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Chapitre 4 Des parentalités en tensions

1. Histoires de parentalité

1.3 Une fonction de mère en miroir

Histoire de Sofian, enfant tiraillé, qui se construit avec une parentalité défaillante sur le mode d’une suppléance soutenante

Extrait de l’entretien avec l’assistante familiale

« …Sofian est arrivé avec énormément de sacs et cartons remplis de vêtements donnés par les parents comme ceux du grand frère et de la MECS, mais 80% des vêtements étaient soit trop courts soit trop longs soit très abimés… j’ai passé mon été et début septembre à racheter des boxers, des basquets des chaussettes des survêtements…la référente a fait remonter en disant que j’avais du racheter tout ça parce que ce n’était pas à sa taille mais ça n’a pas vraiment plu à la maman parce qu’à plusieurs reprises elle a dit moi ce que j’ai acheté c’était à sa taille, mais nous ne sommes pas rentrés plus que cela dans les détails…la maman achète peu de vêtements… ».

« …. nos enfants et les enfants accueillis mangent avant, on les sert, nous sommes très disponibles et nous nous mangeons après…ce sont des choses que la mère a fait remonter, ils ne mangent pas avec eux… un jour on n’avait plus de yaourts, on leur a donné un gâteau et un bonbon à chacun, la mère dit que ce n’était pas un dessert, voilà ce sont des petites choses comme ça où on a l’impression que quoi qu’on fasse de toute manière ça sera remis en cause… ».

Les parents exercent conjointement l’autorité parentale. Le partage des actes usuels est travaillé avec ceux-ci lors des réunions d’équipe, mais, un travail de collaboration s’avère complexe. Si la suppléance partagée reconnaît une place à chacune des familles dans l’accompagnement de l’enfant, cette situation est empreinte de confrontation dans l’exercice de la fonction parentale. Aussi, l’omniprésence et la volonté de « contrôle » exercée particulièrement par la mère de Sofian ne reposeraient-elles pas sur une parentalité freinée, exercée de façon très limitée dans son quotidien parental ?

« Quelle est, dans ces conditions, l’efficacité d’un tel message à visée dite ‘préventive’, quel est son impact, sinon de renvoyer paradoxalement les parents à leurs devoirs tout en les culpabilisant d’échouer à les assumer ?»79. La séparation a souvent des effets directs sur

l’estime de soi des parents qui se sentent dévalorisés. Ceux-ci doivent « accepter » qu’une autre famille occupe une fonction parentale pour leur enfant. Outre la crainte de perdre leur enfant, il y a celle de ne plus être le parent dans le quotidien. Les enjeux de rivalité reposent entre autres sur cet aspect. Ce peut être une tension pour les parents. C. SELLENET pense que nous sommes encore plus près de la substitution que de la suppléance lorsque l’enfant est confié par délégation

77 Code civil, Art. 381-1

78 Loi 2016, n° 2016-29,7 art. 40

du service d’accueil familial à un assistant familial. L’auteur évoque l’idée d’une « parentalité partielle ».

L’enfant accueilli se construit davantage à partir du modèle éducatif proposé par l’assistant familial, délaissant celui de ses parents.

La mère n’apprécie pas la coiffure choisie par son fils, ni le choix de ses vêtements, et encore moins l’organisation des temps de repas. Celle-ci souhaite participer aux réunions d’école, se rendre présente à chaque rendez-vous médical, connaître ce que fait son fils au domicile de l’assistante familiale.Dans les retours critiques, nous pouvons entendre le souhait d’une mère voulant garder sa place, être présente dans les actes, désireuse de prendre soin de son enfant, mais dont elle ne peut exercer la totalité au quotidien du fait de la séparation.Les parents sont très présents lors des réunions, donnent leur avis, et prennent position dans la vie de leur enfant.

Chacune de ces deux familles, l’une d’origine et l’autre d’accueil sont impliquées dans des niveaux différents, voire dissymétriques concernant la vie de Sofian.

« Être dépossédé des actes du quotidien est souvent vécu par les parents comme le signe concret et tangible de la perte effective de leur responsabilité quotidienne dans la vie de leur enfant »80. Les actes usuels du quotidien, l’attention, les gestes, l’écoute mais aussi la façon de vivre, les us et coutumes, donnent à l’assistante familiale la responsabilité effective et affective d’une mère à son enfant. D’où des enjeux de rivalité, la « vraie mère » s’en sentant dépossédée. Deux figures : l’une maternelle « sa » mère, et l’autre professionnelle « son » assistante familiale, qui toutes deux affirment ce qu’il y a de mieux pour Sofian…. Laquelle sait ce qui est le mieux pour lui ?

La coéducation peine à prendre place entre les parents et les professionnels de l’accueil familial. Chacune des familles (biologique, d’accueil) reste dans « son champ d’action » sans partage réel d’éducation. « Coopérer à l’éducation des enfants est important, mais ce n’est pas encore co-éduquer. Cela peut ne ressembler qu’à une coproduction, à un judicieux partage des rôles et des tâches effectuées entre les adultes au sein d’une ‘chaine éducative’ dotée d’une sorte d’organisation taylorienne. En revanche, partager des valeurs et des convictions, c’est déjà commencer à co-éduquer »81.

Le modèle familial proposé par l’assistant familial n’est pas neutre et peut faire écran à celui des parents. Ce modèle conjugo-familial représente la famille idéale répondant aux normes sociétales et la famille captatrice. Plus particulièrement dans cette situation, il peut vite devenir l’objet d’une saga familiale… L’assistant familial, dans sa relation avec l‘enfant, ne peut faire abstraction de la place, du rôle, de la présence des parents et de la reconnaissance de leurs compétences. Son regard porté sur les parents et la façon d’en parler à l’enfant influencent les enjeux de complémentarité, de pluri-parentalité.

Le travail en équipe est dirigé sur les points de conflits, les tensions, pour permettre à chacun

des protagonistes d’exprimer ses ressentis, afin d’élaborer ensuite un positionnement commun dans l’intérêt de l’enfant. Le « faire-équipe » « ...passe donc par la possibilité d’exprimer des désaccords, d’accepter des différences pour ensuite, une fois la réflexion commune partagée,

80 Le défenseur des droits : « Enfants confiés, enfants placés : défendre et promouvoir leurs droits », Rapport, 2011, p. 26

trouver des points d’accords qui positionnent l’équipe face à sa tâche et sa charge de travail. En résumé, faire équipe suppose l’exercice collectif d’une réflexion critique »82.

Le chef de service entend de la part des parents leurs critiques régulées lors des réunions, et le plus souvent en présence de l’assistante familiale. Nous mesurons combien la cohérence entre les différents adultes est essentielle, d’autant que Sofian s’est construit sur la discordance entre acteurs. La référente restitue à Sofian les éléments pour lui permettre de comprendre les enjeux de la situation, ce qui lui appartient de sa relation avec l’assistante familiale, et celle avec sa mère. Son rôle est de faire le lien entre Sofian, l’assistante familiale et les parents, et permettre à Sofian de repérer les responsabilités de chacun des acteurs concernés dans sa vie.

Je fais le constat lors de l’analyse de l’entretien qu’il me manque des éléments sur l’évaluation des compétences parentales. Y a-t-il des compétences reconnues à chacun de ces deux parents ? Ce manquement de reconnaissance « d’être mère », n’induit-il pas celle-ci à réagir « en force » pour s’imposer ?