C HAPITRE 3 : L ES RACINES ET FONDEMENTS DE
3.2 L ES PRINCIPES ET LES POLITIQUES DE LA SOCIAL ‐ DÉMOCRATIE
La position actuelle des mouvements sociaux‐démocrates est quelque part entre les deux principales idéologies politiques qui ont dominé la période suivant la Seconde Guerre mondiale. La première est le socialisme, qui se fonde sur la croyance que l’État est l’agent en qui on peut avoir le plus confiance dans la société et que, par conséquent, plus l’État contrôle de manière centrale et dans le moindre détail, pas seulement la vie économique, mais aussi la vie sociale, mieux se porte la société et plus élevé est le niveau de bien‐être. C’est le projet qu’a tenté de mener à bien l’Union soviétique. Cette idéologie ne laisse que peu de place au capitalisme : les forces du marché peuvent être légèrement tolérées, mais sont en principe aberrantes. La seconde idéologie, le néolibéralisme, se place à l’opposé de ce point de vue. Il croit que l’État, comme l’a dit un jour Ronald Reagan, n’est pas partie de la solution, mais partie du problème. Il reconnaît qu’il existe un besoin et certains espaces pour l’État, mais que, au fond, il exerce, en général, une « mauvaise » influence et devrait être étroitement contrôlé. Le mieux se trouve dans l’économie de marché et la liberté de choix, de transactions et d’échanges qu’elle permet.
La vision des sociaux‐démocrates, au moins depuis les années 70, est le besoin de s’éloigner de ce qu’ils considèrent comme un débat stérile entre gauche et droite – entre ceux qui sont favorables soit à l’État, soit à la libre entreprise pour résoudre tous les problèmes. Au contraire, ils recherchent une nouvelle forme de philosophie politique qui se focalise sur l’adaptabilité des économies et des sociétés à la pression de la mondialisation. Les principes de cette idéologie renouvelée sont, exprimés dans le
manifeste Blair‐Schröder de 1999 : liberté et égalité des chances, solidarité et responsabilité envers les autres, équité et justice sociale (rationalité démocratique).31 Les principes D E L I B E R T É E T D’É G A L I T É D E S C H A N C E S se réfèrent à l’autonomie personnelle, au pluralisme et à la méritocratie. Chaque membre de la communauté sociale ou politique devrait bénéficier des ressources et des capacités élémentaires qui sont nécessaires à la survie voire à l’épanouissement individuel dans les économies de marché avancées. L’accent est mis ici sur les standards en matière de protection sociale, de santé et d’instruction (aptitude, compétence, employabilité). De plus, il doit exister une égalité des chances du début à la fin, telle qu’exposée dans les plans et les procédures contre la discrimination et visant à vérifier les relations asymétriques de pouvoir.
Le principe D E S O L I D A R I T É E T D E R E S P O N S A B I L I T É E N V E R S A U T R U I suppose l’acceptation de la responsabilité morale et de la vertu sociale. Le marché est vu alors comme un espace de paix et d’expression productive de l’individualité et de la sociabilité. Les acteurs du marché font beaucoup plus que des échanges occasionnels. Ils se conforment aux règles juridiques et aux préoccupations locales (avec les parties contractuelles), aux transactions décentes et honnêtes, aux coentreprises quand l’intérêt collectif est en cause et à l’initiative sociale basée sur la capacité de payer. Le principe de solidarité et de responsabilité à l’égard d’autrui se traduit par la réciprocité. L’expression « pas de droit sans responsabilité » signifie que ceux qui souhaitent profiter des bénéfices économiques de la coopération sociale, dans un sens large, ont l’obligation de contribuer, à la hauteur de leurs capacités, au mieux‐être de la collectivité en contrepartie de ces bénéfices.32 Les gouvernements doivent les politiques publiques elles‐mêmes vers l’autonomie »; plus exactement, vers la prise en charge par chaque citoyen de sa propre autonomie.
Les principes D’É Q U I T É E T D E J U S T I C E S O C I A L E O U D E R A T I O N A L I T É D É M O C R A T I Q U E
veulent que cette poursuite des objectifs sociaux‐démocrates soit compatible avec les principes de justice procédurale et de légitimité démocratique (constitutionnalisme), ainsi qu’avec les principes d’efficacité statique et dynamique (compétitivité). L’arbitrage entre les objectifs politiques conflictuels doit être fondé sur une délibération publique permanente sous le signe du dialogue civil, de la décentralisation, de la subsidiarité et de la démocratie dans toutes les formes modernes de groupes et d’organisations. 31 Pour plus d’information sur les principes de la social‐démocratie, se référer, parmi les nombreuses sources, à J. De Beus et T. Koelble (2001), “The Third Way Diffusion of Social Democracy: Western Europe and South Africa Compared”, Politikon, 28(2), pp. 181‐194.
De ces principes découlent différentes variantes des politiques de centre‐droit appliquées à travers le monde : Europe, Canada, Nouvelle‐Zélande et Brésil par exemple. On peut identifier un certain nombre de caractéristiques communes à la représentation de la social‐démocratie émergeant de ces politiques. Une liste non exhaustive de ces caractéristiques devrait inclure ce qui suit, mais pas toujours à un niveau identique ou avec le même engagement. Néanmoins, elles constituent actuellement la conception dominante de la social‐démocratie.
1 ) La social‐démocratie devrait accueillir avec bienveillance la mondialisation comme
une source première de croissance économique dans un régime de liberté économique et de pluralisme. Une politique de croissance possède deux dimensions. D’un côté, la croissance est issue des nouveaux services technologiques (informatique, Internet, biotechnologie) et des nouveaux services commerciaux et de distribution. D’un autre côté, la croissance doit aussi être qualitative et minimiser autant que possible la dégradation environnementale indésirable, en particulier, grâce à l’invention et à l’adoption (innovation) de meilleures méthodes de production et de gestion. Le processus de croissance doit trouver un équilibre entre les biens publics et les biens privés, le travail et les loisirs, les anciens et les nouveaux risques, la concurrence et les liens communautaires locaux. L’objet de la croissance économique est d’abord et avant tout d’élargir et d’approfondir la liberté humaine.
2 ) La social‐démocratie devrait restaurer la force du plein emploi et de l’éthique du
travail. L’objectif des politiques d’emploi est peu orthodoxe sous de nombreux aspects. Le plein emploi concerne les hommes et les femmes, aussi bien les jeunes que les vieux, la majorité comme les minorités. Il suppose des emplois à temps partiel comme dispositif pour équilibrer, entre autres, les obligations contractuelles vis‐à‐vis des employeurs et les obligations familiales. Il doit inclure des possibilités de sortie temporaire (formation de longue durée) et un chômage frictionnel (allocations de chômage avec un taux efficace de remplacement) comme conséquences involontaires de la plus grande mobilité des travailleurs. Il doit tenir compte de la qualité des emplois, c’est‐à‐dire du travail comme source d’estime de soi et de développement personnel, de socialisation, de revenu et de carrière (salaire minimum, conditions de travail décentes) et il doit être sensible à une comparaison pertinente entre les secteurs ouverts à la concurrence et les secteurs protégés (services publics inclus).
3 ) La social‐démocratie devrait créer des conditions comparables pour l’égalité des
des styles de vie et du prestige. La « célébration de la créativité, de la diversité et de l’excellence »33 est, cependant, limitée dans un double sens. Les sociaux‐démocrates visent à abolir et à contrôler les différences extrêmes de revenus non gagnés et de richesses héritées. La pauvreté devrait être combattue à l’aide d’un assortiment de politiques de sécurité, de politiques fiscales et morales de promotion de l’acceptation d’emplois au bon niveau de compétence, d’instruction, de garderies, de sanctions (systèmes où les chômeurs doivent participer à des programmes de création d’emploi pour recevoir des allocations), de renouveau urbain (contre la ségrégation, les ghettos, le crime organisé et les zones de non‐droits), de valeurs familiales, aussi bien que de l’accès aux services sociaux (pas de cercle vicieux auquel sont confrontés les bénéficiaires d’allocation de chômage ou d’insertion qui ne peuvent travailler, même de manière temporaire, sans perdre leurs droits aux services gratuits). De plus, les stratégies d’» évasion fiscale » (prix de transfert et exportation du profit réalisé pour éviter de payer des taxes et impôts) et de « double bénéfice » (biens et services publics consommés dans un pays, mais dont les revenus sont déclarés et les taxes payées dans un pays étranger) devraient être découragées et combattues.
4 ) Les sociales‐démocraties devraient renforcer leur engagement envers une société
ouverte et les missions humanitaires via un large éventail de mesures. Cela inclut, entre autres choses, l’hospitalité envers les réfugiés politiques, l’aide à l’intégration des travailleurs étrangers (cours de langue, programmes spéciaux pour l’emploi des travailleurs étrangers et le développement de l’esprit d’entreprise de ces derniers), la régulation d’un commerce mondial ouvert, juste et concurrentiel et hostile aux interventions politiques en faveur de champions nationaux ainsi qu’aux subventions à l’exportation et aux subventions biaisant le commerce), le développement de l’aide humanitaire sous condition de bonne gouvernance, la participation aux opérations de maintien de la paix et de respect des pactes de stabilité régionale.
5 ) Enfin, la social‐démocratie devrait promouvoir l’inclusion des citoyens et une forte
démocratie. Cette réforme implique, entre autres choses, un pacte social, une autonomie régionale, des prises de décisions interactives, des protections légales pour les minorités et les femmes, un financement raisonnable des partis politiques des associations non gouvernementales, des institutions et des pratiques de démocratie représentative et directe (responsabilité financière, pouvoirs du parlement, référendum), et des libertés et responsabilités personnelles.