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2. Le recueil de données

2.1 Un corpus religieux

Le discours religieux ne fait pas partie des sujets les plus répandus dans les recherches scientifiques touchant à l’analyse du discours. Il y a beaucoup plus de recherches sur le discours religieux en sociologie et en anthropologie. Toutefois, on observe que les approches pluridisciplinaires concernant le discours religieux sont en progression.

Le peu d’intérêt manifesté pour ce type de discours est d’autant plus remarquable que la dimension religieuse est essentielle dans un grand nombre de conflits de ce début du XXIe siècle. (MAINGUENEAU 2009 : 5)

Le côté marginal des travaux d’analyse du discours religieux a une relation avec une résistance culturelle des chercheurs. Nous pouvons avoir un regard naïf envers un texte religieux, et nous pouvons avoir ce même regard sur un texte littéraire ou philosophique, mais le texte sera lisible, si seulement il est rapporté à un large intertexte. Néanmoins, dans les cultures occidentales, la religion est presque en voie de disparition, y compris chez les chercheurs en sciences humaines et sociales. Ces chercheurs se posent des questions à propos des destinataires, puisque les croyants et ceux qui étudient la religion ne sont pas ouverts à des approches qui laissent de côté la dimension spirituelle, et de l’autre côté les spécialistes de l’analyse du discours ne seront pas attirés par ces corpus qui sont si éloignés de leurs intérêts.

L’analyse du discours tourne donc son regard vers des discours qui facilitent l’articulation des phénomènes langagiers et sociaux, comme le discours politique et la publicité, par exemple, qui sont perçus comme immédiatement interprétables en terme d’évolution de la société. Le discours religieux est différent. Fréquemment, on trouve une relation indirecte entre les textes doctrinaux et le monde vécu, et de surcroît, ils sont très hétérogènes, ayant des genres de discours très divers. À propos de l’analyse du discours religieux, Maingueneau écrit :

catégories descriptives pour étayer des interprétations. Pour une analyse du discours religieux, en revanche, ce ne sont plus les textes qui sont l’objet central. La recherche s’ouvre à des problématiques plus compréhensives, à un réseau d’articulations qui associe les textes à des catégories socio-discursives : champ religieux, scène d’énonciation,

ethos, etc. Au-delà, le discours religieux est appréhendé comme réseau de

pratiques hétérogènes qui impliquent des communautés elles-mêmes très diverses. (MAINGUENAU 2009 : 10)

Le discours, cette succession d’énoncés qui forment un ensemble logique, possède une complexité qui n’est pas toujours apparente. Il faut s’arrêter pour y réfléchir, car analyser quelque chose qui fait tellement partie de notre vie quotidienne peut sembler peu évident. Pourtant, l’étude de cet assemblage d’énoncés constitue une discipline importante, dont nous nous servons ici.

Analyser le discours religieux peut sembler hors norme, mais on trouve dans ce type de discours des éléments très intéressants. Si le discours religieux possède toute cette richesse, pourquoi n’est-il jamais mis en évidence dans les recherches linguistiques ? Peut-être parce que la société occidentale contemporaine accorde de moins en moins d’importance aux questions spirituelles, étant donné les progrès considérables de la science, la toute-puissance de l’économie de marché par rapport à la question de l’identité individuelle et sociale à laquelle se rattache le discours religieux, et la croyance qu’une évolution de l’intelligence et de la technologie humaine sont incompatibles avec la croyance en Dieu. La quantité de guerres motivées par la religion provoque également un a priori défavorable. En se cantonnant à une recherche « laïque » qui ne mélange jamais religion et science, les sciences linguistiques perdent l’opportunité de découvrir de nouveaux phénomènes qui pourraient révolutionner son histoire ainsi que son devenir.

Dans la mesure où la religion devient moins importante pour la société, elle devient aussi moins importante pour la recherche. Sur le plan de la recherche linguistique, il convient toutefois de remarquer que les outils de communication les plus modernes qui sont utilisés pour persuader les gens, sont des outils de persuasion dont la plupart sont déjà présents dans le discours religieux. L’église a été de tout temps obligée de former et de préparer ses prêcheurs pour qu’ils aient un discours créatif et vraiment persuasif.

Le choix du discours religieux dans ce travail a plusieurs raisons. D’abord on peut parler de l’influence du travail achevé en 2009 « Quand je n’est pas moi : intégration

conceptuelle en déictiques de première personne » qui se portait sur ce type de discours.

Pendant les deux ans de master, j’ai pu constater la productivité du discours religieux. L’analyse à cette époque-là, portait seulement sur un aspect du discours (la polysémie des déictiques de première personne), mais il était clair qu’il y avait beaucoup d’autres éléments à étudier.

Cette influence a éveillé le désir de donner une suite à la dissertation finie en 2009 car pendant l’analyse du corpus j’ai pu repérer un grand nombre de faits qui méritaient d’être analysés. Les membres du jury spécialistes de l’analyse du discours m’ont ainsi fait comprendre qu’une analyse du discours religieux à la lumière de l’analyse du discours pourrait être très fructueuse.

Le choix du corpus se justifie par son caractère persuasif, la grande quantité de déictiques polysémiques, la valorisation de l’auditeur construite sur le pathos, l’interaction virtuelle à travers l’énallage, le dialogue et l’empathie et d’autres éléments utilisés par les pasteurs pour persuader leurs auditeurs. À la différence de ma dissertation de master où le regard n’était tourné que vers le phénomène de la deixis, j’ai voulu dans cette thèse décortiquer les nombreux phénomènes utilisés pour atteindre la persuasion. Il a été intéressant d’analyser ces phénomènes dans un cadre communicationnel spécifique marqué par la relation entre les pasteurs et leurs auditeurs.

2.2 Le choix d’un corpus informatisé

Dans les travaux linguistiques sur le discours religieux, j’ai observé une prédominance de l’analyse du discours écrit sur l’oral. Et concernant le discours écrit, les analyses basées sur des textes anciens sont plus nombreuses que celles sur le discours religieux actuel. Mon travail va donc contre les principales tendances de la recherche : je ne travaille pas sur le discours écrit, et le discours oral que j’ai choisi est contemporain.

J’ai fréquenté à plusieurs reprises l’église évangélique de Pentecôte d’Avignon, située rue Rudolph Serkin, pour analyser la viabilité du recueil du corpus. Il m’a fallu une autorisation du pasteur principal de l’église, pour enregistrer les sermons. Après cette étape préliminaire, j’ai dû transformer l’enregistrement en fichier MP3, pour pouvoir l’écouter avec le logiciel approprié qui allait me permettre de bien analyser les discours en détail.

Je me suis vite rendue compte qu’en choisissant cette voie-là, le recueil du corpus prendrait très longtemps. En plus de ces difficultés, il faut bien considérer qu’en allant directement à l’église pour récolter les données, j’étais obligée d’attendre chaque fois une semaine pour réaliser l’enregistrement du sermon suivant. Je devais penser aussi aux périodes de vacances où l’église serait fermée, ce qui allait freiner mon rythme de travail.

Mais en dépit de tous ces inconvénients, les sermons prononcés par les pasteurs à l’église évangélique de Pentecôte d’Avignon se sont avérés intéressants au niveau de la recherche linguistique. L’église de taille moyenne grandit petit à petit ; elle était composée de 238 membres en 2001, 252 en 2003, et 281 en 2006. L’église évangélique de Pentecôte d’Avignon possède une bonne infrastructure qui sert à attirer des nouveaux fidèles. Elle dispose d’un grand parking et met à disposition une navette gratuite qui va chercher les gens au centre ville et les ramène à ce même endroit après le culte.

Étant donné les difficultés pour le recueil du corpus sur place à l’église évangélique de Pentecôte d’Avignon, j’ai décidé de recueillir des sermons sur Internet. J’ai commencé à chercher sur le site de l’église de Pentecôte d’Avignon. Le site http://add-avignon.com possède bien un volet « prédications », mais il s’agit de prédications écrites, une espèce d’étude biblique où est proposée une lecture d’un texte biblique suivie d’une dissertation du pasteur sur des thèmes variés, comme le péché, le salut, la sainte scène, etc. Mais, comme je l’ai déjà dit, mon intérêt n’était pas de travailler sur des textes écrits comme le font la majorité des chercheurs qui travaillent sur le discours religieux. Même si la parole et l’écriture se rapportent a priori à des modalités d’utilisation des langues utilisées avec des buts

communicatifs, les deux présentent des différences concernant la façon dont elles se manifestent. Si j’ai choisi de travailler sur le discours oral, c’est en raison de sa richesse et parce qu’il est possible d’y analyser des nombreux éléments : les répétitions, les redondances, les hésitations, les pauses, les interruptions, les digressions, les reprises, les allongements, la coupure des mots, les phrases inachevées, les anacoluthes, les intonations, la hauteur de la voix, la durée des mots, les marqueurs discursifs, l’ellipse, entre autres.

Puisque je n’ai pas trouvé les sermons en format MP3 sur le site de l’église de Pentecôte d’Avignon, j’ai utilisé le moteur de recherche google.fr rechercher un site où les prêches étaient diffusés. Néanmoins, sur ce moteur de recherche, les mots clés « sermons protestants » ou « sermons évangéliques » ne m’ont pas permis de trouver ce que je cherchais. Si au Brésil, presque toutes les églises protestantes ont leur propre site Internet avec leurs prêches dominicaux, en France la situation est complètement différente. Les églises françaises ne semblent pas encore avoir eu l’idée de se servir de la modernité numérique pour attirer plus de fidèles.

Après de multiples tentatives, j’ai trouvé le site américain http://www.sermoncloud.com où des sermons évangéliques venus de toute la planète étaient stockés en format MP3. Dorénavant, je n’avais plus besoin d’autorisation pour exploiter les donnés, ni de transformer le fichier audio en fichier MP3 car les sermons sur le site Sermon

Cloud étaient prêts à être transcrits.

Internet a été d’une extrême utilité pour mon travail. Le fait de ne pas avoir de contact humain direct avec les locuteurs des prêches, en choisissant Internet, n’a pas été gênant33, car j’avais juste besoin des prêches et pas de l’interaction avec le locuteur ou les auditeurs. Je n’envisageais pas d’analyser des éléments paralinguistiques comme les gestes, les regards, etc. Le corpus sur Internet remplissait donc tous mes besoins au niveau de la recherche.

Il était important aussi pour moi d’avoir un sermon spontané, qui ne soit pas influencé par la présence d’un chercheur dans l’église. De ce fait, Internet me donnait la certitude que je trouverais des sermons vraiment spontanés avec toutes les caractéristiques comme les ruptures de construction (l’ellipse), l’hésitation, l’imprécision, la non-connectivité, les équivoques, entre autres, et aussi l’intention majeure de persuader ceux qui l’entendent.

3. Les transcriptions

Les transcriptions constituent une partie importante d’un travail de recherche. Ce sont elles qui rendent possible l’utilisation d’un corpus oral. Mais comment réaliser cette transcription ? La transcription phonétique n’est pas très lisible et n’est pas nécessaire ici. La meilleure façon de transcrire est celle qui suit les chemins de la cohérence. Par exemple, nous n’avons pas besoin d’ajouter toutes les marques de la négation que le locuteur n’a pas faites. Une transcription n’a pas pour but d’avoir une orthographe impeccable et une grammaire exemplaire. Elle doit tout simplement être la reproduction de ce qui a été dit.

Mais bien évidemment, il y a certaines règles à suivre, et les transcriptions ont été basées sur les conventions de transcription, inspirées du G.A.R.S (groupe aixois de recherche en syntaxe). Tous les locuteurs (quelques-uns plus que les autres) parlent avec une certaine variation dans le débit, ils font des pauses qui peuvent être silencieuses ou pas, des allongements entre autres. Un interlocuteur normal n’est pas censé faire attention à ces petits détails, mais le chercheur qui réalise la transcription doit avoir une bonne ouïe pour identifier ces phénomènes peu perçus par la plupart des gens.

Concernant le temps, qui est un élément à maîtriser dans la transcription, il est en moyenne de 6 heures pour réaliser 1 heure de transcription. Pourtant, il faut considérer que ce délai peut être beaucoup plus long si le fichier possède beaucoup de termes techniques (comme est le cas du discours religieux), si l’enregistrement n’a pas été réalisé dans des bonnes conditions, ou si la personne qui réalise la transcription le fait dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle. Il faut considérer aussi le nombre de conventions utilisées dans les transcriptions : plus on a de critères à vérifier, plus longue est la transcription. Voici les conventions générales utilisées dans nos transcriptions (inspirées du GARS) :

+ ++ +++ Pause brève, moyenne, longue (entre 1 et 3/4 secondes environ)

X Symbole pour une syllabe incompréhensible. Autant de X que de syllabes présumées.

(rires) (gestes) Gestes, rires, bruits, événements de la situation, ou commentaire du transcripteur.

[coupure] Interruption assez longue du discours (plus de 5/6 secondes) en raison d’un passage peu audible ou de peu d’intérêt.

BACK Les mots ou groupes de mots dans une langue étrangère sont écrits en petites capitales.

Stewer Les mots empruntés à une langue étrangère, mais intégrés morphologiquement et/ou phonétiquement sont notés en italique.

euh: Allongement de la syllabe qui précède les :

très bien Mot ou groupe de mots accentués sont soulignés.

x x x Des lettres espacées marquent un ralentissement du débit.

t’, s’ L’apostrophe à la fin d’un mot indique que la consonne finale (-t ou –s) est prononcée.

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