• Aucun résultat trouvé

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Section 1. Du plurijuridisme ou comment appréhender la diversité juridique dans une perspective comparée

C. Une analyse comparée : intérêt et méthode

60 C’est pourquoi nous préférerons le terme d’espace juridique, qui ne reprend pas cette dichotomie. Nous proposons ainsi de définir comme « espaces plurijuridiques » le Canada et l’Union européenne, dans le sens où il existe dans ces deux unités comparées une situation de plurijuridisme, bien que dans un cas l’espace plurijuridique soit un État et pas dans l’autre. De surcroît, les normes juridiques autochtones mobilisées ne sont pas toujours des normes étatiques. Ce terme d’espace plurijuridique nous permet finalement de comparer deux unités qui semblaient au départ fort différentes en raison de cette caractéristique étatique ou supraétatique. Le cadre théorique du plurijuridisme est donc celui de la comparaison, et constitue également la grille d’analyse du rôle du juge suprême. Il permettra aussi de mettre en lumière les relations entre la protection juridictionnelle des droits et libertés et la conservation d’une forme de diversité juridique au sein d’un espace normatif commun. Bien entendu, il existe plusieurs ensembles normatifs autonomes au sein de ces espaces plurijuridiques : nous nous limiterons aux ensembles qui se sont vu reconnaître formellement leur autonomie par le pacte fondateur de l’espace plurijuridique, la Constitution ou les traités, c’est-à-dire, en plus des ordres fédéraux canadien ou européen, les provinces canadiennes et les gouvernements autochtones canadiens d’une part et les États membres de l’Union européenne d’autre part.

C. Une analyse comparée : intérêt et méthode

61 Une des grandes valeurs ajoutées de cette recherche réside certainement dans la comparaison entre le Canada et l’Union européenne. Il existe en effet peu d’études comparatives en droit constitutionnel entre le Canada et l’UE82

, et encore moins sur la question des droits fondamentaux83.

81

Voir J.-L. BERGEL, dir., « Le plurijuridisme », préc., p. 12.

82

Pour un exemple plutôt isolé : J. E. FOSSUM, dir., Constitutional processes in Canada and the EU compared, Oslo, ARENA Report No 8/05, 2005, 334 p. Voir aussi le numéro de juin 2013, issue 2, vol 56, de la revue

Administration publique du Canada, p. 171-349, consacré à la comparaison entre l’Union européenne et le Canada.

83

Le seul ouvrage consacré à ce thème est un ouvrage collectif : C. AMIRANTE et C. CASONATO, dir., The

62 Cette comparaison présente en outre plusieurs intérêts considérables. Comme le précise Cécile Vigour84, comparer répond à plusieurs objectifs : « prendre de la distance », « mieux connaître », « classer, ordonner » et « généraliser »85. Dans le cas de notre recherche, nous retrouvons ces différents objectifs. Le choix de comparer ces deux espaces correspond bien sûr à une curiosité intellectuelle à l’égard de l’unité par rapport à laquelle le chercheur est étranger, et à l’idée de mieux faire connaître le Canada aux Européens et également de mieux faire connaître l’Union européenne outre-Atlantique. Le sujet de thèse a germé par rapport aux interrogations qui se posaient en Europe sur la question de la protection des droits fondamentaux et les rapports entre les États membres et l’Union européenne. Ainsi, l’idée était de faire une recherche comparative afin de « prendre de la distance par rapport à ce qui est familier »86, l’Europe, et aller découvrir un autre espace où pouvaient se poser des questionnements similaires. La comparaison permet éventuellement de tirer les leçons du droit étranger, et peut s’avérer adéquate afin de remettre en question, et donc laisse présager des espoirs nouveaux dans l’un et l’autre espace afin de mieux mettre en œuvre les droits fondamentaux dans le respect d’un certain équilibre plurijuridique.

63 Enfin, comparer les rôles des juridictions suprêmes de l’Union européenne et du Canada au regard des droits fondamentaux et du plurijuridisme est une optique innovante et enrichissante puisque cela permet de mettre en exergue les points communs des deux espaces juridiques, afin de pouvoir esquisser une théorie de la fonction d’un juge suprême, dans un objectif de généralisation. Cette dimension théorique nous apparaît d’autant plus digne d’intérêt que la comparaison entre un État fédéral et une organisation supranationale quasi fédérale nous permettra de dépasser les questions politiques de souveraineté, pour passer de la logique « statique » d’un « État » à une logique dynamique dans un espace plurijuridique.

195 p. On trouve en revanche des études comparatives sur cette question impliquant les États-Unis d’Amérique, voir par exemple C. FERCOT, La protection des droits fondamentaux dans l’État fédéral - Étude de droit comparé

allemand, américain et suisse, Clermont-Ferrand, Paris, Fondation Varenne, LGDJ, 2011, 819 p. Pour des

comparaisons entre l’Union européenne et les États-Unis, voir notamment les études récentes de : F. FABBRINI,

Fundamental Rights in Europe: Challenges and Transformations in Comparative Perspective, Oxford, Oxford

University Press, 2014, Oxford Studies in European Law, 319 p; A. TORRES PÉREZ, « The Dual system of Rights Protection in tne European Union in Light of US Federalism » dans E. CLOOTS, G. BAERE et S. SOTTIAUX, dir.,

Federalism in the European Union, Oxford, Hart Publishing, 2012, pp. 110-130.

84

C. VIGOUR, La comparaison dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2005, 336 p.

85

Ibid., p. 97 et s.

86

64 En effet, le choix du Canada et de l’Union européenne comme unités de comparaison pose un défi méthodologique dans le sens où elles peuvent apparaître comme « très différent(es) »87 de l’autre unité étudiée, puisqu’en droit, le Canada est une entité étatique tandis que l’Union européenne ne l’est pas. Ce choix comparatif implique la construction d’un cadre de comparaison susceptible d’accueillir les deux unités, c’est en cela que l’idée du plurijuridisme convient à notre étude.

65 La méthode comparative consiste à repérer des ressemblances et des différences dans l’analyse des données en fonction de la grille d’analyse choisie, afin de pouvoir ensuite construire une théorie, soit une généralisation88. Ici l’établissement des points communs et des différences ne concerne pas tellement la question de la protection de telle ou telle liberté ou de la mise en œuvre de la compétence du juge, mais plutôt l’observation de ressemblances ou de dissemblances dans les dynamiques et les mécanismes plurijuridiques, induits ou utilisés par le juge suprême. Il s’agit plus de trouver une tendance commune entre les deux unités que de véritables points communs dans les deux espaces89. Il s’agit aussi ponctuellement de pouvoir tirer des leçons de tel ou tel dispositif normatif propre à l’un ou l’autre espace, et surtout de pouvoir généraliser à partir de ces deux exemples afin de proposer une théorie sur le rôle du juge suprême.

66 Le plus grand piège méthodologique du comparatiste consiste à ne pas se rendre compte des présupposés culturels et intellectuels qu’il a. Il peut mal interpréter (ou mal recueillir) les données, et finalement, mettre trop d’accent sur des points communs en omettant des spécificités, ou à l’inverse ne pas parvenir à reconnaître des similitudes. Il faut en outre, en droit en particulier, se montrer prudent quant aux suggestions d’importer des instruments juridiques qui ne seraient pas pertinents dans une culture juridique donnée. Il faut finalement s’appliquer la méthode du respect des cultures juridiques à soi-même (avant de vouloir l’appliquer au juge suprême) et pour cela, rien ne vaut une immersion dans le milieu étudié. En effet, même si cela ne fera pas l’objet de recueil de données de terrain, l’acculturation du chercheur à l’espace auquel il est étranger est essentielle à une bonne compréhension des données dans un objectif comparatif, en particulier lorsqu’on travaille sur des questions liées aux cultures juridiques.

87

Voir ibid. L’auteur explique les deux types de comparaison entre des unités qui se ressemblent ou sont très différentes ainsi que la relativité de cette distinction.

88

Voir ibid., p. 259 et s.

89

67 Le plurijuridisme s’est donc imposé comme cadre conceptuel et théorique de notre étude comparée entre le Canada et l’Union européenne. Il est d’autant plus pertinent qu’il permettra de mettre en lumière les relations entre la protection juridictionnelle des droits et libertés et la conservation d’une forme de diversité juridique au sein d’un espace normatif commun, dimension déterminante de l’évolution du rôle du juge.

Section 2. De l’utilité d’étudier l’impact des droits fondamentaux sur le rôle du