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Les modèles cognitifs idéalisés

5. La linguistique cognitiv e

5.5 Les modèles cognitifs idéalisés

Selon Lakoff (1987), la connaissance humaine est organisée par des structures appelées modèles cognitif idéalisés (MCIs). Ces modèles cognitifs sont nommés idéalisés car ils n’ont pas besoin de s’ajuster parfaitement au monde. Ce qui est présent dans un modèle cognitif est déterminé par des besoins, des propos, des valeurs, des croyances partagées par les individus d’une même communauté. Les modèles sont néanmoins le résultat de l’activité humaine, déterminée de façon cognitive et expérientielle, et de la capacité humaine de catégorisation et de conceptualisation.

Ces structures idéalisées sélectionnent parmi tous les traits possibles ceux qui sont systématiquement les plus efficaces ou significatifs, socialement ou instrumentalement. On peut dire que l’addition des MCIs forme une super-structure de notre connaissance du monde. Les modèles cognitifs doivent, selon notre point de vue, être compris comme des modèles culturels, puisque le système conceptuel humain et les catégories générées par eux sont, en même temps, de nature cognitive et culturelle.

Une notion que nous aide à comprendre les MCI‘s est le concept de frame de Fillmore (1971). Cette notion fait référence à l’organisation de cadres spécifiques de la connaissance encyclopédique dérivés des éléments qui ont lieu ensemble dans la réalité. Selon Ferrari (2011 : 50), le terme « frame » désigne un système structuré de connaissance qui reste stocké dans notre mémoire à long terme et qui il est organisé à partir de la schématisation de notre expérience. En résumant, on peut dire que le sens des mots est subordonné aux frames. De cette façon l’interprétation d’un mot ou d’un ensemble de mots demande l’accès à des structures de connaissance qui communiquent des éléments et des entités à des scènes de l’expérience humaine, en prenant en considération les bases physiques et culturelles de cette expérience. Par exemple, la phrase : « l’élève a une heure de retenue à faire demain » ne peut être comprise que par rapport au cadre scolaire (frame scolaire) dans lequel on ne trouve pas seulement l’élève et le professeur, mais aussi le non-respect de consignes, la punition, l’école, le surveillant, les cours, etc.

- Olivier a acheté une maison.

- Olivier a vendu son appartement à son frère. - Oliver a payé 200.000 euros pour sa maison - La maison d’Olivier lui a coûté 200.000 euros.

Selon Fillmore, une des conséquences d’un frame, comme on a pu voir avec l’événement commercial, c’est la valence. La valence dans les termes d’Olivier Rocca :

Désigne le nombre de relations possibles entre les différents arguments, valeurs, mots, ou informations contenus dans une séquence (…) la

valence indique le potentiel de liaison d’un signe, d’un mot, d’un verbe, d’un élément, d’un nombre, d’un ensemble, d’une trajectoire, ou d’un atome. Elle questionne le potentiel connectif des phénomènes. (ROCCA 2011 : 21)

La valence d’un verbe est liée au nombre de participants que le verbe demande. Par exemple, vendre est un verbe typiquement trivalent, puisqu’il demande trois participants : un vendeur, un acheteur, et une marchandise.

Le mot « mardi » ne peut être défini que s’il est associé à un modèle idéalisé qui inclut un cycle naturel défini par le mouvement du soleil. Dans le modèle idéalisé, la semaine existe comme un ensemble divisé en sept parties organisées dans une séquence linéaire où chaque partie est appelée « jour », et le deuxième jour est appelé « mardi ». Semblablement, le concept de semaine renvoie à une notion de semaine de travail contenant cinq jours de travail suivis d’une pause de deux jours. Notre modèle de semaine est donc idéalisé. Objectivement, les sept jours de la semaine n’existent pas. Cette structure conceptuelle a été créée par les humains, et effectivement ce ne sont pas toutes les cultures qui adoptent ce modèle idéalisé. Les Igbos du Niger par exemple ont une semaine de quatre jours et 13 mois dans l’année. Les Javanais de l’Indonésie ont une semaine de cinq jours. Les Akans de l’Afrique occidentale ont une semaine de six jours, et même la France a déjà eu des semaines de 10 jours, dans la période du calendrier révolutionnaire français.

Selon Lakoff, les MCIs sont des structures qui permettent l’organisation de la connaissance et permettent aussi qu’on puisse créer des catégories en faisant des liaisons entre elles. De cette façon, les MCIs seraient le mécanisme qui permettrait le raisonnement humain.

Les modèles cognitifs sont idéalisés parce qu’ils ne correspondent pas au monde réel, mais renvoient à la manière (ou aux multiples manières) d’interpréter et d’organiser le monde.

La compréhension qu’une communauté possède sur l’univers féminin est un exemple classique de MCI qui est très utilisé : la femme est mère, fait la cuisine, fait le ménage, travaille, est plus sensible que l’homme, est essentiellement préoccupée par son physique, sa beauté, etc. De cette manière, la catégorie de femme est définie par un MCI et sert de motivation aux différences à partir d’un modèle central qui peut être distinct pour deux communautés différentes : la femme prototypique musulmane ou qui habite à la campagne ne travaille pas. Une femme qui est femme au foyer et mère, mais qui ne se préoccupe pas de sa beauté, sera encore une femme, mais moins prototypique.

Selon Lakoff, sans la capacité de catégoriser on ne pourrait rien construire dans le monde physique, social et intellectuel. Cela montre notre dépendance envers le processus de catégorisation pour interagir dans le monde et avec le monde. Notre compréhension est donc directement liée à nos expériences sociales et anthropologiques. L’assemblage réalisée avec les éléments d’une même catégorie par ses indices communes rend la pensée créatrice et permet l’interprétation de phrases ordinaires comme : « le pied de la table est cassé », « j’ai vu le dernier Wood Allen » ou « les fleurs du jardin agonisent ». C’est cela qui rend possible l’interprétation des métaphores, des métonymies et de tout ensemble d’images mentales qui vont au-delà du sens littéral des mots utilisés pour catégoriser tout ce que nous voyons et entendons. En vérité, ce qui compte dans l’utilisation linguistique, ce n’est pas l’ensemble de traits abstraits qui composent les mots, mais un modèle idéalisé dans lequel les expressions s’insèrent et reçoivent du sens.