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2. L’APH DANS LA DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE

2.2 Les finalités

2.2.2 Une finalité psychologique: le développement d'une pensée critique

scolaires visant une éducation véritablement transformative. Selon Sachot (1996, 1998), ces disciplines s’adressent d’abord à l’intelligence de l’élève pour exercer les facultés intellectuelles nécessaires à l’exercice de sa liberté. Cet exercice repose sur la capacité à mettre en perspective les opinions et les préjugés transmis par la culture et reconduits par les pouvoirs publics : « Les préjugés donnés par la puissance publique sont une véritable tyrannie, un attentat contre une des parties les plus précieuses de la liberté naturelle » (Condorcet, 1989, dans Sachot, 1996, p.214).

Cette finalité psychologique exprime une tension fondamentale de l’enseignement de l’histoire. Un enseignement dont l’une des fonctions sociales est

de transmettre des souvenirs partagés, assurant la reproduction des groupes sociaux : « history, especially the history of the nation, consists of “the truth,” a body of fixed information, objectively known, and that the job of educators is simply to train children’s memories in the facts they need to be loyal and industrious citizens » (Nash, Crabtree et Dunn, 1997p.175). Pour Wineburg (2001), ces souvenirs fondant une identité collective circonscriraient un « cadre » pour l’enseignement de l’histoire, lequel interviendrait comme un « filtre » dans la compréhension des réalités sociales. C’est pour mettre en perspective ce filtre que l’APH contribue à la finalité critique de l’enseignement de l’histoire. Autant en Grande-Bretagne (Booth, 1983, 1994 ; Hallam, 1972 ; Lee, 1983, 2005 ; Peel, 1967a, 1967b; ), aux États-Unis (Bain, 2000; Bohan et Davis, 1998; Briley, 2008; Brown, 2009; Crabtree et Nash, 1996 ; Nash, Crabtree et Dunn, 1997 ; van Hover et Yeager, 2007 ; Wineburg, 2001), au Canada (Denos et Case, 2006 ; Lévesque, 2008 ; Peck et Seixas, 2008; Seixas, 1998a; Seixas et Peck, 2004), en France (Audigier, 1997) qu’au Québec (Demers, Lefrançois et Éthier, 2010; Dagenais et Laville, 2007a ; Duquette, 2011 ; Ftouh-Ghammat, 2008 ; Gagnon, 2011; Guay, 2002 ; Laville, 2001 ; Martineau, 1997, 2000, 2010 ; Moisan, 2004, 2010), les écrits s’accordent pour reconnaître un rapport de causalité entre le développement de la pensée critique et celui de la pensée historique.

Cependant, ce rapport entre le développement d’une pensée critique et l’APH donne lieu à différentes interprétations dans la documentation scientifique. Ces interprétations sont variables, d’une part, selon les liens établis entre la pensée historique et la pensée critique. Gagnon (2011) identifie une « “logique supportant- supporté” […] selon laquelle l’exercice d’une pensée historique prend appui sur une pensée critique, et non l’inverse » (p.445). Dans ce cas, la pensée historique et la pensée critique désignent deux objets distincts aux rapports variables. Inversement, Brown (2009) considère que la pensée historique subsume toute forme de pensée critique. Cependant, en vertu de la taxonomie d’Orlandi (1971) – que nous avons retenue pour éclairer les finalités définies par Chervel (1998) – il est difficile de considérer cette dernière proposition, car cela reviendrait à faire de la pensée

historique une finalité en soi. Gagnon (2011) identifie néanmoins trois éléments partagés par ces deux types de pensée. Premièrement, il s’agit de deux types de processus consistant à « interroger », « contextualiser » et « établir des critères », qui sont « situés » dans des contextes déterminés, inscrits dans une action intentionnelle et finalisée. Deuxièmement, ils s’inscrivent dans des pratiques évaluatives, consistant à mettre en rapport des savoirs avec des événements historiques, pour déterminer leur intérêt, leur importance et leur signification. Troisièmement, ils enchâssent ce rapport dans une activité de production de connaissances historiques : « [la pensée historique] mise en œuvre est vue comme permettant le développement de connaissances historiques qui elles-mêmes contribuent au développement de la pensée historique de l’individu. Il en va de même de la pensée critique » (Idem, p.437).

Les interprétations du rapport entre la pensée critique et la pensée historique sont variables, d’autre part, à cause de la diversité des construits mobilisés pour mettre en contexte ce processus évaluatif de production de connaissances historiques, auquel réfère Gagnon (2011). Sous cet angle, la pensée historique est variablement associée à la mémoire collective, à la mémoire historique et à la conscience historique. Plusieurs didacticiens s’appuient sur le construit de mémoire collective pour traduire l’ensemble des savoirs sur le passé partagés par les membres d’un groupe ayant une identité commune. L’intérêt pour ce construit de mémoire collective dans le champ de la recherche en didactique de l’histoire ne se dément pas depuis son apparition dans l’historiographie au cours des années 1970, dans la foulée d’une remise en question des « grands projets politiques et sociaux » et de leurs idéologies sous-jacentes (Laville, 2003). Ce construit exprime un cadre de référence permettant à tous de comprendre immédiatement les phénomènes sociaux et historiques, sans égard à leur complexité (Dagenais et Laville, 2007a; Heimberg, 2002; Lévesque, 2008; Martineau, 1997, 2010; Wineburg, 2001). La mémoire collective est appuyée sur des « croyances » déterminant une « disposition d’esprit commune », à la fois d’ordre affectif (« sensibilité ») et d’ordre cognitif (« pensée »). (Halbwachs, 1950) Cette disposition d’esprit s’objectiverait au cours de pratiques sociales, consistant

principalement pour les groupes sociaux à remémorer et à commémorer des souvenirs (Halbwachs, 1950; Heimberg, 2003). Ces pratiques permettent de réguler le rapport dialectique entre le souvenir et l’amnésie et, souvent, à un groupe social d’affirmer – voire d’imposer à l’égard d’autres possibilités mémorielles – ses mythes et ses croyances. Selon Heimberg (2003, p.128), la remémoration et la commémoration peuvent abonder en faveur d’un « devoir de mémoire » de « sacralisation » des souvenirs, qui est « une injonction prescriptive, exprimée par exemple en termes de moralisation ».

La mémoire collective est également envisagée en lien avec un « travail de mémoire » tel que le défini Ricoeur (2000), visant la reconstruction critique des contenus de la mémoire, par la prise en compte de d’autres possibilités identitaires. Dans la perspective de ce travail de mémoire, ou comme « stratégie identitaire rationnelle » (Martineau, 2010), l’histoire est alors posée comme une « science des différences », favorisant « la paix et la tolérance » par l’analyse de la réhabilitation ou de l’occultation de certains groupes sociaux (Heimberg, 2003). En référence à ce travail de mémoire, d’autres chercheurs vont cependant cibler plutôt le construit de mémoire historique, distingué de celui de mémoire collective. La mémoire historique désignera alors l’ensemble des événements historiques et leur articulation fondant un récit historique immédiatement élaboré par un répondant (Létourneau et Moisan, 2004). Toutefois, ce construit de mémoire historique, s’il permet de rendre compte de souvenirs partagés susceptibles de trouver un écho en classe d’histoire, n’apporte pas davantage d’éclaircissements quant à la nature de l’activité critique de transformation. Comme l’ont souligné Hartog et Lenclud (1993) citant Jeanne Favret-Saada, le « travail d’histoire de la mémoire » serait « tout bonnement une enquête sur la représentation indigène des faits passés et son évolution chronologique » (p.22). En quoi celle-ci est-elle transformative? Par ailleurs, nous pourrions ajouter que le recours à d’autres construits, tels la conscience citoyenne (Boyer, 2010) ou la conscience critique (Déry, 2008), en lien avec la pensée historique peut introduire un effet de synonymie n’aidant pas à éclaircir le rapport avec cette dernière.

Le construit de conscience historique est également sollicité pour exprimer la finalité critique de l’APH. Le rapport entre la pensée historique et la conscience historique a été analysé par Duquette (2011), Rüsen (2004) et Simon (2004). Pour Duquette (2011), la conscience historique décrit un acte de prise de distance à l’égard de la mémoire collective par l’exercice de la pensée historique. La pensée historique, par sa démarche d’analyse des récits mémoriels, concourrait à la production de récits critiques. La conscience historique réfléchie serait marquée par une conscience de la relativité du passé : « La conscience serait non-réfléchie lorsqu’il n’y a pas recul critique quant aux interprétations utilisées pour comprendre le passé, et réfléchie lorsqu’il y a prise de conscience de la relativité du passé » (Idem, p.47). Dans une perspective homologue, Demers, Lefrançois et Éthier (2010, p.224-225) opposent la pensée et la conscience historiques à la mémoire historique : « la mémoire historique s’opposerait en quelque sorte à la fois à la pensée historique et à la conscience historique, en cela qu’elle serait irréfléchie, comme une sorte d’in/conscience historique partagée par un groupe. Elle ressemble, en quelque sorte, à une conscience fausse. »

Suivant une perspective ontogénétique, Rüsen (2004) propose plutôt un modèle de développement de la conscience historique gradué en quatre niveaux, allant du plus élémentaire au plus sophistiqué : traditionnel (traditionnal), exemplaire (examplary), critique (critical) et génétique (genetic). Le niveau traditionnel assure une fonction d’orientation pour les pratiques sociales, en posant des attentes normatives articulées à une compréhension cyclique du temps historique. Le niveau exemplaire décrit une conscience historique appuyée sur la reconnaissance de règles et de valeurs atemporelles, appuyées sur des événements historiques exprimant la conduite qu’il convient d’adopter en telle ou telle situation. Le niveau critique est ponctué par la remise en cause des attentes et des valeurs fondant la conscience historique, et l’interrogation des événements historiques attestant de leur validité. C’est à ce niveau qu’interviendrait le raisonnement historique, pour remettre en

question cette validité et pour produire une nouvelle interprétation de ces événements. Le niveau génétique exprime une conscience historique ayant surmonté cette remise en question, à la faveur de la reconnaissance du principe fondamental de changement : « Here change is of the essence, and is what gives history its sense » (Idem, p.76). Ce principe permet ainsi d’établir les événements et les valeurs en fonction de cadres de référence distincts, présentant leur temporalité intrinsèque et ouvrant la porte à l’expérience de l’altérité : « Development and change belong to the morality of values conceptualized in terms of a pluralism of viewpoints and the acceptance of the concrete ‘otherness’ of the other and mutual acknowledgment of that ‘otherness’ as the dominant notion of moral valuation » (Ibid., p.77). Ce modèle se distingue de celui de Duquette (2011) par sa prise en compte des pratiques sociales et sa reconnaissance de la différence – et non pas de la relativité des points de vue – inscrite dans le changement historique.

Le modèle de Simon (2004) explique le développement de la conscience historique par l’appropriation des instruments culturels, principalement du langage, au cours de pratiques commémoratives (practice of remembrance). Celles-ci sont entendues comme une démarche à la fois éthique et pédagogique, visant à interroger les certitudes et les préjugés (frames of certitude) pour développer une compréhension des réalités historiques. Elles consistent à prendre en considération les traces et les récits relatifs à des actes de violences et d’abus perpétrés par le passé à l’endroit de certaines personnes à cause de leur appartenance à des groupes sociaux déterminés. Elle est réflexive parce qu’elle engage à « répondre de » ces actes de manière éthique et responsable, que ce soit à travers un devoir de mémoire, l’analyse historique, la réparation ou la réconciliation. Ce modèle ne définit pas tant des niveaux de développement qu’une activité dialectique, exprimant une tension entre un objet et la signification lui étant attribuée : « between a signification and the inability of the signification to fully represent that which it signifies » (Simon, 2004, p.206). Pour surmonter cette tension, l’activité de la pensée historique consiste à construire un récit (create a narrative) à l’aide du savoir historique (Den Heyer, 2004). Si ce

modèle rejoint celui de Rüsen (2004) en situant la pensée historique dans le cadre d’une pratique sociale, il se distingue par sa reconnaissance de la médiation des concepts dans le développement de la conscience historique.

Que pouvons-nous retenir de ces construits au regard de la finalité critique de l’APH ? Certes, ils s’accordent autour de la nécessité d’une prise de distance à l’égard des savoirs relatifs au passé, collectivement partagés, fondant une identité collective. Cependant, les termes pour désigner ces savoirs de sens commun varient : mémoire collective, mémoire historique, conscience historique irréfléchie. En outre, si les auteurs reconnaissent le rôle d’une enquête critique (Duquette, 2011; Lévesque, 2008; Rüsen, 2004; Simon, 2004), leurs explications pour décrire un processus de prise de distance divergent. Ce dernier se résume-t-il à un passage entre deux niveaux ou recouvre-t-il plutôt des pratiques culturelles ? Davantage, implique-t-il la médiation de savoirs historiques et une responsabilisation des élèves comme l’indique Simon (2004) ? Finalement, cette finalité vise-t-elle une prise de conscience de la relativité des interprétations (Duquette, 2011) ou une reconnaissance de la différence et du changement (Rüsen, 2004) ?

2.2.3 Une finalité de socialisation : le développement d’une attitude et d’une intention d’agir historiques

La finalité critique, qui est probablement la plus intellectuelle des finalités, ne saurait être possible sans le développement de dispositions individuelles favorables à l’exercice de la pensée historique. Il s’agit, comme l’explique Chervel (1998), d’une constante dans l’histoire des disciplines scolaires, tissée dans la culture de leur enseignement : « Rien ne se passerait en classe si l’élève ne montrait un goût, une attirance, des dispositions pour les contenus et les exercices qu’on lui propose. Les pratiques de motivation et d’incitation à l’étude sont une constante dans l’histoire des enseignements » (p.38). Le développement de ces dispositions favorables relève de la finalité de socialisation de la taxonomie d’Orlandi (1971), qui repose sur deux

éléments : l’attitude et l’intention d’agir. Ceux-ci sous-tendent les comportements intellectuels et sociaux désirés en histoire (Martineau, 2010). Ces comportements concernent l’analyse scientifique des phénomènes sociaux, l’ouverture d’esprit, l’intérêt pour les réalités sociales, l’acceptation des responsabilités et l’engagement social (Martineau, 2010). Il est généralement reconnu dans la documentation scientifique que l’APH contribue au développement d’une ouverture d’esprit, favorable à la prise en compte de l’altérité dans la construction d’interprétations historiques et l’exercice de la citoyenneté (Audigier, 1999; Dalongeville et Huber 2000; Demers, 2011; Duquette, 2011; Éthier et Lefrançois, 2007; Laville, 1979; Lefrançois et Éthier, 2008; Martineau, 1997, 2000, 2010; Moisan, 2010; Wineburg, 2001).

À notre connaissance, la question des attitudes en histoire a initialement été évoquée par Peel (1967b). Plus récemment, elle a été soulevée par les travaux de Laville (1979), de Martineau (1997, 2010) et de Dalongeville et Huber (2000). Laville (1979) fait des attitudes une catégorie d’objectifs « déterminante par rapport aux […] autres » (p.32). Cette préoccupation est également exprimée par Martineau (2010) au regard de l’enseignement et de l’apprentissage en histoire : « plus qu’une accumulation de savoirs, l’histoire est une attitude » (Ségal, 1991, dans Martineau, 2010, p.80). Toutefois, l’appellation de cette attitude varie quelque peu chez ce chercheur, qui a substitué l’expression « attitude historique » (Martineau, 1997) par celle « d’attitude historienne » (Martineau, 2010). Cette dernière est définie comme une « disposition historienne de l’esprit » à agir, qui « conditionnerait et orienterait les gestes que posent les historiens au fil des opérations mentales et techniques de leurs démarches pour raisonner la réalité et en proposer des représentations plausibles » (Idem, p.33). Une telle attitude s’articule à des composantes cognitive et affective.

La composante cognitive concerne les fondements épistémologiques de la de la connaissance historique et de sa démarche scientifique : « pour accéder au mode de

pensée historique et en saisir la nature et la finalité, il est important que les élèves du secondaire conçoivent l’histoire comme une discipline permettant de générer des représentations du passé » (Martineau, 1997, p.95). Sous cet angle, l’attitude historique consiste à concevoir le passé non pas comme un donné, mais comme un construit reposant sur une démarche scientifique. Corrélativement, la composante affective de l’attitude historique invite à faire preuve de curiosité, d’intérêt – voire de fascination et d’humilité – à l’égard des phénomènes historiques et des outils conceptuels permettant de se les représenter. À cet égard, une « grande humilité » est requise pour accepter de ne pas toujours être en mesure de retrouver ce qui est recherché, suivant cette « conviction » qu’il n’existe pas de lois en histoire, mais une science dont la validité repose sur la méthode scientifique. Pour sa part, Laville (1979) souligne l’importance d’une attitude de questionnement à l’égard du passé, nécessaire à toute démarche de compréhension.

Les composantes cognitive et affective de cette attitude historique s’expriment concrètement à travers une intention d’agir. La documentation scientifique indique des intentions d’agir variables. Heimberg (2002) appréhende cette intention sous l’angle d’une disposition à se décentrer de son cadre mémoriel pour prendre en considération le point de vue d’autrui. Pour Martineau (1997), penser historiquement consiste à mettre en œuvre la méthode de l’historien, perçu comme le « professionnel » de la discipline. Dans le même esprit, Duquette (2011) associe la pensée historique à la réalisation de la suite d’opérations impliquée par cette méthode. Lefrançois et Éthier (2008) insistent plutôt sur la participation « aux délibérations sur diverses dimensions de la vie sociale » (p.444). Moisan (2010) et Demers (2011) reconnaissent également l’apport de la pensée historique à cette participation, mais elles la définissent en lien avec l’École des Annales, comme une disposition à mobiliser l’histoire comme un outil pour réfléchir sur le monde contemporain, interpréter de manière critique des sources, et se libérer des « grands récits » en élaborant son propre récit historique. Quant aux concepts disciplinaires proposés par Seixas et Morton (2013) par exemple, nous pourrions pratiquement tous les

considérer comme autant d’intention d’action : évaluer la pertinence historique d’un document ou d’un événement, analyser des sources, identifier des changements et des continuités, analyser des causes et des conséquences, entretenir une perspective historique sur les phénomènes sociaux, et se montrer sensible à la dimension éthique caractérisant ces derniers. Plus modestement, penser historiquement consisterait selon Peel (1967a; 1967b) à expliquer les phénomènes historiques à l’aide de concepts.

Nous pouvons donc constater comment l’intention d’agir associé à l’APH peut donner lieu à des déclinaisons variables. À la lumière de ces considérations, il est possible de s’interroger sur la nature des attentes enseignantes à l’égard de l’APH chez leurs élèves et, a fortiori, des attentes des élèves lorsqu’il est question de pensée historique. Dans le même ordre d’idées, nous pouvons nous interroger sur le sort de la pensée historique en contexte extra-scolaire. Cette activité est-elle socialement valorisée? En d’autres termes, les comportements exprimant l’intention d’agir relative à l’APH trouvent-ils un écho au niveau des attentes sociales? Le cas échéant, dans quelle mesure est-ce le cas? Ces interrogations sont fondamentales, car au-delà des savoirs, la didactique des disciplines scolaires a pour objet la définition du caractère intentionnel de leur apprentissage : c’est en cela que les apprentissages scolaires contribuent à la formation de la conscience et à la responsabilisation des élèves (Menck, 1998).

Selon Wineburg (2001), la pensée historique est une activité qui n’est pas intuitive et qui, selon toute vraisemblance, ne ferait pas l’objet d’une pratique socialement valorisée : « The odds of achieving mature historical understanding are stacked against us in a world in which Disney and MTV call the shots. » Martineau (2010, p.3) épouse un point de vue similaire, exprimant ce problème de l’enseignement de l’histoire « soumis à la pression sociale des attentes diverses de la population ». D’une manière qui n’est pas étrangère à cette épineuse question des attentes sociales, ce problème a été soulevé par Chervel (1998) à l’égard de ces « disciplines apparemment confirmées et homologuées », dont l’histoire, en proie à

une « crise » récurrente minant l’établissement d’une tradition pédagogique stable. Une crise qui n’est pas simplement attribuable à l’actualisation des savoirs, mais plus largement aux tensions traversant ses fondements et ses finalités. Faut-il enseigner l’histoire telle que pratiquée par l’École des Annales ou Méthodique? (Idem) Dans quelle mesure et, surtout, pour quelle raison faudrait-il faire une part à l’histoire politique, sociale, économique, culturelle? Quant à la question des finalités culturelle et psychologique, dont il vient d’être question, faut-il prioriser les finalités civiques ou critiques? Sous cet angle, la diversité des attentes et des construits, tels la conscience historique ou la formation à la citoyenneté, ajoutent des attentes pour une discipline scolaire qui est déjà bien encombrée (pour une « petite matière » comme l’histoire). Une fois sortis de l’école, il est attendu des élèves qu’ils investissent ce qu’ils ont appris dans leurs pratiques quotidiennes. C’est là le sens des apprentissages scolaires, « qui reste[ent] et demeure[nt] lorsque la médiation externe et pédagogique cesse » (Sachot, 1996, p.218). Mais à quoi faut-il raisonnablement s’attendre si ces apprentissages abondent en différentes directions, et si, surtout, elles ne sont pas socialement reconnues ou valorisées?

2.2.4 Une finalité socio-politique : l’acquisition de valeurs démocratiques