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1. LE CONTEXTE DE L’APH : LA DISCIPLINE SCOLAIRE

1.2 Trois niveaux de fonctionnement : théorique, institutionnel et pédagogico-

Reuter (2004) et Sachot (1996) identifient trois niveaux de fonctionnement (ou « éléments fondamentaux ») d’une discipline scolaire : théorique, institutionnel et pédagogico-didactique. Ces niveaux définissent autant de lieux de manipulation de construits disciplinaires, tel que l’APH. Ils s’apparentent aux trois niveaux (ou « principes ») de validation de la pratique d’enseignement identifiés par Bru (2002). Ces principes varient selon qu’il s’agit de formuler de produire des « résultats » de recherche, des « recommandations, conseils ou prescriptions », ou de procéder à « l’application pratique en situation de classe » (Idem, p.140-141). Les trois niveaux de fonctionnement d’une discipline scolaire seront présentés en ayant à l’esprit ces trois principes de validation. Ces derniers seront réinvestis au cours des trois prochaines parties de ce chapitre, pour mettre en contexte les différentes déclinaisons de l’APH au regard des pratiques d’enseignement.

Le niveau théorique désigne le processus d’énonciation des savoirs scolaires. Ce processus sollicite certains domaines théoriques, eux-mêmes marqués par des tensions attribuables à leur diversité respective et aux « divergences qui font qu’aucune notion n’est consensuelle » (Reuter, 2004, p.7). La diversité des cadres théoriques, et surtout leur sollicitation inégale dans la construction des savoirs scolaires, soulève la question de leur sélection et de leur mode d’intégration. Le cas du programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté (Gouvernement du Québec, 2007) est un bel exemple des tensions traversant l’espace théorique des savoirs scolaires. Des tensions qui illustrent deux phénomènes constatés par Reuter (2004) à

l’égard de la définition des savoirs scolaires : des tensions entre des espaces théoriques concurrents (didacticiens et historiens), et au sein même de ces espaces théoriques. Ainsi, nous retrouvons la position de didacticiens québécois définissant la question des savoirs en fonction de « la pratique de l’enquête historique, de la formulation d’un problème à la défense d’une réponse, en passant par la constitution et l’analyse d’un corpus documentaire […], et non sur la restitution d’un ou de plusieurs récits » (Éthier, 2014, p.13-14). Un autre didacticien insistera plutôt sur le rôle des concepts : « S’il y a un legs didactique qui doit tout particulièrement être conservé dans la réfection du programme, c’est celui du processus d’enseignement- apprentissage par concepts, central dans le programme actuel. Cette approche rend possible l’étude d’une grande variété de sujets » (Bouvier, 2014, p.25). Nous retrouvons donc des définitions divergentes de la médiation cognitive en histoire au sein même des didacticiens québécois. Des didacticiens qui, par ailleurs, sont régulièrement remis en question par un autre groupe social, les historiens professionnels. Ainsi, pour l’Institut d’histoire de l’Amérique française, représentant essentiellement les historiens professionnels francophones, la question des savoirs scolaires est plutôt appréhendée sous l’angle de connaissances de base, préalables à l’analyse historique :

Nul doute que les élèves doivent être confrontés à certaines pratiques liées à l’histoire – notamment l’analyse critique de sources, la confrontation d’interprétations divergentes, la mise en rapport de l’histoire et de la mémoire –, mais ils doivent également disposer d’un bagage de connaissances qui dépasse le simple apprentissage par cœur de faits et de dates. […] Ils doivent donc maîtriser des règles de base et des savoirs factuels avant de les mettre en contexte pour mieux les problématiser – l’acquisition des compétences étant postérieure à cette étape. (Bérubé, 2014, p.19)

Une position quelque peu similaire est également portée par la Fondation Lionel-Groulx (2009), dénonçant la « révolution pédagogique » actuelle, ayant « détourné l’école de sa mission première : transmettre les faits structurants de

l’histoire du Québec » (p.38). Cardin (2006, p.60) a mis en lumière ces tensions théoriques entre les didacticiens et les historiens, qui ne dateraient pas d’hier et qui seraient attribuables à la « montée [de l’influence] des didacticiens, ces spécialistes de l’enseignement de la discipline » à partir des années 1970. Ce phénomène est d’ailleurs reconnu par l’Institut d’histoire d’Amérique française, qui « espère que la nouvelle version du programme accordera aux historiens québécois qui œuvrent dans l’enseignement supérieur une place majeure dans la révision du programme » (Bérubé, 2014, p.19).

Deuxièmement, le niveau institutionnel embrasse globalement la définition formelle des disciplines scolaires, recouvrant leur désignation, leur mode de présence (distribution dans le curriculum, horaire), leur relation aux autres disciplines. Chacun de ces critères est source de tension, et le cas de l’enseignement de l’histoire nationale au Québec en est actuellement un bel exemple. Pensons au changement de désignation, Histoire et éducation à la citoyenneté, alors que l’ancien programme s’appelait Histoire du Québec et du Canada. Ce changement a valu des critiques à ce nouveau programme, ou à tout le moins des interrogations concernant la place accordée à certains événements historiques (dont la Conquête britannique) et les orientations idéologiques fondant ces choix (Bédard, 2014). Quant au mode de présence, ce programme d’études a vu sa place dans l’horaire augmenter considérablement. Il est actuellement enseigné en troisième et en quatrième années du secondaire, alors que, avant la réforme scolaire entamée en 20055, il n’était enseigné qu’en quatrième année. Toutefois, ce mode de présence prescrit un enseignement chronologique en troisième année, et un enseignement thématique en quatrième année, ce qui soulève également certaines critiques au regard de l’effet de redondance et de confusion que cette distribution génère (Idem). La relation aux autres disciplines, dont les domaines de la langue, des mathématiques, des sciences et technologies, des arts et du développement de la personne est resserrée par

5 Cette date est celle de l’initiation de la réforme scolaire au secondaire. Elle a été entamée en

l’introduction des Domaines généraux de formation (santé et bien-être, orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation, médias, vivre-ensemble et citoyenneté) et des compétences transversales. Ces domaines correspondent aux importantes problématiques actuelles, permettant d’ancrer le développement des compétences, dont certaines sont partagées par l’ensemble des disciplines scolaires (transversales), dans la réalité et les préoccupations concrètes des élèves (Gouvernement du Québec, 2007).

Finalement, le niveau pédagogico-didactique correspond aux pratiques d’enseignement effectives, articulant des dispositifs d’enseignement et des activités d’apprentissage à des contenus et des modalités d’évaluation. Les contenus ont une étendue et un contour définis par des modes d’organisation : organisation en sous- domaines, hiérarchisation et progression. Nous l’avons vu, l’organisation des contenus en histoire peut être chronologique et thématique dans le contexte actuel, et peuvent certainement faire l’objet d’une hiérarchisation, ne serait-ce que pour des raisons idéologiques. Quant à la progression, des tensions apparaissent également entre une approche allant du simple au complexe, et celle articulant la théorie à la pratique. Les dispositifs d’enseignement et les activités d’apprentissage et d’évaluation sont ouverts à un éventail étendu de possibilités, des plus « ouvertes » au plus « fermées ». Cependant, dans les pratiques courantes, cette diversité potentielle tendrait à s’agglutiner à des modèles « emblématiques » et à exclure ces types d’exercices. Ce phénomène pourrait-il être identifié dans le cas de l’APH? Y aurait-il des modèles de pratique emblématiques de l’APH, exprimant un nombre limité de modulations possibles de sa logique procédurale à caractère scientifique? La question se pose.

Ces modèles emblématiques de la pratique pédagogico-didactique s’exprimeraient à travers des proporiétés matérielles, concrètes, attestant de la temporalité et de la spatialité d’une discipline scolaire. Ainsi, les manuels et les

cahiers d’activités composant ce qu’il est convenu de désigner des ensembles didactiques (Boutonnet, 2013; Éthier, 2000) représentent un des moyens possibles d’appréhender le fonctionnement en classe d’une discipline scolaire. À cette liste nous pourrions ajouter les dispositifs d’enseignement planifiés et effectivement enseignés (organisation structurée du temps) et les supports audiovisuels.

Ces trois niveaux en interrelation dans le fonctionnement d’une discipline scolaire génèrent des tensions, à la fois au sein même de ces niveaux et entre ceux-ci. Au regard des finalités, par exemple, le rapport ne sera pas le même selon qu’il s’agit d’élaborer des programmes d’études ou d’enseigner les disciplines scolaires (Chervel, 1998). C’est la raison pour laquelle l’analyse « doit être menée sur deux plans, et faire intervenir une double documentation, celle des objectifs affichés, et celle de la réalité pédagogique » (Idem, p.24). Nous interrogerons l’APH en abordant respectivement ces trois niveaux de fonctionnement et leurs tensions. Leur examen permettra de mettre au jour les différentes significations de l’APH, et surtout de révéler des divergences et des usages différents de ce construit. Des divergences et des différences qui caractérisent l’histoire des disciplines scolaires (Chervel, 1998; Sachot, 1998), et dont l’identification guidera notre lecture de la documentation, jusqu’à la problématisation de notre objet de recherche. Cette documentation, à la fois scientifique et officielle, sera abordée pour mettre en évidence dans un premier temps les origines de l’APH, et sa définition dans le champ de la recherche sur l’enseignement de l’histoire. Dans un deuxième temps, nous aborderons la documentation officielle en veillant à saisir la migration du construit d’APH dans le programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté (Gouvernement du Québec, 2007). Dans un dernier temps, nous rendrons compte des pratiques d’enseignement effectives et de leur rapport à l’APH en prenant appui sur les recherches dédiées à cet objet. Chacun de ces niveaux sera interrogé sous l’angle des finalités et des médiations cognitive et pédagogico-didactique, dont il a été question précédemment.