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Un fichier utile

Dans le document Sécurité privée et Libertés (Page 109-115)

Chapitre 2. La moralisation de la sécurité privée comme facteur de fragilité pour les libertés

A. Un fichier utile

Le fichier national des interdictions de gérer entrera en vigueur le 1er janvier 2016408.

Cet outil à la disposition d’agents habilités des administrations devrait prévenir la réitération d’infractions dans la gestion des entreprises. Ce traitement de données à caractère personnel est donc un rempart efficace contre les personnes reconnues incapables de gérer une société409. Le FNIG est consultable par les personnes reconnues par le décret n°2015-194 du 19 janvier 2015 relatif au fichier national des interdits de gérer (1). Ce fichier pourra être un atout pour le CNAPS en charge de la moralisation de la sécurité privée (2). 1. Un fichier à la disposition des acteurs économiques L’article L.128-2 du Code de commerce précise les personnes susceptibles de consulter le fichier des interdictions de gérer, à savoir les magistrats et les personnels des juridictions de l’ordre judiciaire, les personnels des services du Ministère de la Justice, certaines personnes habilitées représentant leur administration ou leur organisme dans le cadre d’une lutte contre la fraude, enfin les personnels des chambres de métiers et de l’artisanat départementales et régionales. Le décret n°2015-194 du 19 février 2015 relatif au fichier national des interdits de gérer a créé un article R.128-6 permettant la consultation du fichier aux officiers de police judiciaire de la police nationale et de gendarmerie, aux officiers fiscaux judiciaires en fonction à la brigade nationale de la répression de la délinquance fiscale, aux agents des services des douanes, aux agents de la direction générale des finances publiques, aux agents du service TRACFIN, aux agents des organismes nationaux et locaux de sécurité sociale et aux agents du Pôle emploi. En analysant les destinataires des informations et la finalité du fichier, il est permis de conclure que l’administration a décidé de lutter contre les mauvais payeurs. En effet, ce fichier permet d’éviter qu’une personne frappée par une interdiction de gérer ne réitère 408 « Fichier national des interdit de gérer », JCP E, 2015, act.155. 409 Delpech (X.), « Publication du décret relatif au fichier national des interdit de gérer », Actu. 2015.

volontairement ses abus essentiellement contre l’administration. Ces défauts de gestion se caractérisent le plus souvent par du travail dissimulé ou le non-paiement des impôts ou des charges sociales, ce qui constitue un préjudice financier important pour l’État. 2. Un outil de moralisation de la sécurité privée

Cet outil peut permettre à l’administration de moraliser la profession en refusant l’agrément à un dirigeant ayant fait l’objet d’une interdiction de gérer. Ainsi, dans une affaire, le dirigeant d’une entreprise de sécurité privée avait fait l’objet d’une interdiction de gérer pour une durée de 5 ans pour travail dissimulé et abus de biens sociaux410. Même si le dirigeant a été condamné du délit d’infraction à l’interdiction

professionnelle de gérer, le préjudice reste important en raison de l’absence de paiement des dettes fiscales et sociales. Ces infractions aurait-elles pu être évitées ? Même si le fichier n’existait pas au moment des faits, l’inscription du mis en cause dans une base de données aurait pu motiver un refus de l’administration. Ce fichier représente donc un atout important dans la mission de moralisation du CNAPS. Toutefois, le décret n’a pas prévu son accès aux agents du CNAPS en charge de la moralisation des activités de sécurité privée. Toutefois, si ce fichier reste soumis aux mêmes aléas que le TAJ, c’est-à-dire la nécessité d’une bonne administration des informations et une mise à jour en temps réel, sa pertinence paraît incontestable.

Enfin et même si ce traitement n’est pas à jour, l’administration peut lever l’interdiction par un décompte de la peine afin de constater si son délai est révolu. La mise en place du fichier des interdits de gérer ne peut souffrir, a priori, aucune contestation ce qui pourrait permettre au CNAPS de statuer avec une meilleure objectivité, sur les demandes d’agrément, s’il en avait l’accès. B. Un fichier inaccessible L’article L.128-4 du Code de commerce précise qu’aucune interconnexion ne peut être effectuée entre le FNIG et un autre fichier de données à caractère personnel détenu par 410 CA Rouen, 17 sept. 2009, n°08/01062.

une personne quelconque ou par un service de l’État ne dépendant pas du ministère de la Justice. Le fichier national des interdits de gérer pourrait être un outil efficace pour la moralisation des activités privées de sécurité. En effet, ce secteur attire des profils au parcours quelquefois incompatibles avec l’exigence de moralité de la profession. Dans un dossier, un ancien dirigeant ayant fait l’objet d’une mesure d’interdiction de gérer a été condamné pour des faits d’abus de biens sociaux. Dans ce cas de figure, le fichier pourrait donner entière satisfaction et opposer un refus incontestable à cette demande d’agrément.

Toutefois, le fichier des interdictions de gérer ne permet pas de détecter les dirigeants de fait qui laisseraient la gestion de droit de l’entreprise à une personne dont la moralité n’est pas contestée à l’image de ce dossier. En effet, dans cette procédure, il a été reproché à un dirigeant de fait d’avoir profité des moyens de paiement de l’entreprise de sécurité privée411. Cette technique ancienne tend à disparaître avec l’obligation de

formation des dirigeants.

La consultation de ce fichier sans autorisation préalable peut fragiliser les procédures (1). Il reviendra à l’administration de préciser si la moralisation de l’activité de sécurité privée participe à la lutte contre la fraude. En attendant, le cloisonnement entre l’autorité judiciaire et l’administration reste une réalité (2). 1. Des procédures fragilisées Le CNAPS ne dispose pas de la capacité à consulter le FNIG alors qu’il pourrait donner une base légale à un refus. En effet, l’inscription d’une mention dans le casier judiciaire ou dans le TAJ n’emporte pas obligatoirement un refus de l’administration à gérer une entreprise. En revanche, une sanction d’interdiction de gérer est suffisamment précise pour donner une base légale au refus de l’administration. Aujourd’hui, les agents du CNAPS peuvent consulter le casier judiciaire et le TAJ. Ces fichiers peuvent comporter des indications sur une éventuelle interdiction de gérer. En effet, le juge judiciaire peut réformer, confirmer ou annuler une décision d’interdiction, ce qui peut être porté à la connaissance du CNAPS. Toutefois, lorsque les tribunaux de commerce prononcent une 411 CA Paris, 20 févr.2014, n°13/09117.

interdiction de gérer, elle ne figure pas dans le casier judiciaire ni dans le traitement des antécédents judiciaires. Par conséquent, l’administration est susceptible d’autoriser des profils ayant fait l’objet d’une interdiction pour des fautes de gestion, ceci ne permettant pas de moraliser efficacement la profession. Par ailleurs, la consultation du FNIG pourrait constituer une bonne parade aux demandes de plus en plus nombreuses d’exclusion de la condamnation du bulletin 2 du casier judiciaire412.

La consultation de ce fichier par l’intermédiaire de personnes habilitées peut-elle reposer sur une base légale ? Par analogie, Samuel Deliancourt, Rapporteur public, pose que pour les enquêtes administratives, le préfet doit prouver que les agents ayant eu l’accès au fichier ont été régulièrement et spécialement habilités à cet effet413.

Autrement dit, l’administration doit simplement justifier d’une habilitation pour valider l’enquête. Par ailleurs, le 4° de l’article 612-7 du Code de la sécurité intérieure a prévu une possibilité de refus d’agrément pour les personnes ayant fait l’objet d’une décision sur le fondement de chapitre III du titre V du livre VI du Code de commerce414. La

combinaison de ces deux dispositions autorise, en principe, l’administration à consulter ce fichier. Toutefois, la finalité du FNIG consistant à lutter contre la fraude ne permet pas au CNAPS d’y accéder même par l’intermédiaire d’une personne habilitée. Le 2° de l’article 6 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que « elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités ». Cette disposition interdit, par conséquent, le CNAPS de fonder une décision

sur la base d’une consultation du fichier national des interdits de gérer. Pour le Professeur Raymond Gassin, le détournement d’un fichier de finalité porte atteinte aux libertés et à la vie privée415. 412 CA Rouen, 7 janv. 2010, n°08/00044. 413 Deliancourt (S.), « Une enquête administrative induisant l'accès au fichier STIC nécessite l'intervention d'une personne habilitée, à peine d'irrégularité de la procédure », JCP A, 2014, 2326. 414 Il s’agit des mesures d’interdiction prononcées contre des chefs d’entreprise consécutivement à des fautes de gestion. 415 Gassin (R.), « Informatique et libertés», Act. 1987, 2015.

2. Des administrations cloisonnées

Cette interdiction pour les agents du CNAPS de consulter le FNIG est contestable. En effet, la moralisation de cette activité concerne aussi bien les infractions au Code pénal (détournement de fonds, escroquerie, abus de biens sociaux et abus de confiance) que des faits liés à la mauvaise gestion d’une entreprise. Dans un dossier, un dirigeant a été condamné à une interdiction de gérer d’une durée de 8 ans pour avoir poursuivi l’activité d’une société qui était largement déficitaire416. Le dossier n’a pas fait état

d’enrichissement personnel mais d’une incapacité voire d’une incompétence à gérer une entreprise. Cette situation, comme pour un dossier de détournement, cause un préjudice certain pour la société.

Aujourd’hui, la connaissance de l’administration d’une décision d’interdiction de gérer résulte de la saisine du juge pénal. En effet, la nomination d’un liquidateur par le tribunal de commerce permet quelquefois de constater des infractions pour la liquidation de l’entreprise. L’administrateur, sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale, saisit l’autorité judiciaire417. Le juge pénal dispose de la capacité de

prononcer une interdiction de gérer sur le fondement de l’article 131-27 du Code pénal418. C’est d’ailleurs en application de cette disposition que la Cour d’appel a

condamné la dirigeante d’une agence de recherche privée à 3 ans d’interdiction de gérer pour travail dissimulé et abus de confiance419. Cette condamnation figurant sur le casier judiciaire peut justifier un refus d’agrément par le CNAPS. Enfin, et comme le rappelle la CNIL, les sanctions inscrites au casier judiciaire ne sont pas accessibles aux tribunaux de commerce420. Les greffiers, en cas de doute, peuvent se

faire communiquer le casier judiciaire de la personne intéressée. Toutefois, cette procédure est soumise à des délais de plusieurs semaines. De plus, les greffiers des 416 CA Versailles, 18 mars 2010, n°09/04838. 417 CA Versailles, 17 janv. 2013, n°12/05122. 418 Article 131-27 du Code pénal : « L'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale est soit définitive, soit temporaire ; dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de quinze ans ». 419 CA Toulouse, 17 avril 2007, Florence F., n°06/00761. 420 Délibération CNIL n°2015-009 du 22 janvier 2015 portant avis sur un projet de décret relatif au fichier national des interdits de gérer.

tribunaux n’ont pas accès au RCS des autres ressorts ce qui rallonge les délais de traitement. Le cloisonnement de l’administration ne permet pas de traiter efficacement des problématiques transversales. Section 2 : Les conséquences d’une utilisation trop stricte des fichiers

L’utilisation trop stricte des fichiers d’antécédents peut produire des décisions administratives entachées d’erreur. Ces contestations peuvent également trouver un fondement juridique si l’individu estime que le refus n’a pas pris en compte d’autres éléments qui auraient pu influencer positivement l’administration. Dans ce cas de figure, le candidat non admis peut saisir l’administration d’un recours préalable obligatoire (RAPO) (§1). Cette procédure est indispensable avant de saisir les juridictions administratives (§2).

§ 1. Le précontentieux

La phase précontentieuse est apparue pour la première fois en 1920 dans les affaires fiscales421. Sur la plan administratif, c’est l’article 13 de la loi du 31 décembre 1987 qui

instituait pour la première fois le recours préalable en posant que « des décrets en Conseil d'État déterminent dans quelles conditions les litiges contractuels concernant l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que les actions mettant en jeu leur responsabilité extracontractuelle sont soumis, avant toute instance arbitrale ou contentieuse, à une procédure préalable soit de recours administratif, soit de conciliation »422.

Cette initiative vise à prévenir la saisine du juge administratif pour privilégier une résolution préalable des contentieux de masse. Son objectif est de tenter de résoudre rapidement des litiges sans nécessairement encombrer les juridictions administratives. En d’autres termes, c’est une possibilité donnée à l’administration de corriger ses erreurs. Pour la chercheuse Mathilde Kernéis-Cardinet, le recours préalable permet

421 Article 10 et suivants de ka loi du 27 décembre 1927 portant fixation du budget général de l’exercice

1928.

avant tout à l’administration de s’autocontrôler423. Une circulaire du Premier Ministre

organisant le recours préalable parle d’un « filtre efficace »424. Le Premier Ministre

évoque des recours devant les juridictions administratives moins nombreux que les RAPO. En 2008, à la demande du Premier Ministre, le Conseil d’État a rendu un rapport sur les recours administratifs préalables obligatoires, qui allait dans le sens d’une « procédure souvent efficace »425. Ce rapport a, également, insisté sur la nécessité pour

les administrations de clarifier et d’harmoniser leur pratique en suivant notamment les directives du Conseil d’État. Pour qu’il soit valide, ce recours doit nécessairement être antérieur au recours du juge administratif. Cette étape indispensable peut-elle priver le citoyen d’un accès au juge tel que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ? Lucienne Erstein, Magistrate, le pense, mais reconnaît dans le même temps que le juge n’est pas là pour se substituer aux défaillances de l’administration dans l’accomplissement de ses missions426. Il existe deux types de recours : le recours

gracieux et le recours hiérarchique427. Dans le domaine de la sécurité privée, les recours

administratifs préalables ont connu deux étapes: d’abord, lorsque les préfectures étaient en charge de l’instruction des agréments et habilitations (A) et après avec la mise en place du CNAPS (B).

A. Le recours administratif devant les préfectures

S’agissant de la sécurité privée, les préfectures traitaient les demandes d’agrément et d’autorisation comme les recours gracieux. Pour que le recours puisse s’exercer dans de bonnes conditions, l’article 3 de la loi du 11 juillet 1979 impose à l’administration une motivation par écrit devant comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui 423 Kernéis-Cardinet (M.), « Recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) et autres procédures de recours internes obligatoires ou l'autonomisation de sous-ordres juridiques », JCP A, 2014, 2106. 424 Circulaire NOR : PRMX9500644C du 9 févr. 1995 relative au traitement des réclamations adressées à l’administration. 425 Conseil d’État, Les recours administratifs préalables obligatoires, La Documentation française, 2008. 426 Erstein (L.), « Le recours préalable obligatoire, un signe de bonne administration ? », JCP A, 2014, n°2107. 427 Le recours gracieux s’adresse à l’auteur de la décision contestée alors que le recours hiérarchique s’adresse à l’échelon supérieur de l’auteur de la décision.

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