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I. LA « METROPOLE » CONTRE LA VILLE LES LOGIQUES DE

4. Conclusion

Les processus de métropolisation à Belfort-Montbéliard restent très largement incomplets. Malgré les renforcements institutionnels induits par les réformes nationales récentes – extension du périmètre des communautés d’agglomération, création du pôle métropolitain –, les échelles de gouvernement supra-communales sont largement contrôlées par les maires qui privilégient des stratégies de maintien du statu quo au détriment d’une réflexion stratégique sur le devenir du territoire.

Ces institutions supra-communales ont avec le temps pris en charge un nombre grandissant d’enjeux : gestion des infrastructures, développement économique, planification, etc. Elles peuvent aujourd’hui être considérées comme des structures à dominante technique qui occupent un rôle fonctionnel dans la gestion du territoire. Centrées sur l’enjeu « consensuel » du développement économique et de l’accompagnement des grands groupes, ces structures ne sont pas gouvernées autour d’un clivage classique gauche/droite. Elles sont davantage structurées par une opposition entre les centres urbains industriels et en déclin, d’un côté, et les communes périphériques résidentielles et dynamiques, de l’autre, qui tourne depuis le début le milieu des années 2010 à l’avantage des secondes.

D’un point de vue scientifique, cette étude de cas conforte un certain nombre de résultats établis par la recherche en sciences sociales sur le gouvernement des villes et des échelons intercommunaux. Premièrement, le cas de Belfort-Montbéliard souligne la faiblesse des structures intercommunales lorsqu’il s’agit de mettre en place des dispositifs de régulation ou de contrôle de l’urbanisation. Si les intercommunalités peuvent dans certains contextes être à l’origine de politiques de redistribution (Sellers et al., 2017), elles sont le plus souvent dominées par des impératifs entrepreneuriaux – de positionnement ou de développement économique – qui semblent être les uniques points de convergence entre les maires d’un même territoire (Desage, Guéranger, 2011). A Belfort-Montbéliard, comme bien souvent ailleurs, les structures intercommunales (communautés d’agglomération et pôle métropolitain) n’ont pas permis l’émergence d’un « intérêt » supra-communal et restent très largement dominées par des maires qui ont réussi à apprivoiser les institutions. Deuxièmement, cette étude montre que les scènes locales de décision sont aujourd’hui fragmentées. Les espaces de discussion stratégiques dans laquelle sont définies les politiques urbaines sont loin de se limiter aux seules assemblées municipales et intercommunales. Au contraire, dans le territoire de Belfort-Montbéliard, ces espaces peuvent se situer dans d’autres instances – le comité de pilotage d’un SCOT, le conseil d’administration d’une société de reconversion, etc. – pour lesquelles le contrôle démocratique est plus faible. Ces scènes de décision varient fortement suivant les enjeux traités, ce qui rend leur repérage difficile. Troisièmement, cette étude permet de comprendre le rôle que jouent les acteurs et intérêts économiques dans la gouvernance du territoire. A Belfort-Montbéliard, ces acteurs – qui disposaient historiquement d’un ancrage territorial très fort – se sont retirés des

scènes de décision locales à partir des années 1990 et plus encore des années 2000. Pour autant, l’influence qu’ils exercent sur les politiques urbaines ne s’est pas affaiblie puisque leurs attentes sont désormais anticipées, voire même intériorisées, par des élus locaux qui ont fait leur les dogmes de l’entrepreneurialisme urbain (Pinson, 2009 ; Huré et al., 2018) et qui craignent par- dessus tout le retrait définitif des grands donneurs d’ordre, qui signerait l’arrêt de mort du territoire.

Ces résultats ne sont pas nouveaux. Ce qui l’est davantage, ce sont les effets que peuvent avoir les contextes de déclin urbain, et plus particulièrement les contextes de dualisation des agglomérations, sur les modalités de gouvernement urbain. Dans les capitales régionales françaises, la croissance économique et la croissance démographique des années 1990 et 2000 se sont accompagnées d’une stabilisation du pouvoir municipal et intercommunal, construite autour d’une alliance entre les élites locales et un « bloc social » bourgeois. Ce « bloc social » est soit dominé par la petite bourgeoisie et/ou la bourgeoisie catholique conservatrice dans des villes comme Bordeaux, Toulouse ou Marseille (Mattina, 2017), soit par les classes moyennes salariées et les fractions les plus éduquées de la société dans des villes comme Nantes, Rennes ou Grenoble. Dans les deux cas, cette alliance a été largement favorable à un agenda entrepreneurial et proactif centré sur la croissance et le développement de structures intercommunales permettant à la ville-centre de renforcer sa domination sur ses périphéries. Dans les villes en déclin, la situation est radicalement différente. Non seulement, l’absence de « bloc social » bourgeois majoritaire et les difficultés sociales croissantes ont rendu difficile l’affirmation d’un leadership politique stable et provoqué, dans les années récentes, des alternances répétées, mais surtout, les situations de déclin urbain ont été marquées par une incapacité des élites politiques locales à investir les instances intercommunales et à construire un agenda centré sur le soutien aux centres urbains en difficulté, et par extension aux classes populaires. Dans un territoire où l’idéologie anti-urbaine prévaut aussi bien au sein de la classe politique que de la population des périphéries, le pouvoir politique s’est concentré sur la question du développement économique et sur la captation de subsides étatiques ou européens typique des « coalitions de financement » (Béal et al., 2009 ; Bernt, 2009). A l’inverse, les enjeux centraux que sont la régulation de l’urbanisation (habitat, commerce, etc.) et la déconcentration de la pauvreté n’ont pas fait l’objet de politiques publiques ou de dispositifs contraignants aux échelles métropolitaines. Les élites politiques des centres urbains, peu politisées et réticentes à s’engager dans un travail de réflexion stratégique, se sont recentrées sur l’échelle municipale comme espace de gestion de proximité et de renforcement du fief électoral.

D’un point de vue plus normatif, cette étude de cas donne à voir une image ambiguë des espaces politiques métropolitains. D’un côté, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, ces espaces semblent pour l’instant contribuer à l’affaiblissement de la démocratie locale et sociale. Contrôlés par des maires qui ne souhaitent pas voir émerger un intérêt supra-

communale, ces espaces sont largement soustraits aux mécanismes classiques du contrôle démocratique permettant aux citoyens et à leurs collectifs (associations, syndicats, mais aussi conseils de développement, etc.) de se saisir des enjeux locaux et de peser sur la gouvernance de ces territoires. Pour autant, cette étude de cas ne doit pas conduire à adopter une lecture trop simpliste faisant de la commune l’échelle « pertinente » pour la démocratie et l’action publique. Au contraire, l’analyse des processus de « métropolisation » à Belfort-Montbéliard montre que la valorisation de la commune comme espace politique de référence amplifie les logiques d’égoïsme territorial et entrave la gestion des principaux problèmes qui touchent le territoire : déprise démographique, exode des classes moyennes vers la périphérie, émiettement urbain, concentration de la pauvreté et spécialisation ethnique de certains espaces, démantèlement de l’armature commerciale et de services des centres urbains, etc. Si ces problèmes trouvent à se manifester à une échelle municipale, leur résolution ne peut passer que par la mise en place de structures de gouvernement fortes à l’échelle métropolitaine.

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II. ORGANISATIONS SYNDICALES ET METROPOLISATION