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D EUXIEME PARTIE : LE MINISTERE GENEVOIS

VIII. L A PROMOTION DE LA PENSEE CATHOLIQUE

Les cours de l’abbé Journet

Le vicaire du Sacré-Cœur s’était spécialisé dans le ministère de l’enseignement. S’il n’avait pas réussi dans les activités de patronage à Carouge, il savait au Sacré-Cœur parler des vérités de la foi aux enfants :

« Ses sermons à la Messe des enfants frappaient par son don de les intéresser, de leur rendre accessibles les grandes vérités de la théologie, par ses exemples et ses questions parfois malicieuses »1.

Le souci qu’avait Journet d’éveiller l’amour de Dieu chez les petits se manifeste dans une confidence où il évoquait sa joie à la parution d’un ouvrage de Francis Jammes, Le Bon Dieu chez les enfants :

« C’était ce que j’avais rêvé. J’écrivis à Jammes une petite lettre pour le remercier, au nom des petits enfants à qui ses contes avaient fait du bien, et lui demander de continuer cette belle œuvre »2.

Journet enseigna également à l’école secondaire, que la loi de 1907 avait paradoxalement ouverte aux catholiques romains. Supprimant les cours obligatoires de religion pour les protestants et les catholiques chrétiens, la séparation des Eglises et de l’Etat avait mis les locaux scolaires à disposition des trois confessions chrétiennes en dehors de l’horaire3. Charles Journet annonçait dans le Courrier en automne 1922 ses cours pour les lycéennes de la rue Voltaire et de la rue d’Italie4. Nous ignorons en revanche s’il remplaça l’abbé Snell pour le Collège de Genève, comme il l’avait promis au vicaire général5. Mais ce qui caractérisa plus particulièrement l’abbé Journet fut l’animation de cours spéciaux pour jeunes et adultes auprès des Travailleuses catholiques, des étudiants de l’Université et ailleurs.

1

Témoignage d’Henriette Porte, janvier 1979 (FCJ, TE 02.01, ph). Voir aussi : témoignage de l’abbé Donnier, 26 février 1979 (FCJ, TE 09.01).

2

Charles JOURNET, recension de : Henri GHEON,Epiphanie, dans : NV, janvier-mars 1932, t. 7, p. 112. Journet

comparait le livre à « la façon démoniaque dont Tolstoï s’apppliquait dans Sagesse enfantine à détruire la foi surnaturelle dans le cœur des enfants et des simples ».

3

La présence de l’ultramontain Raoul Snell au Collège de Genève avait créé des difficultés (« Journal du vicariat général », doc. cit., pp. 57-58 ; cf. aussi : [SNELL], « Un humaniste chrétien », doc. cit., pp. 265-272, AVic). Mais Snell fait un récit dramatique des événements alors que le « Journal du vicariat général » affirme qu’« aucun accident ne se produisit ».

4

Entrefilet dans CG, 28 octobre 1922. Cf. : Petite à Journet, 28 janvier 1922 (AVic, dossier Journet, d) et : « L’Ecole Secondaire me donne de la satisfaction : j’ai maintenant plus de 100 élèves inscrites (environ 90 présences) pour les 4 heures de cours que j’y fais » (Journet à Petite, 23 novembre 1922, ibid.).

5

On a déjà parlé de l’Union des Travailleuses catholiques, fondée en 1907. Soucieuse du sort des ouvrières, sa présidente Marie Giovanna (1868-1935), une fidèle de l’abbé Carry6, s’intéressait aussi à leur formation doctrinale. La présence de l’abbé Journet sera signalée d’une manière fort louangeuse7 et l’on sait qu’il parla des vertus cardinales, du mérite, des erreurs modernes (scientisme, spiritisme, théosophie). En 1920, son auditoire du soir était composé de vingt-cinq à quarante personnes8. Deux ans plus tard, les séances dirigées par le jeune prêtre qui avait repris du service après son passage à Viterbe étaient constituées par une réflexion sur les Evangiles ou les lettres de saint Paul, ainsi qu’un commentaire d’un thème doctrinal avec discussion9. Le cours que Journet donnera en fin de semaine pour dames et jeunes filles dans une salle au Sacré-Cœur est peut-être le successeur de ce cours dispensé aux Travailleuses catholiques10.

Journet apporta quelque chose aux Travailleuses catholiques. La réciproque est vraie également car c’est probablement par le milieu de l’Union que le théologien réfléchit à la condition féminine11, un sujet d’actualité à l’époque. Haut lieu de la lutte pour l’émancipation des femmes12, la ville discutait alors de leur participation à la vie politique. L’Union, avec la conclusion d’une réflexion publiée dans son bulletin13, émettait une position mesurée et considérait le droit de vote non comme une fin, mais comme un moyen pour obtenir la reconnaissance des femmes. A ce moment Journet écrivit une recension de Féminisme et christianisme du père Sertillanges14, dont il reprenait les conclusions : place normale de la femme au foyer mais légitimité de sa présence dans les œuvres sociales, les carrières libérales et – cas le plus répandu – dans le métier d’ouvrière, possibilité d’envisager le suffrage des femmes et leur présence en politique15.

Mais Journet fut confronté à une question plus délicate, celle du sacerdoce féminin :

« Mon Père, est-ce que (indépendamment de la question opportunité, cela va de soi) c’est une thèse dangereuse de penser (je ne dis pas d’enseigner, cela va aussi de soi) que le fait d’écarter

6

Nécrologie de Marie Giovanna, CG, 19 novembre 1935 [par Henri PETIT] et 22 novembre 1935. NB : de septembre 1935 à la fin de décembre 1936, le journal genevois paraît en « première édition » sous le titre de

Courrier romand. Nous continuerons à le désigner selon sa titulature traditionnelle.

7

Un « prêtre de haute valeur intellectuelle et d’un grand zèle » (ANONYME, « Groupes d’études », Le Travail

féminin, février 1919, p. 4), apportant « la sécurité dans la doctrine qui place l’étude en commun sur le terrain

solide des principes » (ANONYME, « Groupes d’études », Le Travail féminin, mars 1919, p. 6).

8

ANONYME,« Groupe d’études religieuses et sociales », Le Travail féminin, avril 1920, p. 3.

9

ANONYME, « Rapports des sections présentés à l’assemblée générale du 19 mars 1922 – Groupe d’études religieuses », Le Travail féminin, juin 1922, p. 4.

10

Des notes dactylographiées de ce cours se trouvent à la FCJ.

11

Cf : CharlesJOURNET, « L’Eglise et la femme », NV, octobre-décembre 1957, t. 32, pp. 299-313.

12

Susanna WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique. Un siècle de luttes en Suisse (1868-1971), Payot, Lausanne, 1977 ; Anne-Marie KÄPPELI, Sublime croisade. Ethique et politique du féminisme protestant (1875- 1928), Zoé, Carouge-Genève, 1990.

13

ANONYME,« Féminisme chrétien », Le Travail féminin, juillet-août 1918, pp. 2-4.

14

Antonin-Dalmace SERTILLANGES, Féminisme et christianisme, Lecoffre / Gabalda, Paris, 1908 (1913 pour l’exemplaire de Journet).

15

Charles JOURNET,« La théologie du féminisme », SC, 16, 23 et 30 août 1919, pp. 523-525, 538-541 et 555- 558. Journet ne fut cependant pas pleinement satisfait du livre de Sertillanges car il demandera au père Allo d’écrire un article dans la Revue biblique pour le compléter : « Je suis sûr qu’il pacifierait des âmes de gens de l’un et l’autre sexe » (Journet à Allo, 3 juin 1920, FCJ, ph).

les femmes du sacrement de l’ordre n’est pas quelque chose de définitif, qu’il n’est dû qu’à une conception transitoire du monde ancien, mais qu’il est possible que le problème soit un jour résolu dans un autre sens. (…) On m’a posé le problème nettement, car on parle beaucoup de féminisme ici – nous sommes à la veille du vote en faveur du suffrage des femmes »16.

Journet expliquait qu’une tertiaire dominicaine souffrant de la « tutelle perpétuelle » de l’Eglise sur les femmes l’avait interrogé « d’une façon pressante ». A bout d’arguments de convenance, il jugeait la question féministe « presque angoissante » et s’écriait :

« Dois-je défendre cette position que jamais le pouvoir d’ordre ne sera conféré aux femmes. Si vous me dites oui, c’est bien, j’aurai cette assurance de n’avoir pas été inutilement étroit »17. Dans cette même lettre, on apprend que le jeune prêtre avait été frappé par un article de l’abbé Zundel et de sa vigoureuse défense du droit de vote féminin18 : « On n’y touchait pas la question du sacrement de l’ordre mais elle pointait, et si on avait osé la poser, on l’aurait résolue d’une façon très nette et très hardie ». Beaucoup plus strict que son confrère Zundel à propos du sacerdoce féminin, Journet ne s’y opposait pas par antiféminisme. Semblant même en considérer l’éventualité, le théologien était avant tout soucieux de défendre la doctrine de l’Eglise. Le père Allo, quant à lui, n’était guère troublé par le débat. La pensée de saint Paul, exprimée notamment dans son fameux « Mulieres taceant in ecclesia » (1 Co 14, 34), lui paraissait « un jugement sans appel » :

« Je suis persuadé pour ma part que ces ambitions de quelques femmes protestantes sont une affaire de mode (…), et que la subordination, même religieuse, de la femme, redeviendra une vérité de bon sens pour tous et pour toutes, après que les conquêtes nécessaires du féminisme raisonnable seront assurées »19.

L’abbé Journet fut également actif dans l’aumônerie universitaire, terme anachronique mais commode pour parler du cercle des étudiants et étudiantes catholiques de l’Université. Cette association aux noms divers, que nous désignerons sous le vocable lui aussi attesté des « Etudiants catholiques », avait été fondée à la fin de la première décennie du XXe siècle20. Elle avait la réputation d’un fer de lance de la vie catholique à Genève : « [Le groupe] vous apparaît, à vous comme aux protestants, comme quelque chose de très solide, de très nombreux. Il n’en est rien, il est très restreint et même précaire ». L’aumônier reconnaissait cependant qu’« il f[aisait] du bien, raffermi[ssait] la foi de plusieurs,

16

Journet à Allo, 12 octobre 1921 (FCJ, ph). Genève rejettera le suffrage féminin en matière cantonale et communale le 16 octobre 1921, à une majorité de 68,1 % (WOODTLI, Du féminisme à l’égalité politique, op. cit., p. 151).

17

Journet à Allo, 19 octobre 1921 (FCJ, ph).

18

Il affirmait « qu’on ne saurait apporter un seul argument recevable, contre le suffrage féminin » (Maurice ZUNDEL,« L’Eglise et le suffrage féminin », CG, 9 octobre 1921).

19

Allo à Journet, 24 octobre 1921 (FCJ).

20

Le « Groupe d’Etudes Catholiques de l’Université », établi « il y a quelque trente ans » (ANONYME, « Une heureuse initiative. Le foyer universitaire catholique de Genève », CG, 14 juin 1942), doit sans doute désigner la même réalité que la « Conférence des étudiants catholiques romains », mal acceptée par le recteur Chodat, en charge de 1908 à 1910, qui se plaignait de l’ingérence cléricale dans l’Alma mater genevoise ([SNELL], « Un humaniste chrétien », doc. cit., p. 275, AVic).

déclench[ait] même des conversions »21. Deux répertoires datant des années 1920 font état de quarante-deux noms parmi les actifs et de quinze parmi les membres honoraires22.

Déjà présent à l’époque de son responsable l’abbé Zundel, Journet le remplaça au moment de son départ pour Rome en 192523. Le nouvel aumônier prit sa tâche très à cœur. Il organisait des réunions afin « de mieux comprendre et de mieux aimer le Credo » et célébrait la liturgie des complies le lundi24. Journet déplora l’insuffisance des conditions matérielles mises à disposition des étudiants25 et les défendit lorsqu’il les estimait injustement attaqués. Dans une polémique avec René Leyvraz, il écrira :

« Je connais, cher ami, d’autres étudiants, des jeunes gens, des jeunes filles. Ils ne flirtent pas. Ils étudient. Plusieurs sont pauvres. D’autres donnent de leur argent. Ils sont apôtres. Ils cherchent avidement la vérité. Ils se tournent vers les sources que l’Eglise elle-même leur présente. Ce serait un crime de les décourager »26.

Un roman du journaliste Henri Schubiger décrivant une conversion dans la « cité de l’ouest » (Genève)27 faisait apparaître un certain abbé Fabry, aumônier des étudiants. On a vu dans cette œuvre un récit « en partie autobiographique », et dans la personne de l’abbé Fabry la figure de Charles Journet28, qui vingt ans auparavant avait accueilli Schubiger dans l’Eglise catholique29. Le héros du livre participait ainsi à une réunion regroupant les étudiants et leurs amis, au nombre de « trente ou quarante jeunes gens » :

« Mon attention fut bientôt attirée vers une table de bois, juchée sur une petite estrade, derrière laquelle venait d’apparaître un prêtre de taille moyenne, âgé d’une quarantaine d’années environ, dont le visage osseux était éclairé par deux yeux de myope, mais au regard d’une intelligence pénétrante »30.

Sa façon de parler n’était pas celle de l’onction sacerdotale : « C’était une voix qui semblait, de prime abord, monotone, mais elle avait tôt fait de vous empoigner par la chaude conviction qui l’animait »31. Après avoir exposé les ombres et les clartés de l’œuvre de Nietzsche, le sujet du jour, « jusqu’à ce qu’elle ne lui offrît plus un seul recoin d’obscurité »32, l’aumônier

21

Journet à Petite, 23 mars 1926 (AVic, dossier Journet).

22

Les prénoms de tous les membres ne sont pas cités, mais il devait s’agir des listes des groupes masculins (répertoires à la FCJ). Parmi les membres du groupe actif, il y avait Lodovico Montini, le frère du futur Paul VI.

23

Besson à Journet, 28 septembre 1925, d ; Journet à Besson, 1er octobre 1925 ; Besson à Journet, 2 octobre 1925, d (AEvF, carton Journet). Voir aussi : Journet à Petite, avant le 12 octobre 1925 (AVic, dossier Journet).

24

Journet à Petite, 23 mars 1926 (ibid.).

25

Journet à Petite, dès le 10 décembre 1925 (ibid.).

26

Charles JOURNET, « Lettre à René Leyvraz », CG, 29 novembre 1935.

27

Henri SCHUBIGER, La cité de l’ouest, Saint-Paul, Fribourg – Paris, 1948.

28

MEROZ,Le cardinal Journet, op. cit., p. 56.

29

Demande d’entrée du 4 avril 1928 (AVic, classeur des abjurations 1917-1928).

30

SCHUBIGER, La cité de l’ouest, op. cit., pp. 184-185.

31

Ibid., p. 185.

32

« se laissa aller, un moment, au plaisir – car c’en était manifestement un pour lui – d’une libre discussion avec ses chers étudiants, qui avaient quitté leurs chaises pour l’entourer, le harcelant de questions auxquelles il répondait avec bonne grâce »33.

La description d’une telle rencontre pourrait donner un aperçu de la manière employée par Charles Journet dans son ministère auprès des étudiants. On y voit sa compétence pour cet office, la joie qu’il avait de l’exercer et l’intérêt des étudiants pour l’entendre.

L’abbé Journet donna aussi un cours d’apologétique destiné aux hommes et jeunes gens. Il avait lieu au Sacré-Cœur tous les samedis soirs de la Toussaint à Pâques et draina d’après l’abbé Tachet « un auditoire nombreux et empressé »34. Fusionné avec le cours féminin dont on a parlé plus haut, ce cours sera déplacé dans un immeuble près du Rhône chez le docteur Paul Brütsch, condisciple d’études de Charles Journet35.

Le groupe thomiste de Genève et les retraites aux Allinges

Jacques Maritain recevait chez lui des amis et des étudiants intéressés au thomisme. Ayant appris que l’abbé Zundel, responsable des Etudiants catholiques de Genève, allait organiser un cercle semblable, le philosophe avait communiqué à Journet son rêve de voir des « petits groupements thomistes, disséminés çà et là, et fraternellement unis entre eux »36. Ce fut Journet et non Zundel, pourtant plus concerné par l’entreprise, qui prit les devants. Le vicaire du Sacré-Cœur montra à son évêque les statuts de l’association37 préparés par Maritain et amendés par Garrigou-Lagrange. On avait à cœur de donner un caractère officiel au projet. Marius Besson donna son autorisation, d’une manière moins chaleureuse que l’abbé de Saint-Maurice cependant, qui avait accordé l’imprimatur au petit directoire spirituel que les Maritain avaient écrit pour les membres des groupes thomistes. Ce texte sera publié par la suite sous le titre De la vie d’oraison. Tout en approuvant le cercle, Mgr Besson précisait qu’il ne devait pas être une tribune politique. Il accusait le père Garrigou-Lagrange d’être le défenseur de l’Action française, qu’il n’aimait pas38 :

« Je tiens à vous dire – puisque des esprits tordus ont cru que je n’étais pas content de vous – toute mon estime, toute mon affection, toute ma reconnaissance pour votre bon travail. J’ai le devoir de vous recommander d’éviter les excès de zèle ; mais il y en tant auxquels on doit reprocher le défaut opposé !... »39.

Ce serait là le premier avertissement lancé par Marius Besson contre son prêtre.

33

Ibid., p. 188.

34

Rapport de l’Œuvre du clergé pour 1928, p. 6 (AVic).

35

MEROZ,Le cardinal Journet, op. cit., p. 119.

36

Maritain à Journet, 12 décembre 1921 (CJM I, p. 45).

37

Journet à Maritain, 27 juin 1922 (CJM I, p. 64).

38

Nous pensons que Besson vise en effet l’Action française dans ces propos : « Quant au groupe d’études thomistes, je l’approuve de tout cœur, mais à la condition qu’il ne servira jamais de centre de propagande à un mouvement politique dont le P. Garrigou-Lagrange est l’ardent apôtre, et qui, avec des principes souvent excellents, a des méthodes de polémique déplorables » (Besson à Journet, 30 septembre 1922, AEvF, carton Journet, d).

39

Le groupe thomiste de Genève végéta. Au commencement de son existence en novembre 1922, il comprenait seulement deux jeunes gens, Mario Ponzetti et Paul Saudan, pour lors médecin assistant à la Polyclinique de Genève, et six demoiselles40. Nous ignorons la participation concrète des confrères de Journet, le vicaire de Montreux Charles-Francis Donnier qui avait donné son accord, son curé Georges Borel, « très intelligent et très thomiste »41, François Charrière42 qui après avoir pris ses grades auprès de Garrigou-Lagrange était revenu à la paroisse Notre-Dame de Lausanne où il continuait d’être vicaire. La réserve d’un autre confrère proche, l’abbé Clerc, fut prévue en raison des « hésitations de Mgr »43. Le directeur du cercle donna le ton dès le départ par l’étude du De fide dans la Somme, avec le projet de l’éclairer par Cajetan : « Si j’ai commencé par là, c’est pour leur donner du premier coup le sens du surnaturel quoad substantiam et l’intelligence de ce que doit être la Science du Révélé »44. Le groupe aborda également les habitus, la vision béatifique, la pénitence, la grâce45. Déjà « bien ébréché » en juin 192446, il continua son existence, survivant tant bien que mal aux trois ans de vie qu’on lui a assignés47. Il dura au moins jusqu’en 1926-1927.

Charles Journet organisa aussi des retraites féminines en Savoie, en collaboration avec le père Garrigou-Lagrange. Le dominicain, qui avait ajouté en 1917 la théologie spirituelle à son enseignement à l’Angelicum, avait souci tout comme Journet et Maritain de lier la pensée scolastique et la mystique. Les retraitantes utilisaient les locaux de la colonie de vacances du Sacré-Cœur48, construits aux Allinges près de Thonon, au pied de la colline qui avait servi de refuge à saint François de Sales lors de sa mission au Chablais. Un peu analogues à celles de Meudon, les rencontres eurent lieu chaque année, apparemment dès 192949. A partir de la guerre, elles furent déplacées à l’orphelinat d’Ecogia près de Versoix (Genève) et plus tard encore au Cénacle à Genève50.

40

Journet à Maritain, 12 novembre 1922 (CJM I, p. 127).

41

Journet à Maritain, 6 octobre 1922 (CJM I, p. 117).

42

Charles Journet, rapport d’activités du cercle thomiste pour 1922-1923 (FCJ).

43

Journet à Maritain, 6 octobre 1922.

44

Journet à Maritain, 12 novembre 1922 (CJM I, p. 128).

45

Notes dactylographiées (FCJ).

46

Une demoiselle était au carmel et une autre songeait à une communauté dominicaine. Le docteur Saudan était entré à l’abbaye de Saint-Maurice (Journet à Maritain, 13 juin 1924, CJM I, pp. 221-222 et note 1, p. 220).

47

CHENAUX, Entre Maurras et Maritain, op. cit., p. 117. L’auteur estimait que le coup fatal fut porté en 1925, par le départ de Zundel à Rome, une année après celui de Journet pour Fribourg.

48

« La paroisse du Sacré-Cœur poursuit, (…) dans la paroisse d’Allinges, la construction de pavillons pour ses jeunes colons. Le nom même de la fondation “Val Saint-François” est évocateur des plus doux souvenirs et prometteur de riches espoirs » (rapport de l’Œuvre du clergé pour 1928, p. 9, AVic).

49

Règlement de la retraite, 1929, 1930, 1931 (FCJ) et témoignages divers pour les années suivantes. En septembre 1938, Garrigou devait se rendre au Brésil (Maritain à Journet, 2 juin (?) 1938, CJM II, p. 732). Il est possible que Journet prêchât à sa place comme il le fit pour 1939 (« Retraite de Mr. l’Abbé Journet au Val St. François, du 6 au 9 juillet 1939 », manuscrit dactylographié, FCJ).

50

Cf. : Georges COTTIER, introduction à : Charles JOURNET, Dieu à la rencontre de l’homme. La voie théologique, Ed. Saint-Paul – Desclée De Brouwer, Fribourg – Paris, 1981, 10-14, p. 10. Les retraites à Ecogia furent mixtes durant un moment (BOISSARD, Charles Journet, op. cit., p. 268).

Les conversions au catholicisme

Parmi les auditeurs et auditrices fidèles de Journet, beaucoup étaient des convertis. En Suisse romande, l’entre-deux-guerres fut une période favorable aux conversions, ou « abjurations » comme on le disait fréquemment à l’époque. Le point de départ de cette vague est l’entrée dans l’Eglise romaine de trois étudiants en théologie vaudois, nous en avons parlé. Leur accueil à l’abbaye de Saint- Maurice en 1917 avait fait grand bruit. Inquiets, des prêtres de Lausanne écrivirent à l’évêque pour condamner « le zèle déployé par certaines personnes, laïques ou ecclésiastiques, surtout étrangers au diocèse, à propos des “conversions” », dont l’importance était selon eux exagérée « d’une manière presque enfantine »51. Le chanoine Dupraz emboîta le pas de ses trois confrères :

« Dans les milieux protestants de Lausanne et d’ailleurs, on savait l’heure, le jour et la solennité de ces abjurations. Pourquoi exciter ainsi la haine protestante ? Pourquoi ne pas faire ces cérémonies dans l’intimité et la simplicité d’une chapelle ou d’une église, portes closes ? »52