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18. Le droit politique se présente donc à l’entendement à la fois comme une doctrine,

une école de pensée et une théorie du droit, « […] c’est-à-dire une imagination, une représentation, une mise en scène, une mythologisation du logos juridique »63. La notion de droit politique pourra donc indifféremment être employée dans ces trois acceptions, sans qu’il s’agisse véritablement de les distinguer. C’est cependant la dernière d’entre elles qui retiendra particulièrement notre attention ; il s’agira moins d’étudier les auteurs du droit politique ou de prétendre catégoriser les membres de la doctrine juridique que d’analyser les propositions théoriques établies à ce titre. Le droit politique ne saurait à cet égard se concevoir que comme une théorie de la Constitution.

B. Une théorie constitutionnelle

19. Si le droit politique envisagé comme une théorie présente un quelconque intérêt,

c’est eu égard à son objet, et aux propositions qu’il émet à son endroit. L’expression de droit politique permet d’entretenir, à dessein sans doute, une certaine équivoque, mais il apparaît toutefois clairement qu’elle renvoie à une posture bien davantage juridique que politiste (1) et, plus spécifiquement encore, constitutionnaliste (2).

1. Une théorie juridique

20. L’audace de la théorie du droit politique apparaît dès l’emploi de ce terme, porteur

d’une ambivalence délibérée : le droit politique se construit autour du postulat que la théorie juridique ne peut faire l’économie d’une considération simultanée des phénomènes politiques, qui constituent à la fois l’objet et la source du droit64

. Pour autant, il s’agit bien, en mettant en œuvre une démarche de droit politique, d’étudier le droit, tel

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A. Viala, Philosophie du droit, Paris : Ellipses, coll. Cours magistral, 2010, p. 9.

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O. Jouanjan, « Avant-propos », in Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), Paris : PUF, coll. Léviathan, 2005, p. 2.

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Aussi Pierre Avril écrit-il que « […] la Constitution est un « instrument de gouvernement », autant qu’une charte des libertés, et elle est à ce titre inséparable du jeu des forces qui en conditionnent l’application », P. Avril, « Une « survivance » : le droit constitutionnel non écrit ? », in Droit et politique à

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qu’il est nourri par la politique, et non de faire prévaloir une science politique dont certaines manifestations adopteraient parfois la forme de prescriptions juridiques65. Pour le dire autrement, la théorie du droit politique n’appartient pas à une perspective doctrinale plus ancienne, par laquelle le droit, notamment constitutionnel, était dépouillé d’une autonomie méthodologique à l’égard de la science politique66

.

21. C’est bien d’analyse juridique dont il s’agit lorsqu’on évoque une étude de droit

politique, même si son objet ne saurait être tout à fait dissocié du phénomène politique qui l’irrigue67

. Les juspolitistes ne se font donc pas les chantres d’une doctrine révolue, celle que défendaient notamment en France, Georges Burdeau et Maurice Duverger. Pour le premier, la méthodologie proprement juridique devait en effet céder le pas à une analyse établie autour des préceptes de la science politique68. Burdeau décrivait ainsi l’inanité de l’objet « Constitution », à raison de la prévalence empirique des phénomènes sociaux sur l’effectivité de ses prescriptions69

. Dans la même veine, Maurice Duverger est resté célèbre pour avoir considéré l’étude du droit à travers les traductions politiques des

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Olivier Beaud insiste par exemple, dans l’introduction de son ouvrage consacré à la souveraineté, sur la dualité politique et juridique qui la caractérise, mais il affirme expressément « privilég[ier] son aspect de droit positif », afin de « souligner l’aspect éminemment juridique de la souveraineté » ; O. Beaud, La

puissance de l’État, Paris : PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 21.

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Alexandre Viala décrit ce mouvement par les termes suivants : « pour résister à toute tentation idéologique et mériter son statut spécifique, le droit constitutionnel dut renoncer à lui-même en développant, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une science qui n’était plus normative, mais devenait explicative ou sociologique. Elle fut prise d’assaut par la science politique et perdit, fort logiquement, son autonomie. On reconnaît, derrière ce réductionnisme politique, l’influence intellectuelle et méthodologique du professeur Duverger. C’est en réaction à ce réductionnisme qu’en profitant de la montée en puissance du contentieux constitutionnel, le droit constitutionnel regagna son autonomie dès les années 1980, sous l’autorité du professeur Louis Favoreu, en redevenant normatif […] », A. Viala, « De la promotion d’une règle à la normalisation d’une discipline », in B. Mathieu (dir.), Cinquantième

anniversaire de la Constitution française, Paris : Dalloz, 2008, p. 524-525.

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C’est ce que résume Jacky Hummel lorsqu’il évoque la nécessité de « […] définir la constitution

politique d’un État dans des termes juridiques », J. Hummel, Essai sur la destinée de l’art constitutionnel,

Paris : Michel Houdiard, coll. Les Sens du droit, 2010, p. 26.

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Jean Leca évoque ainsi « la science politique de Burdeau, ou le constitutionnaliste devenu politiste par nécessité », J. Leca, « Faut-il revisiter Georges Burdeau ? Retour sur une conception (« dépassée » ?) de la science politique d’un « constitutionnaliste » déçu et nostalgique », Jus politicum n° 7, mai 2012.

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« En effet – écrivait-il – l’artifice cède devant l’élémentaire, le système est recouvert par les improvisations, des données jusque-là contenues dans le domaine méprisé du fait recouvrent de leur exubérance le jardin policé du droit. Ce qui compte, dès lors, ce ne sont plus les théories savantes des publicistes ni la subtilité des agencements de procédures constitutionnelles, c’est l’homme, sa psychologie, sa condition sociale et économique, ses rêves, ses colères et ses illusions, car c’est lui isolément ou intégré aux masses, qui détermine la figure du Pouvoir, ses moyens et ses buts. Au regard de forces de cette nature il apparaît bien que la notion de constitution est dépassée. À l’instar d’une fonction instinctive ou viscérale la politique ne souffre d’autres lois que celles des possibilités et des besoins », G. Burdeau, « Une survivance : la notion de Constitution », 1956, in Écrits de Droit constitutionnel et de Science politique, préf. J.-M. Denquin, Paris : Éd. Panthéon-Assas, coll. Les Introuvables, 2011, p. 238.

29 mécaniques institutionnelles70. La postérité contribuera à le classer définitivement parmi les politistes71.

22. Aux antipodes de cette conception politiste de la Constitution, les auteurs du droit

politique que nous étudions ici proposent une théorie du droit de la Constitution, construite toutefois à la lumière des phénomènes politiques qui fondent sa valeur et déterminent sa portée72. C’est davantage sur le plan ontologique qu’en vertu d’un argument méthodologique que leur théorie relève du droit politique73. Comme leurs travaux le proclament, ils restent donc des juristes, dont l’ambition est principalement de se saisir du droit, plus spécifiquement constitutionnel.

2. Une théorie articulée autour de la Constitution

23. Malgré le choix d’une expression multiséculaire comme étendard, la doctrine du

droit politique est profondément moderne, en ceci qu’elle s’attache à l’étude du droit

constitutionnel. Ainsi que l’affirme Denis Baranger, « d’un point de vue de droit

politique, il semble au total plus pertinent de se tourner vers les positions classiques pour lesquelles le droit est avant tout tenu d’appréhender le pouvoir, de lui donner un cadre, d’entreprendre de le limiter. C’est la raison pour laquelle les juristes qu’on peut rattacher au droit politique ont une certaine tendance à s’intéresser au constitutionnalisme classique, qui était par excellence une pensée de la limitation du pouvoir par le droit »74. Même lorsqu’est en cause un système juridique qui échappe aux canons du constitutionnalisme écrit, à l’instar du Royaume-Uni, l’analyse juspolitiste s’en saisit

70

Voir notamment M. Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel 1. Les grands systèmes

politiques, Paris : PUF, coll. Thémis. Science politique, 17e éd., 1988, 603 p.

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Bastien François écrit à ce propos : « établi et subversif, à l’intersection de deux disciplines académiques (le droit constitutionnel et la science politique) entre lesquelles il fait le lien en même temps qu’il les fait exister, le « duvergisme » ne va pas résister à l’écart qui va se creuser entre ces deux disciplines dans la façon d’établir leur identité savante, alors même que la lecture qu’il propose des institutions politiques […] va se banaliser, et que son prophétisme démystificateur va perdre progressivement de sa force […] », B. François, « Maurice Duverger, la gloire avant l’oubli (en France) »,

Revue internationale de politique comparée vol. 17, 2010, p. 34-35.

72

Denis Baranger estime en effet que « l’idée de constitution […] suppose pour être pensée que soit en place un ensemble de caractéristiques structurelles, de manières de penser les rapports de la politique avec le droit », D. Baranger, « Le piège du droit constitutionnel », Jus politicum n° 3, décembre 2009.

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Cette distinction sera étayée plus loin ; voir infra Partie II, Titre II, Chapitre 2.

74

D. Baranger, « Avant-propos », in M. Altwegg-Boussac, Les changements constitutionnels informels, Bayonne : Institution universitaire Varenne, Paris : LGDJ-Lextenso, coll. des thèses, 2013, p. XVII.

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toujours par ce prisme de la configuration de la limitation du pouvoir75. En appelant à considérer le droit constitutionnel comme un droit politique, les auteurs concernés ne cherchent donc pas à diluer l’apport du constitutionnalisme parmi toutes les formes d’organisation du pouvoir politique. Paradoxalement peut-être, ils entendent au contraire redonner corps et vie à la notion de Constitution, en renouant avec « […] la tradition constitutionnelle française [selon laquelle] il existe une relation intime entre la Constitution et le pouvoir politique, c’est-à-dire entre la Constitution et l’État, l’entité politique qu’elle a vocation à régir »76

. Érigé en théorie, le droit politique s’inscrit donc bien dans une perspective constitutionnaliste77.

24. Par ailleurs, les auteurs considérés au titre du droit politique se concentrent sur la

sphère constitutionnelle. S’ils esquissent, ce faisant, les fondements d’une théorie générale du droit, il ne s’agit pas là de leur ambition première. La théorie générale du droit, en effet, « […] répond à des besoins théoriques, notamment en expliquant le phénomène juridique, aussi bien dans ses parties que dans sa totalité, et en réduisant par le biais d’une approche globalisante, synthétique, la complexité du phénomène juridique »78. Les travaux du droit politique ne fournissent pas un tel portrait des systèmes juridiques considérés dans leur ensemble, puisque l’analyse qu’ils dispensent concerne essentiellement les mécaniques et les théories proprement constitutionnelles. Cela conduit éventuellement les juspolitistes à aborder la question épineuse d’une théorie de l’État –

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C’est ainsi notamment que Denis Baranger se propose d’étudier la « Constitution » britannique, autour de cette problématique de l’agencement des institutions comme source de leur limitation. De son point de vue en effet, « la constitution est certes la structure d’une institution ou d’un ensemble d’institutions. En même temps, l’idée que cette structure, ou cet ordre, est de droit impose sa présence. On perdrait de vue quelque chose d’important si l’on s’en tenait à l’une ou l’autre seulement de ces caractéristiques. La problématique de la structure institutionnelle coexiste avec celle de la juridicité, à condition de prendre ce terme dans le sens le plus large possible, et dans une perspective où légalité et légitimité ne sont pas des préoccupations distinctes », D. Baranger, Écrire la Constitution non écrite : une

introduction au droit politique britannique, Paris : PUF, coll. Léviathan, 2008, p. 72.

76

O. Beaud, « Constitution et droit constitutionnel », in D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la

culture juridique, Paris : Lamy-PUF, coll. Quadrige. Dicos poche, 2003, p. 262.

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Il rompt, ce faisant, avec une approche plus consensuelle de la Constitution au nom de laquelle sa dimension exclusivement normative efface ses caractéristiques substantielles. De cette hypothèse, « il […] résulte que l’idée constitutionnaliste est sacrifiée sur l’autel du droit, de la « norme juridique » » ; à tout le moins, il en résulte une « disjonction » entre Constitution et constitutionnalisme : O. Beaud, « Constitution et constitutionnalisme », in P. Raynaud, S. Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris : PUF, coll. Quadrige. Dicos poche, 3e éd., 2003, p. 125. Sur les liens a priori ambigus entre juridicisation du droit constitutionnel et banalisation de la discipline, voir : A. Viala, « De la promotion d’une règle à la normalisation d’une discipline », in B. Mathieu (dir.), Cinquantième anniversaire de la Constitution

française, Paris : Dalloz, 2008, p. 522. L’auteur y affirme que, « tenant le politique en respect, le droit

constitutionnel paie son autonomisation en devenant un droit comme les autres », ibid.

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M. Van Hoecke, « Théorie générale du droit », in A.-J. Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de

31 qui serait mécaniquement associée à celle de la Constitution79 – mais dans une perspective qui reste moins généraliste que spécifiquement constitutionnelle80.