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Une institutionnalisation différenciée de l’intercommunalité (1980-2015)

I. LA « METROPOLE » CONTRE LA VILLE LES LOGIQUES DE

1. Les racines intercommunales de la « métropolisation »

1.2. Une institutionnalisation différenciée de l’intercommunalité (1980-2015)

A partir des années 1980, la coopération intercommunale connait un processus d’institutionnalisation qui culmine au tournant des années 2000 avec la création de deux communautés d’agglomération. Toutefois, cette institutionnalisation ne prend pas la même forme dans les deux villes. Alors qu’à Montbéliard, la politisation du district s’affaiblie et donne

lieu au retour d’une approche technique favorable aux grands groupes industriels, à Belfort, l’arrivée de Jean.-Pierre Chevènement offre un rôle plus important à la structure intercommunale dans l’action publique locale, notamment en ce qui concerne la gestion des friches industrielles.

A Montbéliard, les années 1980 et encore plus 1990 constituent une période de retour à une vision plus technique de l’institution intercommunale. Le remplacement d’A. Boulloche par le socialiste André Lang (1978-1989) ouvre une période d’instabilité politique et d’affaiblissement de la capacité d’action stratégique développée dans les années 1970. Les difficultés économiques – ralentissement de l’activité chez Peugeot, déstabilisation des réseaux de sous-traitance, etc. – contribuent à une baisse des recettes fiscales et à l’émergence de nouveaux problèmes urbains : baisse démographique, vacance locative, friches industrielles, etc.

Dans ce contexte, le nouveau maire se recentre sur une action de gestion de proximité au travers notamment de la rénovation du centre-ville (réhabilitation de l’habitat ancien, piétonisation) et de la mise en place de nouveaux équipements (centres socio-culturels, etc.). Privé des réseaux nationaux dont disposait son prédécesseur, A. Lang voit son autorité contestée par le député socialiste Guy Bèche qui devient président du district en 1983.

Ces luttes politiques ont pour effet de neutraliser l’institution intercommunale qui perd son rôle d’espace de discussion stratégique. C’est donc l’État et, dans une moindre mesure, Peugeot qui reprennent en main le développement économique, et notamment le problème du « déclin urbain » au travers de politiques mêlant incitations pour favoriser le « retour au pays »58 des travailleurs immigrés et démolitions de logements vacants.

Cet affaiblissement du pouvoir local se poursuit dans les années 1990 et 2000. L’élection à la mairie de Montbéliard du RPR Louis Souvet – ex-cadre du groupe Peugeot, maire d’Exincourt de 1965 à 1989 et sénateur du Doubs depuis 1980 – et son maintien au pouvoir de 1989 à 2008 inaugurent une période de subordination de la sphère politique à la sphère économique. En l’absence de réflexion stratégique, les politiques publiques sont cantonnées à l’accompagnement des dynamiques cycliques de croissance et de récession de la filière automobile. La communauté d’agglomération créée en 1999 n’est pas véritablement investie par le nouveau maire qui privilégie une politique de guichet. C’est ce que souligne l’un des vice-présidents du Pays de Montbéliard Agglomération (PMA) :

58 En juillet 1980, Peugeot lance une première opération de « retour au pays ». En échange de 25 000 F (10 000 F

de l’État et 15 000 F de Peugeot), 1 000 travailleurs immigrés retournent dans leur pays d’origine. Quelques années plus tard, une procédure plus avantageuse – qualifiée d’« aide conventionnelle à la réinsertion en faveur des travailleurs étrangers » – est mise en place. Elle prévoit une prime de 35 000 F ainsi qu’une aide à la réinsertion. Cette nouvelle procédure rencontre un succès important (1 750 employés) que certains expliquent par la montée du racisme sur le lieu de travail.

« Le principe était qu’à un euro investi à Montbéliard correspondent un euro investi sur le reste de l’agglomération. Cela a conduit à éparpiller des investissements au dépend de la centralité d’agglomération. Cela a aussi habitué les maires à voir l’agglomération uniquement comme une cagnotte, comme un guichet à subventions. (...) Souvent avait construit son autorité politique en faisant passer les intérêts du pays de Montbéliard avant ceux de la ville de Montbéliard. » (Vice- président de Pays de Montbéliard Agglomération)

Si plusieurs documents de planification sont élaborés (plan de déplacement urbain, projet d’agglomération, charte de l’environnement, etc.), ce n’est qu’en 2008, avec l’arrivée de Pierre Moscovici (PS) à la tête de PMA que la structure intercommunale est renforcée. Désireux de parfaire son enracinement local toujours incertain59, P. Moscovici investi la communauté d’agglomération comme un espace stratégique de production de politiques urbaines. La reconnaissance de l’enjeu du déclin urbain débouche sur la formulation d’un projet d’agglomération dont l’objectif premier est le renforcement des centralités, et plus particulièrement des villes de Montbéliard, Sochaux et Audincourt.

Ce regain d’intérêt pour la dimension stratégique de la coopération intercommunale s’accompagne du lancement de plusieurs projets d’ampleur : retour de la gestion de l’eau en régie, lancement du projet de bus à haut niveau de service (BHNS Caden-cités), investissement dans l’élaboration de documents de planification (projet de territoire, plan local de l’habitat, etc.) dans l’objectif de mieux réguler un développement urbain débridé, jusqu’alors dominé par les construction pavillonnaires dans le péri-urbain. Il débouche également sur un renforcement de la technostructure intercommunale, avec par exemple la création en 2009 d’un service en charge du développement économique.

A Belfort, la logique technicienne qui prévalait dans les années 1970 est (partiellement) remise en cause par le renouvellement générationnel et idéologique de la classe politique locale, qui s’opère en 1983 avec l’élection à la mairie du socialiste J.-P. Chevènement60. Associé à Christian Proust – son ancien assistant parlementaire, qui devient président du conseil général du Territoire de Belfort en 1982 –, J.-P. Chevènement est à l’origine de la mise en place d’une

59 Parachuté en 1994, l’enracinement de P. Moscovici dans le Nord Franche-Comté n’a pas été facile. D’abord

conseiller général en 1994, puis député en 1997, il est contraint d’abandonner ce dernier mandat lors de sa nomination la même année au gouvernement. Contesté pour sa faible implication locale, il subit deux échecs : lors des élections municipales à Montbéliard en 2001, puis lors des législatives de 2002. L’arrivée de la gauche à la mairie de Montbéliard en 2008, avec la victoire de Jacques Hélias (PS), lui permet de briguer la présidence de PMA qu’il occupera jusqu’en 2012 et sa nomination au gouvernement en tant que ministre de l’Economie. Désireux de garder un pied dans le territoire, il se présente alors sur une liste socialiste dans la commune de Valentigney, en 2014, où il subit un cuisant échec.

60 A côté de ses fonctions politiques nationales, J.-P. Chevènement exerça de nombreux mandats locaux : député

du Territoire de Belfort dès 1973 (puis sénateur de 2008 à 2014), il devient ensuite maire de Belfort (1983-2007), et président du district et de la CAB (1995-1998). Il dirigea également à plusieurs reprises les structures associatives de coopération à l’échelle de l’ « aire urbaine » (entre 1984 et 2001).

puissante coalition d’acteurs regroupant la municipalité, le conseil général, la préfecture et la CCI.

Disposant de réseaux aussi bien au sein des ministères que dans le tissu économique local, cette coalition élabore une stratégie de redéveloppement pour gérer les premières difficultés économiques : fermeture de l’entreprise Bull-Périphériques, difficultés rencontrées par Alsthom à partir du tournant de la rigueur de 1983 (Teisserenc, 1992). Cette stratégie s’aligne sur celles qui sont développées à la même période dans la plupart des villes européennes. Elle est dominée par un objectif de renforcement de l’attractivité urbaine qui se décline de différentes manières. Ainsi, dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, les friches industrielles sont réinvesties pour mettre en place des projets structurants permettant l’implantation de nouvelles entreprises ou de ménages venant de l’extérieur. Dans le secteur de l’économie, un travail est également réalisé pour orienter les fonds de reconversion vers le soutien à l’industrie, notamment grâce à la création de Société d’investissement et d’industrialisation de Belfort (Sybel) en 199161. Enfin, cette stratégie dispose également d’une dimension culturelle bien affirmée, qui se retrouve notamment dans la création du festival musical Les Eurockéennes en 1989.

Certes, cette stratégie n’est pas portée uniquement par le district qui reste au départ une structure de gestion peu impliquée dans la mise en place de politiques urbaines. Toutefois, au milieu des années 1990, cette situation évolue. Ainsi, à partir de 1995, le district s’élargit à huit nouvelles communes et il acquiert, en 1998, de nouvelles compétences en termes de planification et de développement économique. La création de la Communauté d’agglomération de Belfort (CAB) en 1999 vient parfaire ce mouvement en offrant un nouvel outil pour les acteurs locaux : J.-P. Chevènement d’abord, puis le socialiste Etienne Buztbach à partir de 2008. Elle remplace progressivement la municipalité dans le capital de la SEMPAT – l’une des plus importante société d’économie mixte en France62– qui joue un rôle déterminant dans la transformation des friches Bull et Alsthom en un gigantesque quartier d’affaires à dominante tertiaire.

61 Sybel est une société de conversion qui gère les fonds de conversion attribués dans le cadre de la fermeture de

grandes entreprises ou de plans sociaux. Très puissante, cette société – dénommée aujourd’hui Aire Urbaine Investissement – dispose d’un périmètre d’action large incluant l’aire urbaine de Montbéliard. Elle joue un rôle central dans le travail de renforcement ou de création de filières économiques dans le territoire.

62 Créée dès les années 1980, la SODEM/SOBEM devient un « portefeuille immobilier » à partir du début des

années 1990 et de la fermeture de Bull-Périphériques. La création de Techn’hom débouche sur un changement de nom de la structure qui devient la SEMPAT, puis à partir de 2015 TANDEM. Les différents rachats et augmentations de capital font de cette très puissante SEM la deuxième plus importante de France, après celle de la Défense.