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Chapitre 4 Des parentalités en tensions

1. Histoires de parentalité

1.2 Exercice solitaire de la fonction parentale sans être le parent

Histoire de Mélissa, bébé secoué, qui se construit avec une parentalité incertaine sur le mode de suppléance quasi substitutive

Extrait des focus-groups (AF = Assistante familiale ; R = Référente) :

AF : « …ce qui m’inquiète, c’est comment je vais faire en tant qu’assistante familiale pour être assez présente pendant qu’elle va être hospitalisée, alors qu’elle va se retrouver seule à l’hôpital et au centre de rééducation…

…c’est le premier mois qui va être complexe pour moi, parce qu’on va vers l’inconnu au niveau de la douleur de la souffrance… je me dis que tout peut se gérer, mais c’est de voir cette souffrance le 1er mois dans ses yeux, …j’ai déjà vécu avec elle 3 opérations et à l’hôpital ils me disent on vous veut une semaine nuit et jour, alors pour me faire rire ils me disent c’est ça votre vie…la doctoresse passe 4 fois par jour et elle me dit il faut que vous soyez là chaque fois qu’on lui fait un acte… »

L’autorité parentale est exercée par les deux parents ; le partage des actes usuels est « silencieux » avec la mère de Mélissa depuis un an, celle-ci ne se rend plus aux visites médiatisées et ne participe plus à la vie de son enfant. Le père s’implique dans les décisions concernant sa fille et se rend présent à chaque visite médiatisée. L’assistante familiale assure de façon solitaire un lien d’accompagnement auprès de Mélissa pendant son hospitalisation, fortement sollicitée par l’équipe soignante pour assurer une présence de façon continue. Que dit l’inquiétude de l’assistante familiale à partir de l’extrait du récit ? Une responsabilisation trop lourde à porter ? Nous pouvons aussi entendre un partage inégal des actes, lourd à assurer pour l’assistante familiale, susceptible de créer comme le propose B. RAVON « de l’usure professionnelle » : « La question de la tiercéité dans la construction des liens entre les différents acteurs du placement familial… dans les relations mutuelles et croisées qui se nouent entre l’enfant, l’assistant familial, sa famille d’origine et les professionnels éducatifs »74.

Nous voyons combien le portage des actes de la parentalité, et la responsabilité éducative qui en relève sont totalement investis par l’assistante familiale. Malgré la présence du père dans ses relations avec Mélissa, il est difficile de parler de partage des actes du quotidien.

« …le papa s’est cassé le poignet en mille morceaux avec des broches et tout… la veille de l’opération de sa fille…il m’envoie une photo de l’hôpital il s’est pris en photo et me dit appelez-moi vite je suis à l’hôpital…et il me dit ça tombe bien je serai comme elle…il y a des bouts de phrases comme cela que vous retenez dans une conversation… »

74 ONED, « L’accueil familial : quel travail d’équipe ? » Etude coordonnée par A. OUI, chargé de mission, L. JAMET et A. RENUY chargés d’études, juillet 2015, p. 83

Dans l’inquiétude formulée, il peut aussi s’agir de sentiments contradictoires, c’est-à-dire ressentir de la colère vis-à-vis de parents maltraitants, et la culpabilité d’avoir « pris » l’enfant d’une autre famille, d’autant que ce sont les premiers mots de la mère le jour de la rencontre au service «

voleuse d’enfant

». De cette expérience d’hospitalisation suscitant une grande proximité relationnelle et affective, pour freiner l’inquiétude de Mélissa et soulager la douleur physique : quelle va être la place de l’intime dans cet accompagnement corporel ? L’assistante familiale intervient « comme » si Mélissa était sa fille ?

Enfin, l’inquiétude peut aussi reposer sur une non-reconnaissance par le service d’accueil familial de la notion de « caregiving » dans la réciprocité des liens d’attachement. « Le cargiver est la personne donnant des soins au jeune enfant, et pour participer au mieux à son développement, fait preuve de disponibilité et de sensibilité. Pour que cette personne devienne une figure d’attachement, il lui faut prendre soin physiquement et émotionnellement de l’enfant, avoir une présence en continu et régulière auprès de lui, et l’investir émotionnellement »75. Or

cette situation révèle particulièrement la nature des liens d’attachement créés depuis l’arrivée de Mélissa âgée d’un mois ½ et tout au long de ces 8 années d’accueil.

Cette situation soulève également la question de la place de l’assistante familiale dans ce contexte hospitalier, place de professionnelle ou place de maman de substitution. Le corps médical n’attend pas le service ASE, mais l’assistante familiale.Enfin, Mélissa perçoit-elle son père dans son rôle de parent ou comme un membre de sa famille avec qui elle maintient des liens.

AF : « …et son appel là tous les jours où elle me dit tu restes à l’hôpital nuit et jour, je ne peux même pas m’absenter boire un café… ».

L’enfant joue un rôle actif dans le déplacement de fonction. Mélissa induit l’assistante familiale dans un comportement parental ; elle projette sur l’assistante familiale la relation d’un enfant à sa mère, en la poussant à occuper cette fonction, d’autant que la qualité d’investissement de l’assistante familiale répond aux attentes de Mélissa.

Dans cette pratique d’accueil chez soi, « il se constitue parfois entre les enfants et nous une sorte de filiation éducative et affective qui résulte d’un vivre avec et d’un soin parental prolongé »76.

Les propos de J. CARTRY font écho au lien d’accompagnement porté par l’assistante familiale depuis l’accueil et l’intégration de Mélissa. D’une telle présence en continu et soutenante, à travers les soins et l’attention accordés à cette enfant, il s’est créé un lien d’attachement et d’affection réciproque. Un lien de métissage colore ces huit années d’accueil et d’intégration de Mélissa au sein de la famille d’accueil, d’où une confusion sur son groupe d’appartenance. Son groupe d’appartenance est-il celui de sa filiation ou de son affiliation ?

Du désintérêt au délaissement…

Comment comprendre la position de la mère alors même que le législateur positionne les parents comme responsables ? La loi du 14 mars 2016 accueille définitivement le terme délaissement, qui devient une déclaration judiciaire de délaissement parental. Cette notion

75 B. RAVON, colloque à Liège en février 2018 organisé dans le cadre de la formation ANACIS

76ONED, « Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance : Quelle parentalité partagée dans le placement ? », dossier thématique, Septembre 2013, p.29

prend place dans la partie du Code civil relative à l’autorité parentale77. Pour le législateur, « un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui des relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l’année qui précède l’introduction de la requête »78.

La déperdition des relations plus particulièrement avec sa mère, conduit progressivement Mélissa à se construire en dehors de sa structure parentale, avec l’assistante familiale – son mari et leurs filles. Elle développe des liens d’attachement - affectifs à partir des relations familiales de la sphère privée et d’autres plus extérieures, proposées par l’assistante familiale.