C HAPITRE 3 : L ES RACINES ET FONDEMENTS DE
3.1 U NE BRÈVE HISTOIRE DE LA SOCIAL ‐ DÉMOCRATIE
Le mouvement social‐démocrate a une histoire tumultueuse de fusions et de séparations depuis ses origines. La social‐démocratie fut d’abord une appellation du mouvement socialiste international et, en particulier, de la Deuxième Internationale fondée en 1889 grâce à l'initiative, notamment, de Friedrich Engels, devenue depuis un mouvement centriste présent sous une forme ou une autre dans la plupart des pays avancés ou développés. Ce court chapitre sur l’histoire de la social‐démocratie n’a clairement pas la prétention d’être exhaustif ni tout à fait précis sur les détails. C’est une revue rapide des racines et des fondements, ou du moins de certains d’entre eux, de façon à ce qu’il soit plus aisé de saisir à la fois les ressemblances et les différences entre le modèle SDC présenté ici et les nombreuses factions des mouvements sociaux‐ démocrates du dernier siècle et demi.
Le courant moderne social‐démocrate est né d’une rupture au sein du mouvement socialiste, au début du 20e siècle, entre deux groupes possédant une vision différente des idées de Karl Marx. De nombreux mouvements apparentés, y compris le pacifisme, l’anarchisme ou le syndicalisme, sont apparus au même moment (souvent en sortant du mouvement socialiste principal) et ont émis des objections variées et parfois sévères envers le marxisme.
Les sociaux‐démocrates, qui représentaient la majorité des socialistes à ce moment‐là, ne rejetaient pas le marxisme (et en fait, déclaraient le soutenir), mais souhaitaient le réformer et également modérer leurs critiques envers le capitalisme. Ils affirmaient que le socialisme devait être atteint par l’évolution plutôt que par la révolution. Ces opinions furent farouchement combattues par les révolutionnaires socialistes, qui affirmaient que toute tentative de réforme du capitalisme était vouée à l’échec puisque les réformateurs seraient graduellement corrompus et, éventuellement, ils se transformeraient en capitalistes eux‐mêmes.
En dépit de ces différences, les branches réformiste et révolutionnaire du socialisme restèrent relativement unies jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale. La guerre s’avéra être la goutte d’eau qui fit déborder le vase, amenant des tensions jusqu’à la rupture. Les socialistes réformistes ont soutenu leurs gouvernements
comme une véritable trahison envers la classe des travailleurs (puisque cela trahissait le principe selon lequel les travailleurs de tous les pays devaient s’unir pour combattre le capitalisme). Finalement, durant et après la révolution russe, la plupart des partis socialistes du monde se scindèrent. Les socialistes réformistes prirent le nom de
S O C I A U X‐D É M O C R A T E S, tandis que les socialistes révolutionnaires commencèrent à s’appeler C O M M U N I S T E S et, rapidement, formèrent le mouvement communiste
moderne.
À la suite de la séparation entre les sociaux‐démocrates et les communistes, une autre scission se réalisa parmi les sociaux‐démocrates, entre ceux qui croyaient encore qu’il était nécessaire d’abolir le capitalisme (sans révolution) et de le remplacer par un système socialiste par des moyens démocratiques et ceux qui croyaient que le système capitaliste pouvait être utilisé, mais qu’il nécessitait certains ajustements ou améliorations. Parmi ces changements nécessaires, on pouvait trouver la nationalisation des activités importantes, l’implémentation de programmes sociaux (éducation publique, système universel de santé, assurance‐chômage) et, plus généralement, la redistribution partielle des revenus et des richesses à travers un État providence, dans le but de rendre le capitalisme plus humain.
Finalement, la plupart des partis sociaux‐démocrates passèrent sous la coupe des partisans d’un système capitaliste amélioré et, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, abandonnèrent tout objectif ou engagement visant à abolir le capitalisme. En général, ces sociaux‐démocrates qui voulaient simplement améliorer le capitalisme prirent le nom de S O C I A U X‐D É M O C R A T E S (en vertu de leur position dominante), tandis que ceux qui souhaitaient abolir graduellement le capitalisme par des moyens démocratiques devinrent des D É M O C R A T E S S O C I A L I S T E S.
Les partis sociaux‐démocrates ont suivi, partout dans le monde, une évolution en zigzag depuis leur création. Le parti social‐démocrate allemand (le SPD, Sozialdemokratische
Partei Deutschlands, formé par l’alliance des partisans de Karl Marx et de Ferdinand
Lassalle en 1875), devint le plus puissant parti socialiste en Europe et conduisit à l’instauration, entre 1900 et 1914, des semaines de travail les plus courtes, des vacances les plus longues et des meilleurs avantages, et accomplit tout cela en période préparatoire à la guerre. Dans beaucoup d’autres pays, des partis travaillistes furent créés. Ainsi, de l’idéal social‐démocrate émergèrent de nombreux partis parfois bien établis dans la classe des travailleurs, mais continuant à être des partis autonomes. Le parti travailliste australien eut plus de succès, formant un gouvernement en 1904,
comparativement au parti travailliste anglais qui fit élire ses premiers représentants en 1906, mais dut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour former un gouvernement.
La décennie qui suivit la Première Guerre mondiale s’avéra être la décennie sociale‐ démocrate. Le parti travailliste anglais forma un gouvernement en 1924 et le parti social‐démocrate allemand fut au pouvoir une bonne partie de la décennie. Après la grande dépression, l’Europe vit apparaître les États fascistes, les partis travaillistes australien et anglais furent vaincus, tandis que seule la Suède conserva son gouvernement social‐démocrate élu pour la première fois en 1932.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les sociaux‐démocrates atteignirent leur point le plus bas. À cause de l’engagement des communistes aux côtés des nazis, une large part de l’idéologie associée au socialisme fut bannie. La Grande‐Bretagne, la Suède, la Suisse, le Canada, l’Australie et la Nouvelle‐Zélande furent les seuls pays qui disposèrent de partis « socialistes » ayant l’autorisation de fonctionner. C’est seulement après 1945 que les partis sociaux‐démocrates furent réélus, notamment en Grande‐Bretagne. Le SPD allemand fut défait en 1949 lors des premières élections libres d’après‐guerre. La grande dépression et la prospérité économique d’après‐guerre associées aux nouvelles idées de Keynes sur l’intervention de l’État permirent aux idées sociales‐ démocrates de gagner en popularité. Non seulement l’État devait soutenir la demande et la croissance économique nationale, mais il devait également assurer une certaine justice sociale. Cela rendit possible l’acceptation par les travailleurs du capitalisme, avec toutes ses implications, en échange d’une sécurité d’emploi et d’une intervention plus active du gouvernement. Ces politiques macroéconomiques furent largement appliquées dans les années 50 et 60, époque où les partis sociaux‐démocrates et les politiques de l’État providence étaient présents dans de nombreux pays et en particulier, en Europe.
Mais la guerre froide, l’avancée des communistes et les divisions au sein du mouvement social‐démocrate, en partie dues à la participation soviétique à la Seconde Guerre mondiale, menèrent à des gouvernements plus conservateurs. Seuls la France et les pays scandinaves conservèrent des partis sociaux‐démocrates d’une certaine importance. Durant les années 60 et 70, les partis travaillistes et les sociaux‐démocrates dont la base originelle était composée de travailleurs et de syndicats n’étaient pas suffisants et la plupart des réformes politiques furent orientées vers la satisfaction de la demande de la classe moyenne.
L’instabilité économique des années 70 et 80 contribua au déclin des gouvernements sociaux‐démocrates en faveur de gouvernements plus conservateurs. Les récents défis auxquels font face les gouvernements, à savoir la mondialisation des marchés, l’augmentation de l’interdépendance entre les nations et l’augmentation des préoccupations pour une justice sociale à l’intérieur de la société civile conduisirent, dans les années 90, à un débat sur le modèle social‐démocrate à développer pour atteindre les objectifs sociaux‐démocrates à l’intérieur de ces nouvelles réalités économiques. Le débat se poursuit et les solutions proposées à l’intérieur du mouvement social‐démocrate sont nombreuses. Mais dans un sens, il existe un terrain commun qui unit la plupart des sociaux‐démocrates. L’objet du prochain paragraphe.est précisément de caractériser ce terrain commun.