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Le recours administratif devant la CNAC

Dans le document Sécurité privée et Libertés (Page 118-124)

Chapitre 2. La moralisation de la sécurité privée comme facteur de fragilité pour les libertés

B. Le recours administratif devant la CNAC

Le précontentieux ou la prévention du contentieux devant la CNAC s’assimile au recours administratif préalable obligatoire. En ce qui concerne le CNAPS, il s’agit d’un recours hiérarchique car il est adressé à la CNAC, instance en charge de la cohérence des décisions des commissions interrégionales et locales d’agrément et de contrôle. Cette procédure constitue un moyen de renforcement des pouvoirs de contrôle de la CNAC sur les CIAC. Les décisions prononcées contre les CIAC sont susceptibles de faire l’objet d’un recours qui est obligatoire avant la saisine d’une juridiction administrative (1). Ce recours est alors présenté à la CNAC qui peut réformer les décisions des commissions interrégionales (2). 1. Un recours obligatoire L’article 633-3 du Code de la sécurité intérieure dispose que « Tout recours contentieux formé par une personne physique ou morale à l'encontre d'actes pris par une commission régionale d'agrément et de contrôle est précédé d'un recours administratif préalable devant la Commission nationale d'agrément et de contrôle, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux ».

Le fait de ne pas saisir la Commission nationale par un recours préalable obligatoire a pour conséquence de rendre le recours juridictionnel irrecevable comme l’indique la Cour administrative d’appel de Versailles440. Cette disposition est également contenue

dans le code de justice administrative dans son article R.421-1.

Aussi et comme le Conseil d’État a eu l’occasion de le rappeler, la réformation d’une décision remplace la décision initiale que le requérant a attaquée441. Par ailleurs, la

saisine du juge des référés tendant à la suspension d’un acte administratif ne peut intervenir antérieurement à la décision de la Commission nationale d’agrément et de contrôle442. 440 CAA Versailles, 22 oct. 2013, Yanga c. Préfecture de l’Essonne, n°12VE02268. 441 CE sect., 20 octobre 1967, Schulsinger. 442 CE, sect., 25 juill. 2013, Baille c. Conseil national des activités privées de sécurité, n°366204.

2. Un recours utile

En imposant un RAPO, le CNAPS souhaite purger les éventuels vices qui pourraient naître des décisions initiales mal fondées. Dans ce cas, l’autorité, la CNAC, n’aurait pas d’autre alternative que de prononcer l’annulation de la décision attaquée443.

L’Avocat Benoît Coussy indique à la suite d’une affaire plaidée que « la CNAC étant une garantie que les sanctions prises par les CIAC fassent l'objet d'un examen attentif tant en droit qu'en fait »444. Cette analyse tranche avec le traitement des recours par les

préfectures. Ainsi en confiant l’étude des recours préalables obligatoires à une instance différente de celle qui refuse l’agrément ou l’autorisation, le législateur s’assure que les recours feront l’objet d’une attention particulière. La CNAC en sa qualité de garant des orientations fixées par le collège du CNAPS redouble de vigilance afin d’harmoniser les décisions des CIAC. § 2. Le contentieux

La procédure contentieuse doit être écrite, secrète et inquisitoire. Une décision du CNAPS faisant l’objet d’un recours est, d’abord, examinée par le tribunal administratif. Ce jugement peut faire l’objet d’un appel devant la Cour administrative d’appel. Enfin, la décision produite par la CAA peut faire l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative en France (A). Le citoyen peut en dernier ressort saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (B). A. Le recours devant les juridictions administratives Napoléon Bonaparte disait, lors de la création du Conseil d’État, « Je veux créer un corps demi-administratif, demi-judiciaire, qui réglera l’emploi de cette portion d’arbitraire nécessaire à l’administration de l’État ». À compter des années 1980, le juge administratif a commencé son émancipation et sa montée en puissance. Ce nouveau rôle du juge

443 CE, ord., 30 août 2005, Nzaou, n° 284004.

444 http://avocats.fr/space/securite/content/la-cnac-annule-une-sanction-d-interdiction-d-exercer-de- la-ciac-sud_20E22982-2498-4998-B1FA-EDA38A52E9A2.

administratif en matière de protection des libertés se justifie principalement par le contrôle de légalité qu’il effectue sur les mesures de police administrative.

S’agissant du contentieux et lorsqu’un citoyen n’a pas obtenu satisfaction en première instance ou en appel, ou lorsque l’administration estime que sa décision a été réformée injustement, le Conseil d’État peut être sollicité. Il ne juge pas à nouveau le fond de l’affaire, mais il vérifie la conformité au droit du jugement objet de l’appel.

Les jugements des CAA peuvent être soumis en cassation au Conseil d’État. Ils passent, préalablement, par les filtres des sous-sections de la section contentieux du CE. En d’autres termes, tous les recours qui ne présentent pas de caractère sérieux sont rejetés445. Afin d’accélérer les procédures, il est donné la possibilité à un juge de statuer

seul par ordonnance446. Environ 60% des appels sont rejetés. Le citoyen dispose de

plusieurs options pour contester une décision administrative (1). Cependant et comme pour les autorisations lorsqu’elles étaient attribuées par les préfectures, les résultats varient souvent d’une juridiction à une autre (2).

1. Le référé-suspension comme outil préservant les libertés

S’agissant de la suspension d’une délibération, le Conseil d’État n’admettait pas, en application du recours préalable obligatoire, la saisine du juge des référés afin de suspendre une décision administrative en attendant son réexamen. En effet, aucune mesure d’urgence ne permettait de faire cesser rapidement un acte administratif illégal portant atteinte à une liberté. La loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives a changé la donne puisqu’elle permet au justiciable de préserver ses droits fondamentaux447. Le requérant doit justifier devant le juge des

445 La loi 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif organise une procédure d’admission appelée Commission d’admission des pourvois. 446 Décret n°2005-911 du 28 juillet 2005. 447 Cette loi a créée l’article L.521-2 du Code de justice administrative qui dispose que » saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante- huit heures ».

référés de l’introduction de ce recours préalable448. Le référé-suspension est une

possibilité pouvant garantir les libertés fondamentales comme l’indique l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales449. Cette procédure permet de suspendre provisoirement l’exécution de

la décision attaquée jusqu’au prononcé du jugement. Il y a deux conditions cumulatives pour introduire un référé. D’abord l’urgence telle qu’elle a été définie par le Conseil d’État, c’est-à-dire « lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre »450. C’est au demandeur de prouver le caractère immédiat

de l’urgence. En matière de sécurité privée et selon le Conseil d’État, le seul fait qu’un individu se retrouve au chômage après une décision illégale de l’administration constitue une situation d’urgence451.

Ensuite, le requérant doit prouver un doute sérieux sur la légalité de la décision administrative attaquée. Le juge des référés examine alors le dossier sur la forme sans se prononcer sur le fond pour statuer sur une éventuelle atteinte à la liberté452. Le

requérant peut contester l’ordonnance du juge des référés devant le Conseil d’État453.

Dans le domaine de la sécurité privée, l’individu faisant l’objet d’une décision de rejet par une CIAC peut saisir le juge de l’urgence pour demander la suspension de cette décision administrative alors que cette dernière est soumise à l’exercice d’un recours administratif préalable devant la CNAC. Le requérant doit simplement justifier devant le juge de la saisine de la CNAC. Il doit présenter de nouvelles conclusions si la CNAC prononce une décision implicite ou explicite de rejet454. 448 CE, sect., 25 juill. 2013, Baille c. CNAPS, n°366204. 449 Article 13 de la Convention : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ». 450 CE sect., 19 janv. 2001, confédération national des radios libres, n°228815. 451 CE, 14 nov. 2005, Jubau c. Ministère de l’Intérieur, n°271711. 452 CE, 23 mai 2014, Vidal c. Ministère de l’Intérieur, n°380038. 453 CE, sect., 25 juill. 2013, Baille c. CNAPS, n°366204. 454 Ibid.

La procédure peut également porter sur une décision de rejet455. Cette suspension est

accompagnée d’une injonction précisant à l’administration ce qu’il convient de faire. L’injonction en matière de sécurité privée peut se matérialiser par le réexamen du dossier dans un sens déterminé456. Comme l’indique le professeur Olivier Gohin, le

recours en référé-suspension n’a d’intérêt que si une demande en annulation ou de réformation de la décision est présentée à l’administration457. En tout état de cause, le

requérant peut saisir le juge administratif d’un recours en excès de pouvoir, accompagné d’un référé-suspension458.

Le CNAPS a connu en 2013, 15 référés-suspension dont 3 ont été accueillis favorablement par le juge des référés en attendant la décision de la CNAC.

Pour conclure, le référé-suspension permet au citoyen non seulement de préserver ses droits, mais également de faire pression sur l’instance en charge du recours afin qu’elle adopte une attitude plus conciliante lors du réexamen de son dossier. Elle ne lie pas l’administration, mais l’incite à la vigilance dans l’examen du recours préalable. C’est notamment le cas lorsque le juge des référés demande un réexamen du dossier459.

2. L’absence de ligne des juridictions administratives

Les juridictions administratives ont adopté des positions différentes. Les décisions rendues par ces administrations ont souvent tenu compte du droit pour annuler un acte administratif comme la consultation sans décret du fichier des antécédents pour l’attribution d’un agrément460. En revanche, les juridictions administratives ont annulé

des décisions qu’elles considéraient injustes comme l’aide au séjour irrégulier d’un membre d’une même famille ayant fait l’objet d’un effacement du casier judiciaire461. Ce fait est un délit prévu à l’article L.622-1 du code l’entrée et du séjour des étrangers et du 455 CE sect., 20 déc. 2000, M. Ouatah, Recueil Lebon, p.643. 456 CAA Marseille, 5 mars 2013, Préfet PACA, c. Mamona, n°11MA04195. 457 Gohin (O.), « Le recours pour excès de pouvoir et les référés », JCP A, 2012, n°2314. 458 CE, 14 nov. 2005, Jérémy J., n°271711, JurisData n°2005-069231. 459 CE, 14 déc. 2009, n° 325830, Cne la Roche sur Yon, JurisData n° 2009-016884. 460 CE, 14 nov. 2005, Jubau, n° 271711: JurisData n° 2005-069231 ; JCP A, 2006, 1033 ; CAA Versailles, 23 nov. 2006, Préfet des Hauts-de-Seine, n° 06VE00790. 461 CAA Nantes, 3 fév. 2009, préfet du Loiret, n°08NT01832.

droit d’asile462. Dans le sens inverse, l’absence d’inscription de mention dans le fichier

des antécédents et dans le casier judiciaire ne s’oppose pas à un refus463. Tout comme

une relaxe à la suite d’une erreur de procédure464. Pourtant, un individu ayant été

poursuivi pour tentative d’escroquerie et usage de stupéfiants sans que ces faits ne fassent l’objet d’une inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire a obtenu l’annulation d’une décision administrative. Cette position de la Cour administrative d’appel tranche avec une autre décision de la même juridiction qui, pour refuser la demande d’un requérant, a indiqué que les faits dont s’est rendu coupable le requérant « sont de nature à remettre en cause la capacité de M.A... à conserver son sang-froid en toutes circonstances et, ainsi que l’a relevé le préfet dans sa décision du 22 décembre 2010, à intervenir avec le calme requis dans les situations parfois tendues et conflictuelles auxquelles un agent de sécurité est susceptible d’être confronté »465.

Les positions divergentes s’expliquent principalement par l’indépendance des juges qui statuent en leur intime conviction. En effet, les juges dans l’appréciation des faits sont souverains. Cette appréciation souveraine peut, néanmoins, faire l’objet d’un contrôle par le Conseil d’État. Ce pouvoir n’a pas permis de dégager une ligne claire visant à assainir la profession.

L’installation du CNAPS et la mise en place d’une instance de contrôle et de réformation des décisions des CIAC participent à la moralisation du secteur466. Enfin, il paraît utile

d’ajouter que la mise en place d’une jurisprudence interne au CNAPS en matière de moralisation concilie exigence de moralité et liberté d’entreprendre. Cette nouvelle méthode va considérablement réduire les annulations prononcées par les juridictions administratives. Le rapport d’activité 2013 du CNAPS indique que sur 28 recours en annulation des décisions du CNAPS, aucune annulation n’a été prononcée par les juridictions administratives. Le requérant dispose d‘une dernière voie de recours, la saisine de la Cour Européenne des droits de l’Homme. 462 Délit passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. 463 CE, 2 déc. 2009, Ministère de l’Intérieur c. Hammoumi, n° 307668, JurisData n° 2009-015428. 464 CAA Versailles, 13 avr. 2010, M. Bernard, n°09VE01870. 465 CAA Nantes, 7 fév. 2014, Okito c. préfecture du Loiret, n°12NT01469. 466 Latour (X.) et Moreau (P.), « Le Conseil national des activités privées de sécurité et la moralisation de la sécurité privée », JCP A, 2011, 2146.

B. Le recours devant la juridiction européenne

Le droit européen des droits de l’Homme est probablement la source de droit qui aura le plus influencé les ordres juridiques nationaux. La CEDH a été signée le 4 novembre 1950 avec une entrée en vigueur des textes le 3 septembre 1953. L’interprétation et sa mise en œuvre ont été confiées à la Cour européenne des droits de l’Homme467. Depuis les

années 1980, un individu seul peut saisir la Cour468. Cette procédure permet à un

individu de diriger un recours contre un État469. Pour saisir la Cour, le requérant doit

avoir épuisé les voies de recours internes considérées comme utiles, efficaces et adéquates. Exceptionnellement, la Cour peut dispenser le requérant d’épuiser ses voies de recours lorsqu’elles révèlent une mauvaise volonté de l’État470. Pour introduire un

recours auprès de la CEDH, le requérant doit invoquer les dispositions de la CEDH dans ses recours internes.

Ensuite, pour saisir la Cour EDH, l’individu doit se prétendre victime d’une violation de la Convention par l’État. L’article 34 de la Convention permet dans une lecture pro victima aux victimes potentielles471 et aux victimes indirectes de saisir la Cour472. La

requête doit viser un État membre de la convention. Les faits allégués doivent relever de la juridiction de l’État et lui être imputables473. La Cour se réserve le droit de rejeter la

requête si elle considère que le préjudice n’est pas important474. Enfin, la même

procédure ne peut être introduite devant deux juridictions internationales475. Ces

mécanismes visant à éviter l’engorgement des juridictions européennes ont pour effet de rendre les saisines en matière de sécurité très rares (1). Toutefois, les procédures introduites ont généré des résultats surprenants, mais aux effets limités (2). 467 Article 32 de la Convention européenne des droits de l’Homme. 468 Décret n° 81-917 du 9 octobre 1981, JO du 14 octobre 1981, p.2783. 469 Article 34 de la Convention européenne des droits de l’Homme. 470 CEDH, 28 juillet 1999 Seloumi c. France. 471 CEDH, 29 oct. 1992, Open door et Dublin Well Woman c. Irlande. 472 CEDH, 15 janv. 2008, Micallef c. Malte. 473 Article 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. 474 Protocole n° 14 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention. 475 Article 35§2 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

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