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Etude de l'émergence d'un équilibre de cartel

Résumé

La théorie économique repose sur un résultat classique : si l'information des participants au marché est parfaite, si le bien offert est identique pour tous les offreurs, si tous les offreurs sont rationnels et s'ils sont en nombre suffisant, alors le marché converge vers une situation concurrentielle [Kreps 90][Ekland 79]. En s'éloignant des hypothèses de ce résultat, on trouve des conditions d'émergence d'équilibres non concurrentiels. Par exemple, s'il y a un seul offreur sur le marché, c'est un équilibre de monopole qui émerge, si les biens ne sont pas homogènes, certains demandeurs vont discriminer entre les offreurs sur la qualité de leurs produits etc. Sous certaines conditions, dans le cas de plusieurs offreurs sur le marché, c'est une situation de cartel qui est susceptible d'émerger et de se maintenir. La question des conditions de l'émergence et du maintien du cartel est classique en organisation industrielle. Un résultat généralement admis est qu'il est d'autant moins soutenable que le nombre des agents est important sur le marché [Tirole 88][Hauert 02].

Le maintien du point de cartel se pose comme un problème d'évolution de la coopération. Adopter le comportement de cartel c'est restreindre ses quantités et augmenter ses prix. Donc adopter le comportement de cartel c'est s'exposer à des comportements opportunistes qui peuvent tenter une guerre des prix pour essayer de conquérir le marché. Or, si les agents choisissent collectivement le coup de cartel, ils obtiennent un profit collectif supérieur à toute autre situation. On retrouve donc un schéma similaire à celui d'un jeu de bien public, soit un dilemme du prisonnier généralisé à N joueurs, avec le comportement de cartel qui est assimilable à la coopération. L'interaction est cependant plus complexe que celle du dilemme du prisonnier : d'une part le dilemme se joue à N joueurs puisque les offreurs interagissent tous en même temps et, d'autre part, le nombre des coups n'est pas limité à 2, l'ensemble des coups possibles étant un ensemble de couples (prix,quantité).

Dans la présentation stylisée traditionnelle de l'équilibre de marché, la situation de concurrence correspond à un équilibre de Nash. La question de la convergence des marchés ne se pose pas dans ce cas. En retenant d'autres hypothèses que celles qui conduisent à ce résultat et notamment dans la situation d'un marché à prix affichés (les prix sont fixés par les offreurs) et production anticipée (la quantité produite est décidée avant l'étape d'échange sur le marché), il n'y a plus d'équilibre de Nash [Alger 79] et conséquemment, se pose la question de la convergence qui peut être observée sur les marchés. Des évolutions de marché alternatives à la situation de convergence vers la concurrence ont été introduites. Notamment, les cycles d'Edgeworth [Edgeworth 25][Dasgupka 86] qui sont une forme d'oscillation entre l'équilibre de cartel et l'équilibre concurrentiel : quand le marché est proche de l'équilibre concurrentiel, ils tentent

de jouer l'équilibre de cartel, quand le marché est proche de l'équilibre de cartel, chaque offreur tend à dévier de cet équilibre en adoptant un comportement opportuniste, ce qui conduit les comportements à s'engager collectivement dans une guerre des prix jusqu'à converger à nouveau vers l'équilibre concurrentiel. Les travaux présentés dans ce chapitre étudient les formes de convergence observées sur un marché pour lequel les comportements des offreurs sont sélectionnés ou éliminés par un mécanisme évolutionnaire à l'instar de la démarche de la théorie des jeux évolutionnaires.

Les travaux présentés ont été menés en collaboration avec des économistes du CLERSE, Raluca Parvulescu et Nicolas Vaneecloo. Les comportements retenus sont de trois types : des coopérateurs, capables d'atteindre l'équilibre de cartel, des preneurs de prix, qui convergent collectivement vers l'équilibre concurrentiel et des comportements stratégiques qui cherchent à tirer le meilleur profit de la situation courante de marché et font osciller le marché. La démarche présentée dans la suite consiste à faire évoluer des populations d'agents présentant ces comportements A chaque instant, on tire K agents de la population totale qu'on fait interagir sur un marché. Les comportements les moins performants disparaissent tandis que l'effectif des comportements les plus efficaces augmente. En répétant cette procédure un certain nombre de fois, on crée une dynamique d'évolution de la population des agents. Celle-ci est similaire aux dynamiques écologiques des populations non réparties d'agents classiques en théorie des jeux évolutionnaires qui ont été introduites aux chapitres II et IV.

Le mécanisme de sélection des comportements converge vers une majorité de comportements coopératifs. Les marchés convergent alors soit vers l'issue de cartel, soit vers une situation d'oscillation entre l'équilibre de cartel et un état proche de l'équilibre concurrentiel. En augmentant le nombre des offreurs sur les marchés, on constate une augmentation de la part des comportements coopératifs dans la population totale, ce qui représente un résultat surprenant par rapport aux constats habituels sur le maintien des coalitions. Ces résultats, ainsi qu'une présentation contextuelle de la démarche économique standard, constituent la section 1.

Dans la section 2, on suppose que les offreurs sont reliés par un graphe et que l'évolution se fait sur la base de la copie du voisin de meilleur profit [Nowak 93]. En retenant cette hypothèse et pour les mêmes paramètres que dans la section 1, on montre qu'en fonction de la topologie retenue, il est possible de faire apparaître différentes formes de convergence de la population totale. Il peut y avoir convergence vers une majorité de comportements concurrentiels, vers une majorité de comportements stratégiques ou vers une majorité de comportements coopératifs.

Section V.1.Émergence de la coopération dans un marché concurrentiel en