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5. La linguistique cognitiv e

5.4 Les espaces mentaux

La théorie des espaces mentaux suggère que les connecteurs pragmatiques travaillent sur des objets mentaux, et que ces objets peuvent appartenir à des domaines différents. Nous proposerons ici un aperçu des premiers aspects d’un modèle de construction mentale et des processus linguistiques correspondants.

Dans cette perspective, la notion d’espaces mentaux se réfère à des domaines différents des structures linguistiques, qui sont construits à chaque discours, selon les informations fournies par les expressions linguistiques. Pour Fauconnier, les expressions linguistiques guident la construction des espaces mentaux, en les structurant et en les connectant. Ces espaces se mettent en place au fur et à mesure du déroulement de la parole :

A language expression does not have a meaning in itself; rather, it has a

meaning potential, and it is only within a complete discourse and in

context that meaning will be actually be produced. The unfolding of discourse brings into play complex cognitive constructions. They include the setting up of internally structured domains linked to each other by connectors; this is affected on the basis of linguistic, contextual and situational clues. Grammatical clues, although crucial to the building process, are in themselves insufficient to determine it. (FAUCONNIER 1997 : 37)

Les expressions linguistiques peuvent à la fois mettre en évidence des nouveaux espaces, des éléments dans les espaces et les relations établies par ces éléments. Les expressions qui donnent naissance à un nouvel espace sont appelées « introducteurs d’espaces mentaux ». Ces introducteurs peuvent être :

o Des combinaisons sujet-verbe : Olivier croit, Olivier attend…

o Des verbes performatifs : Je vous condamne à 10 ans de prison…

Les introducteurs sont accompagnés des énoncés linguistiques qui, la plupart du temps, établissent des relations entre les éléments de l’espace. Ainsi, l’introducteur I, qui introduit l’espace M, introduira toujours M dans l’intérieur d’un autre espace M’. Pour le comprendre, regardons l’exemple ci-dessous, en considérant que le discours commence dans l’espace d’origine (qui est la réalité du locuteur) :

1. Monique aime Henry ( On établit une relation d’amour entre Monique et Henry en M) 2. Olivier croit que Monique déteste Henry.

Introducteur de M’

Le constructeur d’espace - dans ce cas le verbe croire - crée un nouveau domaine, qu’on pourra appeler « l’espace de croyance C », dans lequel la relation entre Monique et Henry est établie. L’espace B est « père » de l’espace C.

Quand on introduit un nouvel espace dans le discours, celui-ci est lié pragmatiquement à son espace « père » par un connecteur de déclencheurs et des cibles (FAAUCONNIER 1984). Une fois que ces espaces sont connectés par une fonction pragmatique, le nouvel espace acquiert des éléments par la mise en place du « principe d’accès », en établissant ainsi des « contreparties » de son référent original. De cette façon, dans l’exemple ci-dessus, Monique’ et Henry’ dans l’espace C sont des contreparties de

Monique et Henry dans l’espace B.

Établit une relation entre Monique’ et Henry’ qui sont les correspondants de Monique et d’Henry en M

Espace B Espace C

Figure 13. Principe d’accès

Selon Fauconnier, on peut créer de nouveaux espaces à partir de l’espace base, et à partir de ces nouveaux espaces on peut encore en créer d’autres. Partant de cette prémisse, on peut étudier d’autres notions importantes. Un espace qui à un moment donné du discours donne accès ou crée un autre espace est appelé « point de vue ». Le point de vue peut être en évidence ou pas, c’est-à-dire qu’il peut être ou pas l’espace auquel une nouvelle proposition sera ajoutée. Si l’espace en évidence n’est pas le même que celui du point de vue, alors il est mis en perspective par le point de vue. Pour mieux comprendre, regardons les représentations des énoncés ci-dessous qui possède plusieurs interprétations possibles :

Dans ce film, Jean Dujardin est un traître.

M1

M = Monique M’ = projection de Monique

H = Henry H’ = projection d’Henry

M H

M’

Dans la première interprétation, le personnage croit qu’il est un héros. Voici la représentation avec les espaces mentaux :

B PV F C’

Figure 14. Ouverture d’espace – première interprétation

Dans le diagramme ci-dessus F est l’espace du film et C’ est l’espace de croyance construit à partir de F et PV le point de vue.

Dans la deuxième interprétation possible, Jean Dujardin (maintenant l’acteur et pas le personnage) croit faussement que le personnage est un héros

a = Jean Dujardin a a’ a’’ = Personnage héros a’’ a’’ a’ = Personnage

B F C’ PV

Figure 15. Ouverture d’espace – deuxième interprétation

Dans ce cas, C’est l’espace de croyance de l’individu Jean Dujardin. Dans cet espace, le personnage du film est vu comme un héros.

Finalement, voici une interprétation où Jean Dujardin se trouve un héros dans la vie réelle, différemment du héros du film :

P = personnage Traître p a p p’ héros p’ a = Jean Dujardin

B PV F C’

Figure 16. Ouverture d’espace – troisième interprétation

Dans ce dernier diagramme les croyances de Jean Dujardin concernent lui-même et pas le personnage du film.

On a pu voir à travers ces diagrammes comment les espaces mentaux peuvent être créés et articulés et comment le sens est construit à mesure que le discours ou la pensée se développent. De cette façon, les espaces mentaux constituent un réseau qui se développe à mesure que la pensée et la parole avancent. Ces espaces sont des structures mentales instables et transitoires, puisqu’ils se défont comme des bulles de savon quand la parole est mise à jour. La théorie des espaces mentaux nous montre à travers ces exemples que les données linguistiques peuvent comporter des représentations mentales de niveaux très élevés.

p = personnage traître p a p a’ héros a’ a = Jean Dujardin