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P REMIERE PARTIE : LES ANNEES DE FORMATION

II. L E C OLLEGE S AINT M ICHEL (1907-1913)

Fribourg la catholique

Entre Genève, troisième ville de Suisse, et Fribourg, localité de vingt mille habitants où Charles Journet commença ses études en automne 1907, les différences étaient nombreuses. La ville de Fribourg était bien petite et bien provinciale1. L’écrivain-journaliste Léon Savary notait que « la cité, amène aux clercs, maternelle aux étudiants, propice à l’étude et au rêve, n’offrait guère de distractions profanes »2. Contrairement à Genève aux portes de la France, Fribourg était une ville bilingue, un avant-poste de la latinité face à la Germanie, où certains parlaient un dialecte franco-allemand, le « bolze ». Mais la plus grande différence résidait peut-être dans la place faite au catholicisme. Genève était une cité mixte dominée socialement par l’aristocratie protestante, tandis que Fribourg, avec ses couvents, son Université, la tombe du bienheureux Pierre Canisius, comptait parmi les capitales de l’Eglise romaine en Suisse3. Le canton s’estimait même l’objet d’une plus haute vocation encore, comme l’expliquait L’Ami du peuple, un journal catholique de la ville :

« Nous croyons de plus en plus que notre petit pays est destiné visiblement à une mission de salut et de lumière en face de la société moderne ; tout, dans le passé, l’y a préparé ; son histoire est marquée d’étapes en étapes du sceau de la prédestination. Ce coin de terre n’a-t-il pas été, en effet, depuis les temps du B. Nicolas de Flüe et du B. Canisius, l’objet des plus délicates attentions de la Providence ? »4.

Certes, il ne faudrait pas considérer de façon monolithique le canton et la ville des bords de la Sarine, dont la municipalité fut dominée de 1882 à 1907 par les radicaux et les libéraux5. Léon Savary distingue le Fribourg local, bolze, d’un autre Fribourg, international, « celui de l’Université, des abbés américains à chapeau melon, des comités à ramifications européennes, des dominicains, du fanatisme, de l’internationale noire » (sic), « le Fribourg qui veut de la religion et celui qui ne veut que de la religion ; (…) le Fribourg qui est un grand Romont et le Fribourg qui est une petite Rome6 ». L’évêque du diocèse y résidait dans une position quelque peu inconfortable. Chassé de Lausanne par les Bernois lors de l’invasion du Pays de Vaud en 1536, le gouvernement patricien de Fribourg et les chanoines

1

L’effectif de la population, il est vrai, avait crû rapidement, passant de 15'794 habitants en résidence ordinaire en 1900, à 20'293 en 1910 (Statistique de la Suisse, n° 140, Berne, 1904, p. 66 et n° 195, Berne, 1915, p. 154).

2

Léon SAVARY,Le troupeau sans berger, Ed. du Milieu du monde, Genève, 1942, p. 220. Gonzague de Reynold

se rappelait de l’époque « où l’on était obligé de se rendre à Lausanne pour entendre une pièce de théâtre ou un concert ou pour prendre des leçons de littérature » (Gonzague de REYNOLD,« Une lacune », Monat-Rosen, t. 55 (1910-1911), 513-525, p. 521).

3

En 1910, sur 20'293 habitants, il y avait 87,4 % de catholiques et 11,7 % de protestants à Fribourg contre 46,2 % de catholiques et 48,1 % de protestants à Genève et dans les trois communes suburbaines, qui comptaient en tout 115'243 habitants (Statistique de la Suisse, n° 195, op. cit., pp. 154-155 et 284-287).

4

ANONYME, « La victoire », L’Ami du peuple, 8 décembre 1886.

5

Nicolas WILLEMIN, Georges Python et la République chrétienne (1881-1896). Structure et activité parlementaire du régime, Université de Fribourg, mémoire, 1987, p. 32.

6

Léon SAVARY, Fribourg, Payot, Lausanne, 1929, pp. 49-50. La petite cité de Romont est le chef-lieu du district de la Glâne.

exempts de Saint-Nicolas l’avaient accueilli avec réticence. Dans les années 1900, la situation avait bien sûr évolué mais il restait des traces de l’ancien état d’esprit :

« L’évêque reste, sinon un intrus – le mot serait trop fort – du moins un hôte, surtout s’il est étranger au canton.

Ce n’est pas lui qui incarne le catholicisme de Fribourg, médiéval, national, replié sur lui- même, aussi peu universel que possible. Ce rôle est encore dévolu au prévôt [de Saint- Nicolas] »7.

Mgr Mermillod, qui n’était pas l’homme attendu par le parti conservateur pour reprendre le diocèse après le trop court épiscopat de Christophore Cosandey8, était entré en conflit avec son chef Georges Python et son successeur, le genevois Joseph Deruaz, ne s’y sentait pas vraiment chez lui9.

Malgré ces nuances, Fribourg présentait la figure d’une cité cléricale. C’était cela que découvrait le voyageur à la sortie du train, intrigué, intéressé ou irrité :

« S’il est un pays béni sous la calotte des cieux, c’est bien le nôtre. Un torrent qui jamais n’est à sec charrie sans cesse, de Rome à Fribourg, un inépuisable trésor de brefs et de bénédictions (…).

La ville de Fribourg s’est transformée en une véritable garnison sacerdotale et lorsque parfois nous abordons cette arche sainte, nous sommes profondément surpris du spectacle qui nous est offert, spectacle dont le contraste paraît étranger au sein d’un pays moderne et républicain »10. Pour reprendre l’expression de René de Weck, Fribourg était une « ville toute parfumée d’encens, où l’on croise à chaque pas des soutanes et des frocs, des guimpes et des cornettes »11. Le parti conservateur ultramontain exerçait au niveau cantonal une domination presque sans partage. Il avait instauré le régime dit de la « république chrétienne »12. Cette mouvance, menée par le chanoine Joseph Schorderet, était dirigée politiquement par Georges Python (1856-1927). Arrivé au Conseil d’Etat en 1886, il sera l’homme fort du gouvernement jusqu’à la fin de la Belle Epoque.

La République chrétienne se caractérisait par son dynamisme, à la différence des conservateurs modérés que les ultramontains avaient éliminés du pouvoir. Ces derniers partageaient avec les

7

Ibid., pp. 47-48.

8

Voir le récit haut en couleurs de sa nomination à Fribourg : Paul de STOECKLIN,Ce sont là jeux de prêtres. En

marge de l’histoire du canton de Fribourg, en Suisse. Les origines du parti catholique dans le canton de Fribourg, Presses universitaires de France, Paris, 1927, pp. 65-76.

9

Cf. : Léon SAVARY,Le fonds des ressuscités. Mémoires, t. 1, Jack Rollan, Lausanne, 1956, p. 159. L’arrivée au

siège épiscopal de Mgr Bovet constitua en revanche la victoire du catholicisme politique fribourgeois (ibid., pp. 159-160).

10

X., « Pays béni », La Gruyère [journal d’opposition], 16 mars 1898.

11

René de WECK,Jeunesse de quelques-uns, Plon, Paris, 1924, p. 38. Fribourg accueillit au début du siècle de

nombreuses congrégations françaises, chassées de leur pays par la politique anticléricale d’Emile Combes.

12

Ce terme consacré (RUFFIEUX, Le mouvement chrétien-social, op. cit., p. 29), était déjà apparu auparavant : « Organiser le canton en une république chrétienne, telle fut l’œuvre à laquelle travailla (…) le chanoine Joseph Schorderet » ([Jeanne NIQUILLE], Un siècle d’histoire fribourgeoise, Saint-Paul, Fribourg, 1941, p. 159

[réédition chez Barré et Dayez, Paris, 1994]). Sur l’Université et le régime Python : bibliographie générale, VI, 10.

radicaux, mais dans un autre but, celui du « Règne social de Jésus-Christ »13, le besoin de s’adapter à leur temps14. Schorderet déclarait :

« Ce qu’il importe de donner aux âmes, c’est la Vérité, en la portant par les journaux à ceux qui ne viennent plus la chercher au pied de la chaire catholique, c’est d’user largement pour la cause de Jésus-Christ de la puissance de l’imprimerie, de la vitesse des chemins de fer, de l’organisation internationale des postes, de la rapidité de la télégraphie »15.

Le régime marqua le canton de son empreinte. Il accueillit quelques entreprises (chocolaterie Cailler de Broc), développa l’instruction publique, et plaça le couronnement de son œuvre dans la fondation d’une université en 1889, haute école pour les catholiques suisses à la teinte confessionnelle bien marquée et cependant sous contrôle étatique, ce qui lui assura une reconnaissance de la part de la Confédération et des autres cantons. Vers elle gravitaient deux régies fondées à ce moment, les Eaux et Forêts (futures Entreprises électriques fribourgeoises) et la Banque de l’Etat de Fribourg, qui lui versaient de substantiels revenus.

Saint-Michel, un collège catholique et humaniste16

Plus qu’une école, le Collège Saint-Michel était, comme le Collège de Genève, une véritable institution17. Fondé en 1580 par le jésuite Pierre Canisius, il demeura longtemps la seule école supérieure du canton. Les jésuites en furent chassés en 1847, le gouvernement radical le changea « en vulgaire Ecole cantonale »18, mais la maison retrouva son caractère religieux et humaniste. Elle était dirigée à l’époque de Charles Journet par Mgr Jean-Baptiste Jaccoud (1847-1927), recteur pendant trente-six ans de 1888 à 1924 et homme du régime Python19. Il était secondé par des préfets et

13

« Une humanité intégrée en Eglise et animée de l’Esprit de Jésus-Christ. C’est ce qu’il voulait dire par “le Règne social de Jésus-Christ”, mot qu’il [le chanoine Schorderet] avait sans cesse à la bouche et sous la plume » (Dominique BARTHELEMY, Diffuser au lieu d’interdire. Le chanoine Joseph Schorderet (1840-1893), Ed. Saint- Paul – Ed. universitaires, Fribourg-Paris – Fribourg, 1993 (+ vol. d’index), p. 3).

14

Ibid., pp. 112-113.

15

Cité dans : ibid., p. 245. Cf. l’optimisme de Georges Python face à l’Eglise de son temps : « Il nous est arrivé de l’entendre préférer notre siècle à ceux qu’on range parmi les meilleurs de l’âge chrétien. (…) L’Eglise lui paraissait plus vivante et plus grande que dans aucun siècle » (Pie PHILIPONA,Georges Python (1856-1927),

Publications « Lumière », Dijon, 1927, p. 181 [réédition chez Barré et Dayez, Paris, 1995]).

16

Sur Saint-Michel : Auguste SCHORDERET, « Le Collège St-Michel », Annales fribourgeoises, mars-avril 1918, t. 6, pp. 49-90 ; Jean-Baptiste JACCOUD, Notice sur le Collège St-Michel de Fribourg, Saint-Paul, Fribourg, 1914 ; Jean-Denis MURITH – Georges ROSSETTI, Le Collège Saint-Michel, Ed. Saint-Paul, Fribourg, 1980.

17

Plusieurs anciens écrivirent leurs souvenirs d’étudiant, preuve que passer par « le Collège » avait marqué leur personnalité. Léon SAVARY, entré une année après Journet, est intarissable : Le Collège Saint-Michel, Victor Attinger, Paris – Neuchâtel, 1932 ; Le troupeau sans berger, op. cit. ; Le fonds des ressuscités, op. cit. ; voir également : REYNOLD, Mes mémoires, op. cit., t. 2, pp. 209-234 ; Gabriel OBERSON, L’âme damnée, Ed. du Vieux-Mazel, Vevey, 1960 (autre édition : Perret-Gentil, Genève, 1944).

18

JACCOUD,Notice sur le Collège, op. cit., p. 81.

19

Cf. : Pierre-Philippe BUGNARD, Le machiavélisme de village. La Gruyère face à la République chrétienne de Fribourg (1881-1913), Le Front littéraire, Lausanne, 1983, p. 314 ; Dominique BARTHELEMY, Idéologie et

coordonnait le travail d’un certain nombre de professeurs (72 en 1910-1911), dont beaucoup étaient prêtres du diocèse et habitaient à l’école même. Le nombre des élèves fréquentant Saint-Michel était de 567 en 1907-190820 et sera de 590 à la sortie de Charles Journet21. Géographiquement, le Collège comprenait plusieurs parties, l’église Saint-Michel, les trois ailes du Gymnase et le Lycée, bâtiment carré du XIXe siècle qui abritait trois des quatre facultés de l’Université22. La maison dominant le ravin du Varis n’était pas encore construite.

Même si l’on accueillait les non-catholiques – Léon Savary était protestant en y entrant et rendit hommage au respect du maître qui le reçut – Saint-Michel avait une forte saveur catholique : « Les jeunes gens sans religion seraient dépaysés chez nous » écrivait le Catalogue de 1907-190823. La messe du dimanche était obligatoire pour internes et externes habitant la ville24 et il y avait une retraite annuelle de quelques jours. Plusieurs saints étaient fêtés, saint Thomas d’Aquin, patron des écoles catholiques le 7 mars, le bienheureux Pierre Canisius (il sera canonisé en 1925) le 27 avril, saint Louis de Gonzague, un modèle de la jeunesse, le 21 juin25. Les élèves participaient à la troisième procession des Rogations et à celle de la Fête-Dieu, cette solennité qui transformait Fribourg en un « état de ciel »26. Les étudiants les plus pieux fréquentaient des associations religieuses appelées « congrégations »27. Saint-Michel n’était cependant pas un petit séminaire. Les futurs clercs, « élément en général plus recueilli et plus laborieux »28, côtoyaient les futurs cadres du canton. Il s’agissait de se connaître en vue de bâtir ensemble la République chrétienne ou, comme l’écrivait le rapport de la maison, « de faire contracter sur les bancs du collège, entre les futurs membres du clergé et les laïcs instruits, de bons rapports, souvent même une véritable intimité, qui durent toute la vie »29.

Le programme d’études durait huit ans. En raison de sa scolarité antécédente, Charles Journet n’y accomplit que les six dernières années. Il entra en troisième dans la classe du professeur Elie Morand,

Geschichte der Universität Freiburg Schweiz (études 1), Ed. universitaires, Fribourg, 1991, p. 52, note 115 et p. 66.

20

Catalogue. Année scolaire 1907-1908, Saint-Paul, Fribourg, 1908 (aperçu rétrospectif, p. 3). Ce document imprimé chaque année qui évoque la vie du Collège et les résultats des élèves sera désormais cité : Catalogue, op. cit., + année scolaire.

21

Catalogue, op. cit., 1912-1913, aperçu rétrospectif, p. 4. A ce chiffre il faut ajouter les élèves d’autres écoles reliées au Collège, comme la Villa Saint-Jean au quartier de Pérolles, tenue par les marianistes.

22

Description de ce bâtiment dans : REYNOLD,Mesmémoires, op. cit., t. 2, p. 138.

23

Catalogue, op. cit., 1907-1908, aperçu rétrospectif, p. 5.

24

Jusqu’en 1912, la messe quotidienne fut également obligatoire pour tous. Mais le recteur reconnaissait qu’il y avait eu « beaucoup de difficultés à faire assister les externes à la messe » (« Rapport sur la marche du Collège pendant l’année scolaire 1912-1913 » adressé au directeur de l’Instruction publique, cop. de lettres, 12 janvier 1913 – 10 novembre 1914, f. 222, archives du Collège, Fribourg).

25

Cf. : JACCOUD,Notice sur le Collège, op. cit., p. 163.

26

Claude MACHEREL – Jean STEINAUER, L’état de ciel. Portrait de ville avec rite, la Fête-Dieu de Fribourg (Suisse), Méandre Ed., Fribourg, 1989.

27

Il y avait trois congrégations au Collège : celle des Saints Anges pour les élèves des classes inférieures, la Grande Congrégation de la Sainte Vierge pour les classes supérieures, une congrégation spéciale de la Vierge pour les élèves de langue allemande (annonces à l’église, 1er juin 1907 – 28 mai 1911, p. 100, archives du Collège). Nous n’avons pas trouvé de listes indiquant une éventuelle participation de Journet à ces associations.

28

Catalogue, op. cit., 1912-1913, aperçu rétrospectif, p. 18.

29

prêtre jeune et « vénéré »30, qui sera connu pour sa piété et sa dévotion envers saint Pierre Canisius. Il passa ensuite chez l’abbé Joseph Genoud, appelé « le Vieux », célèbre pour ses calembours désopilants31. Ce prêtre était également rédacteur du journal La Semaine catholique32 et auteur de plusieurs études d’histoire locale, notamment deux volumes sur Les saints de la Suisse française33. Journet le retrouvera lorsqu’il débutera dans la carrière de « journaliste », nous y reviendrons. La cinquième année était tenue par un prêtre lettré et solennel, admiré par Léon Savary34, Emile Dusseiller (1866-1941). Il venait de Genève et sera curé de Notre-Dame durant quelques années, de 1912 à 1918. Nous avons relevé la grande facilité de Charles Journet pour l’étude. Elle se manifesta aussi à Saint-Michel, dans ses résultats scolaires et son goût pour l’étude :

« Ce qui nous frappait, au collège, note son condisciple Henri Barras, c’était sa fidélité au règlement. Nous nous levions à 5 h du matin, et à 5 h 1/2, il fallait être en étude. Or, ce que nous admirions, c’est que Charles Journet était toujours prêt à 5 h 1/4, et lorsque nous arrivions en étude, il était déjà au travail, penché sur la Somme de S. Thomas d’Aquin, ou sur un livre d’un Père de l’Eglise »35.

Le Collège Saint-Michel comprenait des sections latin-sciences et commerciale, mais il défendait jalousement l’esprit classique : l’enseignement des humanités et de la philosophie et le système du maître de classe. Le recteur Jaccoud était catégorique à ce sujet. Pour lui, la section latin-grec constituait « la partie principale du Collège, celle où se font les meilleures études et où se recrutent le clergé et la magistrature du canton »36. Les mathématiques, la physique, l’histoire et la géographie ne venaient qu’en second rang, tandis que « le reste » (dessin, musique et gymnastique37) était considéré comme « un accessoire, plus ou moins utile, mais jamais strictement nécessaire »38. Dans les études à Saint-Michel, il y avait deux cycles bien séparés, les humanités (le temps du « gymnase » terminé par l’année dite de rhétorique) et la philosophie, à laquelle on joignait les sciences (le temps du « lycée »). Comme l’explique un rapport d’année du recteur, la progression pédagogique voulue par les fondateurs du Collège suivait un plan cohérent39. Il y avait tout d’abord les années de grammaire où l’on cultivait la mémoire et la réflexion. Venait ensuite la rhétorique (art de bien parler, préceptes de la littérature, poétique), qui ajoutait à ces deux qualités l’imagination et le sentiment, ce qui permettait à l’élève d’exercer « la spontanéité, l’amour du beau et la tendance idéale ». Après cela (c’est-à-dire après la formation de l’âme sensible), on s’adressait à la raison par l’apprentissage de la philosophie et

30

François CHARRIERE,« Unis dans l’amitié et le service de l’Eglise », LaLiberté, 27-28 février 1965.

31

SAVARY,Le Collège Saint-Michel, op. cit., pp. 52-58.

32

Fondé en 1872 sous le titre de Semaine catholique du Jura, le journal se transporta à Fribourg pour la première livraison de 1879 et deviendra l’organe officiel du diocèse de Lausanne et Genève à partir de 1914 (histoire du journal dans : SC, 31 janvier 1946, pp. 70-75).

33

Joseph GENOUD, Les saints de la Suisse française, 2 t., Saint-Paul, Paris, 1882.

34

SAVARY,Le Collège Saint-Michel, op. cit., pp. 66 et suivantes.

35

Henri Barras à Mgr Mamie, 10 décembre 1976 (FCJ, TE Lausanne). A noter que Journet suivit des cours facultatifs d’anglais (Catalogue, op. cit., 1907-1908, p. 118 ; 1908-1909, p. 114), qu’il apprit l’harmonium et fit partie du chœur du Collège. Il fut, en 1911-1912, porte-drapeau de la fanfare (ibid., 1911-1912, p. 156).

36

« Rapport sur la marche du Collège », doc. cit., f. 220 (archives du Collège).

37

JACCOUD,Notice sur le Collège, op. cit., p. 127.

38

Catalogue, op. cit., 1910-1911, aperçu rétrospectif, p. 10.

39

des sciences. Une telle formation développait les facultés de l’intelligence « dans le sens d’une plus grande aptitude à percevoir les choses qui ne tombent pas sous les sens, telles que la pensée, le sentiment, la vérité, la vertu, la justice, le droit, le bien, etc. ». Elle était donc spiritualiste. La prépondérance des lettres puis de la philosophie garantissait cette dimension. En outre, le Collège Saint-Michel revendiquait vigoureusement le système du maître de classe. Contrairement aux professeurs de branches, le maître de classe formait avec ses élèves comme une famille. L’acquisition des connaissances était facilitée et un tel système contribuait à une œuvre d’éducation et non simplement d’instruction40.

Au Collège de Fribourg, Journet rencontra ses futurs confrères. Dans sa classe il y avait Claude Monney, Etienne Dumas et François Charrière, tous trois de la campagne fribourgeoise. Fils d’un agriculteur de Cerniat, « syndic, juge de paix et député au sein de la “République chrétienne” de Georges Python »41, François Charrière sera évêque du diocèse de 1945 à 1970. En quatrième année arrivèrent Henri Barras de Bulle et Georges Borel de Neuchâtel. Ces six étudiants entrèrent ensuite au séminaire du diocèse et formèrent la classe d’ordination 1917 qui, au dire de la notice nécrologique de l’abbé Monney, fut « très unie »42. Des signes de cette bonne entente se percevaient déjà à Saint- Michel. Ecoutons le prieur de La Valsainte, Dom Nicolas Barras :

« Lorsque le règlement le permettait je voyais quelques instants mon cousin, mais comme il était très lié avec ses amis Journet et Charrière, je les voyais souvent les trois ensemble. Je me souviens combien, ils m’impressionnaient. Bien qu’ils fussent très simples, très gais et enjoués, j’admirais leur savoir et je voyais en eux de grands savants, des hommes supérieurs, des modèles à imiter. Journet surtout avait la juste réputation d’être l’étudiant exemplaire, toujours le premier de sa classe avec le maximum des points dans toutes les branches. Et avec cela d’une très grande piété et d’une discipline exemplaire »43.

C’était la présence et la qualité de ses amis qui avait motivé Henri Barras, hésitant sur sa vocation, à entrer au séminaire44. Journet était également lié à Louis Clerc, qui se trouvait une classe avant lui et avec qui il aimait philosopher45. Ils seront tous deux professeurs de dogme au Séminaire. Le jeune

40

« Chacun sait que le travers des spécialistes est de ne voir que leur branche et d’en exagérer l’importance » (ibid., 1909-1910, aperçu rétrospectif, p. 15). Un long rapport de Jaccoud du 15 mai 1910 comparant les mérites des deux systèmes se trouve dans : cop. de lettres, 4 juillet 1909 – 8 janvier 1911, ff. 245-270 (archives du