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Section 1. Les textes fondateurs des plurijuridismes

A. Les États membres : maîtres des traités 226 ?

166 La nature juridique des traités communautaires, ce qu’on appelle le droit primaire ou originaire ne fait, d’un point de vue formel, aucun doute : il s’agit de traités internationaux et soumis en tant que tels à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Cette appartenance à la catégorie du droit international n’est pas du tout étonnante si l’on remonte aux premiers traités qui étaient indubitablement interétatiques227. Ce sont en effet des conventions multilatérales conclues par des États souverains en vue de créer une organisation internationale. Certes, cette organisation internationale possède des caractéristiques très singulières, qui dès le départ la distinguent des autres organisations228, mais ces caractéristiques sont relatives au contenu des traités et à leurs objectifs et aucunement au mode d’élaboration ou d’adoption des traités.

167 La nature purement interétatique des traités communautaires a eu ensuite tendance à s’affaiblir. On l’observe d’abord dans le processus d’élaboration de la Charte des Droits fondamentaux de

l’Union européenne229

, puis du Traité constitutionnel, mais aussi dans la terminologie constitutionnelle dont le point d’orgue fut bien entendu le traité non entré en vigueur « établissant une Constitution pour l’Europe ».

168 Ce Traité constitutionnel de 2004 est celui qui est allé le plus loin dans la voie d’une constitutionnalisation formelle de la construction européenne, même s’il débouchait au final sur la ratification d’un traité. Le traité avait pour objectifs de répondre aux différents défis posés par la Déclaration de Laeken de 2001, dont celui de l’adoption d’un « texte constitutionnel »230. Ce traité constituait en effet un document unique organisant les différents pouvoirs et protégeant les droits et libertés et en remplaçant les traités existants il procédait à une refondation globale du

225

Voir sur ce sujet : G. MARTI, Le pouvoir constituant européen, thèse de doctorat en droit, Université de Nancy, 2008, 800 p.

226

Expression que l’on doit à la Cour constitutionnelle fédérale allemande, voir par exemple Cour constitutionnelle fédérale allemande, 12 octobre 1993, BVverfGE vol. 89, p.155, « Traité de Maastricht ».

227

Voir G. MARTI, thèse en droit, p. 135 et s.

228

Voir.

229

Nous y reviendrons en infra § 810 et s.

230

Le Conseil européen a adopté cette déclaration le 15 décembre 2001 dans laquelle figuraient les autres enjeux déterminants de la construction européenne tels que la répartition des compétences, la démocratie, la transparence et l’efficacité dans l’Union. Il demandait que la prochaine conférence intergouvernementale s’appuie sur la préparation d’une Convention chargée d’examiner ces grandes questions, dans la perspective de l’adoption d’un « texte constitutionnel ».

droit primaire communautaire et une simplification. La nature hybride de cet instrument juridique, un traité établissant une Constitution ou un Traité constitutionnel, a beaucoup préoccupé la littérature savante. On a pu ainsi se demander s’il s’agissait d’un monstre ou bien d’une réalité juridique231

. En fait, la question du rattachement de la notion de Constitution à celle de l’État était au cœur des questionnements. Or, il semble que cette apparente contradiction terminologique inhérente à la nature mi — internationale mi — nationale d’un tel instrument n’était en fait que le reflet de la nature hybride de l’entité juridique dont il entendait régir le fonctionnement. De plus, certains ont répondu à cette objection, en démontrant que la Constitution n’était pas consubstantielle de l’État, mais est une notion et un instrument juridique ayant vocation à organiser et limiter un pouvoir politique et normatif232, et qu’il est possible de concevoir une « Constitution postnationale »233. Un autre aspect sur lequel s’est attardée la littérature scientifique, en science politique notamment, est la question de savoir s’il était possible d’envisager une Constitution européenne ou un pouvoir constituant européen234

en l’absence d’un véritable peuple européen, un « démos européen »235. Cette critique dépasse en réalité le simple cadre de la constitutionnalisation de l’Union européenne et reste un des plus grands défis pour l’avenir de l’Europe. En effet, la légitimité démocratique de la construction européenne a pu être qualifiée par la doctrine de déficitaire ou à tout le moins de singulière236.

231

Sur la question des monstres juridiques notamment dans l’Union européenne voir M. DELMAS-MARTY, La

refondation des pouvoirs (les forces imaginantes du droit III), Paris Seuil, 2007, La couleur des idées, 300 p., p. 99

et s. L’expression de « monstre juridique » est à l’origine de Dominique ROUSSEAU notamment dans « Les constitutions possibles pour l’Europe », Cités, 2003, n° 13, p. 14. Parmi une doctrine abondante sur cette question voir par exemple : B. MATHIEU, M. VERPEAUX et F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, dir., Constitution et

construction européenne, Paris, Dalloz, 2006, 238 p.

232

D. ROUSSEAU, « Pour une Constitution européenne », Débat, vol. 108, 2000, p. 66 ; A. VON BOGDANDY et J. BAST, dir., Principles of European Constitutional Law, 2nd revised edition éd. München, Germany CH Beck, 2010, 806 p.

233

I. PERNICE, « The Treaty of Lisbon: Multilevel Contitutionalism in Action », Colum. J. Eur. L., vol. 15, 2009, pp. 349-408, spéc. p. 365. Voir aussi sur cette question D. SCHIEK, Economic and Social Integration. The

Challenge for EU Constitutional Law, Edward Elgar Publishing, 2012, 352 p., p. 53 et s.

234

C’est en ce sens que Gaëlle Marti qualifie le pouvoir constituant européen d’incomplet, puisque le titulaire du pouvoir fondateur, le peuple européen, ne saurait être considéré comme présent à part entière même s’il n’est pas totalement écarté. G. MARTI, thèse en droit. Voir aussi sur le processus conventionnel L. AZOULAI, « La Constitution et l’intégration. Les deux sources de l’Union européenne en formation », RFDA, 2003, pp. 859-877 ; R. DEHOUSSE, dir., Une Constitution pour l’Europe ?, Paris, Presses de Sciences-Po, 2002, 289 p ; O. BEAUD, et al., dir., L’Europe en voie de Constitution. Pour un bilan critique des travaux de la Convention européenne, Bruxelles, Bruylant, 2004, 856 p.

235

Voir par exemple : T. SCHMITZ, « Le peuple européen et son rôle lors d’un acte constituant dans l’Union européenne », RDP, n° 6, 2003, pp. 1709-1742,

236

Sur ce vaste sujet voir par exemple : E. O. ERIKSEN, C. JOERGES et F. RÖDT, dir., Law and Democracy in the

Post-National Union, Oslo, ARENA Centre for European Studies University of Oslo, 2006, 454 p.en particulier le

169 En dehors du terme de Constitution qui démontre un détachement avec l’ordre juridique international, le processus d’élaboration de ce Traité constitutionnel a pu être rapproché d’une méthode conventionnelle proche des assemblées constituantes que peut connaître le droit interne. Cette Convention européenne présidée par M. Valéry Giscard d’Estaing remplaçait les organes habituels intergouvernementaux de préparation des révisions de traité. En quête de légitimité, la méthode conventionnelle se voulait, en théorie du moins, plus ouverte (sur la société civile notamment) plus démocratique et délibérative, grâce aux principes de transparence et de consensus, que la méthode diplomatique237. En réalité, ce processus d’élaboration relevait, encore une fois, de la mixité des méthodes constituante et démocratique avec la diplomatie238. En tout état de cause, la forme du texte final restait un traité, soumis en tant que tel à un processus de ratification étatique, qui par leur échec en France et aux Pays-Bas, ont conduit à son enterrement.

170 Le Traité de Lisbonne, fruit de cet insuccès, a gardé l’ambigüité de cet instrument normatif qu’est le traité, qui reste formellement du droit international, mais dont certaines caractéristiques sont à rapprocher du droit constitutionnel même si tous les éléments d’ordre symbolique ou terminologique ayant une connotation constitutionnelle ont été effacés.

171 On remarquera au préalable que tant du point de vue de la forme du traité que de son élaboration, Lisbonne marque le « retour des États » et de l’intergouvernementalisme239.

172 Pourtant, si l’on s’intéresse aux processus de révision des traités contenus dans Lisbonne, on y trouve la marque d’une certaine rigidité, qui n’est pas sans rappeler le critère normativiste de la Constitution formelle, cumulée avec une empreinte étatique forte.

173 Pour résumer il est prévu deux catégories de révision, une révision ordinaire qui s’attache aux aspects les plus importants de la construction européenne d’une part, et d’autre part des modalités de révision allégées qui ne peuvent concerner que des aspects plus secondaires dans le but de

WEILER, « Federalism without Contitutionalism: Europe’s Sonderweg » dans K. NICOLAIDIS et R. HOWSE, dir.,

The federal vision: Legitimacy and levels of governance in the United States and the European Union, Oxford

University Press, 2001, p. 54; S. REGOURD, « Europe et démocratie : de la croyance et des réalités normatives » dans S. POILLOT-PERUZZETO, dir., Trajectoires de l’Europe, unie dans la diversité depuis 50 ans, Paris, Dalloz, 2008, p. 165 et s.

237

G. MARTI, thèse en droit, p. 532 et s.

238

L. BURGORGUE-LARSEN, « Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », CDE, 2005, pp. 663-690, spéc. p. 667.

239

mieux faire fonctionner l’Union. Par exemple, la procédure de révision dite simplifiée ne peut en aucun cas « accroître les compétences attribuées à l’Union dans les traités »240.

174 Le premier type de révision est bien entendu plus rigide que le second, et s’apparente encore à un mode de révision qui formellement relève du droit international et nécessite ainsi la ratification de chacun des États. Toutefois, les institutions européennes prennent une part non négligeable au stade de l’initiative et de l’élaboration241

, ce qui est original en droit international. Cette révision ordinaire peut être faite soit par la voie de la Convention, soit celle de la Conférence intergouvernementale, la première est privilégiée pour les révisions les plus substantielles. Notons qu’il est précisé par le traité que « ces projets peuvent, entre autres, tendre à accroître ou à réduire les compétences attribuées à l’Union dans les traités », ce qui n’est pas banal puisque le traité envisage pour la première fois un « recul » dans la construction communautaire, alors que les précédents insistaient sur le maintien et du renforcement de l’acquis communautaire242. La Convention est composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission, c’est donc une consécration de la pratique qui avait été utilisée pour la Charte et le Traité constitutionnel.

175 Le second type de révisions dites spécifiques, qui recouvrent en réalité des procédures distinctes243, permet d’alléger le processus de révision, soit en éludant la phase diplomatique soit celle de la ratification formelle par les États, dans des matières déterminées. Dans tous les cas, on accroît la participation des institutions communautaires et l’on se rapproche d’un processus de révision constitutionnelle plutôt que de droit international.

176 Mais on peut affirmer que les États restent les « maîtres des traités », soit parce qu’une phase postérieure de ratification, selon leurs règles constitutionnelles respectives, est nécessaire, soit parce les parlements nationaux disposent d’un droit de veto ou que le Conseil européen statue à l’unanimité244. Il n’y a donc aucun dessaisissement des États membres qui restent toujours en mesure de protéger leurs intérêts en ayant le dernier mot quant au contenu des traités.

240

Article 48 § 6 du TUE.

241

Voir article 48 TUE.

242

C’est en ce sens que Lisbonne constitue un affermissement du statut de l’État membre dans l’Union : A. BERRAMDANE, « Le Traité de Lisbonne et le retour des États », préc., § 26

243

Pour une explication plus complète de ces modalités, voir par exemple : O. DUBOS, « L’après-Lisbonne. Les moyens du changement : à la recherche des temps futurs », Revue Europe, vol. 7, 2008, p. 65.

244

177 L’Union européenne est ce faisant une émanation des États dont ils entendent rester les maîtres. Et au cas où, leur « créature » leur échapperait, il leur est possible de s’en défaire grâce à une possibilité de retrait désormais prévu à l’article 50 TUE. Mettant fin à une controverse juridique sur le retrait unilatéral d’un État membre245, le traité prévoit qu’en cas de notification d’une telle volonté au Conseil européen, ce dernier entame des négociations en vue de conclure un accord international entre l’État et l’Union246, en l’absence d’accord il pourra se retirer au bout de deux ans.

178 Une dernière grande caractéristique du traité, tel qu’il est défini en droit international, est qu’il est « l’expression de volontés concordantes ». Le traité caractérise bien une « union d’États issue d’un processus de regroupement volontaire et ayant pour objet de créer une collectivité »247