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I. LA « METROPOLE » CONTRE LA VILLE LES LOGIQUES DE

3. Logiques de la « métropolisation » dans un territoire non-métropolitain

3.2. Non régulation

L’affaiblissement des deux villes-centres, déjà visible autour des politiques de restructuration des services publics, est encore plus net dans la gestion d’autres enjeux comme la fiscalité locale et le logement. Ces deux enjeux sont décisifs dans la mise en place de solidarités à l’échelle métropolitaine, notamment dans les territoires marqués par de fortes inégalités sociales. Or, à Belfort et Montbéliard, ni les structures intercommunales, ni le pôle métropolitain n’ont été mis au service d’une politique de redistribution sociale, c’est-à-dire d’une politique s’employant à conforter les centres urbains qui sont pauvres socialement – mais souvent riches fiscalement – contrairement aux communes périphériques.

A Montbéliard, les tensions entre communes rurales et urbaines ne sont pas neuves. Elles deviennent toutefois prégnantes au milieu des années 2000 lorsque le schéma de cohérence territorial (SCOT) et le plan local de l’habitat (PLH) sont mis en place. Leur élaboration donne lieu à de nombreuses tensions entre communes qui vident ces documents de leur substance. Si les acteurs s’accordent pour reconnaitre le poids des migrations résidentielles de ménages actifs depuis l’agglomération de Montbéliard vers Belfort et, en interne au sein de l’agglomération, depuis les villes industrielles vers les communes périphériques75, aucun dispositif contraignant n’est mis en place. Faute de priorisation et de hiérarchisation, qui permettraient d’accorder un statut particulier aux villes comme Montbéliard ou Sochaux, les politiques intercommunales ne débouchent pas sur une régulation des marchés du logement.

Cette tendance se renforce avec l’élaboration d’un nouveau SCOT portant cette fois-ci sur un périmètre élargi. Avant que la fusion des intercommunalités n’intervienne en 2017, le syndicat mixte du SCOT Nord Doubs, qui avait été créé en 2014, regroupait déjà les 72 communes actuelles du Pays de Montbéliard76. Ce périmètre a fait naitre la crainte chez les représentants des communes rurales de « se faire manger » par la ville-centre et de voir ainsi

75 La plupart des communes « urbaines » connaissent des processus de déclin démographique. Ainsi, Sochaux est

passée de 7 500 habitants en 1962 à 3 900 habitants en 2015. Montbéliard a vu sa population chuter, de 31 800 habitants à 25 300 habitants entre 1982 et 2015. Enfin, Belfort, qui a longtemps mieux résisté, est passé en 2015 pour la première fois sous le seuil des 50 000 habitants.

76 Au départ, les autres communautés de communes ne voulaient pas intégrer le SCOT, mais elles y ont été forcées

par l’État. En effet, la loi prévoyait que les communes ou communautés de communes qui ne se trouvaient pas dans le périmètre d’un SCOT passent en régime de constructibilité limitée (ce qui signifie que pour chaque demande d’ouverture à l’urbanisation, il faut consulter au préalable le préfet).

une « surreprésentation du monde urbain par rapport au monde rural »77. Pour apaiser ces craintes, un accord porté par J. Hélias, alors maire de Montbéliard, a donc été établi pour que PMA soit minoritaire au sein du syndicat (11 sièges pour PMA contre 12 pour les trois autres communautés de communes). Malgré cet accord, les élus des communes rurales ont manifesté beaucoup de méfiance envers le processus, ce qui s’est traduit dans les faits par un très fort investissement de leur part : « Comme ils avaient peur de se faire bouffer, les élus ruraux étaient très présents sur le SCOT. Comparativement, ce sont les élus urbains qui étaient absents. »78 Cette situation a débouché sur l’élaboration d’un SCOT, en novembre 2017, considéré comme étant très peu contraignant79 :

« Le degré de prescriptivité du SCOT va être minimum. Le travail de pédagogie est important mais tout ça pour quoi ? La question est celle de la volonté des élus de s’engager dans les prescriptions. Elle est liée à celle du passage d’une réflexion communale à une réflexion intercommunale qui est fondamentale. Aujourd’hui, on est loin d’avoir réussi cette manip-là. (...) On était bien parti sur un certain nombre de choses, mais l’arrivée de la loi NOTRe a bouleversé les relations entre les communes. Concrètement, dans les communautés de communes qui ont fusionné, des points de vue s’exprimaient pour les uns pour rejoindre le Pays de Montbéliard, les autres pour faire quelque chose avec une autre communauté de communes. Tout le travail de construction territoriale fait dans le cadre du SCOT s’est retrouvé remis en cause. » (DGA PMA)

Les difficultés dans l’élaboration du SCOT et les tensions nées de la fusion des intercommunalités ont conduit C. Demouge à porter une attention particulière aux équilibres territoriaux et plus précisément au devenir des communes périurbaines et rurales. Cette volonté, qui s’est matérialisée par une approche très permissive de l’aménagement (consommation élevé d’espaces avec 400 hectares ouverts à l’urbanisation, besoin en logements et en espaces d’activité économiques surdimensionnés), a d’ailleurs été sanctionnée par le préfet qui a demandé une refonte du document :

« C’est un SCOT très clairement rural (...). La question de la ville, de l’urbanité ne parle pas à grand monde ici. Les communes rurales veillaient à ce que les règles relatives à l’urbanisation ne soient pas trop contraignantes. Elles répétaient sans cesse : ‘Vous n’allez quand même pas m’empêcher de me développer.’ (...) Il trouvait que l’[agence d’urbanisme] avait un discours malthusien, alors qu’on essayait juste d’expliquer que l’érosion démographique devait être reconnue et prise en compte car cela menace certains équilibres, certains équipements aussi. A un moment, quand on veut construire de nouveaux logements, mais qu’on veut également

77 DGA PMA. 78 Ibid.

79 Le SCOT prévoit un certain nombre d’orientations favorables aux villes-centres, notamment sur les questions

commerciales et sur les limitations de l’extension des grandes surfaces en périphérie, mais ces orientations ne s’accompagnent pas de mesures véritablement prescriptives.

limiter la consommation foncière, il faut faire des choix et se porter sur les espaces en friche dans les communes urbaines, pas dans les zones rurales. » (Directeur de l’Agence urbanisme du Pays de Montbéliard)

Certes, l’agglomération continue de contribuer financièrement au développement de la ville-centre avec l’implantation prochaine d’équipements comme la clinique, le conservatoire ainsi qu’avec le projet de transports à haut niveau de service (THNS). Toutefois, l’investissement dans des activités stratégiques semble désormais davantage porter sur la périphérie. On en veut pour exemple la mise en place d’un contrat de ruralité80 comme brique de base d’une politique intercommunale plus « rurale » qu’« urbaine », centrée sur l’attractivité touristique du territoire, le développement du haut-débit dans les zones rurales, la promotion des circuits courts et de l’agriculture (péri-)urbaine (Garel, 2017). A l’inverse, le dossier de réponse à l’appel à projets « Action cœur de ville », pour lequel Montbéliard a été lauréat en 2018, a été uniquement porté par la municipalité. Cette dissociation se matérialise dans les conflits entre la maire de Montbéliard et le président de PMA qui rendent, selon le directeur de l’agence d’urbanisme, toute coopération impossible :

« Nous n’avons pas envie de reprendre le SCOT tant qu’on sera dans cette gouvernance. Il y a trop d’acteurs absents, trop de conflits aussi. Aujourd’hui, le président de PMA et la maire de Montbéliard ne peuvent plus se parler. Le conflit se règle par articles de presse interposés. C’est pathétique. » (Directeur de l’Agence urbanisme du Pays de Montbéliard)

Cette logique est également visible dans les dispositifs fiscaux. En 2017, l’élection de C. Demouge s’est faite sur la promesse d’une non augmentation de la fiscalité intercommunale, qui faisait partie des conditions posées par les nouvelles communes pour leur entrée dans PMA. Plus généralement, au sein de PMA, les mécanismes de redistribution fiscale paraissent faibles. Certes, PMA dispose d’une dotation de solidarité communautaire (qui s’élève annuellement à environ un million d’euros), d’un fonds de concours et d’attribution de compensations. Toutefois, ces différents dispositifs semblent limités et ne favorisent pas toujours les communes pauvres socialement, qui comprennent un nombre élevé de logements sociaux et affrontent des problématiques « urbaines » (transport, équipement, etc.). Ainsi, une commune comme Grand- Charmont, qui est composée d’une population plus pauvre que la moyenne de l’agglomération, bénéficie d’une compensation très limitée : en 2015, son versement à l’agglomération étant de 278 000 euros, pour un reversement compensatoire de 127 000 euros. L’extrait suivant du compte-rendu du conseil municipal est éclairant sur les difficultés à penser une redistribution qui ne soit pas uniquement fiscale – les communes riches fiscalement étant bien souvent pauvres socialement – mais aussi sociale :

80 Créés en 2016 sous l’initiative du ministre de l’Aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités

territoriales, Jean-Michel Baylet, ils constituent « le pendant des contrats de ville ». Son objectif est celui de « coordonner les moyens techniques, humains et financiers afin d’accompagner la mise en œuvre d’un projet de territoire ».

« Grand-Charmont verse plus à l’agglomération qu’elle ne perçoit alors que cette recette par habitants s’élève pour l’exercice 2015 à 868 euros contre 1 174 euros pour la moyenne des communes de la même strate, qu’elle est éligible à la dotation politique de la Ville au titre des 100 communes les plus pauvres. Le conseil municipal, depuis plusieurs années, appelle de ses vœux la mise en œuvre d’une plus grande solidarité à l’échelle de l’agglomération faisant état de différences criantes entre les communes en termes de recettes par habitant. » (Compte-rendu du conseil municipal du Grand-Charmont, 30 octobre 2017)

A Belfort, la situation est légèrement différente. Les communes rurales et périphériques sont plus faibles qu’à Montbéliard et n’ont pas repris en main l’intercommunalité. Le SCOT du Territoire de Belfort, approuvé en février 2014, identifie clairement le centre-ville de Belfort comme un espace stratégique concentrant différentes fonctions (résidentielle, économique, enseignement supérieur, commerces, équipements) et disposant de potentialités foncières lui permettant d’accueillir de nouveaux projets, notamment à proximité de la gare et de l’entrée sud de la ville.

Le SCOT tente aussi de cantonner le développement de l’espace médian pour limiter ses effets de concurrence et d’aspiration des activités vis-à-vis du centre-ville de Belfort : « L’espace médian est maillé avec d’autres points névralgiques : centres économiques, fonctions supérieures, cœurs urbains. Il n’est donc pas voué à se développer en tant que ‘ville nouvelle’ ou espace résidentiel autonome. » (Extrait du PADD du SCOT du Territoire de Belfort, p. 11)

Toutefois, comme à Montbéliard, ces déclarations ne s’accompagnent pas de dispositifs de renforcement de la centralité. Ainsi, le SCOT promeut un modèle de développement territorial appelé « polycentrisme équilibré » qui conduit à conforter le développement résidentiel et économique d’un nombre important de pôles existants – une dizaine de communes

sont concernées – mais aussi d’accompagner la croissance de micro-pôles – là aussi autour d’une dizaine de communes. Il ne propose pas non plus de scénario démographique propre, se contentant de reprendre ceux établis dans les différents plans locaux d’urbanisme (PLU) des communes. Certains cadres de l’agglomération et de la Direction départementale des territoires (DDT) font ainsi le constat d’une incapacité à instaurer une régulation du développement des périphéries au sein du syndicat mixte portant le SCOT et reprochent à l’agence d’urbanisme, qui a assuré la maîtrise d’œuvre de ce document, d’avoir accompagné un schéma spatial conduisant à un éparpillement des équipements et à un coût économique important pour la desserte en transport public de l’ensemble de ces pôles.

Cette situation se retrouve également au niveau des politiques de l’habitat. Pendant longtemps, la ville de Belfort a accepté d’assurer une part importante de la construction de logements sociaux. L’arrivée de la droite au pouvoir en 2014 modifie la donne. Au départ, la nouvelle équipe municipale propose de redistribuer les cartes en ralentissant la production de logements sociaux à Belfort, et à l’inverse en l’intensifiant dans les périphéries. Cet objectif donne lieu à la mise en place de nouveaux outils aussi bien à l’échelle municipale qu’intercommunale : mise en place d’un dispositif préventif pour enrayer la déqualification des grandes copropriétés privées ; lancement d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat de renouvellement urbain (OPAH-RU) dans le quartier de Belfort Nord-Jean Jaurès ; priorisation des aides à la pierre HLM sur des programmes neufs se situant dans des communes périphériques.

Cette captation des leviers d’action intercommunaux pour accompagner le renouvellement urbain à Belfort reste néanmoins partielle. En effet, les grandes orientations édictées dans les documents de planification ne sont pas suivies d’effet. C’est ce que souligne l’un des représentants de la DDT :

« L’habitat n’est pas gouverné. Avant, il y avait un consensus autour de l’idée que le logement social était pour Belfort et que les autres communes se développaient à leur guise. Le PLH et le SCOT étaient très permissifs. Aujourd’hui, c’est un peu différent, la ville de Belfort tient le discours suivant : ‘Attention, il ne faut pas que Belfort accueille uniquement les populations les plus pauvres. On n’a pas vocation à se spécialiser socialement.’ C’est très bien ! Mais quand le maire d’une commune de deuxième couronne, lors de la révision de son PLU, prévoit la réalisation de projets d’extension pavillonnaire déraisonnables, personne ne réagit. Ce fut le cas par exemple de la commune d’Argiésans à l’ouest de Belfort. Dans ce cas, c’est à nous, État local, de limiter la casse, mais on ne peut pas être dans une logique d’interdiction. Tout au plus on peut essayer de fixer des objectifs plus raisonnables, ou dans le pire des cas aller au contentieux. » (Directeur du service Logement, DDT 90)

Plus généralement, les maires n’ont pas souhaité transférer la compétence urbanisme à la Communauté d’agglomération du Grand Belfort. Le maire de Belfort n’a pas cherché à

imposer cette remontée de compétence. Comme le souligne le DGS du Grand Belfort, « le président de l’agglomération veut aller en douceur. L’intercommunalité, ça ne se force pas ». Contrairement à ses prédécesseurs, D. Meslot n’a pas investi fortement les instances intercommunales. Selon certains de nos enquêtés, il ne dispose pas d’une « culture de l’intercommunalité ». Toutefois, la cause de cette réticence doit sans doute plus être cherchée dans le profil de ce maire et les modes de légitimation qu’il privilégie. Ses modes de légitimation semblent orientés autour du contrôle électoral du fief, qui passe par une action de proximité et de clientélisation de sous-groupes de la société urbaine dans la commune de Belfort, d’un côté, et par la mise en place de mécanismes permettant aux communes périphériques de profiter de l’intercommunalité sans trop subir ses contraintes, de l’autre.

Ainsi, l’une des spécificités du Grand Belfort a été l’instauration en 2014 d’un fond d’aide aux communes, qui permet de mettre en œuvre la redistribution en dehors de tout critère objectif d’attribution81. Le DGS du Grand Belfort revient sur la nature de ce dispositif :

« Le fond d’aide aux communes, c’est quelque chose de très politique. Le député-maire arrose sa circonscription. C’est une distribution très politique, je n’ai pas peur de le dire. Il n’y a aucun critère qui justifie l’allocation de ces fonds. » (DGS du Grand Belfort)

Il est d’ailleurs à noter que ce fonds a augmenté lors du vote du budget 2017, passant à 1 514 816 euros. Si cette augmentation a été présentée comme une conséquence de l’élargissement du périmètre de la CAB, les fonds semblent avant tout avoir été fléchés vers les communes de la circonscription législative du maire, dans un contexte pré-électoral (Garel, 2017).