• Aucun résultat trouvé

2. L’APH DANS LA DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE

2.2 Les finalités

2.2.1 Une finalité culturelle: l'acquisition de connaissances, de concepts et de

La finalité culturelle portée par les disciplines scolaires repose sur la définition et la transmission d’un ensemble de savoirs. Dans le contexte de l’histoire scolaire, l’APH désigne non pas les savoirs fondant une appartenance collective, mais ceux nécessaires à leur analyse méthodique, dans le développement d’une pensée critique dont il sera question dans la prochaine sous-section. Nous débutons avec cette finalité pour des raisons historiques. Elle fut au cœur de l’instauration des disciplines scientifiques, à la fois au secondaire et à l’université (Mollier, 2000), conformément au rêve initialement porté par les encyclopédistes7 : le savoir rend libre parce qu’il instruit la raison. La question fondamentale n’est pas tant son accumulation que son organisation et, en définitive, sa valeur universelle (Idem). Cet ensemble de savoirs structurés d’une discipline assure une médiation entre les élèves et la société. Une société qui n’est pas encore tout à fait celle qui les accueillera au cours des prochaines années, mais dont l’accès est autorisé par la maîtrise de savoirs permettant d’en comprendre le fonctionnement (Chervel, 1998). Ces savoirs sont distincts de ceux partagés par l’ensemble des membres d’une société, car ils sont « des créations spontanées et originales du système scolaire » (Idem, p.17). Ils sont également distincts de ceux des « enseignements supérieurs » à cause des élèves à qui ils s’adressent : c’est d’abord de « l’enseignable » que les disciplines scolaires élaborent, car elles « sont ces modes de transmission culturelle qui s’adressent à des élèves » (Ibid., p.19). Pour Rosenzweig et Weinland (1986), faisant le point sur le History 13-16 project britannique, il existe un ensemble de savoirs associés à la discipline historique. Ces savoirs mobilisés par l’exercice de l’APH sont appréhendés diversement dans la documentation scientifique, mais ils le sont généralement en fonction de quatre perspectives : les concepts disciplinaires, le langage de la discipline historique, les savoirs procéduraux, et les composantes cognitives de l’attitude historique.

7 Un apport qui, par ailleurs, aurait été le point d’articulation des éditions scolaires et universitaires au

Premièrement, la question des concepts disciplinaires a été soulevée par la seconde école britannique. Les travaux en Grande-Bretagne de Lee (1983, 2005), et au Canada de Lévesque (2008) et plus largement du Center for the Study of Historical Consciousness (Denos et Case, 2006 ; Seixas, 1998a, 2006) ont souligné le rôle de ces concepts disciplinaires structurant le travail des historiens. La définition de ces concepts disciplinaires est variable d’un chercheur à l’autre, et même d’un écrit à l’autre chez un même chercheur. Par ailleurs, ils sont difficiles à catégoriser, car, en principe, ils désignent des opérations intellectuelles et non pas des savoirs spécifiques. Cependant, ils ne sont pas indépendants des connaissances factuelles. Ces concepts disciplinaires feront l’objet d’un traitement plus approfondi au cours du prochain chapitre, mais nous pouvons néanmoins en mentionner quelques-uns, illustrant cette variabilité. VanSledright et Limon (2006) circonscrivent ces concepts disciplinaires autour de ceux d’empathie historique (empathy), de pertinence historique (significance), d’agentivité historique (agency), de cause (causation), de progrès (progress), de déclin (decline), de preuve (evidence), de manipulation de sources primaire et secondaire (primary and secondary sources), de contextualisation historique (historical context), de prise en compte des points de vue (author perspectives), d’évaluation de la validité des sources (source reliability) et de pondération des récits (account status). Moins exhaustif, Lee (2004) identifie cinq concepts disciplinaires, à savoir ceux de récits interprétatifs (historical accounts), de preuve (evidence), de compréhension et d’explication (understanding and explanation), de temps (time) et de changement (change). Ailleurs, toutefois, ce chercheur ne retiendra pas la compréhension et à l’explication (Lee, 2005). Seixas (1998a) identifie six concepts disciplinaires, ayant inspiré Lévesque (2008). Ils recouvrent la pondération de l’importance des événements historiques (historical significance), l’épistémologie et la preuve (epistemology and evidence), la continuité et le changement (continuity and change), le progrès et le déclin (progress and decline), l’altérité (confrontation with difference : empathy and moral judgment), et l’autonomie historique (historical agency). Ailleurs, ce chercheur sélectionne plutôt

les concepts disciplinaires d’appréciation de la pertinence historique (historical significance), de continuité et de changement (continuity and change), de causalité (causation), d’empathie historique (historical empathy) et de jugement éthique (moral judgment) (Seixas, 2004). Dans Seixas et Morton (2013), la manipulation des sources historiques (primary source evidence) s’ajoute à cette liste.

Deuxièmement, le langage de l’histoire scolaire donne lieu à quelques définitions dans la documentation scientifique. Dans la documentation francophone, ce langage associé à l’APH a formellement été défini avec la thèse de Martineau (1997), qui souligne qu’apprendre à penser historiquement, « c’est apprendre un ensemble composé de répertoires de concepts et de codes utilisés dans la production de l’histoire » (p.108). Le langage de l’histoire est généralement entendu comme un ensemble de « faits », de « concepts » et de « modèles » théoriques (Dagenais et Laville, 2007a ; Martineau, 2010). Les faits historiques, premièrement, recouvrent un large spectre, allant des faits donnés, tels les événements historiques, aux faits construits par le travail des historiens.

Les concepts, deuxièmement, peuvent être analytiques, historiques et méthodologiques. Les concepts analytiques permettent de décortiquer les réalités sociales à travers le temps. Par exemple, le concept d’industrialisation permet de mettre au jour un volet du passé collectif, en lien avec des événements qui se sont produits au tournant des années 1870 dans les grandes centres urbains, tels Montréal, puis un quart de siècle plus tard dans les régions situées près des ressources naturelles. Les concepts historiques, tels la durée, le changement, l’évolution, la chronologie, etc. concernent la structuration temporelle des interprétations historiques. En lien avec l’exemple précédent, la compréhension de l’industrialisation au Canada repose sur celle d’un changement s’opérant à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, donnant lieu à deux phases d’industrialisation distinctes, elles-mêmes inscrites dans une durée recouvrant des événements fondant autant de conjonctures historiques. Les concepts méthodologiques relèvent de la démarche à caractère

scientifique de construction de savoirs historiques, notamment ceux de problème historique, de question, d’hypothèse, de données, de théorie, de cadre de référence, d’objectivité, de généralisation, etc. Nous remarquons au passage que ces deux dernières catégories de concepts historiques peuvent rejoindre certains concepts disciplinaires précédemment mentionnés, notamment ceux de changement et de preuve historique. Les théories, finalement, renvoient à des structures causales expliquant des phénomènes sociohistoriques de longue durée, telles le marxisme et le libéralisme. Ainsi, le marxisme permettra d’attribuer le changement historique à l’accumulation du capital et à la formation et à l’exploitation des classes ouvrières. Le libéralisme insistera plutôt sur le développement des droits fondamentaux et des progrès qui en découlent au cours de l’histoire.

Troisièmement, les savoirs procéduraux de tradition nord-américaine sont une autre manière d’aborder la connaissance de la discipline historique. Ils recouvrent l’ensemble des opérations permettant de produire l’histoire, au sein desquelles s’inscrit la pensée historique : « [p]rocedural (or strategic) knowledge refers to understandings and applications of the specific practices (sometimes called historical thinking or reasoning) investigators engage in when researching the past and building interpretations that result in first-order types of knowledge » (VanSledright et Limon, 2006, p.547). Ces savoirs sont spécifiquement relatifs à la démarche de recherche, telle que pratiquée conformément aux « critères généralement admis » au sein de la communauté historienne (Martineau, 1997; VanSledright et Limon, 2006; Wineburg, 2001). Ils concernent l’analyse critique de sources (assessing status of sources), la construction de modèles (building cognitive maps or models), la contextualisation (interpreting within historical context), la production d’arguments fondés sur des preuves (constructing evidence-based arguments) et de récits (writing an account) (VanSledright et Limon, 2006 ; Yeager et Davis, 1996).

Quatrièmement, les composantes cognitives de l’attitude historique identifiées par Martineau (1997) sont considérées comme autant de savoirs nécessaires à

l’exercice de la pensée historique. Inspirées de la culture historienne et de son mode de pensée, ces « cinq assises conceptuelles manifestes de l’attitude historique en classe d’histoire » (Idem, p.93) reposent sur une conception de la connaissance historique, une conscience historique, une conception dynamique de l’histoire, une connaissance de la valeur sociale de l’histoire et de la pensée historique et une connaissance du rôle de la pensée dans la production de l’histoire

Ce tour d’horizon des finalités culturelles associées à l’APH exprime une diversité des approches, correspondant à celles constatées précédemment à travers l’historique de ce construit. Les concepts disciplinaires mettent l’accent sur les savoirs requis pour l’exercice de la pensée historique, tandis que le langage de l’histoire lui associe des faits, des concepts et des théories. En outre, l’identification des concepts disciplinaires est variable d’un chercheur à l’autre, tout comme celle des savoirs procéduraux. Cette diversité persiste-t-elle lorsqu’il est question de développer la pensée critique, fréquemment associée à la pensée historique?

2.2.2 Une finalité psychologique : le développement d’une pensée critique