitutionnel représente, aujourd’hui comme hier, la possibilité d’évolution immédiate et radicale du droit en vigueur ; l’écrit garantit en effet socialement « […] le fait de pouvoir revenir sur

ce qu’on a dit, contrôle logique que permet le retour en arrière, la confrontation des

moments successifs du discours »251. Déjà concernés par le fait qu’« un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution »252, les premiers constituants semblent ainsi avoir trouvé dans l’écrit, le moyen de mettre en œuvre d’éventuels changements constitutionnels.

86. La plongée dans les origines du constitutionnalisme continental permet de mieux

comprendre la posture a priori ambivalente de l’école du droit politique à l’égard du texte constitutionnel : ce dernier ne dit pas exactement ce que sera le droit effectivement appliqué à l’avenir, mais, en vertu des fondements du constitutionnalisme qui sont toujours pertinents aujourd’hui, le recours à l’écrit reste décisif, notamment pour envisager le pouvoir constituant et le principe de sa souveraineté. Ce dernier aspect tient une place d’importance dans la pensée juspolitiste ; l’exercice du pouvoir constituant y est associé à la souveraineté du peuple et, ce faisant, à l’exercice de la démocratie elle-même253. Olivier Beaud estime ainsi que « […] si la démocratie a un sens juridique, c’est

248

Sur les limites que représentent le droit comme communication, voir : A. Basset, Pour en finir avec

l’interprétation. Usages des techniques d’interprétation dans les jurisprudences constitutionnelles française et allemande, Bayonne : Institut universitaire Varenne, Paris : LGDJ-Lextenso, coll. des Thèses, 2015, p.

10-13.

249

« L’un des caractères de la textualité, outre l’inscription, c’est la circulation. […] Ce qui caractérise ainsi le texte de norme, c’est sa circulation sociale, directe ou indirecte – par la médiation des commentaires – auprès de ceux qui s’y connaissent […] comme auprès de ceux qui ne s’y connaissent pas […] », O. Jouanjan, « La théorie des contraintes juridiques de l’argumentation et ses contraintes », Droits n° 54, 2011, p. 47.

250

Sur l’avènement de la théorie révolutionnaire qui fait du pouvoir constituant le représentant de la Nation, voir : P. Pasquino, Sieyès et l’invention de la constitution en France, Paris : Odile Jacob, 1998, p. 46 et ss.

251

P. Bourdieu, « Habitus, code et codification », Actes de la recherche en sciences sociales n° 1, vol. 64, 1986, p. 42 ; nous soulignons.

252

La formule figure à l’article 28 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 24 juin 1793 et se poursuit en ces termes : « une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Une telle disposition apparaissait déjà, en creux, dans la Constitution du 3 septembre 1791, qui proclamait en son titre VII que « […] la Nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution ».

253

80

d’abord parce que le peuple intervient comme titulaire du pouvoir constituant »254

. Or, ce dernier ne s’exprime jamais que par l’adoption solennelle d’un texte. Consacrer sa valeur juridique minimale est donc le seul moyen, dans cette perspective, de préserver la logique démocratique que théorise le droit politique. Cela implique, par conséquent, que l’écrit constitutionnel ne soit pas dénué de toute portée, mais qu’il exerce effectivement une contrainte quelconque à l’encontre des pouvoirs constitués.

2. Une contrainte argumentative

87. La perspective adoptée par le droit politique laisse entendre que « la dénaturation de

la lettre constitutionnelle, qu’elle soit le fait des acteurs politiques ou de la doctrine, résulte d’interprétations qui, aussi extensives soient-elles, ne sont finalement que des possibilités d’expression de la règle écrite »255

. On retrouve ici une conception du texte assez proche de la théorie du cadre de Kelsen ; l’interprète authentique, celui qui confère à l’énoncé sa portée juridique256, ne dispose pas d’une liberté de choix infinie, mais ne peut évoluer que dans les limites que lui impose le texte257. Dans cette hypothèse, et contrairement à ce que considère la théorie réaliste de l’interprétation258

, le texte constitue bien lui-même une contrainte, aussi lâche soit-elle, à l’encontre des pouvoirs constitués.

88. Le texte de la Constitution répond d’abord à un certain nombre de contraintes

structurelles que l’interprète ne peut ignorer, dès lors qu’elles mobilisent les principes de la communication et du langage. Ainsi, « si les règles juridiques sont intrinsèquement normatives au point que la vie sociale peut continuer de s’écouler malgré leur transgression, elles sont néanmoins énoncées, depuis la civilisation de l’écriture, à l’aide du langage lequel obéit, quant à lui, à des règles constitutives dont la méconnaissance

254

O. Beaud, « Le Souverain », Pouvoirs n° 67, 1993, p. 38.

255

J. Hummel, Essai sur la destinée de l’art constitutionnel, Paris : Michel Houdiard, coll. Les Sens du droit, 2010, p. 116.

256

« L’interprétation par l’organe d’application du droit a toujours caractère authentique : elle crée du droit », H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, Paris : LGDJ, Bruxelles : Bruylant, coll. La pensée juridique, 1999, p. 340 ; nous soulignons.

257

« En rapport avec [le droit positif], la création de l’acte de droit à l’intérieur du cadre de la norme juridique à appliquer est libre, c’est-à-dire placée dans le pouvoir discrétionnaire de l’organe appelé à faire acte », ibid., p. 340 ; nous soulignons.

258

L’énoncé n’est en effet jamais juridiquement pertinent, dans la théorie réaliste de l’interprétation, qu’après que sa signification lui a été attribuée par l’interprétation. Il n’exerce donc aucune contrainte à l’égard de l’interprète : « préalablement à l’interprétation, les textes n’ont encore aucun sens, mais sont seulement en attente de sens », M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit,

81 signe son propre effacement […] »259

. Certes, la grammaire, qui représente la première de ces règles constitutives, ne représente pas juridiquement une donnée absolue et peut elle-même constituer l’un des aspects indéterminés de l’énoncé260. Ainsi, si l’on a pu longtemps estimer qu’en droit, « l’emploi du présent de l’indicatif [a] valeur impérative »261, cela n’a guère empêché le Président de la République de s’estimer libre de ne pas signer les ordonnances présentées par le Gouvernement en 1986262. La grammaire, à l’instar des règles constitutives du langage, ne constitue donc pas une garantie absolue du caractère contraignant du texte de la Constitution.

89. Il existe toutefois d’autres aspects de l’énoncé qui sont mis en valeur par les auteurs

du droit politique comme autant de contraintes issues spécifiquement de sa formulation. Armel Le Divellec distingue ainsi parmi les différents styles constitutionnels, des « dispositions tantôt symboliques, tantôt pédagogiques, tantôt programmatiques ou incantatoires »263. Cette distinction est d’importance car elle permet de mesurer globalement la marge de manœuvre plus ou moins étendue dont dispose l’interprète du texte : alors qu’elle sera logiquement considérable dans le cas de principes politiques vaguement définis264, elle est nécessairement réduite en présence d’énoncés techniques, qui se contentent de fixer des éléments tenant à la procédure. C’est d’ailleurs l’un des arguments soulevés par Olivier Beaud lorsqu’il donne raison au Conseil constitutionnel à propos de sa jurisprudence portant sur l’initiative parlementaire d’un référendum relatif à la privatisation de l’entreprise Aéroports de Paris : face à un texte fixant précisément la procédure en cause, le juge n’avait d’autre choix que de faire prévaloir une interprétation stricte de l’article 11 de la Constitution265. On peut estimer en l’occurrence que, si

259

A. Viala, Philosophie du droit, Paris : Ellipses, coll. Cours magistral, 2010, p. 124.

260

Par exemple, « de l'avis général, la Constitution de 1958 est, grammaticalement, susceptible de plusieurs lectures », selon le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel, Rapport au Président de la République. Propositions pour une révision de la Constitution, La documentation française, 1993, p. 17.

261

C’est ce qu’affirme le Conseil constitutionnel, Décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi

ratifiant l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, Rec. p. 41, cons. 17.

262

L’article 13 de la Constitution de 1958 dispose en effet que « le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres ». Pour un compte-rendu de la controverse sur le sujet, voir par exemple : M. Troper, « La signature des ordonnances. Fonctions d’une controverse »,

Pouvoirs n° 41, 1987, p. 75-91.

263

A. Le Divellec, « Le style des constitutions écrites dans l’histoire moderne. Une esquisse sur les trois types de l’écriture constitutionnelle (XVIIe

– XXe siècles) », Jus politicum n° 10, mars 2014.

264

En effet, « les droits fondamentaux et, plus encore, les principes structurant l'ordre constitutionnel sont le terrain propice aux clauses générales non exclusivement techniques », ibid.

265

L’auteur estime ainsi qu’« […] il est toujours dangereux […] d’en appeler à « l’esprit de la constitution » contre sa lettre, surtout en l’occurrence lorsque la lettre est claire », O. Beaud, « Remarques sur le référendum d’initiative parlementaire et sur les arguments de ceux qui ont voulu en bloquer la procédure », JP blog, 23 mai 2019.

82

plusieurs interprétations sont toujours possibles, une seule était véritablement acceptable, c’est-à-dire justifiable266

au regard de l’énoncé en cause.

90. L’interprète, quelle que soit son autonomie de fait à l’égard du texte, n’en est pas

moins assujetti à la nécessité de fonder ses interprétations sur lui ; c’est là l’argument de leur légitimité267. Une circonstance illustre parfaitement la contrainte que représente le texte sur ses interprètes, celle de la révision constitutionnelle. Cette dernière se caractérise par le changement formel de l’énoncé constitutionnel, au moyen, dans le cas français, d’une procédure politiquement plus contraignante que l’adoption d’une loi268

. Les différents interprètes de la Constitution ne peuvent ignorer pareil changement du texte. Une interprétation de la nouvelle formulation doit bien être délivrée, mais elle ne peut, aussi libre soit-elle par ailleurs, être exactement ce qu’elle était à propos de l’énoncé antérieur. Le simple fait qu’une modification solennelle du texte ait lieu – a fortiori quand il s’agit d’un « lit de justice », qui vise à neutraliser une jurisprudence du Conseil constitutionnel269 – contraint l’interprète de la Constitution à amender la signification qu’il en retenait. L’énoncé exerce donc bien une certaine autorité à l’encontre de ceux qui sont chargés de le mettre en œuvre.

91. La théorie du droit politique procède donc à une déconstruction du texte bien moins

radicale que celle que propose notamment la théorie réaliste de l’interprétation270

. Denis Baranger expose cette mesure qui caractérise le rapport qu’entretiennent les auteurs

juspolitistes à l’énoncé constitutionnel : « l’acte juridique qui est objet de l’interprétation

joue un rôle dans ladite interprétation : sinon il ne serait pas question d’une interprétation, mais d’une libre création de sens. Ainsi, il me semble très peu vraisemblable – et

266

Sur l’importance qu’accorde le droit politique à la justification en droit, et à la reconnaissance comme clef de l’analyse juridique, voir infra, Titre II, Chapitre 2, section 2, §1.

267

C’est ce qu’illustre la pratique des objectifs de valeur constitutionnelle ; ils « […] sont une création du juge (une norme), mais […] il est bon de les rattacher, là où cela est possible, à des textes du bloc de constitutionnalité (des sources) pour les légitimer », D. Baranger, « Comprendre le « bloc de constitutionnalité », Jus politicum n° 21, juillet 2018 ; nous soulignons.

268

La révision se distingue donc du changement constitutionnel informel, qui laisse le texte intact : O.