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Chapitre 4 Des parentalités en tensions

2. Activité de parentage de l’assistant familial : génératrice de tensions

2.2 Responsabilité – responsabilisation

Extrait du même entretien avec la cheffe de service de l’ASE :

« ...c’est le service enfance qui a la responsabilité de cet enfant, qui après par délégation décline au chef de service une partie aux travailleurs sociaux, et là on est dans la coresponsabilité…. C’est un exercice sur le fil…c’est pour cela que l’on insiste le plus possible sur la différenciation entre les actes usuels et non usuels… mais au final c’est le chef de service qui est sollicité dans les situations où ça bataille et qui va trancher avec les éléments qu’il n’a pas forcément en tranchant du côté du service gardien…pendant le temps du placement, la coresponsabilité elle incombe au service enfance… ».

La sociologie pragmatique dans ses caractérisations au niveau de l’acteur, s’en rapporte de plus en plus à ses « compétences » et à ses « capacités ». Plus particulièrement au XIXe, la question de la capacité sur des plans politique et juridique reposait sur un vocabulaire Kantien, c’est-à- dire un partage entre individus « capables » et « incapables », ou « actifs » et « passifs », (comme je l’ai montré dans la généalogie de la protection de l’enfance), ouvrant ou pas l’accès aux droits fondamentaux. Les individus capables se verrontattribuer des droits, qui ne seront pas octroyés à ceux repérés incapables. Puis, le terme capacité a largement pris sa place dans les discours politiques publiques et les politiques sociales, puisqu’il est question de garantir les capacités de la personne. Au fil de l’histoire, les parents ne sont plus coupables, mais responsables dans la fonction parentale occupée en termes de droits et devoirs auprès de l’enfant. Aussi, des dispositifs et structures se développent pour accorder une place importante aux parents, les soutenir lorsque les capacités parentales sont repérées fragiles, et permettre que chacun occupe pleinement son rôle. En parallèle de leur formation initiale, certains travailleurs sociaux se forment à l’approche systémique afin de mieux accompagner les familles devenues des acteurs dans leur rôle parental. La notion de capacité prend place dans le discours des politiques d’accompagnement des familles. Ces politiques ne considèrent pas tant la personne selon son statut à un moment de clé de sa vie, mais inscrivent davantage la personne dans un parcours de vie. D’où l’idée des possibilités d’évolution des situations. Les politiques d’accompagnement des familles ont pour objectif « l’emporwement », terme anglicisme signifiant le développement des capacités de chacun, chacun étant responsable de son existence et acteur de sa propre vie.

Pour compléter cette lecture, il me semble nécessaire de faire un détour sémantique sur le terme capacité. Pour JL. GENARD, ce terme ne peut se définir sans l’inscrire de manière plus large, c’est-à-dire en référence aux notions de « responsabilité » et « responsabiliser » qui caractérisent

les évolutions de la modernité de notre société. En référence à la théorie classique, l’auteur dégage « trois modalités : la nécessité, la possibilité, et l’impossibilité. Celles-ci s’énoncent à partir de ce que les linguistes appellent -des auxiliaires de modalité-. Parmi ceux-ci, on distingue habituellement deux principaux, devoir et pouvoir, comme modalités principales, et deux secondaires, vouloir et savoir »90.

AF : « …le papa s’est cassé le poignet en mille morceaux, il a fallu lui mettre des broches… la veille de l’opération de sa fille il m’envoie une photo de l’hôpital, il s’est pris en photo et me dit appelez-moi vite je suis à l’hôpital… il me dit ça tombe bien je serai comme elle… ».

Aussi, au regard du croisement de ces lectures, et au risque de me répéter, être parent c’est une fonction délimitée par des droits mais aussi des devoirs inscrits dans la permanence et la durée, auxquelles s’ajoutent des responsabilités qui prennent en compte l’éducation, la moralité, la santé… de l’enfant. Les parents sont donc dans une auto-responsabilité vis-à-vis de leur enfant. Les pouvoirs publics assignent un rôle aux parents, reposant sur le principe d’autorité parentale, sous contrôle de l’ordre public en cas de défaillance parentale. Il y a donc une injonction à la responsabilité. Pour D. MARTUCELLI, « en tant que mécanisme de domination, la responsabilisation suppose que l’individu se sente, toujours et partout, responsable non seulement de tout ce qu’il fait (notion de responsabilité) mais de ce qui lui arrive (notion de responsabilisation) ».91 Toujours selon l’auteur « l’individu est toujours et partout responsable non pas de ce qu’il fait ou a fait mais de ce qui lui arrive parce que, contre toute vraisemblance, ce qui lui arrive est considéré comme le résultat de ce qu’il a fait, ou de plus en plus, n’a pas fait. L’individu est toujours responsable face au présent, par action ou omission ».92

En lien avec le sujet de recherche, le processus de responsabilisation est construit par les parents eux-mêmes et implique les notions de devoir et pouvoir. Nous avons vu dans les situations évoquées de Sofian et Hassan, combien chacune des deux mères souhaite rester actrice de la vie de son enfant, se manifestant par un sentiment de responsabilité. Est-ce la résultante de n’avoir pas pu être mères lorsque leur enfant était avec elle et, de surcroît, de ne plus être mères dans le quotidien ?

« Un sentiment de responsabilité élevé a été remarqué chez les mères… ces mères culpabilisent par rapport à leur situation mais ne se dévalorisent pas en tant que parent même si certaines disent rencontrer des difficultés à interagir avec leur enfant ».93

Leur présence pouvant être qualifiée d’envahissement, répond au sentiment de responsabilité (en étant responsable de certains actes usuels dans la vie de leur enfant) et de responsabilisation (en agissant comme une mère le fait pour son enfant).

En outre, ces mêmes notions, peuvent au niveau de certains parents s’avérer source de complexité, de difficulté, car ceux-ci manquent de ressources personnelles, de prise de

90JL. GENARD, « Action publique et subjectivité » Cordonné par F. CANTELLI et JL. GENARD, Droit et société, 2007, p. 42-43

91https://journals.openedition.org/sociologies/4341, G. SERAPHIN « Le rôle des parents au sein de la cité : ordre public et responsabilité », p. 6

92 Idem, p. 6

93 ONED, Ch. ZAOUCHE-GAUDRON, H. RICAUD-DROISY, S. EUILLET, « Le développement socioaffectif des jeunes enfants de 4 ans en famille d’accueil », Rapport, Octobre 2007, p. 119

conscience de leurs propres responsabilités et droits à l’égard de l’enfant et des membres de la famille. Tel l’exemple du père de Mélissa.

Au regard d’une mesure judiciaire « imposée », certains parents n’éprouvent plus le sentiment de responsabilité envers leur enfant, comme s’ils en étaient dépossédés. S’ajoute à cela, le fait de ne plus demander au fil de l’accueil leur avis dans le partage de certains actes usuels. Aussi, ces mouvements participent à l’effacement du sentiment de responsabilité des fonctions parentales. La parentalité n’est pas re-distributive…