• Aucun résultat trouvé

P REMIERE PARTIE : LES ANNEES DE FORMATION

III. Q UATRE ANS DE SEMINAIRE (1913-1917)

Le Grand Séminaire

Le Séminaire de Fribourg, ou Grand Séminaire1, était très proche de la colline de Saint-Michel2. Séparé par la trouée du Varis, il se dressait dans le quartier d’Alt, près des anciens remparts de la ville. Avec son annexe plus récente, c’était l’aile sud d’un complexe d’une certaine allure construit en 1825- 1827 pour servir de séminaire et de pensionnat pour les étudiants étrangers inscrits au Collège3. Le Séminaire comptait un rez-de-chaussée et quatre étages. Le rez abritait la chapelle consacrée à Notre- Dame Auxiliatrice, saint Charles Borromée et saint François de Sales, la salle dite des exercices (spirituels), le réfectoire, et plus haut se trouvaient les chambres des séminaristes, les logements des professeurs et les salles de classe. Chaque séminariste possédait sa propre chambre « pour qu’il y développe sa vie individuelle »4. Traitant l’histoire d’un autre séminaire, un auteur émet l’hypothèse que la présence des prêtres parmi les séminaristes, et non dans une partie différente de la maison, permettait « une surveillance diffuse » de ces derniers et leur donnait d’être « témoins quotidiens de vies sacerdotales qui se v[oulaient] exemplaires »5.

Charles Journet commença son séminaire le 6 octobre 1913. Il participa à la retraite spirituelle d’année, revêtit la soutane au terme de celle-là6 et débuta les études de théologie. Les jeunes lévites étaient au total vingt-cinq, dont sept nouveaux : Charles Journet, ses cinq camarades rencontrés au Collège Saint-Michel ainsi qu’un septième, dont seul le nom de famille nous est connu (Jaquier) et qui ne resta pas plus d’une année7. A part Georges Borel de Neuchâtel, les séminaristes de la volée de Journet étaient fribourgeois.

Le Séminaire de Fribourg était dirigé par le supérieur Joseph Fragnière, entouré de plusieurs prêtres- professeurs dont l’un d’eux assurait la fonction d’économe. Il s’agissait des abbés Hubert Savoy, l’économe de la maison (dogmatique, exégèse, hébreu), Marc Dalbard (dogmatique, homilétique), Antoine Bosson (droit canonique, liturgie, catéchèse), Amédée Castella (morale, sociologie,

1

Il se distinguait ainsi des petits séminaires du diocèse, Saint-Charles à Romont et Saint-Louis à Genève.

2

Sur l’histoire de cet établissement : Henri MARMIER, Le Séminaire de Fribourg, Saint-Paul, Fribourg, 1939 (tiré à part de SC, année 1939, p. 260 et passim). Voir aussi : bibliographie générale, VI, 12.

3

Au début du XXe siècle, le pensionnat n’existait plus. Le corps central et l’aile septentrionale servaient alors d’école et d’orphelinat (plan du 23 janvier 1919, AEvF, Sé 21, dossier Séminaire diocésain 1901-1920).

4

L. G., « Notre Grand Séminaire », SC, 24 novembre 1921, 749-750, p. 749 (adaptation de l’article anonyme : « Le Grand Séminaire », L’Echo, 15 octobre 1921).

5

Louis KÖLL,Ils ont voulu être prêtres. Histoire d’un grand séminaire, Nancy-Bosserville (1907-1936), Presses

universitaires, Nancy, 1987, p. 22.

6

« Chronik. Die Kreuzschwestern vom Seminar in Freiburg », 6 octobre 1913, p. 50 (chronique manuscrite à la communauté des sœurs du Séminaire, années 1912-1945, avec résumé de la situation antérieure).

7

« Il faut ajouter une somme de 450 frs. pour payer la pension de l’élève Jaquier qui est parti sans rien payer » (protocole de la Commission des fondations du Séminaire, des subsides ecclésiastiques et des bénéfices, 4 juin 1915, p. 55, AEvF).

pastorale), Marius Besson (histoire), Eugène Dévaud (pédagogie) et Joseph Bovet, le musicien bien connu en Suisse romande (chant). Comme au Collège Saint-Michel, il existait pour l’intendance une communauté de religieuses de la Sainte-Croix d’Ingenbohl. Une commission du Séminaire supervisait l’établissement8.

Le supérieur Joseph Fragnière

L’abbé Joseph Fragnière (1842-1923) occupa la charge de supérieur de 1911 à 19199. Il reçut grâce à l’évêque Mgr Bovet qui le vénérait le titre honorifique de protonotaire ad instar participantium, « la plus haute des prélatures romaines »10. Mais bien avant d’être supérieur, il était le spiritus rector de la maison. Entré comme professeur dès 1869 – il avait étudié dans la Rome du pouvoir temporel de Pie IX –, l’abbé Fragnière fut au Séminaire la personne « qui a[vait] le plus contribué au relèvement des études »11. C’est sous son impulsion que le programme des quatre années de théologie avait été modifié en 188612. Le prélat avait été aussi actif dans la vie politique du canton :

« On disait volontiers en ville qu’il n’approuvait pas le gouvernement et restait fidèle, dans le silence de son cœur, à cet ancien parti du Bien public, dit bien-publicard, où plusieurs membres de sa famille, jadis, avaient joué un rôle et qui comportait une sorte de libéralisme politique associé, chez la grande majorité de ses adhérents, à un sincère attachement à l’Eglise »13. Joseph Fragnière fut même une éminence grise de cette tendance des conservateurs modérés regroupée autour du journal Le Bien public (qui avait succédé au Chroniqueur). En 1876, il fut l’auteur d’une mise en garde contre le chanoine Schorderet, le célèbre « Mandement laïque »14, que l’évêque Mgr Marilley avait corrigé de sa main15. La pièce avait suscité une nette protestation des prêtres fribourgeois, qui épousaient en majorité la cause du chanoine ultramontain.

Les témoignages sont unanimes pour décrire la qualité spirituelle du personnage. Léon Savary, qui pense que le silence de Fragnière s’explique au-delà de la politique par le fait qu’il n’« aimait point » le monde, le décrit comme « un mystique, qui ne cherchait pas dans la science une satisfaction de son

8

En conformité avec le droit canonique de 1917, elle fut divisée en deux commissions, l’une pour la discipline, l’autre pour les questions temporelles (cf. : protocole de la Commission des biens temporels du Séminaire, 4 février 1919, p. 67, AEvF).

9

Auparavant, il avait été supérieur ad interim durant trois ans pour aider son prédécesseur malade (registre des nominations et décès 1909-1962, 28 septembre 1910, AEvF).

10

SAVARY,Le Collège Saint-Michel, op. cit., p. 98. Minutieuse description de cette dignité dans : Léon SAVARY,

Le fardeau léger, Victor Attinger, Neuchâtel – Paris, pp. 148-150.

11

Rapport pour l’année scolaire 1927-1928, p. 3 (archives du Séminaire, Villars-sur-Glâne).

12

« C’était un peu l’adaptation à nos milieux de ce qui avait été réalisé à l’Université grégorienne de Rome » (MARMIER, Le Séminaire de Fribourg, op. cit., p. 83).

13

SAVARY,Le Collège Saint-Michel, op. cit., pp. 96-97.

14

BARTHELEMY, Diffuser au lieu d’interdire, op. cit., p. 252.

15

esprit, mais un reflet de la vérité éternelle »16. Son dirigé Marius Besson l’avait également beaucoup apprécié et reconnaissait avoir gardé pour lui « un véritable culte »17. Il l’avait décrit ailleurs comme « le Maître incontesté de notre Clergé »18. François Charrière, le biographe de Mgr Besson, donnait son propre avis lorsqu’il évoqua « l’incomparable professeur de dogme qu’était Mgr Fragnière », « ce professeur, dont la science théologique et l’attachement à l’Eglise ont fait une des colonnes de notre diocèse »19.

Charles Journet partagea cette vénération commune. En 1923, il évoquait « le souvenir du vieillard un peu courbé, qui déjà vivait à demi dans le ciel, et qui ne savait point parler des vertus théologales ou du Sacrement de l’Eucharistie sans pleurer d’émotion »20. Beaucoup plus tard, il confiera que Mgr Fragnière était un prêtre très saint qui, lorsqu’il parlait de l’eucharistie ou de la charité, finissait en pleurant21. Journet avait ajouté qu’il se confessait à lui et qu’il avait continué de le faire après son ordination22. La situation étrange à nos yeux d’un supérieur, non pas simplement conférencier spirituel23 mais directeur d’âmes et donc responsable au for interne ne l’était pas à l’époque24. Cette pratique provenait de la tradition sulpicienne, fort répandue dans les séminaires français dès l’Ancien Régime :

« Partout on avait adopté, à peu de chose près, le type vincentien ou sulpicien : direction collégiale de la communauté sous l’autorité du supérieur, même règlement pour les directeurs que pour les séminaristes, ceux-ci trouvant auprès de l’un de ceux-là ou du supérieur l’accompagnement spirituel souhaité »25.

16

SAVARY, Le Collège Saint-Michel, op. cit., p. 97. Mais en 1914, lors du conflit de pouvoir entre Georges

Python embarrassé par des spéculations financières hasardeuses et son jeune concurrent Jean-Marie Musy, l’abbé Fragnière écrivait une longue lettre à l’évêque, la faisant cosigner par trois autres professeurs. Le chef du diocèse était exhorté à prendre position pour la paix, le clergé devait dénoncer les abus et reconnaître les mérites de Python, mais ce dernier était mal entouré et avait à travailler avec d’autres (lettre du Séminaire à l’évêque concernant la politique cantonale, 9 juin 1914, archives du Séminaire, carton 2, dossier 2, cop.).

17

François CHARRIERE, Son Excellence Monseigneur Marius Besson, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Saint-Paul, Fribourg, 1945, p. 153.

18

Marius BESSON, préface à : Joseph FRAGNIERE, Commentaire des litanies du Sacré-Cœur, Fragnière frères, Fribourg, 1924, V-VI, p. V.

19

CHARRIERE, Monseigneur Marius Besson, op. cit., p. 22. Cf. : « Il formait les élèves à la théologie dogmatique, et il avivait son cours de vues personnelles ; il était doublé d’un saint qui semblait poursuivre, un dialogue intime avec Notre-Seigneur Jésus-Christ » ([SNELL], « Un humaniste chrétien », doc. cit., p. 26, AVic). Voir aussi : REYNOLD,Mes mémoires, op. cit., t. 2, p. 153.

20

Charles JOURNET, « Mgr Fragnière », CG, 17 juin 1923. Le jeune prêtre rendait compte d’un portrait du supérieur dû au peintre Falquet en 1917.

21

POLO CARRASCO,préface à : JOURNET,Las siete palabras de Cristo en la cruz, préface cit., p. 15.

22

« Yo me confesaba con él y así seguí haciéndolo luego de ser sacerdote » (ibid.).

23

Rapport envoyé à Rome par Mgr Besson sur le Séminaire, 26 février 1926, ad 10 (AEvF, V 1, dossier Congrégation des Séminaires et Universités, d).

24

Comme le futur chanoine Schorderet, qui confiera son âme troublée à son supérieur Christophore Cosandey (BARTHELEMY, Diffuser au lieu d’interdire, op. cit., p. 55), Renan explique que son directeur spirituel au Séminaire d’Issy était son propre supérieur (Ernest RENAN, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Œuvres complètes éditées par Henriette Psichari, t. 2, Calmann-Lévy, Paris, 1948, pp. 836-837).

25

I. NOYE, « Séminaire », dans : Catholicisme, t. 13, Letouzey et Ané, Paris, 1993 (imprimatur), 1057-1068, col. 1064. Voir aussi : Marcel LAUNAY, Les séminaires français aux XIXe et XXe siècles, Cerf, Paris, 2003, p. 92.

Mais la vénération de Journet pour Joseph Fragnière n’empêcha pas le jeune séminariste d’adopter un distance critique face à sa théologie. Cette remarque tirée d’un compte rendu de ses Commentaire des litanies du Sacré-Cœur nous l’indique :

« Mgr Fragnière a toujours pensé, contre saint Thomas – je ne sais pourquoi, – que l’adoration était la même chose que la charité, qu’elle était un acte des vertus théologales, et qu’elle devait atteindre Dieu immédiatement »26.

Charles Journet se réjouissait de voir l’ancien supérieur insister sur la sainteté substantielle du Christ provenant du seul fait de l’Incarnation, « thèse que, comme on sait, les théologiens scotistes, avec qui pourtant Mgr Fragnière avait bien des parentés, n’admettent point ».

La découverte de Catherine de Sienne

Faite de gravité et de distinction, la tradition sulpicienne existait au Séminaire de Fribourg depuis l’époque de sa fondation27. Elle avait été introduite par les premiers directeurs, des prêtres diocésains de Besançon28, et c’est à ce courant que se rattache la lecture de passages de Politesse et convenances ecclésiastiques durant le temps de l’abbé Georges Vermot, supérieur entre 1895 et 191129. La tradition sulpicienne insistait beaucoup sur la formation spirituelle. Elle avait la particularité d’appeler « directeurs » les prêtres habitant la maison, car ils étaient avant tout directeurs d’âmes30. Seuls les prêtres résidant sur place avaient droit à ce titre, et non les professeurs extérieurs, comme l’abbé Bovet qui venait de l’école normale d’Hauterive31. Le règlement minutieux et austère, qui favorisait les personnes matinales, faisait débuter la journée à 5 h (5 h 30 certains jours, selon le règlement de Mgr Besson) et distillait au long du jour les « exercices » spirituels32. S’il était interdit de veiller, il

26

Charles JOURNET, « Un livre posthume de Mgr Fragnière », CG, 15 juin 1924.

27

Rapport du père Felder, « Relatio de visitatione apostolica in seminariis Helvetiae peracta », p. 23, AEvF, Sé 21, dossier Séminaire diocésain 1921-1945, d). Cf. : rapport de Mgr Besson, 26 février 1926, doc. cit., ad 9 (AEvF).

28

Jean-Baptiste d’ODET (imprimé par ordre de),Motifs de l’établissement du Séminaire de Fribourg en Suisse pour le diocèse de Lausanne. Objets et ordre des exercices qui s’y pratique, B. Louis Piller, Fribourg, 1797, p.

12.

29

Louis BRANCHEREAU, Politesse et convenances ecclésiastiques, Vic et Amat, Paris, 18897 (exemplaire à la Bibliothèque du Centre diocésain, Villars-sur-Glâne, portant le nom de G. Vermot). Comme certains passages sont biffés et qu’on transforme le début d’une phrase pour le rendre indépendant des lignes précédentes supprimées (p. 38), on peut supposer que l’ouvrage était lu devant les séminaristes.

30

« Le séminaire n’a pas de professeur ; tous les membres de la congrégation ont le titre uniforme de directeur » (RENAN, Souvenirs, op. cit., p. 826).

31

Patrice BORCARD,Joseph Bovet 1879-1951. Itinéraire d’un abbé chantant, Ed. La Sarine, Fribourg, 1993, p.

224. Cf. : « In regimine Seminarii maioris rectorem adiuvant quatuor magistri commorantes in ipso Seminario et officio Directorum fungentes pro foro interno, ad normam Seminarii Sancti Sulpitii » (rapport de Mgr Besson, 26 février 1926, doc. cit., ad 9, AEvF).

32

Nous nous inspirons de deux règlements, dont les différences sont minimes entre eux, l’un de la fin du XIXe siècle, l’autre du temps de Mgr Besson, mais avant l’année scolaire 1939-1940 (archives du Séminaire, carton 2, dossier 1, et carton 1).

était possible de se lever plus tôt, à l’exemple de Maurice Zundel qui lisait la Somme dans sa chambre bien avant l’aube33 :

« Sans doute, s’écriait l’abbé Fragnière, cette fidélité, à des exercices qui reviennent chaque jour, ne laisse pas que d’être, en de certains moments, assez pénible à la nature ; mais nous voudrions que nos chers élèves se persuadassent de plus en plus que le fruit de cette fidélité sera précisément d’acquérir cette forte trempe du caractère, cette rigueur (?) morale qui ne recule jamais devant le devoir et qui constitue la grande force d’une vie chrétienne »34.

Et plus bas, il notait : « Nous avons besoin de prêtres qui sachent obéir ».

La journée commençait par la prière et la méditation préparée la veille, puis par la messe. Favorisée par le pape Pie X, la communion fréquente voire même quotidienne était un sujet de joie pour le supérieur : « C’est à ce sacrement d’amour que nous devons attribuer l’esprit de parfaite unité qui n’a cessé de régner entre élèves et professeurs et entre les élèves eux-mêmes »35. Plusieurs temps de prières ponctuaient la journée, examen particulier à midi, visite au Saint-Sacrement en fin d’après- midi, lecture spirituelle, prière et examen de conscience le soir. Le supérieur Vermot estimait que la durée des exercices de piété était de « deux heures et demie à trois heures » par jour36. Le dimanche avait naturellement un horaire particulier (instruction du supérieur, chapelet récité en commun, comme le samedi). A part les vêpres dominicales, le Grand Séminaire en revanche ne célébrait pas la liturgie des heures. Le bréviaire était une affaire privée, concernant les séminaristes depuis le sous-diaconat uniquement, moment de leur engagement définitif et de leur obligation à l’office divin.

Apparemment fidèle aux exercices37, Charles Journet manifesta une certaine indépendance d’esprit. Elle se signalera par sa fréquentation du milieu dominicain, regardée avec méfiance par Mgr Colliard parce que les séminaristes étaient entraînés hors de la maison et attirés vers cet ordre :

« C’est ainsi que 8 Séminaristes (dont Journet) sortent un jour du Séminaire, donnant à M. Fragnière les raisons les plus diverses et lui extorquant une permission, pour se retrouver ensemble chez les Dominicains où ils sont reçus dans le Tiers-Ordre »38.

Autre preuve de cette indépendance, Journet montra, dès l’automne 191339, qu’il était attaché à sainte Catherine de Sienne :

« Je l’ai découverte lorsque j’étais séminariste. (…) Je l’ai découverte, connue et aimée dans un livre qui s’appelle : Le Dialogue »40.

33

« Conférence du père Maurice Zundel. Retraite de l’année 1967 », art. cit., p. 9.

34

Rapport pour l’année scolaire 1908-1909, pp. 4 et 5 (archives du Séminaire). « Le règlement, pénible dans la pratique, doit assouplir et façonner le caractère du futur prêtre qui, demain dans le monde, sera un homme séparé, irréprochable quant aux mœurs et fidèle à ses devoirs » (LAUNAY, Les séminaires français, op. cit., p. 80).

35

Rapport pour l’année scolaire 1913-1914, p. 6 (archives du Séminaire).

36

Rapport pour l’année scolaire 1905-1906, p. 1 (ibid.).

37

Cf. : « Il entra donc au Grand Séminaire dont la discipline rigoureuse, à cette époque, n’était pas pour le gêner puisqu’au contraire elle correspondait à ses vœux » (MEROZ,Le cardinal Journet, op. cit., p. 21).

38

Colliard à Petite, 20 novembre 1918 (AEvF, paroisses 42, d).

39

EMONET, Le cardinal Charles Journet, op. cit., p. 13.

40

Charles JOURNET, « Sainte Catherine de Sienne », Bulletin des Amis du cardinal Journet, n° 8 (décembre 1985), 7-16, p. 7 (Causerie aux Petits Frères de Jésus à Annemasse, le 30 avril 1966).

Un tel intérêt n’était pas évident à l’époque. Le séminariste avouera même « avoir été grondé » pour cette lecture41. C’est que, expliquait Journet, on mettait comme « un plafond » à la religion, « et on ne respirait pas… »42. Deux difficultés jaillissent de cet épisode devenu très célèbre pour ceux qui connaissent le cardinal Journet. Tout d’abord, les circonstances exactes de la découverte de la mystique siennoise. Elles ne sont pas claires car devant les religieuses d’Estavayer auxquelles il avait fait la confidence, Journet expliquait que c’était après avoir été grondé pour sa lecture de Catherine qu’il avait découvert un livre de la sainte à la bibliothèque du Séminaire. Etait-ce une faute de transcription ? Ensuite, la raison du blâme. Il existait au Séminaire, depuis 1912, un cours de théologie ascétique et mystique dont le responsable était le pieux supérieur. Il est vrai qu’en 1915, ce dernier expliquait qu’il n’avait pu par manque de temps aborder la deuxième partie de son cours consacrée à l’union mystique comme telle. Il voulait toutefois « mettre dorénavant cette partie au premier rang »43. On a peine à croire que l’abbé Fragnière censurait les mystiques. Mais peut-être Journet fut blâmé (par le supérieur ou un autre prêtre) non parce qu’on méprisait la mystique, mais parce qu’on la jugeait délicate pour des débutants en théologie : trop osée par l’emploi du vocabulaire amoureux, trop favorable au quiétisme, elle pouvait induire les âmes non averties à désirer des visions et états extraordinaires plutôt que l’humble accomplissement du devoir chrétien. Une raison prudentielle expliquerait ainsi cette réserve face à la mystique.

Pour Journet, la lecture de la mystique siennoise, encouragée peut-être par le célèbre historien dominicain Joachim-Joseph Berthier, un des fondateurs de la faculté de théologie de Fribourg que Journet connut comme prédicateur à Saint-Michel44, constitua une étape importante dans sa vie spirituelle et théologique. Le séminariste s’y sentit à l’aise sans doute par la place donnée à l’intelligence :

« Tout cela, ma très douce fille [c’est le Christ qui parle à Catherine], est pour te faire connaître la perfection de cet état d’union, où l’œil de l’intelligence est ravi par le feu de ma Charité, qui donne la lumière surnaturelle. Avec cette lumière l’on m’aime, parce que l’amour suit l’intelligence. Plus l’on connaît plus on aime, et plus l’on aime plus on connaît. Amour et connaissance s’alimentent ainsi l’un l’autre réciproquement »45.

Journet y découvrit en tout cas « la doctrine chrétienne la plus haute : la Trinité, l’Incarnation, l’Eglise, le Christ, la Vierge, le péché, la grâce… »46. La sainte « di[sait] toutes les choses du catéchisme avec un amour qui surélève, en sorte que ces vérités du Credo nous apparaissent comme belles parce que Dieu est beau. Partout où il y a la vérité, il y a la beauté ». Charles Journet apprécia les images données par la mystique. Il goûta la comparaison du vase et du contenu, car elle éclairait le rapport

41

Conférence de Journet aux dominicaines d’Estavayer, citée dans : EMONET, Le cardinal Charles Journet, op. cit., p. 13.

42

JOURNET,« Sainte Catherine de Sienne », art. cit., p. 7.

43

Rapport pour l’année scolaire 1914-1915, p. 9 (archives du Séminaire).

44

Charles JOURNET, « A la mémoire du père Berthier », CG, 25 décembre 1924. Dans la bibliothèque de Journet, le deuxième tome du Dialogue conserve un billet qui semble indiquer une conversation avec le père Berthier.

45

CATHERINE DE SIENNE, Le dialogue, ch. 85 (Jourdain HURTAUD éd., Lethielleux, Paris, 1913, t. 1, p. 295).

46

JOURNET, « Sainte Catherine de Sienne », art. cit., p. 7. Cf. : « J’ai tout de suite beaucoup aimé sainte Catherine parce qu’elle parlait de la grande doctrine révélée, du grand Credo catholique avec la Trinité, avec le Verbe éternel qui vient au milieu de nous » (ibid., p. 10).

entre la souffrance et l’amour. A propos de l’image des fidèles allant communier les uns avec une grande bougie, les autres avec une petite, qui s’allumaient à leur retour – cela signifait la grâce donnée selon l’amour de chacun mais dépassant en même temps les dispositions humaines –, il s’écria :