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1.6 La désambiguïsation des entités nommées

2.1.4 Les typologies documentaires

La diplomatique a consacré d’intenses débats à définir ce qu’est un acte

157

. Les

diplomatistes s’intéressent particulièrement à clarifier les mécanismes sous-tendant la

construction d’un acte en tant qu’objet matériel et produit intellectuel. Les actes

peuvent provenir d’une chancellerie royale ou pontificale, du notariat civil ou de la main

d’un clerc dans un village ; ils peuvent comporter de longs préambules ou une simple

invocation, des dizaines des témoins ou un seul, des signa ou des sceaux pendants,

une date précise mentionnant lieu, mois, année, jour de la semaine ou aucun de ces

éléments. Ils peuvent être rédigés dans un style subjectif, comme c’est le cas des chartes,

ou objectif, dans le cas des notices. En tant que titre de propriété, ils peuvent avoir

leur origine dans différents types d‘action juridique : une donation, une vente, un

échange, un procès ou tout à la fois. Enfin, ils peuvent être des originaux recueillis

dans un chartrier ou insérés dans d’autres séries, ou être conservés en tant que copies

contemporaines sous la forme de cartulaires, ou bien encore sous forme de copies

modernes ou de regestes.

Puisque l’acte s’insère dans un carcan juridique, chaque réalisation dans sa

structure s’avère le produit d’une négociation entre un formulaire proposé et une

rédaction par le scribe où l’importance de la mémoire est primordiale. Il peut s’avérer

compliqué d’établir un classement suivant la nature juridique de l’acte. Aux chartes

privées peuvent être opposées les chartes publiques, mais une charte est-elle privée

quand c’est une autorité publique qui l’a validée ? À l’opposé, une charte est-elle

publique quand s’agit de l’affaire privée d’un roi, évêque ou pape ? Nous nous

contentons ici du consensus défendu par quelques spécialistes

158

, selon lequel les actes

privés sont ceux qui portent des signes de validation autres que royaux, pontificaux

ou d’une autorité urbaine. Nous allons différencier brièvement les types d’actes - et

d’actions juridiques - trouvés dans notre corpus selon le classement fourni dans notre

base de données numérique.

Les actes fonciers

L’acte - ou charte - privé sert d’instrument écrit qui valide l’existence d’un fait

juridique, ce qui explique pourquoi il prend généralement la fonction d’un titre

de propriété ou d’une preuve de droits sur un bien immobilier

159

. Les dons par

des membres de l’aristocratie de biens fonciers à l’abbaye clunisienne sont les plus

157. voir à ce sujet Georges Tessier. La diplomatique (3 e éd.) 1966 ; Arthur Giry. Manuel de diplomatique : Diplomes et chartes.-Chronologie technique.-Éléments critiques et parties constitutives de la teneur des chartes.-Les chancelleries.-Les actes privés. T. 1. Paris, Hachette, 1894 ; Benoît-Michel Tock. “L’acte privé en France, VIIe siècle-milieu du Xe siècle”. In : Mélanges de l’école française de Rome 111.2 (1999), p. 499-537

158. ibid. ; Laurent Morelle. “Pratiques médiévales de l’écrit documentaire”. In : Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques. Résumés des conférences et travaux 139 (2008), p. 368-371 ; Alain de Boüard. Manuel de diplomatique française et pontificale. Picard, 1948, p. 12-35

159. Robert-Henri Bautier. “Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke et Benoît-Michel

Tock.—Diplomatique médiévale. Turnhout, Brepols, 1992”. In : Cahiers de civilisation médiévale

2.1. Les éditions numériques 67

abondants dans le corpus documentaire. Parmi ceux-ci, les donations pro anima,

faites du vivant du donateur, post obitum ou au profit des membres de la famille,

sont particulièrement nombreux. Les donateurs vivants peuvent imposer certaines

restrictions à leur don ; il peut s’agir d’un don viager, ou d’un don partiel en échange

d’une part d’usufruit, plus rarement d’un contrat précaire (precaria)

160

. Les ventes,

les échanges ou les arrentements de terres passés entre un particulier et l’abbaye sont

également courants, ceux entre deux propriétaires privés le sont moins

161

. Dans ce cas,

le document est conservé, sous la forme de munimina, parce qu’il concerne l’abbaye

directement ou indirectement.

162

et permettent d’établir l’historique de transferts

d’une possession.

Ventes et échanges ne sont pas étrangers au corpus. L’abbaye peut avoir recours

à l’achat de terrains afin d’accroître certains espaces lui appartenant. Dans certains

cas, une vente peut être réalisée sous la forme d’une donation ou d’un échange et

un transfert de multiples possessions peut être réalisé par une donation et une vente

dans le même acte. Les actes d’échanges entre privés et l’abbaye sont nombreux et ils

prennent habituellement la forme d’une notice et comportent des formules stéréotypées

( Placuit atque convenit inter .... commutare ; trado atque transfundo), et dans le cas

de ventes (ego ... vendo / vendimus tibi / vobis ... et accipimus de vobis precium).

Quelques actes classés comme fonciers traitent d’autres types de faits juridiques,

par exemple, la renonciation à des droits sur la propriété ou de serfs en faveur de

l’église, ce qui donne lieu à une notitia werpitiones. Si presque tous les actes portent

sur des affaires foncières, on peut également trouver des actes portant sur d’autres

biens ou instruments monétaires : prêts en argent, impignorations, loyers annuels de

moulins, forges, outils, champs, obligations, confiscations, mises en gage, etc. La figure

2.3 montre la répartition des actes privés par type d’action juridique.

Les notices

La distinction entre charte et notice est habituellement portée par l’usage de la

première personne ou de la troisième personne, développant des styles rédactionnels

respectivement objectifs ou subjectifs. Mais dans certaines occasions une hybridation

des deux styles est attestée dans les actes. La notice présente une version abrégée,

et plus directe que la charte, laissant de côté les multiples clauses et la plupart

de l’appareil protocolaire. Elle notifie une action juridique en adoptant l’outillage

juridique minimal pour établir la validité de l’écrit dont le style direct, le protocole

simple, un dispositif succinct et la présence d’une clause de sanction sont les éléments

les plus communs. Il est par ailleurs naturel que les notices concernent un nombre élevé

160. « transfert qui mettaient une tenure à la disposition d’un laïc, qui abandonnait en échange une partie de ses biens, et s’acquittait chaque année d’un cens recognitif. », Michel Parisse, article « Précaire » du Dictionnaire du Moyen Âge, Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink (dir.), PUF, coll. « Quadrige », 2002

161. BernardVigneron. “La vente dans le Mâconnais du IX e au XIII e siècle”. In :Revue historique de droit français et étranger (1922-) 36 (1959), p. 17-47

162. DidierMéhu. “Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XVe siècle)”. Thèse de doct. Lyon 2, 1999, p. 17-41 ;Iogna-Prat, “La confection des cartulaires et l’historiographie à Cluny (XIe–XIIe siecles)”’

d’actes juridiques relevant d’autres affaires que la donation — ventes et échanges, ou

bien encore déguerpissements—, car la notice ne transmet pas en général le cadre

idéologique qui peut être mobilisé dans une donation

163

.

Les actes de justice

Jusqu’à la fin du Xe siècle on peut trouver quelques actes et notices rédigées à

propos de conflits entre propriétaires de terres ou entre Cluny et un tenancier. À

partir de ce moment-là, ce genre de documents disparait pratiquement du corpus. En

revanche, il existe des copies de procès civils et de conflits de juridiction dans la série

H de la Collection Bourgogne, qui résultent probablement d’un registre beaucoup plus

vaste

164

. D’autre part, des confirmations de droits fonciers, des renonciations de droits

et de biens, la restitution de droits comme de prêts, et des engagements de paiement,

apparaissent régulièrement tout au long du corpus de la fin du IXe siècle à la fin

du XIIIe siècle. Comme dans le cas des ventes et des échanges, ce type d’actes peut

s’avérer complexe à classer car l’affaire est réglée moyennant différentes aliénations ou

acquittements sous la forme de donations, ventes, déguerpissements, reconnaissances

de dettes, dont la rédaction apparaît ensuite dans l’acte.

Figure2.3 – Répartition des types d’acte selon l’action juridique

163. Laurent Morelle. “Instrumentation et travail de l’acte : quelques réflexions sur l’écrit diplomatique en milieu monastique au xie siècle”. In :Médiévales. Langues, Textes, Histoire56 (2009),

p. 41-74 ; Bautier, “Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke et Benoît-Michel Tock.—Diplomatique

médiévale. Turnhout, Brepols, 1992”

2.1. Les éditions numériques 69

Les diplômes

Les actes de confirmation des droits prennent la forme de préceptes lorsqu’ils

émanent de l’autorité royale et de privilèges lorsqu’ils sont d’origine pontificale

165

.

Ces deux types d’actes ont été rangés dans la catégorie de diplômes dans le classement

du CBMA. Bien que le traitement intellectuel de ces actes soit semblable à celui

des actes privés, le formalisme du discours exprimé dans la prolixité des formules

introductives et dans l’utilisation d’un vocabulaire propre montre une plus grande

complexité. Les préceptes justifient l’action royale dans le préambule et ouvrent le

dispositif avec le verbe concedo préféré à dono qui est accompagné de clauses finales

invoquant des notions rarement identifiables dans les actes privés :iussio, perennisatio,

auctoritas. Les préceptes concernent pour la plupart des concessions à l’abbaye de

terres dégagées de la fiscalité royale

166

. Ce type de concessions, comparées aux dons

privés, sont normalement totam cum omnibus et impliquent le don de terres dans un

rayon beaucoup plus étendu, dans certains cas une villa entière. Il est une pratique

commune que la confirmation ou la restitution de donations ou immunités passées en

cas de conflit de juridiction, donne lieu à l’émission d’un nouvel acte.

Les privilèges pontificaux concernent quant à eux les droits juridictionnels sur

d’autres églises et bâtiments dont l’obéissance, la tutelle et la possession dépendent de

l’abbaye. Le contrôle d’une église ou d’un monastère concerne également leurs biens

et leurs terres, étendant ainsi l’emprise patrimoniale et spirituelle de l’abbaye sur

un plus vaste territoire. Comme dans le cas des préceptes, les privilèges confirment

généralement des dons antérieurs ou comportent l’autorisation de construire des

édifices pieux.

Les préceptes royaux ont une périodicité très précise ; ils sont expédiés à peu près

une fois tous les quatre ans à partir de l’an 813 (item 2 du cartulaire A) jusqu’à

environ l’an 1000 où ils deviennent rares. Les privilèges pontificaux, eux, sont plus

rares et tardifs, à l’exception des chartes de fondation, ils commencent à apparaître

au milieu du Xe siècle et disparaissent pratiquement au début du XIIIe siècle.

Lettres ou bulles

Sous la catégorie lettres (aussi appelées epistoles), sont classes les missives

souscrites par les autorités religieuses et les actes publics qui adoptaient une forme

épistolaire. Lorsqu’elles adoptent une forme solennelle (litterae solemnes) elles sont

alors dénommées comme bulles. Ces documents souscrits par les papes et évêques

concernant Cluny ont pour objet un mandat, des instructions d’ordre ecclésiastique

ou des réponses à des plaintes lorsque le conflit concerne l’autorité religieuse. Les lettres

pro monachis clunicensibus sont fréquentes. Le pape intervient en faveur de l’abbaye

dans des litiges juridiques, rappelant, confirmant et faisant respecter les privilèges

accordés à Cluny. Les bulles émanant de la chancellerie pontificale sont normalement

émises pour la confirmation des privilèges et possessions de Cluny ou de ses prieurés,

ou pour le placement de certains monastères et églises sous la domination de l’abbaye.

165. Boüard, Manuel de diplomatique française et pontificale; Bautier, “Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke et Benoît-Michel Tock.—Diplomatique médiévale. Turnhout, Brepols, 1992”

Certaines de ces lettres étaient attachées à des privilèges, notamment en ce qui concerne

la confirmation des possessions et des droits. Enfin, dans d’autres cas, il s’agit de

plaintes et de demandes d’intervention de divers ordres : spirituels, économiques ou

dogmatiques.

Autres documents

Dans notre corpus, sous la rubrique “autres” sont regroupés certains documents qui,

en dépit d’une tradition manuscrite similaire aux précédents, relèvent d’un traitement

juridique différent et, dans la plupart des cas, il s’agit de documents uniques. On trouve

par exemple les testaments des abbés de Cluny et quelques testaments d’individus

léguant tous leurs biens à l’abbaye. Il existe des copies d’accords passés entre les

autorités religieuses et l’abbaye concernant des conflits fonciers ou des droits (des

vidimus sont également conservés), ainsi que des listes, probablement à usage interne

pour la gestion économique des biens, des bâtiments et des produits vendus ; quelques

recensements et quelques pancartes compilant le résumé d’actes.