• Aucun résultat trouvé

Un modèle pionnier : le modèle de Nowak et May

Section I.3. Théorie des jeux évolutionnaires et répartition spatiale

A. Un modèle pionnier : le modèle de Nowak et May

Axelrod [Axelrod 84] suggère l'idée de la répartition spatiale pour des stratégies du dilemme itéré, mais c'est le modèle de Nowak et May qui met en évidence la possibilité de survie et de la diffusion de la coopération avec des comportements du dilemme simple du prisonnier alors même que la coopération est un comportement strictement dominé dans ce cas.

Sur chaque nœud du modèle de Nowak et May, on a une stratégie qui adopte le comportement C ou D. A chaque génération, cette stratégie interagit avec chacun de ses voisins. Si elle adopte un comportement C, elle gagne 1 contre un voisin de comportement C, 0 contre un voisin D. Si elle adopte un comportement D, elle gagne t contre un C, 0 contre un D. Les scores se calculent donc selon la matrice :

C D

C R=1 S=0

D T=b P=0

Figure A.1 La matrice de dilemme du prisonnier utilisée par Nowak et May. Ce n'est cependant pas une matrice de dilemme du prisonnier au sens strict, néanmoins, leur résultat a également été validé avec une matrice classique du dilemme du prisonnier.

Cette matrice n'est pas une matrice du dilemme du prisonnier au sens strict puisque ici S=P : le comportement D ne domine pas strictement le comportement C. Néanmoins, des conclusions absolument similaires à celles qui suivent seraient mises en évidence avec les valeurs classiques du dilemme .

A chaque génération, chaque stratégie copie le comportement de son voisin de meilleur score. Le mécanisme peut être spécifié de manière asynchrone (on tire un individu qui calcule son score et actualise son état, puis un autre individu etc.) ou synchrone : les individus calulent leurs scores simultanément et copient le meilleur comportement voisin simultanément. C'est cette dernière version qui est utilisée dans la présentation initiale de Nowak et May. Des conclusions similaires seraient tirées en spécifiant un modèle asynchrone de mise à jour des comportements [Huberman et Glance 93][Nowak 94]. Il est également possible d'envisager l'auto-interaction des nœuds, c'est à dire que l'agent interagit non seulement avec ses voisins, mais aussi avec lui même, hypothèse posée comme métaphore du cas où un nœud correspond en fait à une population uniforme et non pas à un individu. Les résultats globaux ne se trouvent pas modifiés par cette hypothèse.

Dans ce qui suit, on donne des copies d'écran de l'évolution du modèle pour différentes valeurs de b. Toutes les simulations sont données pour une grille torique 60×60 à voisinage de Von Neumann (chaque nœud a 4 voisins). Les nœuds d'état C sont représentés en bleu, les nœuds d'états D sont représentés en rouge. Les grilles sont initialisées aléatoirement. Le modèle peut être simulé en utilisant l'applet GoG disponible en ligne à :

b=1.2 : majorité de comportements coopératifs Génération 0 Génération 3 Génération 30 Génération 60 b=1.45 : Chaos Génération O Génération 3 Génération 30 Génération 60

b=1.85 : Domination des comportements D

Génération 0 Génération 3

Génération 30 Génération 60

Figure A.2 : Évolutions dans le modèle de Nowak et May pour différentes valeurs de l'incitation à trahir b sans auto-interaction. La topologie est une grille torique de Von Neumann de taille 60×60. Chaque nœud est initialisé avec un comportement C avec une probabilité 0.5, avec un comportement D avec une

probabilité 0.5. Les comportements C apparaissent en bleu, les comportements D en rouge.

Dans ce modèle, les nœuds d'état C liés à un faible nombre de nœuds d'état D sont les meilleurs voisins des nœuds qui leur sont adjacents, de sorte que le comportement C se diffuse sur ces nœuds adjacents.

Les différentes valeurs du paramètre

b

permettent de mettre en évidence trois types d'évolution et de formes de convergence. Pour

b∈[1,85],

il y a diminution initiale de la fréquence des comportements C. Celle-ci est due au fait que les D sont initialement entourés d'autant de C que les C en moyenne, de sorte que les D se diffusent. Les comportements C qui survivent sont organisés en clusters de nœuds de même état. Cette organisation garantit la survie des comportements C. Dans un second temps, la coopération se développe jusqu'à atteindre un niveau stationnaire. Dans cette phase, les comportements C se diffusent à partir de clusters.

D D D C C D D C C D D D

Figure A.2 : Un cluster de C entouré de comportements D.

Pour illustrer l'évolution du système on part du cluster présenté sur la figure A.2. Supposons b=1.5. Chacun des C gagne 2 et chaque D est relié à un unique C et gagne donc 1.5 : les comportements C sont les meilleurs voisins des comportements D. Les comportements C vont se diffuser sur les D à la génération suivante ici. La survie et la diffusion d'un cluster du type de celui de la figure vient du fait qu'un nœud C entouré de 2 nœuds C et deux nœuds D obtient un meilleur score qu'un D relié à un C, soit que

2R2S3PT .

Avec

S=0 ,

R=1 ,

T =b ,

et

P=0 ,

la condition devient

2b .

Tant que cette condition est respectée, le cluster de C n'est

pas envahi par un comportement D et les comportements C se diffusent. En revanche, si

b2 ,

le cluster disparaît. Considérons un autre cluster :

D D D DC D D C C D D C C D D D

Figure A.3 : Un cluster de C entouré de comportements D.

Pour ce cluster de C, il disparaît si un nœud C entouré de 3 nœuds C a un score moindre qu'un nœud D entouré de deux nœuds C. En effet, ce cluster disparaît si le nœud coloré en vert sur la figure a pour meilleur voisin le nœud coloré en rouge et non pas le nœud coloré en bleu. Donc le cluster disparaît si

2×b3 ,

soit

b32.

Pour chaque cluster de C, on peut déterminer un seuil tel que ce cluster disparaît si l'incitation à trahir dépasse ce seuil.

En fonction du niveau de l'incitation à trahir, les clusters de C disparaissent se maintiennent ou se diffusent : la fréquence d'équilibre des coopérateurs évolue selon différentes phases en fonction de b ainsi qu'illustré sur la figure A.6.

Pour

b∈[1,85]

la convergence se fait vers des évolutions périodiques de périodes courtes et les comportements C sont majoritaires.

Pour

b∈[53,2]

la convergence se fait vers une majorité de D. Ne survivent que les clusters de C qui sont les plus résistants. La figure suivante illustre la survie d'un cluster de C dans des évolutions périodiques de période 2 :

D D D D D C D D D D D D D C C D C C D D D C C D D C D D D D D D D C D D D D D D D D D D D D D D

Figure A.4 : Évolution d'un cluster de C sur 3 générations dans une grille de Von Neumann avec b=1.95. La structure est périodique de période 2. Pour observer cette évolution, il faut 2×R>T et 2×T>R. Soit avec les paramètres courants 2>b et 2×b>1.

Le système global est composé de structures de C qui évoluent périodiquement sur un petit nombre de générations ou de structures qui restent stables au cours des générations. Le système global évolue donc de manière périodique sur un petit nombre de générations.

Pour

b∈[85,53]

au contraire des cas précédents, les auteurs qualifient le système de chaotique ou régime critique. Il s'agit d'un système à périodes extrêmement longues. Les comportements se déplacent, au contraire des autres cas. Des clusters de C peuvent se développer dans des régions de D (ce qui n'est pas vrai si

b53

), des clusters de D peuvent se développer dans des régions de C (ce qui n'est pas vrai si

b85

). Ce type de système est alors très sensible aux conditions initiales.

La dimension ne constitue pas un paramètre modifiant considérablement l'état final. Les systèmes convergent vers des situations finales homogènes en partant de différentes initialisations aléatoires. C'est seulement en partant d' initialisations particulières comme par exemple une initialisation par un cluster de C central entouré de D ou avec un nœud d'état D au milieu des C que l'on obtient des formes dépendantes de la dimension. La figure suivante montre un exemple de telles formes.

Figure A.5 Évolution du modèle de Nowak et May sur une grille au voisinage de Von Neumann avec b=1.45. L'initialisation est faite par 1 nœud D au centre. La grille est 60×60. Les graphiques correspondent aux générations 0, 10, 40 et 100.

Les fréquences de coopérateurs à l'équilibre peuvent être données en fonction du taux b :

Figure A.6 : Evolution du taux de coopérateurs en fonction de b pour différentes topologies. Le graphique de gauche correspond aux grilles de Von Neumann et aux graphes aléatoires à la Erdős et Rényi de degré moyen 4. Le graphique de droite concerne les grilles à voisinage de Moore et les graphes

aléatoires à la Erdős et Rényi de degré 8. Les courbes avec des paliers sont les évolutions pour les grilles. Pour chaque grille, on a deux cas : le cas où chaque nœud est considéré comme un de ses propres voisins et le cas sans cette forme d'auto-interaction.

Sur la figure A.6, on constate l'apparition de transitions de phase dans le cas des topologies régulières, ce que l'on ne constate pas dans le cas de graphes aléatoires à la Erdős et Rényi.

En fonction de la valeur b, un cluster de C peut soit se maintenir, soit se développer, soit disparaître. Par exemple, le cluster de la figure A.2 disparaît pour b>2, se développe pour b<2. Avec l'augmentation de la valeur de b, différents clusters sont envahis. L'évolution par paliers s'explique par l'existence de valeurs seuils telles qu'au-dessous de ces valeurs, un type de cluster peut se maintenir, quand il disparaît pour une valeur supérieure. Entre deux valeurs seuils, le système évolue de la même manière indépendamment de la valeur de b. Une approche analytique du modèle pour le cas des grilles est donnée dans [Shweitzer 02]. Les auteurs obtiennent des résultats sur les formes des clusters qui survivent en fonction des paramètres.

Le modèle de Nowak et May est le premier qui fait reposer la coopération sur la fixité des relations. Il permet la survie de comportements coopératifs très simplifiés. La survie des comportements passe alors par une organisation clusterisée des comportements C. Ce modèle a donné lieu à un nombre de développements considérables dont certains sont présentés dans la partie suivante.