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La théorie des actes de langage sous l ’ aspect cognitif

5. La linguistique cognitiv e

5.8 La théorie des actes de langage sous l ’ aspect cognitif

Dans le chapitre précédent nous avons vu que les philosophes Austin et Searle considéraient les actes de langage comme des actes accomplis par le locuteur à travers le langage. À cette vision, s’ajoute celle de Marmaridou, selon laquelle, les actes de langage sont comme des structures modificatrices du monde : « these acts have also been viewed as

utterances before and after the occurrence of which the world is not the same »

(MARMARIDOU 2000 : 209).

Il est très important de noter que les actes de langage ont une double nature : ils sont en même temps des actes et des paroles, et ces éléments sont indissociables. Des actes peuvent être exécutés à travers le langage, mais il faut se rappeler qu’un acte en lui-même n’est qu’un acte, et pas un acte de langage. Dans cette optique, on peut observer qu’il y a une forte liaison entre le discours et les actes qui sont utilisés pour l’accomplissement des actes de langage. Le locuteur est donc l’agent de l’action, alors que l’auditeur est la personne affectée par l’acte de langage. La présence de ce dernier est implicite et proéminente en même temps et aussi importante que celle du premier. Marmaridou classe l’auditeur comme patient pour deux raisons :

Regardless of whether the act concerns the addressee himself, it is however addressed to him in a way that the speaker’s utterance acknowledges and further contributes to the construction of the addressee’s role as an agent of subsequent verbal or non verbal action or inaction.29 ( MARMARIDOU 2000 : 209)

Locuteur et auditeur sont tous les deux des êtres sociaux qui produisent des actes associés à leurs expériences humaines et socioculturelles. Il fait partie de l’expérience humaine d’agir à travers la communication verbale, pour prolonger l’utilisation de l’appareil physique et produire des effets sur l’environnement.

En fait, la conceptualisation des actes de langage est reflétée dans un MCI particulier qui est défini de la manière suivante : Le MCI des actes de langage conçoit les énonciations

comme fondamentalement liées aux actions. Le contenu propositionnel qui caractérise le MCI a une double nature : il y a un agent d’abord effectuant une action qui affecte un état de choses afin que le rôle du destinataire soit établi selon un chemin particulier à travers une convention linguistique et socioculturelle. Deuxièmement, il y a un locuteur qui se communique verbalement avec son auditeur dans le cadre des objectifs socioculturels définis lors de l’interaction. Le MCI des actes de langage est donc, en même temps, un modèle d’action et un modèle de langage. Marmaridou nous rappelle que beaucoup de difficultés éprouvées par les philosophes dans la théorie des actes de langage résident dans cette double nature. Néanmoins, avec les MCI’s ce n’est plus dorénavant une difficulté, mais une complémentarité. Cette double nature dit beaucoup à propos des actes de langage.

La difficulté d’Austin pour distinguer entre les performatifs et les constatifs est due à cette double nature. D’après la proposition de Marmaridou, les énonciations sont associées aux actions et entraînent des actes de langage. Constater (concernant les constatifs) constitue seulement un type de telles actions. Des énonciations exécutent des actes de langage (performatifs) comme les philosophes l’avaient soutenu. Mais ce qu’ils n’avaient pas expliqué, c’est que les performatifs constituent un modèle idéalisé, une simple possibilité parmi d’autres, qui ne correspond pas toujours à la réalisation linguistique. Les actes de langage peuvent être plus ou moins proches de ce modèle idéalisé. Les performatifs et les constatifs sont des actes de langage néanmoins les premiers sont plus prototypiques que les derniers.

Contrairement à ce qu’on peut penser, Austin et Searle ont remarqué la conceptualisation idéalisée des actes de langage. Austin fait la distinction entre les énoncés constatifs et performatifs en termes de « abstracting away ». Il trouve des aspects performatifs parmi les constatifs et vice-versa, en admettant de cette manière une idéalisation des deux catégories.

Searle est conscient qu’il y a une instance idéalisée des actes de langage, mais il traite cet aspect comme un besoin méthodologique. « Apparently, he (Searle) fails to see that

the category of speech acts also concerns utterances that correspond very poorly to the ideal cases, while still legitimately belonging to his category and awaiting treatment30 » (MARMARIDOU 2000 : 210).

30 Apparemment, Searle n’arrive pas à voir que la catégorie des actes de langage contient les discours qui ne correspondent pas bien aux cas idéaux. Searle garde encore ces cas dans la catégorie, en attendant une solution (ma traduction).

Une conséquence de cette nouvelle proposition des MCI‘s des actes de langage et de la double nature de cette catégorie concerne la lexicalisation des actes. Puisque, selon le MCI, les actes de langage affectent ou changent un état de choses, ils correspondent à des expériences que le cerveau humain cherche naturellement à établir en termes de catégorie lexicale. Ces actions constituent donc des scènes expérientielles qui évoquent les « frames » lexicaux qui constituent et reflètent eux aussi des actions et sont évoquées par eux.

Les verbes qui constituent des actions (tels que parier, s’excuser, baptiser, etc.) et les verbes qui nomment des actions (tels que argumenter, insulter, etc.), sont tous les deux des verbes qui évoquent certaines scènes d’expérience. Il s’ensuit que l’identifiabilité socioculturelle des actes, comme le prévoit le MCI, et la lexicalisation socioculturellement motivé des actes entraînés par des MCI’s, conventionalise la catégorie au niveau de sa définition.

Étant donné que le MCI des actes de langage proposé est en même temps un modèle d’action et de parole, les conditions appropriées d’action et de parole doivent coïncider quand l’acte est exécuté par une unité lexicale.

En se basant sur la théorie des espaces mentaux de Fauconnier, Marmaridou suggère que les verbes des actes de langage créent un espace dans lequel l’énoncé est inséré. Par exemple, l’énoncé « je vous condamne à 10 ans de travaux forcés » est significativement différent de « si vous commettez ce crime, vous aurez dix ans de travaux forcés », étant donné que le premier a comme introducteur d’espace le verbe « condamner » et le deuxième la construction conditionnelle. La force illocutoire de chaque énoncé est donc différente.

Figure 25. Création des espaces

En considérant les verbes d’acte de langage comme des introducteurs d’espaces mentaux, on admet une plus large possibilité de variation en ce qui concerne la force illocutoire des énoncés en cas d’absence de tels verbes. Quand un verbe d’acte de langage, en dehors de l’acte exécuté fait aussi partie d’un « rituel », comme dans une condamnation ou un mariage, il est indispensable que, dans la procédure, l’espace soit explicitement construit pour le succès de la performance de l’acte. De quelque manière que ce soit, si l’apparition du verbe ne fait pas partie de ce rituel, alors l’espace peut à nouveau être construit par un verbe d’acte de langage ou alors il peut être construit pragmatiquement en termes d’un cadre institutionnel dans lequel l’acte et le rôle social des interlocuteurs sont exécutés dans une activité particulière. ESPACE A ACTION a = je b = vous CONDAMNER a,b BASE BASE b = vous ESPACE H HYPOTHÉTIQUE b’ = vous c = crime COMMETTRE b’,a ESPACE FUTURE b’’ = vous

d = 10 ans de travaux forcés

A↑OIR b’’,d b’’ d b’ c a’ b’ a b b

Marmaridou explique que le MCI des actes de langage est structuré à travers un ensemble de métaphores qui projettent le concept de force physique31 dans le domaine du langage, en liant donc, les deux niveau dans lequel les actes de langage sont appréhendés. D’après les explications de Marmaridou, on peut conclure que le MCI de l’acte de langage est le résultat de l’intégration de deux MCIs : celui d’action et du langage. Voici les éléments que les structurent :

MCI d’action MCI du langage

Figure 26. L’intégration des MCI‘s

31 Dans l’acte de langage, l’agent change un état de choses et il le fait intentionnellement. Il fait partie de

l’expérience humaine qu’on veuille changer intentionnellement des choses en s’en servant de la force physique sur les objets. Les changements sont donc possibles grâce à cette force. L’expérience corporel de la force est très

Actions

Force : agoniste x antagoniste Résultat de la force : mouvement x

repos

Équilibre des forces : plus fort x plus faible Antagoniste Agoniste Interaction Énonciation Force illocutoire

Effet de la force illocutoire Équilibre de la force illocutoire Locuteur

Auditeur

Après avoir proposé un MCI pour les actes de langage structuré par des schémas d’images et des métaphores ; Marmaridou a expliqué comment le MCI donne lieu à des effets prototypiques dans la catégorie. En fait, la convention dans les actions sociales et les énoncés est un aspect essentiel pour déterminer le degré de prototypicité développée par le MCI. Il est important d’expliquer que les actes de langage et ses constructions peuvent être utilisés de manière descriptive ou performative. Par exemple, l’énoncé « vous êtes maintenant mari et femme » peut être prononcé lors d’une cérémonie de mariage et il aura donc une force performative. Ou alors cet énoncé peut simplement être utilisé pour décrire un état de choses. « La même construction linguistique peut être utilisée dans une variété de contextes, avec des différentes forces illocutoires qui sont établies par les locuteurs lors de l’interaction » (MARMARIDOU 2000 : 217).

Comme on l’a déjà mentionné auparavant, les interlocuteurs exécutent des actes à travers la manipulation du contenu propositionnel. Les conventions jouent un rôle important dans de telles manipulations, car elles tendent à restreindre les options de contribution du destinataire pour les actes de langage. Les actes de langage les plus prototypiques sont conventionalisés socioculturellement et linguistiquement, alors que les moins prototypiques se basent davantage sur l’interaction qui donne l’intensité de la force illocutoire.

L’énoncé « peux-tu me passer le sel ? » qui est un cas typique d’acte de langage indirect, correspond au MCI moins prototypiquement, puisque dans le sens d’une demande, cet énoncé est plus du côté socioculturel que du côté de la convention linguistique. Les actes de langage indirects, qu’ils soient une promesse, une proposition, une demande ou une suggestion, possèdent des structures métonymiques que le locuteur peut exécuter comme un acte de langage. C’est-à-dire que l’énoncé cité ci-dessus a une relation de contiguïté avec l’action de passer le sel concrètement. Le sens premier de l’énoncé (capacité de passer le sel) est donc une condition préalable pour la réalisation de la demande indirecte.

La proposition de l’analyse expérientielle des actes de langage soutient la vision que les conventions socioculturelles sont intériorisées en termes de langage comme une représentation symbolique de l’expérience physique. Cette intériorisation est possible car les êtres humains comprennent l’usage du langage comme action en termes d’un modèle cognitif idéalisé particulier et de projections métaphoriques particulières. Par ailleurs il a été démontré que des raisonnements métonymiques en dehors des actes de langage indirects, contribuent aussi à la construction discursive des rôles sociaux pendant l’interaction. En outre, ces conclusions consolident la position présentée par Marmaridou.

L’auteur n’a pas parlé dans son livre d’intégration conceptuelle concernant les actes de langage. Néanmoins, l’utilisation du langage comme action explicitée par Marmaridou

peut être représentée en termes d’intégration conceptuelle. Cette représentation aide à élucider le phénomène et nous sera utile dans la troisième partie de ce travail. Voici le schéma :

MCI d’action MCI du langage

o Actions

o Force : agoniste x antagoniste

o résultat de la force : mouvement x repos

o Équilibre des forces : plus fort x plus faible

o Antagoniste

o Agoniste

o interaction

o énonciation

o Force illocutoire

o Effet de la force illocutoire

o Équilibre de la force illocutoire o Locuteur o Auditeur o Interaction conversationnel o Énonciation / Action

o Force illocutoire /Effet de la force illocutoire

o Équilibre de la force illocutoire

o Locuteur / Antagoniste

o Auditeur / Agoniste

o Interaction / Interaction conversationnel

III – CADRE MÉTHODOLOGIQUE

Dans ce travail nous abordons le discours de la persuasion afin d’identifier les stratégies persuasives utilisées par le locuteur. Cela implique une étude du fonctionnement de la persuasion dans le discours oral. Nous développons cette thèse à partir d’un corpus religieux qui sera défini dans ce chapitre. Nous définirons aussi la méthode adoptée pour la collecte des données, la taille du corpus utilisé, et les difficultés rencontrées tout au long du travail. Dans le cadre méthodologique, nous exposerons les procédures qui ont orienté notre pensée.