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2. L’APH DANS LA DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE

2.4 La médiation pédagogico-didactique : des modèles de pratique

La démarche d’apprentissage requiert la médiation d’un enseignant qui incarne, à travers un dispositif d’enseignement, la « figure épistémologique » du modèle de médiation cognitive visée (Sachot, 1996). L’enseignant représente ainsi ce « penseur modèle » nécessaire à l’APH, guidant l’élève dans l’exercisation et la maîtrise graduelle de la méthode historique (Martineau, 1997). Cette médiation pédagogico-didactique propre aux disciplines scolaires s’inscrit, historiquement, dans un modèle épistémologique hérité de saint Thomas d’Aquin. Dégagé de son cadre ecclésiastique depuis les Lumières, ce modèle est fondé sur le rapport à trois qu’implique l’apprentissage d’une méthode scientifique, à savoir le sujet, l’objet et le doctor :

La scientificité, quant à elle, c’est une énonciation fondée en raison. Le modèle pédagogique n’est alors qu’un élargissement de ce modèle universitaire : l’instruction est non pas, comme le veut une expression traditionnelle, la transmission du savoir construit par le savant (même si ce modèle est très présent dans les esprits), mais la participation par les élèves à la fois à cette démarche et à ses résultats. Et l’instruction est

accomplie quand l’élève, parce qu’il a fait sienne la démarche rationnelle, peut se passer du maître. (Sachot, 1996, p.215)

Selon Sachot (1998), la médiation pédagogico-didactique assurée par l’enseignant consiste ainsi en deux fonctions. La première est « celle d’être un adjuvant dans la démarche d’apprentissage (d’où les compétences qu’on attend de lui dans le domaine pédagogique et didactique) » (p.17). La seconde fonction consiste à « signifier par la parole que la vérité […] ne relève pas de l’énoncé mais de l’énonciation, c’est-à-dire d’un acte qui est toujours le fait d’un énonciateur (que doit devenir l’élève), à un moment donné et dans des conditions déterminées » (Idem). Ces deux fonctions expriment une double tension à l’œuvre dans cette pratique, à savoir que, d’une part, en tant qu’adjuvant, l’enseignant doit suffisamment stimuler et renforcer l’activité intellectuelle des élèves en prenant garde d’en faire trop. D’autre part, il doit intervenir par la parole (encore une fois, suffisamment, mais pas trop…) non pas pour professer la vérité, mais au contraire pour appréhender celle-ci à rebours de l’activité permettant de l’élaborer. La médiation pédagogico-didactique se présente d’emblée comme une pratique difficile à définir ou à évaluer. En tant qu’adjuvant, comment l’enseignant parvient-il à accroître la maîtrise de l’outil intellectuel, la pensée historique dans ce cas-ci? En outre, lorsqu’il prend la parole, le fait-il pertinemment? Par cette prise de parole, soustrait-il une portion de l’activité devant normalement être réalisée par l’élève? Le spectre de réponses possibles à ces questions peut être considérablement large. Quelles réponses la documentation scientifique sur l’APH leur apporte-t-elle?

Zadja et Whitehouse (2009) identifient deux principaux courants, traditionnel et transformatif, représentant les pôles d’un large spectre de modèles pédagogiques possibles en enseignement de l’histoire. L’approche traditionnelle peut elle-même être distinguée selon qu’elle est fondée sur la mémorisation de connaissances historiques ou le développement de sentiments nationalistes et patriotiques, valorisant l’apprentissage d’un récit gratifiant et rassembleur. L’approche transformative est celle correspondant à l’APH et à l’exercice de sa méthode critique d’enquête : « With

the emphasis on critical and historical thinking, students are encouraged to analyse in formation (sic) and make independent and critical evaluations, rather reproducing text-book controlled answers » (Idem, p.954). Elle exprime la logique de scientificité de l’histoire scolaire, dont il vient d’être question, reposant non seulement sur la médiation de la méthode historique, mais également sur la médiation d’un enseignant.

En principe, nous devons attribuer au History 13-16 project britannique la première tentative systématique d’inscrire l’APH dans les pratiques d’enseignement. Celle-ci repose sur l’enseignement de la méthode historique, définie sous l’angle d’une démarche hypothético-déductive et des concepts disciplinaires d’empathie historique, de causalité (causation), de preuve (evidence), de changement et de continuité (Dawson, 1989). Concrètement, ce projet était un programme d’études définissant quatre thèmes (histoire de la médecine ou du concept d’énergie, histoire industrielle ou locale, le conflit israélo-palestinien, et l’histoire de l’Angleterre sous Élizabeth I en 1815-1851 ou de l’Ouest américain en 1840-1895). La mise en œuvre de ce programme d’études était garantie par du matériel didactique spécifiquement produit à cette fin, et par une épreuve sanctionnant sa réussite (Dawson, 1989 ; Rosenzweig, 1984 ; Rosenzweig et Weinland, 1986 ; Shemilt, 1980). La question des savoirs et le rapport aux écrits étaient respectivement encadrés par les thèmes à l’étude et les documents primaires et secondaires sélectionnés par les responsables de la production du matériel didactique. Le rôle de l’enseignant n’apparaît cependant pas clairement défini, alors qu’il est convenu que les modalités d’évaluation visent à décourager des pratiques établies et sécurisantes (« safety-first » approaches), fondées sur la prise de notes et la mémorisation d’informations (Dawson, 1989). La préparation à l’évaluation devait plutôt être appuyée sur des activités diversifiées, « involving pupils in decision-making exercices and role-play for example » (Idem, p.233), sans que ce rôle de l’enseignant fasse l’objet d’une définition plus spécifique. Cette imprécision a donné lieu à des pratiques plus ou moins inattendues (Ibid.), sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement au moment de traiter des pratiques d’enseignement effectives.

À notre connaissance, c’est avec Laville et Rosenzweig (1982) qu’une amorce importante a été réalisée dans la définition de la médiation pédagogico-didactique relative à l’APH. C’est le premier écrit du genre à attaquer de front les conclusions de la première école britannique, laissant entendre que l’accès à la pensée formelle en histoire était pratiquement impossible avant 16 ans. C’est dans le but d’apporter des solutions pédagogiques à ce problème que ces chercheurs proposent de recourir à certaines procédures méthodologiques :

The solution to this problem requires the adoption of a different view of history and a different pedagocial approach. Specifically, educators must define history as contemporary historians define it and utilize instructional methods based on the procedures these historians use to create historical knowledge, rather than on methods which require students only to assimilate and not really to think, either abstractly or concretely. (Idem, p.58)

Ces procédures méthodologiques s’articulent à la méthode historique initialement proposée par Laville (1979), c’est-à-dire à une démarche de problématisation, de formulation de questions et d’hypothèses, de validation de celles-ci et de conclusion. Laville et Rosenzweig (1982) distinguent cette démarche en fonction de ses portions inductive et déductive, recouvrant respectivement les moments précédant et succédant la validation d’hypothèses. La portion déductive, associée à la pensée formelle, est considérée possiblement trop difficile pour les élèves du secondaire, surtout lors des premières années de cet ordre d’enseignement.

Inversement, la portion inductive serait non seulement adapté aux capacités des élèves, mais elle correspondrait aux finalités de cet enseignement, en habituant ces derniers à s’interroger sur les réalités sociales, à les problématiser, ainsi qu’à organiser, à analyser et à évaluer des faits et leur importance : « The ability to ask questions for oneself enhances an individual’s status as a free human being. […] If history education were to achieve no more than the stimulation of students’ questioning abilities, it would be accomplishing a great deal » (Idem, p.62). Dans le

développement de cette capacité de problématisation, l’enseignant favorise la progression de ses élèves vers les opérations formelles, en débutant à partir de la réalité concrète de ses élèves : « In other words, their own environment can serve as a source of concrete data to introduce these subjects » (Ibid., p.60). Ainsi, les enseignants sont invités à mettre de côté les manuels d’histoire, peu favorables à la problématisation visée, à la faveur de documents exprimant ces phénomènes, tels des photographies, des cartes, des graphiques, ou des reprographies de sources primaires. Également, l’enseignant doit user d’une approche dite de la « découverte », consistant à developper la maîtrise de la méthode historique en ciblant plus particulièrement cette phase de problématisation : « This approach to history education, sometimes characterized as discovery history, is concerned with facilitating the mastery of a method – an approach to learning and to developing intellectual skills - rather than with generating new historical knowledge » (Ibid., p.61). Dans la mise en œuvre de cette méthode, l’enseignant intervient pour aider l’élève à contrôler la portion déductive de la démarche. Ce support doit cependant être utilisé efficacement et dans un souci d’économie, considérant « the fact that surplus vitamins are not used, but rather are discarded by the organism » (Ibid., p.63).

Les modèles de médiation pédagogico-didactique élaborés par la suite varient en fonction de leur définition de la médiation cognitive, qu’elle soit fondée sur l’analyse de documents ou une démarche hypothético-déductive. Une médiation pédagogico-didactique relevant de l’analyse critique de documents consiste à les interroger, de manière peu structurée, pour mettre au jour la réalité sociale qui se profile dernière leur production. Cette approche peut être illustrée à travers les travaux d’Ashby, Lee et Shemilt (2005) et par Bain (2000, 2005), généralement en référence aux concepts disciplinaires. Un très large éventail de matériel documentaire peut être sollicité dans le cadre de cet enseignement, manuels d’histoire, roman, films, publicités, etc., dont le seul critère de sélection est de témoigner de réalités sociales passées.

Une démarche hypothético-déductive se distingue de l’analyse documentaire à cause de son niveau de structuration. Si Bain (2005, p.202) est dubitatif quant à ce principe stipulant que « disciplinary tasks mechanically develop students’ higher functions », une approche hypothético-déductive définit au contraire une démarche d’apprentissage structurée autour d’étapes spécifiques. À cet égard, Martineau (2010, p.94) souligne l’importance d’un « cadre invariant d’enseignement » favorable aux apprentissages. Pour cette raison, le rôle de l’enseignant est d’agir de manière rationnelle et stratégique pour « planifier », « initier », « activer » et « supporter » l’apprentissage à chacune des étapes de mise en œuvre de la démarche hypothético- déductive. Dans cette perspective, l’accent est mis sur la planification autour des savoirs déclaratifs et procéduraux, visant à préserver la rationalité de la démarche, en termes de cohérence, de pertinence, de signifiance et d’économie des moyens. La situation d’enseignement-apprentissage sera structurée autour des trois phases de la démarche d’apprentissage. La première phase, de mise en situation, consiste à déclencher l’apprentissage de sorte à créer un déséquilibre cognitif, à activer les connaissances déclaratives et procédurales des élèves. La phase de réalisation des apprentissages, deuxièmement, procède par la collecte et le traitement de données par élèves, au cours de laquelle ils doivent organiser et mettre en relation ces dernières. La dernière phase, d’intégration, repose sur la communication aux autres des résultats de la démarche de recherche. Dans cette démarche, la parole de l’enseignant est partagée avec celle des élèves : « enseigner l’histoire ne peut être réduit à raconter une histoire aux élèves » (Idem, p.128).

2.4.1 En résumé

L’examen de ces quelques approches de la médiation pédagogico-didactique relative à l’APH a révélé des différences significatives au regard de la fonction de l’enseignant, de celle de l’élève et des savoirs. Ces approches peuvent être passablement imprécises sur la nature de cette médiation, comme dans le cas du

History 13-16 project. Elles peuvent au contraire être structurées autour d’une démarche d’apprentissage organisée en étapes successives, comme c’est le cas pour celle de nature hypothético-déductive. Elles peuvent également cibler un aspect de cette démarche, tel la phase inductive de la démarche hypothético-déductive ou l’analyse documentaire. Certaines de ces approches s’apparentent aux modèles d’intervention éducative élaborés par Boutonnet (2013), à partir de ceux de Lenoir (1991) et de Not (1979). Ceux-ci témoignent de la diversité des démarches d’enseignement-apprentissage pour un même objet, l’APH, et dont les enseignants peuvent solliciter variablement : « le schéma est nécessairement un mélange d’hétérostructuration, d’autostructuration et d’interstructuration » (Sachot, 1996, p.219). Sous cet angle, nous pouvons constater certaines tendances. L’analyse documentaire ou la problématisation réalisée au cours de la phase inductive s’apparentent davantage à une approche d’autostructuration, mettant l’accent sur la découverte et le tâtonnement empirique. Inversement, l’ensemble de ces modèles nous semble compatible avec une perspective d’interstructuration, sans évacuer complètement la part d’hétérostructuration – certes variable – nécessaire à l’explicitation des attentes et de la démarche.