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Chapitre 3 Distribution de l’autorité

1. Histoires de vie

La présentation des quatre histoires des enfants et leurs parents va soutenir le questionnement et l’analyse de ce chapitre.

Histoire d’Eddy, enfant endeuillé qui se construit avec une parenté « en trous » sur un mode de suppléance substitutive

Eddy est âgé de 5 ans à son arrivée chez Madame Dupont assistante familiale. Le motif de son accueil est lié au décès de sa mère. Comme il n’a jamais été reconnu par son père, Eddy est appelé à devenir pupille. Sa situation relève d’une mesure judiciaire, avec une délégation de l’autorité parentale à l’ASE. La prise en charge de sa situation relève d’un mode de suppléance substitutive. La situation de cet enfant endeuillé par le décès de sa mère est entourée de non-dits ; règne également un grand silence sur l’absence de son père. Les motifs du placement au niveau d’Eddy lui sont peu restitués.

Histoire de Mélissa, bébé secoué, qui se construit avec une parentalité incertaine sur un mode de suppléance quasi substitutive

Mélissa est âgée d’un mois ½ à son arrivée chez Madame Durand. Au moment des focus-groups elle a 8 ans 1/2. Les motifs de son accueil reposent sur le fait qu’elle a subi de la maltraitance de la part de ses parents, tel le syndrome du bébé secoué. Sa situation relève d’une mesure judiciaire, l’autorité parentale est exercée par les deux parents. La mère est absente dans ses relations avec Mélissa depuis un an, le père est présent à chaque visite médiatisée, et participe aux décisions concernant son enfant. La prise en charge de sa situation relève d’un mode de suppléance quasi substitutive.

La situation de cette enfant est entourée de non-dits sur les conséquences médicales au niveau de sa jambe qui ont nécessité trois opérations importantes. Les motifs de son placement sont peu restitués à Mélissa.

Histoire de Sofian, enfant tiraillé, qui se construit avec une parentalité défaillante sur un mode de suppléance soutenante

Sofian est âgé de 12 ans à son arrivée chez Madame Blanc. Auparavant il a vécu 3 ans dans une MECS. Sa situation relève d’une mesure judiciaire, l’autorité parentale est exercée par les deux parents, ceux-ci vivent en couple. La prise en charge de sa situation relève d’un mode de suppléance partagée, mais de nombreuses tensions prennent place dans le quotidien. Les motifs de son accueil chez l’assistante familiale sont peu verbalisés. Sofian rencontre ses parents une fois par mois en visite médiatisée en présence d’un tiers avec son frère et sa sœur. Et un samedi par mois il va de 11 h à 17 h seul au domicile de ses parents.

Histoire d’Hassan, enfant multi-placé qui se construit sur le mode d’une suppléance partagée

Hassan est âgé de 4 ans à son arrivée chez Madame Guillot. Sa situation relève d’une mesure judiciaire, l’autorité parentale est exercée par les deux parents, qui ne vivent plus en couple par suite de violence conjugale. La prise en charge de sa situation relève d’un mode de suppléance partagée collaborative avec les parents. Un samedi tous les quinze jours Hassan va chez sa mère de 9h à 19h, un vendredi par mois il va chez son père de 11 h à 17 h.

Des visites non médiatisées sont en place 1 fois par semaine dans les locaux de la MECS, dans des temps différenciés pour chacun des parents. Depuis sa naissance, la situation d’Hassan est marquée par de la discontinuité de liens d’attachement concernant les différentes personnes qui l’ont accueilli et avec qui il a vécu, et des ruptures de lieux où il a été accueilli et qu’il a dû quitter. Hassan ne connait pas vraiment les motifs de son accueil. La mère souhaite le retour de ses enfants à son domicile.

1.1 Une décision qui impacte le droit des parents

Ce sont les articles 375 et suivants du code civil qui orientent les modalités d’intervention du juge pour enfants lorsque la notion de danger ou en risque de l’être est repérée pour l’enfant. Le juge a pour gageure de faire adhérer les parents aux décisions prises à l’égard de leur enfant lors de l’audience. « Le juge des enfants doit s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée ».47

Ce principe, comme le précise le rapport, se situe dans l’aménagement du contrôle de l’autorité parentale que représente l’assistance éducative. Nous ne sommes plus dans les enjeux de substitution. La recherche de l’adhésion ne signifie pas pour le juge d’obtenir l’accord des parents, d’autant que la situation de l’enfant est gravement compromise et menacée, mais elle se distingue par l’existence d’une dissymétrie des places. « La recherche de l’adhésion suppose qu’il n’y a pas de co-construction de la décision mais une décision dont les termes s’imposent ».48

Aussi, tout en respectant la place des parents, le juge doit les associer aux mesures de protection décidées et imposées, et dans l’intérêt de l’enfant. « Le législateur a tenu de rappeler aux juges que, dans le délicat domaine de la protection de l’enfance, il se doit de mesurer avec plus de soin qu’ailleurs la portée de ses décisions et de les faire comprendre… ».49

Le juge est la personne habilitée pour imposer cette décision, dynamique de cadre différent de celui de la mesure administrative où il s’agit davantage du consentement avec les parents. La recherche d’adhésion des parents soulève des tensions entre aide et contrôle de l’autorité parentale, et repose en partie sur la possible compréhension de leur défaillance parentale. « Ce travail de communication, d’appropriation de discipline extérieure et de conviction auprès des parents peut être mise à mal par la juridictionnalisation ».50

Elle repose également sur le fait de savoir si les parents sont d’accord avec les orientations proposées et l’analyse de la situation s’y rapportant. Les parents sont-ils en mesure d’entendre, de comprendre leur point de défaillance, pour ensuite les travailler ?

47 ONED, « Neuvième rapport au Gouvernement et au Parlement », Mai 2014, p. 23 48Idem

49 Idem p. 24

50 ONED, « Parents, enfants, familles en protection de l’enfance », Actes du séminaire d’Angers des 27 et 28 septembre 2011 », p. 10

Le juge s’assure de la volonté des parents de collaborer avec les professionnels des services de l’ASE, puisque la mise en place de la mesure judiciaire est confiée au service de l’ASE, ou à une institution habilitée. Différents acteurs sont concernés par la mesure judiciaire. Les interactions se situent entre le juge, les parents, le chef de service de l’ASE, le référent chargé de suivre la situation de l’enfant et/ou de la famille (suivant le département), l’enfant et l’assistant familial. Pour autant, l’assistant familial ne rencontre jamais le juge et ne participe pas à l’audience. En outre, la mesure judiciaire prend en compte le caractère temporaire et provisoire de l’accueil de l’enfant, au regard de la persistance ou pas d’une situation de danger et passe nécessairement par l’évaluation de la situation des parents.

Les professionnels de la protection de l’enfance sont confrontés outre les enjeux sociaux- économiques, aux problématiques psychologiques de certains parents, qui ne peuvent consentir aux mesures d’assistance éducative et à l’accueil de leur enfant par une autre famille.

2. L’autorité parentale maintenue malgré la séparation

Le principe même de l’autorité parentale caractérise en premier lieu la parentalité, défini comme un ensemble de droits et devoirs envers l’enfant. C’est-à-dire « protéger l’enfant dans sa santé, sa sécurité, sa moralité, assurer son éducation, et permettre son développement dans le respect de sa personnalité ».51 Les parents, premiers protecteurs de l’enfant, titulaires de l’autorité

parentale doivent agir ensemble, et dans un accord commun visant l’intérêt de l’enfant.

Extrait de l’entretien avec la cheffe de service : les échanges ont porté sur la question de l’autorité parentale lorsque l’enfant est déplacé de chez lui et confié au « service gardien » ASE :

«…ce terme autorité parentale est utilisé par les travailleurs sociaux qui a du sens pour eux, mais franchement pour les parents ils ne se posent pas la question,…lorsque l’on parle des actes usuels et non usuels, là c’est très compliqué pour les parents... ils ne voient qu’une chose, c’est qu’affectivement ils ne seront pas avec leur enfant au quotidien, souvent les parents ramènent la question de l’autorité parentale à la question de l’affectif, du vivre à côté - du vivre avec – du vivre ensemble… »

«…un peu comme si leur échappait le côté de la parentalité agréable, il y a des moments où les parents disent mon enfant a appris à marcher avec la famille d’accueil et pas avec moi, par contre pour aller à l’hôpital signer une décharge pour que mon enfant soit hospitalisé on vient me chercher… les choses pas faciles on me les demande… ils ont l’impression qu’il leur reste de la parentalité le côté un peu compliqué un peu difficile… c’est violent… et puis par contre on a des parents qui eux vont s’en servir et mettre en étendard cette question d’autorité parentale et vont demander tous les jours ce que leur enfant a mangé , systématiquement ce qui s’est passé à l’école… c’est compliqué l’autorité parentale pour les parents, ils pensent qu’ils ne sont plus parents parce qu’il y a le placement… ».

Comme je l’ai déjà évoqué, à la suite du rapport Bianco-Lamy (1980) et des différentes lois se succédant, les orientations du législateur modifient profondément la place des parents dans leurs rapports avec l’ASE. Il s’agit de l’affirmation dans leurs droits d’être informés et dans leur participation à la vie de leur enfant, notamment lors de l’élaboration du PPE52.

Extrait du même entretien :

« ...il est noté dans les ordonnances de placement que les parents conservent leur autorité parentale, ce qui 51 Art. 371-1 du code civil.

n’est pas très clair dans les administrations Françaises parce que pour faire les cartes d’identité des gamins, la préfecture part du principe que si les enfants sont confiés, les parents n’ont plus d’autorité parentale, donc c’est un peu compliqué… »

De ce changement, nous pouvons voir une démocratisation de la famille. En conséquence, l’autorité parentale apparaît comme une fonction d’ordre public s’exerçant dans l’intérêt de l’enfant. Celui-ci devenu sujet de droit et en même temps objet de protection, est désormais au centre du système conformément aux dispositions mises en place par la Convention des droits de l’enfant en 1989. « L’enfant, reconnu sujet de droits et de parole, qui est capable de discernement a le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité »53. Il ne s’agit plus d’un pouvoir souverain du père dominateur, mais d’une sensibilité

tournée vers un ensemble de droits et devoirs rendant les parents responsables de leur enfant. On parle de coparentalité ou d’exercice en commun de l’autorité parentale et ce depuis la loi du 4 mars 2002 (relative à l’autorité parentale) ; toute décision à l’égard de l’enfant doit recueillir l’accord des deux parents.

Extrait de l’entretien avec la responsable Enfance d’un territoire de la Métropole Lyonnaise :

« …la culture a vraiment changé, les parents sont beaucoup moins oubliés, et puis il y a le juge qui nous le rappelle, dans le Rhône nous avons un référentiel expliquant qui fait quoi… mais pour autant il y a des parents qui vont s’accrocher à fournir des vêtements, d’autres ce sera pour les sorties…d’autres qui vont se retirer de leur parentalité parce qu’ils se sentent jugés, dévalorisés… »

Les orientations politiques prévoient des garanties sur la responsabilisation des parents, et des dispositifs de soutien et d’aide à la parentalité. Cependant, certains parents ne peuvent répondre à ces intentions, lorsque leur présence ne permet pas d’assurer une éducation stable à l’enfant, ou lorsque leur absence se révèle dévastatrice pour celui-ci. Également, certains parents sont dans un surinvestissement néfaste à l’enfant. Aussi, d’autres adultes peuvent assurer cette fonction parentale et permettre à l’enfant de se développer et grandir de façon harmonieuse. C’est le rôle de l’assistant familial dans sa fonction auprès de l’enfant, tout en préservant les attributs de l’autorité parentale destinés aux parents de ce dernier.

Dans le cadre d’une mesure judiciaire, les parents restent titulaires de l’autorité parentale. Cependant, l’exercice de l’autorité parentale des parents se décline ainsi : « le service de l’ASE, puisqu’il assure la prise en charge de l’enfant, et notamment son hébergement, par l’intermédiaire d’une personne physique (assistant familial) ou morale (établissement), ne peut effectuer les actes non usuels pour lesquels il doit recueillir l’accord des parents… il peut effectuer seul les actes usuels, sous réserve d’en informer les parents ».54

Ainsi deux catégories d’actes de parentalité sont définies dans le cadre législatif.

53 Convention internationale des droits de l’enfant, Art. 12, 20 novembre 1989

54 DGCS - Protection de l’enfance, « L’exercice des actes relevant de l’autorité parentale pour les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance », Guide, Edition 2018

3. Les actes non usuels de l’autorité parentale

Extrait de l’entretien avec la cheffe de service de l’ASE :

« …lors des rencontres avec les parents on insiste le plus possible sur la différenciation entre les actes non usuels et usuels... pour les actes non usuels qui ont un impact sur le corps ou le devenir de l’enfant exemple la scolarité, les interventions chirurgicales, ce type de choses, on va être sur l’accord des parents… ».

« Les actes non usuels de l’autorité parentale »55 : le service départemental de l’Aide sociale à

l’enfance ne peut pas effectuer seul les actes non usuels. Le service doit recueillir l’accord du ou des titulaires détenteurs de l’autorité parentale à savoir principalement les parents sauf lorsqu’il y a une déchéance de l’autorité parentale, ou lorsque l’enfant est reconnu pupille (en cas de décès du parent gardien, en attente d’adoption). L’article 375-7 du Code civil rappelle que les pères et mères de l’enfant bénéficiant d’une mesure judiciaire d’assistance continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale non conciliables avec cette mesure. Cependant, en cas de litige, lorsque les parents refusent les propositions, leur accord d’un acte non usuel, le juge des enfants « peut exceptionnellement, dans tous les cas où l’intérêt de l’enfant le justifie, autoriser la personne, le service ou l’établissement à qui est confié l’enfant à exercer un acte relevant de l’autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l’autorité parentale, à charge pour le demandeur de rapporter les preuves de la nécessité de cette mesure ».56

4. Les actes usuels de l’autorité parentale