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Chapitre 4 Des parentalités en tensions

1. Histoires de parentalité

1.1 Une alliance de liens de filiation et d’affiliation

Histoire d’Eddy, enfant endeuillé qui se construit avec une parenté « en trous » sur le mode d’une prise en charge de suppléance substitutive

Extraits de focus groups Assistante familiale (= AF ; Référente = R)

AF : « …lorsque sa maman est décédée, il a été orienté le soir même vers l’institution qui avait une mesure de PMPMF depuis quelques mois… je l’accueille depuis 2018… nous avons eu un temps d’adaptation, mais très vite cet enfant s’est installé chez nous comme si c’était quelqu’un de ma famille… ».

R : « … Les grands-parents ont refusé d’être tiers digne de confiance, et ne peuvent s’investir plus dans la vie de leur petit fils, mais il y a un oncle et une tante qui se sont positionnés, et nous faisons des démarches au service d’adoption pour qu’Eddy devienne pupille ou que se mette en place une adoption simple…. La cheffe de service a parlé d’une adoption simple, Me (l’assistante familiale) pourrait adopter Eddy, cela lui permettrait de rester à la fois affilié à sa famille biologique, de garder son nom de naissance et de pouvoir ajouter celui de sa famille d’accueil. L’oncle et la tante se questionnent sur le fait de devenir tuteur ; même Guillaume dit qu’un jour il s’occupera de son petit frère… chacun s’autorise à dire des choses, c’est bien dans cette situation on avance tranquillement… »

La situation d’Eddy révèle l’absence du père depuis sa naissance, le décès de la mère, et soulève la déperdition réelle des liens parentaux. Le code de l’Action sociale et des familles retient six

70 H. ROTTMAN & P. RICHARD, « Se construire quand même : l’accueil familial un soin psychique », PUF, 2009, p. 74

cas d’admission au statut de pupille de l’Etat. Au regard de la situation, Eddy est reconnu dans le statut de « pupille »71 en tant qu’enfant orphelin. « Le statut de Pupille de l’Etat vise à reconstituer juridiquement une forme de lien de responsabilité matérielle et éducative au bénéfice d’un enfant, dont le titulaire est la puissance publique faute de pouvoir l’établir sur des personnes privées ».72 Tout comme le préconisait historiquement le placement d’enfants déclarés abandonnés, orphelins, pupilles, il va s’agir sur un mode substitutif, de remplacer une famille absente par une autre famille pour cet enfant, sur le modèle de la famille nucléaire. Compte tenu du contexte familial, l’assistante familiale - son mari et leurs enfants sont les références parentales-familiales « stables » actuellement pour Eddy. Une proposition d’adoption simple a été faite au couple « accueillant » ; si cette proposition devient positive, elle bascule le statut professionnel de l’assistante familiale dans le champ du parental. L’enfant, de statut d’orphelin deviendra un enfant adopté. Outre, un attachement à cet enfant, ce mouvement relève-t-il d’une réelle volonté de l’assistante familiale et son mari d’inscrire cet enfant dans leur filiation ?

La deuxième possibilité repose sur le fait que la probabilité de l’adoption reste une hypothèse. « L’enfant conserve son statut d’enfant confié et ne sera pas adopté par la famille d’accueil… L’enfant pupille de l’Etat, confié en famille d’accueil, ne peut être adopté du fait d’une absence de la volonté de la famille d’accueil de basculer à l’état de parents officiels ; il y a un attachement réel sans volonté de filiation… »73. L’assistante familiale reste ainsi

professionnelle et salariée du service employeur. Et l’enfant ? Eddy, souhaite-t-il être adopté par cette famille ?

Pendant ce temps de réflexion, cette dynamique d’accueil et d’intégration d’un enfant chez soi, interroge la « distance relationnelle singulière » à établir pour construire avec lui, une alliance de liens d’affiliation, tout en préservant les liens de filiation avec sa branche maternelle.

AF : « … je le construis comme si c’était mon enfant, mais j’en suis consciente, je réfléchis en me disant n’oublie pas que cet enfant qui t’a été confié n’est pas entre guillemets comme ton fils…… je prends plus de place parce qu’il n’y a pas les parents, s’il y avait les parents, je ferai le quotidien autrement, mais là je m’investis énormément parce qu’il n’a que nous… ».

L’autorité parentale se voit interrogée dans cette situation par l’absence des deux parents. Le partage des actes de la parentalité ne peut donc s’inscrire dans une pratique de co-éducation avec l’implication des parents comme le prévoit la loi. Ce partage se réalise dans le cadre du service de l’ASE. L’assistante familiale est dans une posture de responsabilité importante concernant l’exercice de la parentalité, car il n’est ni limité, ni freiné, ni en concurrence avec les parents, sans pour autant détenir les attributs de l’autorité parentale, ceux-ci sont portés par le service où l’enfant est confié. Le décès de la mère et l’absence du père laissent une place

71 Les articles 224-4 et 228-8 du CASF depuis la réforme de 2016 reconnaissent que les enfants admis en qualité de pupille de l’Etat doivent faire l’objet dans les meilleurs délais d’un projet de vie, défini par le tuteur avec l’accord du Conseil de Famille, qui peut –être une adoption si tel est son intérêt. L’idée étant de faire reconnaître que le statut de pupille constitue un statut protecteur pour l’enfant en ce qui lui accorde une stabilité éducative et des droits sociaux, et ce même s’il n’y a pas nécessairement d’adoption pour l’enfant. Le statut de pupille de l’Etat vise à reconstituer juridiquement une forme de lien de responsabilité matérielle et éducative au bénéfice d’un enfant, dont le titulaire est la puissance publique faute de pouvoir l’établir sur des personnes privées.

72 ONPE, N. CHAPON et C. SIFFREIN-BLANC, « La question des liens en accueil familial : qu’est-ce qui fait famille en accueil familial ? », Février 2017, p. 57

vacante, ce qui opère un glissement de l’accueil et positionne l’assistante familiale en « remplacement » des parents dans un mode de substitut parental concernant l’accompagnement éducatif qu’elle propose à Eddy, alors même qu’elle est salariée par le service pour accueillir et intégrer cet enfant dans sa famille. Exercice paradoxal pour l’assistante familiale qui doit conjuguer dans le quotidien sa place de suppléance en tant que professionnelle et celle de maman substitutive auprès de cet enfant. Également, cette situation demande à l’assistante familiale de maintenir au niveau de l’enfant absence et présence d’une mère décédée et d’un père inconnu, tout en construisant des liens relationnels at affectifs avec Eddy.