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1.6 La désambiguïsation des entités nommées

2.1.2 Le corpus clunisien

Le corpus de Cluny occupe une place centrale dans nos travaux tant pour le

développement de modèles que dans les études de cas. Le fonds Cluny semble

gigantesque par rapport aux autres fonds médiévaux numérisés : il contient plus de 5

500 items, auxquels il faut ajouter un important corpus de documents supplémentaires :

comptes, censiers, coutumiers qui témoignent de l’intérêt de l’ordre pour compiler

à la fois des documents de gestion économique et spirituelle. En comparaison,

d’autres fonds européens d’importance et de chronologie similaires sont beaucoup plus

succincts. Si l’on prend en compte quelques exemples dans leurs versions numériques,

le corpus d’Île-de-France compte environ 1 200 éléments ; le corpus desrolls anglais, 1

2.1. Les éditions numériques 61

400 ; le Becerro Galicano, 750

136

; le CDLM, 4 200. D’autres projets peuvent présenter

des quantités proches du CBMA – 28 000 documents –, comme par exemple la

Diplomata Belgica

137

qui héberge 30 000 documents du VIIe au XIIIe siècle, le fameux

corpus Diplomatarium Norvegicum

138

qui contient 20 000 chartes pour tout le pays

entre 1050 et 1590 et le DEEDS

139

autour de 35 000 actes pour les abbayes du sud de

l’Angleterre

140

.

Ces corpus de grande taille cités sont très généralistes, couvrant tout un pays à

diverses époques. Il est encore très compliqué de trouver un corpus qui, comme celui

de Cluny, est concentré sur une seule région et qui présente un arc temporel restreint

puisqu’il s’étend du IXe siècle à la fin du XIIIe siècle, et que 80 % de ses documents

étant concentrés entre 975 et 1120. Un tel corpus suggère une grande cohérence interne

et un très haut niveau de représentativité. S’il est toutefois évident que le corpus

actuel n’est qu’une partie de l’ensemble originellement compilé, et qu’un fragment

de la production totale des chartes, il est difficile de comprendre les logiques de la

sélection appliquée à l’origine aux actes existants, ainsi que les différentes modifications

apportées par le temps à travers la tradition archivistique.

Les actes de Cluny ont été édités en 6 volumes, publiés lors d’une entreprise de

longue haleine d’abord par Auguste Bernard, puis par Alexandre Bruel entre 1876

et 1920

141

. C’est une édition dans laquelle les textes ont été extraits principalement

des copies des cartulaires réalisées par Lambert de Barive au service du Cabinet des

chartes, entre 1770 et 1790

142

. A. Bernard commence l’édition en 1856 à partir des

exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale et de certains groupes d’originaux

de la Bibliothèque de Saône-et-Loire. Ce n’est pas la première édition des actes

de Cluny, car en 1656 avait était publié un petit recueil contenant des actes jugés

très importants suivant les critères de l’époque : essentiellement des bulles et des

privilèges

143

. Mais A. Bernart n’apprend cela qu’alors que les transcriptions des

copies de Lambert de Barive sont presque finies puisque cette édition, la Bibliotheca

Cluniacensis, publiée deux siècles avant avait presque disparue des bibliothèques. Les

copies modernes des cartulaires ou d’extraits des cartulaires ne sont pas rares, mais

fournissent régulièrement des versions abrégées ou corrigées des actes. Ce n’est pas

le cas du cartulaire de Cluny où le copiste moderne reste non seulement fidèle aux

chartes et cartulaires, mais fournit également de nombreuses copies d’originaux qui

n’existent pas dans le cartulaire, n’ayant pas été jugés significatifs par les moines

144

.

136. http ://www.ehu.eus/galicano/ 137. https ://www.diplomata-belgica.be/ 138. https ://www.dokpro.uio.no

139. https ://deeds.library.utoronto.ca/

140. Voir une description plus détaille de certains de ces corpus dans : Antonella Ambrosioet al.

Digital diplomatics : the computer as a tool for the diplomatist ? Böhlau, 2014, p. 185-208

141. Alexandre Bruel et Auguste Joseph Bernard. Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny :

802-954. T. 49. Impr. Nat., 1876

142. SébastienBarret. “Un avocat au service du Cabinet des chartes : les travaux de Louis-Henri Lambert de Barive dans les archives de Cluny (v. 1770-v. 1790)”. In :Histoire et archives 15 (2004), p. 29-64

143. MartinMarrier.Bibliotheca cluniacensis. Sumptibus Roberti Fovet Via Iacobaea, sub insigni Temporis et Occasionis, 1915

En conséquence dans le chartrier clunisien cohabitent une bonne quantité d’originaux

et de copies

145

, ce qui a permis à A. Bernard de réaliser un travail minutieux de

collation avant la publication du premier volume. Dans les transcriptions, la plupart

des erreurs sont typiques du travail d’un copiste : abréviations, oublis, sélections,

très rarement des corrections. Dans quelques cas, l’édition de Bernard complète les

omissions et les lapsus du cartulariste et du copiste, et, lorsque cela est possible, il

annule les corrections qui altèrent l’original

146

.

Les cartulaires sont arrivés en plusieurs livraisons à la Bibliothèque nationale

pratiquement pendant tout le temps qu’a duré la publication des volumes préparés

par A. Bernard et ils sont l’objet d’une description parallèle en catalogue par L.

Delisle

147

. Les cartulaires arrivent dans leur intégralité, mais le chartrier primitif

et surtout les collections d’originaux semblent affectées

148

. Compte tenu du nombre

d’originaux dont L. de Barive semble disposer et du nombre d’items qui nous sont

parvenus, la diminution de la taille du chartrier après les événements de la fin du XVIIIe

siècle est importante. Les déménagements, les pillages et les altérations physiques sont

généralement la cause de la disparition des fonds d’archives. Aux pertes naturelles des

documents dans les différents chapitres avant le rassemblement des archives dans la

tour nord de l’abbaye vers le XIIIe siècle, s’ajoutent les pillages pendant les guerres

de religion et durant l’époque révolutionnaire.

Il semble que les archives gardées dans la tour nord de l’abbaye (Tour des privilèges)

aient pu rester presque entières au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle

149

. Lambert

de Barive en témoigne, lui qui est chargé de copier ces archives à la demande du

Cabinet des chartes, et il travaille sur une bonne quantité d’originaux entre 1770 et

1790

150

. À la suite des évènements révolutionnaires, un grand nombre de volumes

entrent dans des mains privées, comme c’est le cas pour de nombreuses archives

ecclésiastiques. Le chartrier de Cluny, essentiellement les cartulaires, passe sous la

garde de la Bibliothèque municipale de Cluny dans l’intention de constituer les futures

Archives départementales de Saône-et-Loire, mais le mouvement final ne se produit

jamais. Cet ensemble, et certaines des œuvres dispersées entre des mains privées, ont

été transférés à la Bibliothèque nationale à partir des années 1880. Alors même que

les premiers volumes de l’édition de Bernard et Bruel ont été publiés, des pièces et des

du Cabinet des chartes : les travaux de Louis-Henri Lambert de Barive dans les archives de Cluny (v. 1770-v. 1790)” ; MadeleineOursel-Quarre. “A propos du chartrier de Cluny”. In :Annales de Bourgogne Dijon. T. 50. 198. 1978, p. 103-107

145. DominiqueIogna-Prat. “La confection des cartulaires et l’historiographie à Cluny (XIe–XIIe siecles)’”. In :Les cartulaires. Actes de la Table ronde, op. cit (1993), p. 27-44

146. BrueletBernard,Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny : 802-954, tome I, Avant-propos ; JeanRichard. “La publication des chartes de Cluny”. In :A Cluni : congrès (1950) ; HarmutAtsma

et JeanVezin. “Autour des actes privés du chartrier de Cluny (Xe-XIe siècles)”. In :Bibliothèque de l’Ecole des Chartes 155.1 (1997), p. 470-471

147. LéopoldDelisle.Le cabinet des manuscrits de la bibliothèque nationale : étude sur la formation de ce dépôt [...] avant l’invention de l’imprimerie. T. 1. Imprimerie nationale, 1868, p. 563-564

148. Richard, “La publication des chartes de Cluny”

149. SébastienBarret. “La mémoire et l’écrit : l’abbaye de Cluny et ses archives (Xe-XVIIIe siècle)”. In :Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre| BUCEMA13 (2009), p. 387-390

150. AtsmaetVezin, “Autour des actes privés du chartrier de Cluny (Xe-XIe siècles)” ;Richard, “La publication des chartes de Cluny”

2.1. Les éditions numériques 63

séries continuent à arriver, notamment le cartulaire E. Ces livres, volumes, séries voire

manuscrits isolés, parties d’une collection organique aujourd’hui perdue, constituent

le premier fonds catalogué de Cluny.

Le chartrier ne souffre pas seulement des découpages et des filtres imposés par

son hasardeuse histoire, mais également d’autres, de nature éditoriale. La première

et la plus évidente est la clôture de l’édition des actes à l’an 1300, décision prise par

A. Bernard qui destinait les chartes postérieures au XIIIe siècle au volume 7 de son

édition. Bien que les chartes datées des XIVe-XVIIIe siècles soient minoritaires et le

latin résiduel, l’ensemble constitue une importante série d’actes et de chartes en moyen

français concernant diverses institutions.

Un second filtre est imposé par la décision du comité de publication du Recueil de

ne pas rééditer les chartes figurant déjà dans laBibliotheca

151

et dans leBullarium

152

.

En effet, ces deux éditions qui contiennent principalement des privilèges et des bulles

ont été publiées au XVIIe siècle et elles ont fait l’objet de rééditions contemporaines

à celle de Bernard et Bruel. Dans ces cas, l’édition du Recueil effectue un renvoi

bibliographique aux deux éditions mentionnées.

Enfin, la mort d’A. Bruel a empêché la réalisation du septième et dernier volume qui

devait contenir une série de suppléments indexés : le pouillé, les tables de concordance,

la bibliographie et surtout les index toponymiques et onomastiques. Malgré les

multiples reprises ce volume n’a jamais vu le jour et il n’a été que partiellement réalisé,

dans les années 70 à l’Université de Münster. L’absence de ces supports d’indexation

laisse l’édition orpheline d’instruments de recherche essentiels pour l’exploration de ce

vaste corpus qui contient une énorme quantité de noms, de références internes et de

séries documentaires

153

.