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37. La méthode analytique renvoie, « au sens large, [à] toute approche qui cherche à

expliquer ou élucider les termes, les concepts ou les structures du droit en analysant les éléments et en montrant comment le tout est compréhensible comme ordonnancement cohérent des parties »114. Appliquée à une démarche métathéorique, elle favorise l’analyse critique de l’objet visé, notamment en ce qu’elle permet de le confronter à ses propres limites, en mobilisant les instruments de la logique115 et en décomposant les propositions doctrinales qui le constituent116. C’est là le moyen d’assurer une posture non seulement descriptive, mais également critique, sur le droit politique envisagé comme théorie du droit constitutionnel. L’analyse critique pourra ainsi être menée sur le plan interne, en interrogeant la cohérence des arguments et des auteurs au sein du droit politique, et sur le plan externe : pourront alors notamment être éprouvées l’opérabilité de la théorie – par sa congruence avec les faits fournis par le droit positif – et sa scientificité – par une comparaison avec les autres théories du droit117. En d’autres termes, nous

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En effet, la déduction comme l’induction impliquent que « […] la pensée pren[ne] un risque, établi[sse] un compromis entre rigueur et invention », M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris : Dalloz, coll. Précis Dalloz, 11e éd., 2001, p. 17.

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N. MacCormick, « Analytique (approche du droit) », in A.-J. Arnaud (dir.), Dictionnaire

encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris : LGDJ, 2e éd., 1993, p. 24.

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En effet, « […] la méthode analytique trouve dans l’usage de la logique des propositions un gage de rigueur du discours scientifique », V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Paris : Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2e éd., 2016, p. 136.

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À propos de la méthode analytique de Norberto Bobbio, Riccardo Guastini estime ainsi que « […] « analyser » signifie diviser, distinguer, décomposer, sectionner. L’esprit analytique consiste précisément à envisager dans les choses les éléments les plus simples plutôt que les ensembles », R. Guastini, « Norberto Bobbio ou de la distinction », in N. Bobbio, Essais de théorie du droit, trad. M. Guéret, C. Agostini, Louvain : Bruylant, Paris : LGDJ, coll. La pensée juridique, 1998, p. 1.

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Il s’agira donc ici de livrer une analyse juridique de la doctrine juspolitiste ; nous n’adopterons donc pas une démarche sociologique par laquelle seraient mis en valeur les enjeux de pouvoir qui sous-tendent

41 proposons d’adopter un point de vue « externe modéré », en transposant cette posture méthodologique de la science du droit dont elle est issue118, à la démarche métathéorique. En vertu de ce postulat en effet, « […] si l’observateur suspend sa propre adhésion aux phénomènes […] qu’il étudie, il ne néglige pas pour autant de se référer à la manière dont les acteurs [concernés] considèrent eux-mêmes les règles d’un point de vue interne »119.

38. L’ambition de systématiser la pensée exprimée par le droit politique suppose

cependant de dépasser la simple mise en ordre des différents arguments exposés par ses auteurs. Dans cette perspective, il apparaîtra ainsi parfois nécessaire de développer des éléments délaissés ou simplement effleurés par les juspolitistes afin de mettre au jour l’entièreté des implications d’une démarche de droit politique. Si le travail de reconstruction implique logiquement une certaine liberté à l’égard du matériau doctrinal exploité, il reste conditionné par la volonté d’en rendre compte, en tissant les liens parfois manquants entre les différentes théories exposées. Il relève donc bien de l’analyse, en ce qu’il favorise la compréhension globale du droit politique considéré comme théorie constitutionnelle.

39. En l’occurrence, le recours à la méthode analytique est favorisé par l’extériorité

entretenue à l’égard de l’objet d’étude. Ce travail ne prétend en effet pas être une thèse de droit politique – du moins pas directement – mais une thèse sur le droit politique ; il cherche moins à défendre une posture de droit politique qu’à faire état de ce qu’elle induit. En ce sens, la doctrine étudiée est objectivée, presque confisquée à ses auteurs, afin que l’analyse qui en est livrée puisse comporter une dimension critique autonome. Si elle prétend être analytique, la démarche ici adoptée n’est pourtant ni simplement descriptive ni complètement objective. Comme le relève Christian Atias, « la description supposée construit nécessairement son objet, en choisissant les éléments qui doivent l’informer sur ses composantes et en déterminant ceux qui constitueront des données et ceux qui laissent une liberté d’appréciation et de discussion. Avant même que ne s’engage le commentaire, toute neutralité est exclue »120. Bien que la méthode analytique invite à

éventuellement l’apparition d’un discours doctrinal concurrent. Voir à ce titre : Y. Dezalay, « La production doctrinale comme objet et terrain de luttes politiques et professionnelles », in La doctrine juridique, Paris : PUF, coll. CURAPP, 1993, p. 230-239.

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Les professeurs Ost et van de Kerchove visent en effet par ce terme une façon d’appréhender le droit et non le discours doctrinal qui en rend compte. Voir en ce sens : F. Ost, M. van de Kerchove, Jalons pour

une théorie critique du droit, Bruxelles : Facultés universitaires Saint-Louis, coll. Travaux et recherches,

1987, p. 75 et ss.

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Ibid., p. 76.

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s’inscrire dans une perspective scientifique et non idéologique121

, aucune démarche qui chercherait à s’y conformer ne peut donc jamais prétendre à une parfaite objectivité. Par ailleurs, bien que le prisme métathéorique adopté ici implique une différenciation entre le discours constituant l’objet et le propos de cette thèse, nous ne saurions, à l’instar des auteurs que nous étudions122, adhérer tout à fait à une conception radicale de la distinction entre les niveaux de discours ; travail sur le droit politique, cette thèse sera donc parfois incidemment un travail de droit politique.

40. Derrière l’entreprise de description de la théorie du droit politique se dessinera donc

un parti pris manifeste – et assumé – en faveur de ses conclusions. Il nous semble toutefois que cette subjectivité, irréductible dans toute démarche scientifique, n’atténue pas l’intérêt que véhicule une étude consacrée à cette question.

III. L’intérêt de l’étude : la mise au jour d’une théorie méconnue

41. L’enjeu d’une étude du droit politique envisagé comme théorie constitutionnelle

contemporaine réside d’abord dans son caractère inédit, qui s’explique tout naturellement par le développement relativement récent des discours étudiés. Ce faisant, si plusieurs recherches qui ont été récemment publiées s’inscrivent ouvertement au cœur d’une doctrine de droit politique123, elles ne procèdent pas en tant que telles à une analyse de

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Science et idéologie s’excluent en effet dans la pensée juridique classique. Ainsi pour Kelsen, « toute science prise comme moyen de connaissance s'attache à révéler son objet. À l'inverse, l'idéologie politique jette un voile sur la réalité, elle la transfigure pour mieux la conserver et la défendre, ou elle la déforme afin de la combattre et de la détruire ou d'y substituer une autre réalité. Toute idéologie politique s'enracine dans une volonté, et non dans la connaissance ; dans la région émotionnelle de notre conscience, et non dans celle de la raison ; elle émane de certains intérêts, ou plutôt d'intérêts distincts de la recherche de la vérité », H. Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, trad. B. Laroche et V. Faure, Paris : LGDJ, Bruxelles : Bruylant, coll. La pensée juridique, 2010, p. 48. Dans le même sens, Michel Troper écrit que « […] l’idéologie n’est qu’un ensemble de jugements de valeur, qui se substituent à la description ou la déforment. Il suffit alors de mettre en évidence le caractère idéologique d’une thèse pour la disqualifier » au nom de la science ; M. Troper, « La distinction droit public-droit privé et la structure de l’ordre juridique », in Pour

une théorie juridique de l’État, Paris : PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 192.

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La déconstruction de la « fiction du « méta » » est notamment opérée par Pierre-Marie Raynal, De la

fiction constituante. Contribution à la théorie du droit politique, thèse dact., Panthéon-Assas, 2014, p.

203-207. Voir sur ce point infra, Partie II, Titre I, Chapitre 1, Section 2, § 2, A.

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Sans prétention à l’exhaustivité, on peut citer ici plusieurs ouvrages. Jean-Jacques Sueur, d’abord, met en évidence certains écueils de la théorie constitutionnelle classique pour mieux promouvoir un droit politique. Mais il prend alors la forme d’un plaidoyer qui laisse peu de place à la systématisation analytique : J.-J. Sueur, Pour un droit politique. Contribution à un débat, Québec : Presses universitaires de Laval, coll. Diké, 2011, 348 p. Pierre-Marie Raynal étudie, quant à lui, la notion de fiction constituante qui lui permet de défendre une méthodologie de droit politique. Cette dernière ne fait donc pas l’objet, nous semble-t-il, d’un traitement exhaustif : P.-M. Raynal, De la fiction constituante. Contribution à la théorie

43 celle-ci. L’absence d’une étude sur ce sujet pourrait sembler indiquer son intérêt limité, mais il n’en est rien en vérité, la systématisation du droit politique comme théorie constitutionnelle emportant au contraire un enjeu doctrinal d’envergure. En tant que doctrine a priori minoritaire au regard du faible nombre d’auteurs considérés à ce titre, le droit politique, envisagé comme une théorie constitutionnelle, permet d’abord d’encourager le débat scientifique autour de la définition du droit constitutionnel, débat qui tend quelque peu à s’enliser autour de l’appréhension arrêtiste de la discipline (A). Étudier le droit politique permet également de mettre au jour son hostilité latente au positivisme juridique, et d’interroger ce faisant l’hégémonie que semble avoir conquise la posture normativiste au sein de la science du droit française, en lui opposant une conception renouvelée de la Constitution (B).